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Varsovie exige le respect des traités et refuse de payer les astreintes imposées par la CJUE – Le 05.01.2022 –
Olivier Bault -Français installé en Pologne depuis le début des années 1990, Olivier Bault est le correspondant à Varsovie du Visegrád Post et du quotidien Présent. Journaliste indépendant suivant attentivement l’actualité polonaise et européenne, il publie également en langue polonaise dans l’hebdomadaire polonais Do Rzeczy et en langue anglaise sur le site Remix News.Olivier Bault nous propose une trilogie traitant de l’actualité des conflits entre la Commission européenne, la CJUE et les États membres s’opposant au gouvernement des juges européens. Varsovie, Bucarest et Budapest sont particulièrement dans le viseur des instances bruxelloises sur cette question, alors que les décisions des juges constitutionnels français et allemands similaires à celles des cours polonaise, roumaine et hongroise ne suscitent pas de conflit. La première partie de cette trilogie est consacrée aux différends de plus en plus profonds entre la Pologne et la CJUE. |
Les limites de la juridiction de la CJUE et des compétences des institutions européennes sont aujourd’hui en train d’être tracées avec les conflits en cours impliquant tout particulièrement trois pays et leurs cours constitutionnelles : la Pologne, la Hongrie et la Roumanie. Il s’agit là de pays bénéficiaires nets des fonds européens, et on se dit sans doute à Bruxelles qu’il sera plus facile de les faire plier que de faire reculer le Tribunal constitutionnel allemand.
L’Allemagne ayant désormais un gouvernement avec un programme de coalition ouvertement euro-fédéraliste, Berlin se chargera probablement de remettre de l’ordre dans son Tribunal constitutionnel qui a refusé, dans un jugement rendu en mai 2020, de reconnaître la validité en Allemagne d’une décision de la CJUE validant le programme d’achat de titres de dette souveraine par la BCE.
Les juges de Karlsruhe ont estimé que les États membres restent « maîtres des traités » et que c’est aux cours constitutionnelles nationales de contrôler les juges de Luxembourg quand ceux-ci prennent trop de libertés avec ces traités.
L’arrêt du 11 décembre 2018 de la CJUE sur les achats de dette souveraine par la BCE a ainsi été déclaré par les juges constitutionnels allemands ultra vires (au-delà des pouvoirs de la juridiction européenne) et, par conséquent, non applicable en Allemagne.
Le 9 juin 2021, la Commission européenne ouvrait une procédure d’infraction contre l’Allemagne à propos de ce jugement, mais sans déclarations tonitruantes sur les violations de l’État de droit et des valeurs européennes et sur la remise en cause de la primauté du droit européen [A] qui risquerait de faire vaciller tout l’édifice de l’intégration européenne.
Et surtout sans accompagner cette procédure d’un chantage aux fonds européens comme avec la Pologne. Et pour cause ! L’Allemagne est le plus gros contributeur net au budget européen. Au contraire de la Pologne qui reste à ce jour le plus gros bénéficiaire net, en tout cas si l’on ne tient compte que du budget lui-même et pas de l’ensemble des flux financiers [B] ni du marché des droits d’émission de CO2 [C].
C’est pourquoi le jugement du 7 octobre [D] dernier du Tribunal constitutionnel polonais ayant également déclaré ultra vires et incompatibles avec la constitution nationale les décisions de la CJUE donnant aux juges polonais le droit de ne pas reconnaître la légitimité, et donc les décisions, des juges nommés après les réformes de la justice entrées en vigueur en 2018 ont été l’occasion pour la Commission européenne d’inaugurer sans le dire l’utilisation du mécanisme de conditionnalité, appelé aussi mécanisme d’État de droit, en ce qui concerne l’attribution des fonds du plan de relance Next Generation EU. Ce faisant, la Commission viole les règles régissant l’attribution de ces fonds et également les conclusions du Conseil européen de décembre 2020 qui avaient fixé le cadre d’utilisation de ce mécanisme de conditionnalité,
confirmant aux yeux des Européens de l’Est que ce nouveau mécanisme est bien destiné à devenir un instrument de chantage [E] permettant à Bruxelles d’imposer ses vues y compris dans les domaines qui relèvent théoriquement de la compétence des États membres en vertu des traités.
Le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki
Outre le refus de la Commission d’approuver le plan de relance soumis par Varsovie – condition préalable au feu vert du Conseil pour ce plan – qui a précédé la décision du Tribunal constitutionnel polonais mais qui était déjà, de l’aveu-même de la Commission [F], un moyen de pression sur les juges de ce Tribunal constitutionnel après que le gouvernement Morawiecki eut refusé d’annuler la saisine de ce dernier[G], les réactions outrées au jugement du 7 octobre dernier du Tribunal constitutionnel polonais contrastaient avec les réactions inquiètes, mais mesurées, au jugement du 5 mai 2020 du Tribunal constitutionnel allemand.
réaffirmer la primauté de la constitution dans l’ordre juridique national
Dans les deux cas, les cours constitutionnelles nationales n’ont pourtant fait que réaffirmer la primauté de la constitution dans l’ordre juridique national et le fait que la cour européenne ne peut pas prendre des décisions qui impliqueraient un transfert de souveraineté non consacré par les traités dûment signés et ratifiés selon la procédure démocratique ou qui violeraient d’une autre manière ces traités.
Sans aller jusqu’à la confrontation avec la CJUE, puisqu’il n’y avait en l’occurrence pas de conflit de compétence, le Conseil constitutionnel français n’a pas dit autre chose quand il a remarqué dans sa décision du 15 octobre 2021[H], à propos du droit européen, que « la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. »
Dans le cas de la Pologne, la Commission européenne n’en a pas moins ouvert une procédure d’infraction le 22 décembre dernier[I], « pour violation du droit de l’Union par son Tribunal constitutionnel ».
Rappelons aussi que, à propos d’un jugement similaire de juillet [J] du Tribunal constitutionnel polonais refusant à la CJUE le droit d’ordonner, en vertu d’une ordonnance provisoire, la suspension de la Chambre disciplinaire de la Cour suprême (cour de cassation) polonaise, la CJUE a imposé à la Pologne, à la demande de la Commission, une astreinte journalière d’un million d’euros[K] que Varsovie refuse toujours de payer.
le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro
Parallèlement, le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro a saisi le Tribunal constitutionnel polonais sur la question de la conformité à la constitution polonaise de cette amende journalière décidée par la CJUE sur une question concernant l’organisation et le fonctionnement d’organes constitutionnels de la Pologne, en l’occurrence de l’institution judiciaire.
L’examen de cette question par le Tribunal constitutionnel polonais est prévu pour le 22 février prochain. Dans le même temps, Varsovie refuse également de payer l’astreinte journalière de 500 000 € décrétée en séance à juge unique par la vice-présidente de la CJUE pour non-exécution de son ordonnance provisoire de mise à l’arrêt de la mine de lignite de Turów en attendant un jugement sur le fond. La Pologne estime que la mise à l’arrêt de cette mine fournissant le combustible à une centrale assurant entre 5 et 7% de la production d’électricité nationale est
une violation des traités européens qui laissent aux États membres la maîtrise du choix de leur mix énergétique et le contrôle de leur sécurité énergétique et elle met en avant le fait qu’une décision de cette ampleur adoptée à juge unique avant même un jugement sur le fond est une première dans l’histoire de l’Union européenne.
Le 23 décembre dernier, le ministre Zbigniew Ziobro annonçait qu’il saisissait également le Tribunal constitutionnel sur la compatibilité avec la constitution polonaise du mécanisme de conditionnalité.
Ce mécanisme permettant de fait à la Commission d’avancer des exigences en dehors des domaines ayant fait l’objet d’un abandon de souveraineté par les États membres, il ne serait pas surprenant que le Tribunal constitutionnel juge sa mise en œuvre incompatible avec la Constitution polonaise, même si la CJUE décide, comme le lui suggère son avocat général[L], que ce mécanisme ne viole pas les traités.
le leader du PiS et vice-premier ministre en charge de la sécurité nationale, Jarosław Kaczyński,
Dans un entretien pour le journal Gazeta Polska codziennie publié le 23 décembre [M], le leader du PiS et vice-premier ministre en charge de la sécurité nationale, Jarosław Kaczyński, a insisté sur le fait que le blocage des fonds du plan de relance Next Generation EU était totalement dépourvu de base légale et constituait une violation flagrante des principes d’État de droit.
Plus généralement, pour Kaczyński, on peut dire aujourd’hui que « les traités ont cessé de s’appliquer au sein de l’Union européenne et que la CJUE est devenue le nouveau législateur ».
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B – https://visegradpost.com/fr/2018/03/13/leurope-centrale-et-leconomie-europeenne/
H – https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044213116
I – https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_7070
K – https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2021-10/cp210192fr.pdf
Le conflit de compétences entre Bruxelles et l’Est de l’UE s’envenime (deuxième partie sur trois) du 07.01.2022 d’Olivier Bault – VisegradPost .
Droit jurisprudentiel de l’UE contre constitution : jugements et contre-jugements entre la CJUE et la Cour constitutionnelle roumaine
Grands bénéficiaires des fonds de l’UE et n’ayant pas encore rattrapé leur retard économique sur la partie occidentale du continent, les anciens pays de l’Est sont aujourd’hui devenus un instrument dont se servent les institutions de l’UE dominées par des euro-fédéralistes convaincus afin d’étendre les compétences de l’UE en développant une nouvelle jurisprudence venant compléter et même modifier en profondeur l’esprit des traités et du droit européen existant.
L’Union européenne est ainsi en train de se transformer en « un Empire non impérial, qui impose sa discipline non par la force mais par le droit ».
l’essayiste et journaliste polonais Rafał Ziemkiewicz
Ces pays sont une proie d’autant plus facile que leurs sociétés sont partagées en deux par un clivage que l’essayiste et journaliste polonais Rafał Ziemkiewicz qualifie de post-colonial.
Un clivage propre aux pays sortis d’une longue période de domination étrangère, avec une partie des élites et de la population souffrant toujours d’un complexe d’infériorité qui les pousse à vouloir dénigrer leur identité nationale au profit de leur affiliation à l’empire, jugé supérieur, plus avancé sur le plan civilisationnel :
« C’est malheureux, mais tous les pays qui ont été soumis à une occupation de longue durée sont profondément divisés entre ceux qui veulent garder leur identité et ceux qui veulent y renoncer, qui la détestent parce qu’ils pensent qu’elle fait d’eux des personnes inférieures, qu’elle les empêche d’être plus modernes et de devenir comme ceux qui les ont occupés. »[2]
C’est ainsi que le débordement des institutions européennes observé vis-à-vis des pays qui ont connu le joug soviétique pendant environ 45 ans est rendu possible par les appels à Bruxelles d’une partie de l’opposition dans sa lutte contre le pouvoir démocratiquement élu dans ces pays, qu’il s’agisse de l’opposition parlementaire, d’organisations de la société civile, généralement financées depuis l’étranger, notamment par les fondations de la nébuleuse Soros, ou même de juges militants refusant les lois votées par la majorité.
le président Klaus Iohannis 26.01.2022.
La Roumanie est ainsi le théâtre aujourd’hui d’un conflit de juridiction entre la CJUE et sa Cour constitutionnelle qui ressemble beaucoup au conflit sur la ligne Bruxelles-Varsovie, même si l’on en parle moins du fait que le gouvernement roumain, et surtout le président Klaus Iohannis, sont moins radicalement opposés à la ligne euro-fédéraliste, immigrationniste et progressiste des élites européennes, et la Roumanie soulève donc moins l’hostilité de la Commission et du Parlement européen.
Il n’empêche que le conflit de compétences a été récemment l’occasion d’un arrêt historique de la CJUE, dans laquelle les juges de Luxembourg affirment pour la première fois de manière aussi ouverte la primauté de leur jurisprudence sur les constitutions des États membres, prenant ainsi le risque de futurs conflits avec les cours constitutionnels des grands pays de l’UE comme l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne.
Les cours constitutionnelles de ces pays considèrent en effet toutes que la constitution nationale est au-dessus des autres sources de droit, y compris du droit européen et a fortiori de son interprétation par la CJUE.
Dans le cas roumain, il s’agit ici d’une décision de la Cour constitutionnelle de Roumanie (CCR) qui avait invalidé des condamnations pour corruption prononcées par la Haute Cour de cassation et de justice (HCCJ) au motif que le panel de juges avait été formé sans respecter la loi (un juge n’avait pas été nommé par tirage au sort et tous les juges du panel n’étaient pas spécialisés dans les affaires de corruption). La CCR a en outre jugé inconstitutionnelle la collecte de preuves en matière pénale effectuée avec la participation du service roumain de renseignements.
À la suite de cette décision, les juges de la HCCJ et le juge du tribunal de grande instance de Bihor s’étaient adressés à la CJUE dans la mesure où l’affaire de corruption concernait des fonds européens et où ces juges ont estimé que la décision de la CCR ne permettait pas d’appliquer le mécanisme de coopération et de vérification adopté en 2006 par la Commission européenne à l’occasion de l’adhésion de la Roumanie à l’UE.
Les juges à l’origine des questions préjudicielles adressées à la CJUE ont aussi remis en cause, à la lumière du principe d’indépendance de la justice mentionné en termes généraux dans le Traité sur l’UE à propos de la mise en œuvre du droit européen, la procédure disciplinaire ouverte contre les magistrats à l’origine des vices de forme dans cette affaire de corruption.
Dans son arrêt du 18 mai 2021, la CJUE s’en était prise aux réformes roumaines de la justice à l’origine de cette décision de la Cour constitutionnelle de Bucarest. Comme dans le cas polonais (voir « Première partie : ), la CJUE avait alors estimé pouvoir autoriser chaque juge roumain à désobéir au droit national et à la constitution pour les dispositions qu’il considérerait contraires au droit de l’Union.
Si ce nouveau principe, apparu dans le cadre d’un arrêt de novembre 2019 concernant la Pologne, était appliqué, cela conduirait à une grande insécurité juridique ou même à une véritable anarchie judiciaire, chaque juge devenant interprète de la constitution à la lumière de sa perception des principes généraux et du droit de l’UE.
Voir à ce sujet :
Le 8 juin 2021, la Cour constitutionnelle de Roumanie avait toutefois mis un coup de frein aux velléités de la CJUE, en affirmant que
« la loi fondamentale [la Constitution roumaine, ndlr.] conserve sa position hiérarchiquement supérieure (…), l’article 148 ne donnant pas la priorité d’application du droit de l’Union sur la Constitution roumaine, de sorte qu’un tribunal n’a pas le pouvoir d’analyser la conformité d’une disposition des ‘lois internes’ déclarée constitutionnelle par une décision de la Cour constitutionnelle ».
Or le 21 décembre, la CJUE a riposté par un arrêt qui fera date, puisqu’elle y soutient, conformément à ce qui est dit dans le communiqué de presse informant de cet arrêt, que
« la primauté du droit de l’Union exige que les juridictions nationales aient le pouvoir de laisser inappliquée une décision d’une cour constitutionnelle qui est contraire à ce droit. »
Dans le contexte de cet arrêt, il est clair que ce qui est appelé « droit de l’Union » ne se limite pas à ce qui est écrit directement dans les traités ou les directives, mais couvre aussi les principes généraux évoqués dans les textes européens et leur interprétation par la CJUE. Celle-ci estime donc que sa jurisprudence doit désormais prendre le pas sur les constitutions des États membres de l’UE et que tout tribunal d’un État membre peut refuser d’appliquer une loi ou même un principe constitutionnel qu’il considérera comme contraire aux principes généraux de l’UE et à la jurisprudence de la CJUE.
Dans ces conditions, aux yeux des institutions de l’UE, il ne peut plus y avoir de domaines de compétences entièrement réservés aux États membres et le pouvoir judiciaire est le seul arbitre des lois et des constitutions votées par les représentants élus des peuples, avec comme ultime instance la Cour de Justice de l’Union européenne qui n’est, elle, soumise à aucun contrôle ni aucun contre-pouvoir.
Le 23 décembre 2021, la Cour constitutionnelle de Roumanie (CCR) a toutefois émis un communiqué affirmant que ses décisions restent en vigueur en vertu de l’article 147, par. 4, de la constitution roumaine, et que l’application en Roumanie de l’arrêt pris deux jours plus tôt par la CJUE ne peut se faire sans modifier la constitution au préalable. Les juges constitutionnels roumains ont toutefois souligné qu’une telle modification ne saurait être la conséquence directe d’un arrêt de la CJUE puiqu’elle doit suivre la procédure démocratique prévue par cette même constitution.
Jusqu’à nouvel ordre, les arrêts de la CJUE concernant la primauté de sa jurisprudence sur les constitutions nationales restent donc lettre morte. Reste à voir si, avec l’entrée en vigueur officielle du fameux mécanisme d’État de droit, la Commission européenne ne va pas, comme pour la Pologne, chercher par le chantage financier à contraindre les autorités roumaines à se soumettre au putsch judiciaire de la juridiction européenne afin de créer un précédent qui pourra être ensuite brandi face aux autres pays membres.
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[1] Citation de l’ancien président de la Commission européenne Manuel Barroso reprise par Max-Erwann Gastineau dans « Le Nouveau procès de l’Est »
[2] Propos tenus par Rafał Ziemkiewicz dans un entretien avec l’auteur du présent article pour le site d’information anglophone Remix News (https://rmx.news/remix-exclusive/exclusive-there-is-something-sick-in-the-british-system-says-polish-journalist-banned-from-entering-uk/)
Le conflit de compétences entre Bruxelles et l’est de l’UE s’envenime (troisième partie sur trois) du 12.01.2022 d’Olivier Bault – VisegradPost .
Pour la Cour constitutionnelle hongroise, les autorités nationales doivent compenser l’inaction de l’UE en matière d’immigration
Contrairement aux jugements récents rendus par les cours constitutionnelles en Pologne et en Roumanie, le jugement du 10 décembre 2021 de la Cour constitutionnelle hongroise concernant l’arrêt du 17 décembre 2020 de la Cour de Justice de l’UE ne réaffirme pas directement la primauté de la constitution ou du droit hongrois sur le droit européen ou sur la jurisprudence de la CJUE.
En effet, ainsi qu’il est dit dans l’exposé du jugement, l’interprétation de la Loi fondamentale hongroise demandée par le gouvernement de Viktor Orbán à propos des politiques d’immigration « ne s’étend pas à l’examen de la primauté du droit de l’UE ».
Tribunal constitutionnel polonais
Rien à voir, donc, avec le jugement du Tribunal constitutionnel polonais qui a mis en fureur les élites bruxelloises en octobre dernier.
la Cour constitutionnelle de Roumanie
Le jugement polonais portait cependant, comme les jugements similaires de la Cour constitutionnelle de Roumanie de juin et décembre derniers, sur une compétence exclusive des États membres : l’organisation et le fonctionnement de la justice.
Ces deux cours constitutionnelles se sont donc opposées frontalement au putsch judiciaire tenté par la CJUE avec le soutien de la Commission européenne et du Parlement européen dans le but d’élargir les compétences de l’UE et transformer la nature de cette organisation supranationale sans passer par un nouveau traité.
Le jugement hongrois porte en revanche sur une compétence partagée : les politiques en matière d’immigration.
Mais dans ce domaine aussi, il apporte une réponse à l’activisme judiciaire des juges militants de Luxembourg en énonçant quelques principes généraux qui permettent aujourd’hui au gouvernement hongrois de dire qu’il n’appliquera pas les arrêts de la CJUE s’opposant à une lutte efficace contre l’immigration illégale.
La Cour constitutionnelle hongroise a en effet affirmé dans son jugement du 10 décembre dernier que
« lorsque l’exercice de la compétence partagée par les institutions de l’Union européenne est incomplet, la Hongrie est en droit, conformément à la présomption de souveraineté retenue, d’exercer la compétence non exclusive de l’Union en question jusqu’à ce que les institutions de l’Union européenne prennent les mesures nécessaires à l’exercice effectif de la compétence partagée ».
Il est aussi dit dans cette décision des juges constitutionnels hongrois que
« lorsque le défaut d’exercice commun des compétences entraîne des conséquences susceptibles de porter atteinte au droit des personnes vivant sur le territoire de la Hongrie à leur propre identité, l’État hongrois est tenu, dans le cadre de son devoir de protection des institutions, d’assurer la protection de ce droit » et que « la protection du droit inaliénable de déterminer l’unité territoriale, la population, la forme de gouvernement et l’organisation de l’État de Hongrie fait partie de l’identité constitutionnelle ».
Ainsi, si l’UE s’abstient d’agir contre l’immigration illégale, y compris à cause de la jurisprudence de la CJUE, les autorités hongroises ont le devoir de pallier aux carences européennes par le biais des politiques nationales. Et ce d’autant plus que la Cour constitutionnelle hongroise, dans son jugement du 10 décembre, estime que le droit des personnes à leur identité nationale fait partie des droits fondamentaux.
Plus précisément, elle affirme que « l’environnement social traditionnel d’une personne fait partie de son identité et que l’État a le devoir de s’assurer que les changements survenant dans cet environnement social ne constituent pas une violation des éléments constitutifs de son identité ».
En outre, pour la Cour constitutionnelle hongroise, « l’exercice de pouvoirs conjoints par le biais des institutions de l’Union européenne ne peut conduire à un niveau de protection des droits fondamentaux inférieur à celui requis par la Loi fondamentale »,
ce qui est malgré tout une manière de réaffirmer la primauté de la constitution hongroise de 2011 sur le droit européen quand le droit européen ne permet pas de défendre les citoyens contre l’immigration de masse.
Dans son arrêt du 17 décembre 2020 à l’origine de la saisine de la Cour constitutionnelle hongroise par le gouvernement de Viktor Orbán, la CJUE avait, à la demande de la Commission européenne,
condamné la Hongrie pour avoir violé plusieurs directives européennes : la directive « retour » censée interdire les refoulements « à chaud » à la frontière, la politique « accueil » qui limite fortement la possibilité de retenir les demandeurs d’asile dans des centres fermés et la directive « procédures » qui réglemente l’examen des demandes d’asile.
Cet arrêt faisait suite à un autre arrêt de la CJUE de mai 2020 qui avait contraint la Hongrie à fermer ses « zones de transit » de Röszke et de Tompa à la frontière avec la Serbie.
Dans ces centres fermés, les demandeurs d’asile étaient maintenus jusqu’à la décision les concernant. En attendant cette décision, ils n’avaient le droit de quitter le centre pour migrants que pour retourner en Serbie, ce qui évitait aux Hongrois des situations comme celles observées depuis des années à Calais, en France, ou à Vintimille, en Italie, pour ne citer que ces deux exemples.
Faute de pouvoir maintenir les demandeurs d’asile dans des centres fermés, les autorités hongroises ont supprimé en 2020 la possibilité de demander l’asile depuis la Hongrie, un demandeur d’asile devant désormais s’adresser à un consulat hongrois en territoire étranger pour déposer une telle demande. Cette évolution n’a donc fait que renforcer la pratique des refoulements à chaud à la frontière.
Or, dans sa décision du 17 décembre 2020, la CJUE affirme un principe européen du non-refoulement et rejette l’argument de la Hongrie selon lequel la crise migratoire aurait justifié de déroger à certaines règles des directives « procédures » et « accueil », en vue de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité intérieure, et ce malgré l’afflux massif de migrants depuis 2015 et même la présence avérée de terroristes islamiques parmi ces immigrants illégaux.
Il est intéressant à cet égard de constater qu’en prétendant interdire les refoulements à la frontière, la CJUE, qui rend ainsi illusoire la protection des frontières extérieures de l’Union européenne, va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Outre le fait que la CEDH avait, elle, validé le principe des zones de transit hongroises dans un jugement de novembre 2019, elle avait aussi reconnu, dans un jugement de février 2020 concernant l’Espagne, que les refoulements à chaud des immigrants cherchant à forcer, depuis le Maroc, le passage de la frontière à Ceuta et Melilla n’était pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour constitutionnelle espagnole a elle aussi validé en novembre 2020 cette pratique mise en œuvre depuis des années par les gouvernements successifs pour défendre des clôtures frontalières de Ceuta et Melilla mises en place bien avant la clôture hongroise érigée à partir de 2015 à la frontière avec la Serbie.
Le 21 décembre dernier, le premier ministre hongrois Viktor Orbán déclarait donc que, à la suite du jugement du 10 décembre de la Cour constitutionnelle hongroise, son gouvernement ne changerait pas la manière dont il protège sa partie de la frontière extérieure de l’espace Schengen et ne satisferait pas aux exigences de la Cour de Justice de l’Union européenne dans ce domaine.
Les 27 ne peuvent que s’en réjouir tandis que la Hongrie s’expose, elle, à de fortes amendes que la Commission européenne ne manquera pas de demander à la CJUE.