1°/L’adoption des technologies génériques par les forces armées … le cas de l’IA – 22.11.22
2°/Preligens décroche un contrat à 240 millions d’euros pour doper l’Armée avec ses technos d’IA – 13.10.22.
3°/La PME Preligens va concevoir une IA de surveillance pour les services de renseignements militaires – 12.10.22.
1°/L’adoption des technologies génériques par les forces armées … le cas de l’IA
Le 22 novembre 2022 – Lucie Liversain doctorante au Centre de recherche en gestion (I³-CRG*) à l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
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Les technologies génériques émergentes (GPT) peuvent se révéler essentielles et efficaces pour les besoins militaires.
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Les GPT permettent des améliorations et des innovations, et ont généralement un impact majeur sur la croissance de la productivité globale.
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L’intelligence artificielle (IA) a le potentiel de constituer une technologie générique et ainsi de transformer l’économie, la sécurité nationale et la société.
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L’IA permet de traiter des données, d’améliorer les processus de décision ou encore de réduire le temps de réaction des systèmes.
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Pour ce faire, il faut encore investir massivement dans l’IA et favoriser son adoption en contexte industriel.
Les observateurs du conflit ukrainien ont tiré, depuis huit mois, de nombreux enseignements, notamment le besoin de retour à la haute intensité. Un des sujets majeurs qui en découle tient bien à la question de l’intégration de technologies émergentes pour fournir un avantage opérationnel aux armées.
Les partenariats des armées ukrainiennes – soutenus par le département américain de la défense – noués avec Microsoft ou Amazon Web Services (AWS) pour héberger les données ukrainiennes sensibles aux cyber attaques russes, ou encore l’utilisation des terminaux mobiles Starlink d’Elon Musk pour se connecter à Internet par satellite, ont mis en lumière l’importance de l’adoption rapide de technologies génériques pour les besoins militaires, et leur efficacité sur le champ de bataille.

En impulsant la réforme de son écosystème d’innovation de défense, le ministère des Armées s’est engagé, ces dernières années, dans un rôle plus entrepreneurial et stratégique, avec une approche plus expérimentale de la politique d’innovation1. Néanmoins, la question semble toujours se poser quant à la capacité de notre industrie de défense et de nos armées à pouvoir adopter rapidement toutes ces technologies émergentes génériques – autrement qualifiées de « general purpose technologies » (GPT) – comme l’intelligence artificielle ou le quantique, aux niveaux de maturité très variés.
Technologies « génériques » émergentes : de quoi parle-t-on ?
On peut définir les technologies génériques comme celles capables d’améliorations futures continues et ayant le potentiel de servir de base à des innovations complémentaires dans des domaines d’application connexes (Teece, 2018). En tant que telle, une technologie générique a un tel impact sur la croissance de la productivité globale qu’elle devient alors omniprésente, comme ce fut le cas pour Internet dans les années 2000.
À la suite d’importants travaux en recherche fondamentale et grâce au développement d’applications concrètes toujours plus nombreuses, l’intelligence artificielle (IA) constitue une technologie générique et transforme déjà l’économie, la sécurité nationale et la société dans son ensemble.
Premier défi : l’investissement
À travers le monde, les armées considèrent de plus en plus l’IA comme une technologie essentielle à leurs stratégies et à leur planification à long terme. Avec des géants de la technologie tels que Google et Amazon à la pointe de l’innovation en matière d’IA, les grandes entreprises américaines de défense sont pressées d’intensifier leurs activités dans ce secteur pour suivre le rythme du marché commercial.
Si le ministère des Armées se défend d’investir 100 millions d’euros par an dans l’intelligence artificielle pour la défense, cela ne représente en réalité que 0,6 % du budget équipement des forces, là où les Américains investissent 4 fois plus à budget équivalent.
Deuxième défi : l’adoption
Au-delà des investissements, plusieurs freins à l’adoption des technologies génériques persistent. D’un point de vue technique, la vulnérabilité de l’alimentation en données réelles pour entraîner les algorithmes (Osoba et Welser, 2017) est souvent à l’origine de performances insuffisantes. À la confidentialité des données militaires s’ajoute un autre obstacle… souvent négligé : celui de la gouvernance de la donnée trop souvent laissée aux industriels propriétaires des plateformes et système d’armes.
L’IA peut avoir un rôle essentiel dans la planification opérationnelle et la prise de décision.
Si l’on se place du point de vue de la maturité des utilisateurs, d’autres résistances demeurent, souvent liées à l’inégale connaissance du côté des décideurs, des cas d’usages et de leur valeur ajoutée pour les opérations militaires. Elles s’expliquent par le fait que les systèmes intégrant l’IA n’entrent pas tous au même moment et avec la même efficacité dans le répertoire technique des forces armées, mais aussi par des barrières culturelles et organisationnelles entre le secteur de la défense et le secteur civil. Une désincitation forte à prendre des risques, ainsi que des processus d’acquisition inadaptés pour ce type de technologie suffisent souvent à décourager toute prise d’initiative. En définitive, d’après les chiffres présentés par le Grand Défi centré sur l’intelligence artificielle, seuls 10 à 15 % des preuves de concept (au sens d’un démonstrateur) à base d’IA en France sont industrialisées et passent à l’échelle.
Quels cas d’usages de l’IA sont aujourd’hui capables d’apporter un avantage opérationnel aux forces armées ?
L’IA permet de traiter de vastes volumes de données complexes pour accélérer les processus de décision à tous les niveaux de commandement, agissant comme un multiplicateur de force pour le commandement – en particulier avec les exigences émergentes des opérations multi-domaines. Si les ressources humaines permettent actuellement de traiter, au mieux, 20 % des informations produites aujourd’hui, ce pourcentage peut baisser jusqu’à seulement 2 % face à l’explosion de la production de données2.
Signe que ce cas d’usage est d’intérêt majeur pour les forces armées, le ministère des Armées vient de signer un marché de défense et de sécurité d’un montant de 240 millions d’euros, porté sur 7 ans, avec un acteur non traditionnel de l’industrie de défense, Preligens, pure player de l’IA de défense en France. Les outils de traitement massif de données grâce à l’IA ont pour but d’accélérer le cycle du renseignement et de traiter de façon plus complète le tsunami de données provenant de ces satellites d’imagerie optique souverains CSO.
L’IA peut aller au-delà des capacités humaines et réduire considérablement les temps de réaction des systèmes de défense en cas d’attaque par des systèmes d’armes d’action rapide (missiles hypersoniques, cyberattaques ou armes à énergie dirigée) afin d’apporter un changement radical dans les capacités. À nouveau, on retrouve plusieurs acteurs non traditionnels de l’industrie de défense, par exemple la société américaine Anduril, une des rares start-ups américaines à avoir réussi un passage à l’échelle. Elle utilise des modèles de deep learning pour présenter une aide à la décision sous forme de recommandation, permettent à l’armée américaine d’accélérer la boucle de décision au niveau tactique, et de se rapprocher du temps réel pour contrer beaucoup plus efficacement les manœuvres ennemies.

En plus d’accélérer le traitement de quantités de données en croissance exponentielle, l’intelligence artificielle peut également améliorer la qualité des processus de décision et devenir un acteur-clé dans le continuum des processus de planification et de conduite des opérations. En effet, l’agrégation de nombreuses sources de données, et leur analyse par des algorithmes de machine learning, peut aider à déterminer la meilleure répartition géographique possible des forces en fonction de la mission, des capacités d’une unité, des conditions dans la zone d’intérêt, des exigences en matière de réapprovisionnement et des informations tirées de l’analyse de toutes les sources de renseignement.
Chaque théâtre d’opérations offre un nombre infini de configurations de forces. Pour se donner une idée de l’ampleur de ce nombre, il suffit de penser au jeu d’échecs. Après que chaque joueur a effectué quatre mouvements, il existe 988 millions de configurations différentes possibles. Combiner des sources massives d’informations pertinentes (telles que les données de localisation, la portée des armes, le renseignement, etc.) donne à l’IA un rôle essentiel dans la planification opérationnelle et la prise de décision.
Sur des effets dits à large spectre, l’IA peut par ailleurs aider à obtenir une connaissance et une compréhension plus larges du champ de bataille, et par exemple anticiper les tentatives de manipulation des citoyens. En effet, l’analyse pilotée par l’IA de l’effet sur le sentiment de la population d’une frappe cinétique sur des infrastructures ou encore les solutions à base d’IA pour détecter les campagnes de désinformation, développées par les start-ups Sahar ou Storyzy, font partie des outils des services de renseignement sur la conduite d’opérations de lutte informatique défensive (LID), offensive (LIO) et d’influence (L2I).
Et demain ?
Les applications concrètes de l’IA pour les forces armées existent bel et bien, et tous les cas d’usage de cette « technologie habilitante3 » n’ont pas encore éclos à ce stade. Les acteurs non traditionnels du secteur de la défense se distinguent comme fournisseurs de ces solutions, à base d’IA, grâce à leur capacité à traiter des besoins « utilisateurs » spécifiques et à produire en mode « agile » des démonstrateurs sur la base d’expérimentations. Mais ces acteurs se heurtent au dilemme plus général de l’adoption de technologies génériques : dans quelle mesure et à quelle vitesse ces acteurs parviennent-ils à faire évoluer les formes d’organisation traditionnelles des armées pour permettre à ces dernières de bénéficier des avancées procurées par les technologies génériques ?
2°/Preligens décroche un contrat à 240 millions d’euros pour doper l’Armée avec ses technos d’IA
Léna Corot – 13 Octobre 2022 \ 10h10
La start-up de la French Tech spécialisée dans le renseignement Preligens décroche un contrat à 240 millions auprès de la direction générale de l’armement. L’objectif : mettre au point des solutions d’intelligence artificielle pour traiter et exploiter de grandes masses de données issues d’une multitude de sources.
La direction générale de l’armement (DGA) noue un partenariat avec une pépite française. La start-up Preligens, ex-Earthcube, qui s’est spécialisée dans le traitement des données d’intérêt défense et les renseignements générés par des capteurs a annoncé le 10 octobre 2022 décroche ce marché d’un montant maximum de 240 millions d’euros sur sept ans. Le marché TORNADE (Traitement Optique et Radar par Neurones Artificiels via Détecteurs) vise à acquérir des licences de logicielles de solutions d’intelligence artificielle pour traiter et exploiter de grandes masses de données. Un sujet dont Preligens a fait sa spécialité.
Création de carte et détection d’objets
La start-up fondée en 2016 par deux ingénieurs français développe des technologies d’analyse automatique des données qui reposent sur des techniques d’intelligence artificielle et plus particulièrement de vision par ordinateur et d’apprentissage profond (deep learning). Ces systèmes traitent d’importantes quantités de données issues de différentes sources, et notamment des données géospatiales. Par exemple, ces outils peuvent créer automatiquement des cartes à partir d’images satellites ; détecter, identifier et comptabiliser des objets sur ces images.
La DGA explique être confrontée à une augmentation du volume des données disponibles issues d’une multitude de sources. En passant par des logiciels pour traiter ces informations le but est d’aller vite dans l’analyse de ces données et parvenir à une information la plus complète possible.
La DGA a commencé ses travaux avec Preligens en 2017 avec des missions relatives au suivi de l’activité de sites stratégiques. En 2019, elle a été retenue pour développer des techniques d’intelligence artificielle pour l’avion de chasse du futur et plus précisément la détection de cibles. En 2020, le ministère des Armées participe à la levée de fonds de 20 millions d’euros de la pépite française via son fonds Definvest. Preligens compte aujourd’hui 200 collaborateurs. Elle est présente dans 6 pays dont la France et les Etats-Unis où elle va pouvoir accentuer sa présence.
3°/La PME Preligens va concevoir une IA de surveillance pour les services de renseignements militaires
Pascal Samama-Le 12/10/2022
Un contrat de 240 millions d’euros a été notifié par la DGA à Preligens. Cette PME française a créé un algorithme pour surveiller et alerter les services de renseignements en cas d’activité suspecte sur terre, sur et sous la mer et dans les airs.
Il a seulement quelques jours, Emmanuel Macron alertait sur les menaces pesant sur les infrastructures essentielles et la nécessité de les surveiller de près. Cette stratégie est en construction. La Direction générale de l’armement (DGA) annonce la notification d’un contrat de 240 millions d’euros sur 7 ans à Preligens, une société française spécialisé dans l’analyse des données militaires.
Dans le cadre de ce marché baptisé Tornade (Traitement Optique et Radar par Neurones Artificiels via Détecteurs), elle fournira ses services à la fonction interarmées du renseignement du ministère des Armées. Sous la coordination de la Direction du renseignement militaire (DRM), ce groupe rassemble les chaînes renseignement des trois armées et celles du Commandement des opérations spéciales et du Commandement de la cyberdéfense.
Surveillance spatiale
Preligens doit fournir des logiciels d’analyses de donnés issues de multiples sources, notamment satellitaires via les satellites espions, mais aussi de bases militaires, aériennes, maritimes ou recueillies lors des missions de reconnaissance. Une intelligence artificielle les utilisera les données recueillies pour créer, grâce à des algorithmes, des cartes et détecter des objets « pour les domaines du visible, de l’infra-rouge et de l’imagerie radar ».
Ces outils envoient des alertes lorsqu’un évènement inhabituel se produit. Ils pourraient par exemple détecter un trafic près de zones stratégiques comme les câbles sous-marins. Des humains vérifient ensuite les données pour prendre des décisions et transmettre les informations.
« Ce contrat est l’aboutissement des travaux initiés en 2017 par la DGA et la Direction du renseignement militaire avec la société Preligens, relatifs au suivi de l’activité de sites stratégiques », explique la DGA dans un communiqué.
Créée en 2016 par deux scientifiques français, Arnaud Guérin et Renaud Allioux, Preligens est une pépite de la défense. Basée en France, avec des agences dans cinq pays (dont les Etats-Unis), elle Preligens compte actuellement plus de 200 collaborateurs, en majorité des scientifiques travaillant sur l’imagerie satellitaire.
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco