- 1°/Les bons offices de la Suisse offrent des possibilités bien plus utiles que les sanctions
- 2°/Bientôt les conditions de Weimar en Suisse?
1°/Les bons offices de la Suisse offrent des possibilités bien plus utiles que les sanctions – Horizons & Débats – N° 24/25 du 22.11.22.
mw. Depuis la mort de la jeune iranienne Mahsa Amini le 16 septembre après son arrestation par la police iranienne, des manifestations de protestation ont lieu en Iran et ont été violemment dispersées par la police à plusieurs reprises. Reste à savoir dans quelle mesure les manifestations doivent être étendues à une «révolution de couleur» avec l’aide des services secrets étrangers.
Juste une remarque: lors d’un meeting électoral en Californie, le président Joe Biden a dit aux participants qui brandissaient des téléphones portables avec des slogans comme «Free Iran»: «Ne vous inquiétez pas, nous allons libérer l’Iran».
Rafraîchissante, la réponse du président iranien Ibrahim Raisi devant des manifestants à Téhéran: «Monsieur le Président (Biden), l’Iran est devenu libre il y a 43 ans et demeure déterminé à ne pas être votre prisonnier. Et nous ne serons jamais une vache à lait». (RT du 4/11/22).
Des manifestations de solidarité sont désormais organisées dans les villes européennes, comme à Berne le 5 novembre, où les manifestants ont exigé que le Conseil fédéral adopte les sanctions de l’UE. Bruxelles avait sanctionné plusieurs personnes et organisations le 17 et le 20 octobre en rapport avec la mort de Mahsa Amini.
Le 2 novembre, le Conseil fédéral a décidé de «ne pas reprendre les sanctions de l’UE à l’encontre de l’Iran édictées dans le cadre des protestations actuelles ». Cette décision a été prise en tenant compte de tous les intérêts de la Suisse en matière de politique intérieure et extérieure, dont les bons offices de la Suisse en Iran». (Communiqué de presse du Conseil fédéral du 2 novembre 2022)
le conseil fédéral suisse 2022
Les «cinq mandats de puissance protectrice (les Etats-Unis en Iran, l’Iran en Arabie saoudite/l’Arabie saoudite en Iran, l’Iran au Canada, l’Iran en Égypte) que la Suisse entretient en relation avec l’Iran» constituent une raison importante de cette décision. Dans son communiqué de presse, le Conseil fédéral montre qu’il sait très bien comment la Suisse peut agir au mieux dans les conflits internationaux:
«La Suisse est l’un des rares pays à mener un dialogue bilatéral régulier avec l’Iran sur les questions de droits de l’homme et de justice. Ce dialogue offre à la Suisse la possibilité d’exprimer ses attentes et ses exigences concrètes en matière de liberté d’expression, d’abolition de la peine de mort, de lutte contre la torture, de protection des minorités et de droits des femmes dans un dialogue direct avec les autorités iraniennes». Si le Conseil fédéral couvrait l’Iran de nouvelles sanctions, cette occasion serait perdue.
La médiation est bien plus
précieuse que les sanctions
Deux membres de la Commission de politique extérieure du Conseil national prennent également position dans ce sens à la Radio SRF.
Roland Büchel conseiller national UDC
Roland Büchel, conseiller national UDC, constate qu’il est certes juste que la Suisse suive les sanctions de l’ONU, mais qu’elle ne devrait pas aller au-delà.
Hans Peter Portmann
Hans-Peter Portmann conseiller national PLR, rappelle les fondements de la politique étrangère de la Suisse: «De telles sanctions contre des personnes ou contre des entreprises individuelles n’apportent en fait rien la plupart du temps, et il est bien plus précieux que la Suisse, avec son mandat [de puissance protectrice], essaie de tester et aussi d’arbitrer de cette manière, afin que les droits de l’homme soient respectés». (Radio SRF, Echo der Zeit du 5 novembre 2022)
Il est bon que certains politiciens se souviennent à nouveau des tâches essentielles de la Suisse en matière de politique étrangère, qui doivent s’appliquer à tous les États du monde. Notre pays aurait d’ailleurs pu assumer un mandat de puissance protectrice pour la représentation des intérêts mutuels entre l’Ukraine et la Russie.
L’Ukraine en avait fait la demande à la Suisse cet été, mais la Russie avait refusé, ce qui est compréhensible: «Le gouvernement suisse n’est plus neutre en adoptant les sanctions contre la Russie», écrivait l’ambassade russe à Berne, selon swissinfo.ch. («L’Ukraine veut donner à la Suisse un mandat de puissance protectrice – Moscou freine». Keystone-SDA du 11 août 2022).

Swissinfo (plate-forme publique de nouvelles et d’informations de la Suisse – propriété de la Télévision suisse SRF) ajoute:
«La Suisse a une longue tradition de puissance protectrice. Pour la première fois, elle a défendu les intérêts du royaume de Bavière et du grand-duché de Bade lors de la guerre franco-allemande de 1870–1871 en France. En tant que puissance protectrice, elle est par exemple le point de contact pour les ressortissants qui vivent dans l’autre pays mais qui n’y ont plus d’ambassade nationale, lorsque l’Etat d’origine et l’Etat d’accueil ont rompu leurs relations. Elle peut également, si nécessaire, transmettre des dépêches diplomatiques et aider en tant que médiateur lors de négociations».
Il n’y a rien à ajouter, si ce n’est: restons-en là!•
2/Bientôt les conditions de Weimar en Suisse? – Horizons & Débats – N° 24/25 du 22.11.22.
Marcel Niggli
ts. S’agit-il de criminalité punissable ou de simple désobéissance civile, comme le pratiquaient Gandhi ou Martin Luther King? Ici, il sera question de militants pour la protection du climat qui bloquent des routes et d’autres passages. On peut se poser la question de savoir ce qu’il se passerait si l’ambulance arrive trop tard sur le lieu d’un accident – et que la personne accidentée décède. C’est justement ce qui s’est passé récemment à Berlin. Et pourtant, les médias ont tendance à soutenir ce genre de militantisme.
Marcel Niggli qui est professeur de droit pénal et de philosophie du droit à l’Université de Fribourg et auteur, entre autres, d’un commentaire sur la norme pénale suisse contre le racisme, n’a pas la langue de bois.
Niggli rejette clairement l’idée que la question climatique constitue un état de nécessité justifiant les actions des activistes:
«Un état de nécessité désigne une constellation qui m’autorise à m’ingérer dans les biens juridiques d’autrui pour me sauver d’un danger imminent. La loi précise que ce danger doit ‹être immédiat et ne pouvoir être évité d’une autre manière›. Dans le cas des activistes climatiques, ces deux éléments font défaut. Au sens des lois en vigueur, le changement climatique n’est pas un danger immédiat. De plus, en particulier dans le pays de la démocratie directe, il peut «très bien être évité autrement qu’en bloquant les routes. Par exemple, en lançant une initiative populaire».
Niggli résout également le malentendu courant selon lequel ces actions relèveraient de la «désobéissance civile», c’est-à-dire de quelque chose de quasi-légitime, voire de «bon», tourné vers l’avenir.
Henry David Thoreau
La «désobéissance civile» est un concept issu de la philosophie du droit dévelopé par l’Américain Henry David Thoreau au 19e siècle. Ce dernier avançait que les Etats-Unis «était un État de non-droit tant qu’il reconnaissaient l’esclavage». Thoreau a donc refusé de payer ses impôts et s’est lancé dans le journalisme, avec une influence tardive sur Mahatma Gandhi et Martin Luther King.
Niggli souligne que «ce qui est important, c’est que le non-respect des normes par Thoreau n’était pas dirigé contre des tiers non-concernés, mais contre l’Etat, à ses yeux fautif. Et elle était non-violente. Cela ne répond ni à un blocage ni à une violation de domicile. Les deux sont des atteintes à la liberté d’autrui, et cela constitue de la violence au sens pénal».
De plus, Thoreau ne se serait pas justifié et aurait accepté la sanction pour sa violation de la norme.
Niggli fait remarquer que le terme est utilisé de manière totalement erronée, car on ne peut désobéir qu’à quelqu’un à qui on doit obéir. «Si je vous prive de votre goûter ou si je barbouille des tableaux dans un musée pour que l’Etat se rende compte que quelque chose ne va pas, ce n’est pas de la désobéissance. Fondamentalement, c’est plutôt du chantage».
Quand les activistes disent que, face au changement climatique, le temps ne suffit pas pour employer les moyens démocratiques, Niggli rétorque: «Si le temps ne suffit pas pour faire respecter le droit, alors nous pouvons de toute façon plier bagage!»
Niggli ne laisse pas non plus les médias se soustraire à leur responsabilité. Les médias sont «un acteur principal à une époque où l’attention est rare». C’est dans les médias, justement, qu’on présente ces délits punissables en tant que manifestations politiques: «Si quelqu’un place manifestement sa voiture dans une zone de stationnement interdit, il est mis à l’amende – et c’est tout. Mais […] s’il en fait une forme de protestation contre la politique verte des transports, cela ne fait qu’agacer».
Les désirs de tout un chacun doivent être exprimés selon les règles politiques de la démocratie directe. Mais si l’on s’immisce dans la sphère d’autrui pour exprimer son mécontentement, alors c’en est fini avec le droit. «C’est précisément ce que le droit devrait empêcher».
Professeur Niggli
Niggli met également en garde contre une érosion de l’État de droit, voire une rupture complète de celui-ci – avec des conséquences historiquement connues: «Il n’est pas possible que quelqu’un dise qu’il se bat pour le bien – et puisse ensuite faire n’importe quoi».
Si quelqu’un commet une violation de domicile parce qu’il veut contrôler dans un appartement privé étranger si tous les appareils sont éteints, il y a certainement un bon objectif derrière cela, et la violation de domicile n’est pas le délit le plus grave. «Mais le voulez-vous? Si quelqu’un peut enfreindre les règles en toute impunité pour le climat, pourquoi pas l’extrême droite pour ses objectifs? Nous avons besoin de règles pour savoir quand qui peut pénétrer dans quelle sphère. Et nous les avons actuellement. Elles s’appellent le droit».
Malheureusement, ces règles et notre État de droit sont devenues fragiles. Niggli met en garde contre la poursuite de cette voie qui ne peut mener qu’à l’abîme. Il le dit à contrecœur, car cela sonne pathétique, et ouvre ainsi la perspective au-delà de la Suisse: c’est précisément ce qui a fait échouer la République de Weimar, «le fait que l’on ne trouvait pas de terrain sur lequel on pouvait négocier ensemble de manière rationnelle et sans préjugés». Chacun pensait que la seule chose utile était de crier sur l’autre ou de commettre des actes de violence à son encontre. «Si nous suivons cette voie, les choses vont vraiment mal tourner».
Il serait souhaitable que les activistes climatiques et les journalistes impliqués prennent les propos de Niggli au sérieux et se souviennent de leurs cours d’instruction civique – ces derniers au moins ont encore fréquenté des écoles où l’on enseignait le vendredi.
Le deuxième souhait serait qu’ils aient bien écouté en cours d’histoire et d’instruction civique – mais l’histoire et l’instruction civique sont supprimées depuis des années et/ou ont été enseignées par des professeurs qui ont perdu le sens du concept de paix de la démocratie directe, à cause d’un engouement pour l’UE. C’est pourquoi il est d’autant plus important pour nous tous de suivre des cours d’instruction civique et juridique comme ceux du professeur Marcel Niggli.•
Source: NZZ am Sonntag du 6.11.2022