L’acier magnétique, dopé au silicium et laminé en fines tôles, est indispensable pour fabriquer le cœur des moteurs électriques. Malgré la montée en puissance des capacités de production des sidérurgistes en Europe, la demande pourrait excéder l’offre. De quoi inquiéter les constructeurs automobiles et leurs sous-traitants. |
Dans l’ombre des inquiétudes concernant le nickel et le cobalt, c’est un alliage bien plus discret qui pourrait ralentir l’essor de la voiture électrique… Et qui pousse les producteurs à adapter leurs capacités de toute urgence. Mi-mars, le géant sidérurgique ArcelorMittal a annoncé investir plus de 300 millions d’euros dans son site de Mardyck (Nord), afin d’y installer des capacités de laminage d’aciers électriques (ou magnétiques). Si cet alliage est méconnu du grand public, l’annonce était attendue du secteur. Depuis plusieurs années, les industriels s’inquiètent du potentiel goulot d’étranglement qu’il pourrait représenter pour l’électrification du monde.
Dans les rotors et les stators des moteurs électriques comme dans les transformateurs, cet acier dopé au silicium et empilé en fines tranches est indispensable pour optimiser la circulation du champ magnétique et garantir de bonnes performances aux machines. Et pourrait venir à manquer face à l’explosion de l’électromobilité, alors qu’une voiture nécessite en moyenne 30 kilos de ce métal !
Investissements rapides
Une préoccupation prise au sérieux par ArcelorMittal. « Dans le contexte du plan de réduction des gaz à effet de serre Fit for 55 et du Green Deal de l’Union européenne, les perspectives d’électrification à l’horizon 2030 amènent à 60% des véhicules vendus, chiffre le PDG d’ArcelorMittal France – Matthieu Jehl. Cela induit une consommation importante d’acier spécifique pour les moteurs. » Alors que l’usine du groupe à Saint-Chély (Lozère) permet déjà de produire jusqu’à 100.000 tonnes de cet acier spécifique, ArcelorMittal prévoit d’investir 300 millions d’euros pour pouvoir laminer 200.000 tonnes supplémentaires à Mardyck et accompagner le marché européen. Proches des hauts-fourneaux de Dunkerque et du site de Toyota à Onnaing (Nord), les nouvelles capacités d’ArcelorMittal seront aussi idéalement situées pour servir le « territoire de l’électromobilité qui se construit dans les Hauts-de-France », espère l’industriel.
Pour cela, l’objectif est d’aller vite, afin de répondre aux « demandes claires des équipementiers et des constructeurs, qui nous disent “voilà les échéances et les volumes devant nous” », décrit Matthieu Jehl. Preuve de l’effervescence, ArcelorMittal prévoit d’ouvrir ses cinq lignes dédiées à Mardyck avec un agenda serré. Elles seront opérationnelles d’ici à 2025. La première, de recuit final, doit entrer en production dès 2024, quitte à adapter d’autres lignes entre temps pour être au rendez-vous des besoins.
Risque pour les moteurs industriels
« Cette annonce est une très bonne nouvelle », réagit Raymond-Nicolas Bourgeois, le PDG de la société R.Bourgeois, une ETI spécialisée dans la découpe d’acier magnétique pour les moteurs à Besançon (Doubs), qui a charrié à elle seule 90.000 tonnes de métal magnétique en 2021, en croissance de 30% sur un an. Seul problème : « Ces tonnages n’arriveront vraiment sur le marché que début 2025, donc il reste trois années très compliquées durant lesquelles la demande d’acier magnétique risque d’excéder significativement l’offre », regrette l’industriel.
Une alerte redoublée par une note du cabinet d’IHS Markit parue en décembre. Selon les analystes, les sidérurgistes mondiaux pourront, dans un premier temps, adapter leurs lignes et réorienter leurs laminoirs existants pour répondre à la demande. Mais suivre l’explosion du marché ensuite sera difficile sans nouvelles capacités, juge l’IHS Markit. Selon le cabinet, près d’un million de tonnes de cet alliage pourraient manquer d’ici à 2030, avec un danger spécifique pour l’électromobilité, qui nécessite des plaques d’acier très fines (entre 0,2 et 0,3 mm) et à haute teneur en silicium (autour de 3% en général). Deux caractéristiques qui imposent de travailler l’acier plus longtemps dans des laminoirs et des fours de recuit, et donc en augmentent le coût et les délais de production.
L’annonce d’ArcelorMittal, qui s’ajoute à de gros investissements dans le secteur communiqués début 2021 par l’allemand Thyssenkrupp – le premier producteur d’acier électrique en Europe, mais loin des géant asiatiques, au premier rang desquels le chinois BaoSteel – pourrait rassurer sur ce point. Au moins à court terme. Mais les moteurs industriels, en quête d’acier un peu plus épais et moins cher, pourraient paradoxalement faire les frais de cette mobilisation générale.
« Les sidérurgistes actuels utilisent le capacitaire existant pour produire l’acier noble de l’électromobilité, au détriment de l’acier en nuance industrie, qui sert pour les pompes, les moteurs industriels ou les machines à laver », alerte Raymond-Nicolas Bourgeois. Le dirigeant se dit désormais contraint de s’approvisionner en Asie sur ce segment. Sans y prendre garde, l’essor bienvenu de l’électromobilité européenne pourrait mettre en danger le secteur bien installé de la machine tournante électrique.
Un bonus pour les curieux …
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