15 février 2019 – François Danjou – Question Chine
La photo illustrait un article du China Daily quand Xi Jinping avait été placé au cœur du Parti Communiste par le plenum du Comité Central de décembre 2016. Le commentaire, voulant préserver les apparences du maintien d’un système de décision collégial, réfutait les analyses occidentales le désignant comme un « homme fort ». 15 mois plus tard, lors de la réunion de l’ANP de mars 2018, il faisait éliminer la limitation à deux mandats du président de la République.
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La force des contrefeux allumés à l’étranger – essentiellement en Occident, mais pas seulement – contre les stratégies extérieures de Pékin incitent à revenir sur la manière dont le Parti communiste chinois voit lui-même la place et le rôle de la Chine dans le monde.
L’analyse qui suit rappelle les éléments clés des « caractéristiques chinoises » énoncées par Xi Jinping au 19e Congrès au moment où lui-même affirmait son contrôle sans partage sur l’appareil.
ancien premier ministre australien Kevin Rudd
Après quoi, s’appuyant sur un texte de l’ancien premier ministre australien Kevin Rudd paru dans Foreign Policy en mai 2018,
« How Xi Jinping Views the World. The Core Interests That Shape China’s Behavior »,
elle propose l’hypothèse d’une vision stratégique chinoise par cercles concentriques dont le cœur est le Parti, confondu avec l’État, clé de l’unité et de la stabilité du pays.
Étendant progressivement son action et son influence normatives à ses approches immédiates par le levier de sa puissance économique, l’intention de Xi Jinping serait, selon Rudd, par un élan centrifuge du plus près au plus loin, de
« réformer progressivement le système international de l’après-guerre basé sur le droit pour mieux le conformer aux intérêts de la Chine. »
Directement liée à l’efficacité des contrefeux, la question, ajoute Rudd,
« est de savoir si Xi Jinping réussira à mettre en œuvre tout ou partie de sa “grande stratégie“. »
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Rappelons d’abord qu’à l’énoncé de cette vision par le n°1 chinois, le 19 octobre 2017, le système vertical de la politique chinoise a dissuadé et effacé toute critique potentielle des voix contraires.
Celles-ci existaient forcément au sein de la mouvance intellectuelle chinoise, mais n’eurent pas le loisir de s’exprimer. Seules furent autorisées les expressions laudatives venant du cœur de l’appareil ou des commentateurs acquis aux stratégies du centre.
Zhang Dejiang
Ainsi Zhang Dejiang à l’époque président de l’Assemblé Nationale qui lui aussi plaçait le Parti au cœur :
« Une contribution historique au développement du Parti » ;
Yu Zhengsheng ancien n°4
Yu Zhengsheng ancien n°4 :
« Une adaptation importante du marxisme aux caractéristiques chinoises » ;
Liu Yunshan, maître de la propagande
Liu Yunshan, maître de la propagande :
« Une immense signification pratique et théorique, que tous les membres du parti devraient étudier soigneusement ».
A côté de ces trois figures du Comité Permanent de l’ancienne garde rapprochée, des professeurs d’université ajoutèrent également leur appréciation positive :
- Chen Shuguang, membre du Comité Central, professeur à l’École du Parti :
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« A l’orée de l’ère qui s’annonce, le Parti doit écrire un nouveau chapitre du marxisme auXXIième siècle pour atteindre les buts définis par le Congrès » ;
-
- You Yezhong, vice-président de l’Université de Wuhan :
-
« la nouvelle pensée tourne une page et jette un éclat nouveau sur le socialisme aux caractéristiques chinoises. »
-
Une entreprise globale aux « caractéristiques chinoises ».
La carte montre l’épine dorsale originelle des « nouvelles routes de la soie » avec en marron les membres de la Banque pour les investissements d’infrastructure, en noir les 6 corridors, d’est en ouest,
- 1) vers la Russie par la Mongolie,
- 2) vers l’Europe de l’Est par l’Asie Centrale,
- 3) vers le Pakistan,
- 4) vers la Turquie par l’Iran,
- 5) et 6) vers l’Asie du Sud-est.
- En bleu la route maritime qui touche l’Asie du Sud-est, Afrique, le Moyen Orient et l’Europe du sud par le port du Pirée et l’Adriatique. Pékin a également défini une route de la soie en Amérique latine et dans l’Arctique.
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Se projetant jusqu’en 2049, année du 100e anniversaire de l’avènement du Parti, échéance dont la durée est improbable pour n’importe quelle démocratie, Xi Jinping voyait loin.
Après avoir défini l’étape intermédiaire d’une première phase (2020 – 2035) dont l’objectif est de moderniser le pays, il a fixé le but pour les 15 années suivantes :
« construire un grand pays socialiste moderne et radieux, harmonieux, culturellement avancé, démocratique, fort et prospère 富强民主文明和谐美丽的社会主义现代化强国. »
En même temps, il a sans ambiguïté signalé son intention de créer un climat international favorable aux stricts intérêts du pays :
« Nous nous sommes beaucoup efforcés de mettre en œuvre une diplomatie puissante aux caractéristiques chinoises, avançant notre agenda international de manière globale et multiforme, afin de créer un environnement extérieur favorable au développement de la Chine – 我们为追求中国特色的重大国家外交做出了全面的努力,从而全面,多层次,多方面地推进了中国的外交议程,为中国的发展创造了良好的外部环境. »
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A 16 mois de distance, découvrant l’ubiquité et la force multidimensionnelle des stratégies chinoises, nombre de pays observent aujourd’hui les actions de Pékin avec un sentiment d’inquiétude.
Dernière cible en date de la pensée normative chinoise appliquée à modeler le monde à sa main ou à riposter à ce que Pékin perçoit comme une injustice : la Nouvelle Zélande.
Selon le New Zealand Herald, cité par Supchina, Wellington a
« rejoint le club des pays (Turquie, Canada, Norvège, Australie, Pologne, Tchécoslovaquie, Lituanie) devenus la cible de la colère de Pékin ».
Wellington City
Réagissant aux méfiances énoncées par le gouvernement mettant en doute la fiabilité de Huawei, le gouvernement chinois a différé la visite prévue en début d’année à Pékin de la première ministre Jacinda Arden (Socialiste démocrate progressiste, 39 ans).
la première ministre Jacinda Arden MARS 2019
Récemment un vol d’Air New Zealand en route pour Shanghai fut contraint de faire demi-tour au prétexte que les documents du vol faisaient référence à Taïwan comme s’il s’agissait d’un pays indépendant. En même temps, s’installe en Nouvelle Zélande la phobie que tous les résidents Néo Zélandais en Chine pourraient être la cible d’arrestations arbitraires, comme ce fut récemment le cas pour les Canadiens en riposte à l’arrestation à Vancouver de la fille de Ren Zhengfei, le PDG de Huawei.
Examinant les stratégies de la Chine de Xi Jinping, Kevin Rudd identifie 7 cercles concentriques, répartis en 3 catégories partant du centre :
- 1) Le Parti, l’Unité du pays, l’économie ;
- 2) Les voisins directs et les espaces maritimes du Pacifique Occidental ;
- 3) Les relations avec les pays en développement et avec l’ordre mondial datant de l’après-guerre.
Ajoutons que l’extraordinaire développement de l’économie, résultat de la puissance du nombre combinée à un infatigable esprit d’entreprise encadré par une vaste et omniprésente bureaucratie héritière de l’organisation impériale des Han, crée un facteur multiplicateur enveloppé dans une culture qui, dans bien des cas, percute de plein fouet l’organisation du monde telle qu’elle avait été définie par les États-Unis et leurs alliés occidentaux après 1945.
Le Parti, l’Unité du pays, l’atout économique.
Caméras de surveillance avec capacité de reconnaissance faciale. Alors que le pouvoir défend son système de crédit social en lui prêtant la vertu de contribuer à redresser les fraudes et les abus, il minimise les risques de viol de la vie privée et les risques de retours de flamme politique provoqués à la longue par l’accumulation des intrusions inquisitrices.
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La centralité du Parti élément clé du régime depuis sa fondation en 1949, s’est considérablement renforcée depuis l’avènement de Xi Jinping, d’abord en 2007 comme vice-président, puis en 2012, date de sa promotion au poste de secrétaire général, au 18e Congrès.
Contredisant l’idée de nombre d’observateurs anticipant à tort que le développement économique ferait le lit d’une ouverture politique, la puissance renforcée du Parti unique mûrit depuis la fin des années 90, avec l’idée sans cesse diffusée par la propagande que lui seul est capable de moderniser le pays sans que resurgisse le chaos, ancestrale bête noire des élites chinoises.
La stabilité sociale obtenue par un encadrement strict du peuple est le corollaire du projet politique du Parti conscient que l’élévation du niveau de vie coïncide avec l’exigence de plus de libertés individuelles et de droits.
Percevant une évolution néfaste des revendications sociales pouvant menacer le magistère du Parti, Xi a, sans faiblir, replacé l’appareil au cœur du pouvoir, accompagnant le recentrage par un renouveau des études marxistes tout en réaffirmant l’étroite fusion entre le Parti et la Nation. En même temps, il a engagé une implacable lutte contre la corruption devenue à l’occasion un instrument d’élimination des opposants.
Kevin Rudd note à ce sujet que le n°1 chinois fermement décidé à préserver le magistère du seul parti communiste, s’inscrit en faux contre l’idée de Francis Fukuyama considérant la démocratie à l’occidentale comme la forme ultime et aboutie de gouvernement.
Il précise que nombre de Chinois, eux-mêmes effrayés par la peur du chaos adhèrent à l’alchimie Parti – Nation- stabilité sociale – lutte contre la corruption et parient d’autant plus sur son succès que le régime met en place un système inédit de surveillance assorti d’un vaste réseau de caméras dotées d’une capacité de reconnaissance faciale.
Relié aux fichiers centralisés dont l’efficacité instantanée est décuplée par les progrès informatiques, surveillé par une force de police pléthorique plus nombreuse que l’APL, le réseau de caméras est, avec l’appel à la délation, la clé de voute d’un système imaginant désormais régir la vaste population chinoise par un système de crédit social mesurant et sanctionnant par des avantages ou des pénalités, le degré de civisme de chacun et, partant, sa docilité politique.
Sévèrement critiqué par nombre d’observateurs occidentaux,en Chine où l’on minimise les risques de violation de la vie privée, le crédit social est présenté sous l’aspect vertueux de contrôle des abus, tels par exemple la mise à jour des malversations, des pollutions atmosphériques par les entreprises, la régulation d’internet et la lutte contre le « hacking » etc.
Avec le magistère absolu du Parti garant de la stabilité sociale du régime, figure également au cœur de ses intérêts vitaux, condition ultime de la légitimité du pouvoir, l’unité géographique du pays dont l’exigence se focalise sur les territoires aux limites de l’Empire que sont le Tibet, le Xinjiang, la Mongolie intérieure et Taïwan. Chacun d’eux est au cœur de l’histoire du Parti et au confluent d’impératifs symboliques et stratégiques de première grandeur.
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Le Tibet, le Xinjiang la Mongolie, Taïwan. Intérêts vitaux non négociables.
Prière à la Mosquée de Kashgar. Alors que le discours officiel continue à prôner la tolérance religieuse, le surgissement de la menace islamiste couplée avec la revendication d’indépendance a contribué à durcir la relation du pouvoir avec l’Islam. Au Xinjiang on fait la chasse aux signes extérieurs (vêtement, port de barbe) aux écoles coraniques, aux voiles des femmes, tandis que la lutte contre le risque terroriste a conduit à la mesure d’exception d’enfermement de vastes contingents de Ouïghours dans des camps de rééducation.
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Les ressources minérales du Tibet(Ajout de Sans a priori) Les ressources minérales du Tibet sont exceptionnelles (la plus grosse réserve d’uranium du monde).94 sortes de minéraux différents ont été découverts dans 1 719 sites, dont 39 contenant des réserves impressionnantes.12 de ces réserves seraient les plus importantes de Chine, incluant des gisements de :
Plus d’une centaine de sites contiennent d’importants gisements d’or.En 1994, le Tibet aurait produit 115 000 tonnes de chromite, 23 200 tonnes de borax, 27 000 tonnes de plomb et de zinc, 5 800 tonnes de charbon, et les réserves d’énergie géothermiques pourraient couvrir 40 à 50 % des besoins de Lhassa.Les champs pétrolifères de l’Amdo produisent plus d’un million de tonnes de pétrole brut par an.SOURCE/ http://www.lhassa.org/geographie-du-tibet/ressources-minerales-du-tibet.php |
Au cœur des relations de la Chine avec l’Inde où s’est réfugié le Dalai Lama, creuset d’une culture religieuse allogène dont les plus radicaux prônent le séparatisme, promontoire riche en ressources, abritant un arsenal de missiles et une série de bases aériennes stratégiques, le Tibet est un espace essentiel sur lequel la culture farouchement centralisatrice du régime ne peut envisager de laisser peser les aléas de l’autonomie réclamée par le Dalai Lama.
Le Xinjiang peuplé de Ouïghour musulmans d’origine turque, est le point de contact de la Chine avec ce que le régime perçoit comme une double menace portée par un mouvement séparatiste et l’hostilité de l’Islam radical. La conjonction des deux pouvant, selon la sécurité d’État, générer un risque terroriste interne dont les actions pourraient se dilater hors de la province.
La Mongolie intérieure, porte en elle en dépit des accords de frontière de 1989, la mémoire des tensions stratégiques entre Moscou et Pékin où se mêlent le souvenir de la rivalité pour le magistère communiste mondial et les angoisses des Russes et des Mongols face à la pression économique et démographique chinoise.
Quant à Taïwan, toujours vue comme un porte-avions américain face au Continent, elle est le concentré symbolique d’une guerre civile inachevée, l’irritant miroir démocratique du parti unique et le principal avatar d’un rêve chinois inachevé sans le retour de l’île dans le giron de la mère-patrie.
Ces sensibilités toujours à fleur de peau ont récemment été sérieusement enflammées par le « Taïwan Travel Act » par lequel Washington autorise désormais les fonctionnaires américains de niveau élevé à reprendre leurs visites dans l’Île et les contacts avec leurs homologues taïwanais.
Au cœur de ses intérêts vitaux que le Parti relie à sa propre sécurité autant qu’à celle de la Nation, se trouve aussi l’économie. Devenue puissante, tentaculaire et de plus en plus imbriquée dans le vaste monde, à une échelle inédite, elle est à la fois un formidable atout et un des talons d’Achille du régime.
L’Économie, force de frappe et talon d’Achille.
Un tanker chinois en escale en Iran. La Chine s’est toujours opposée aux sanctions contre l’Iran et continue à commercer avec Téhéran. Les importations de pétrole augmentent en moyenne de 10% par an et créent une vulnérabilité. Bien qu’en diminution 56% des importations viennent des pays de l’OPEC. Depuis les années 70, les importations ont été multipliées par 5. En 2017, le pays est devenu, devant les États-Unis, le premier importateur global pour une valeur de 162 Mds de $ représentant 16% de la demande mondiale.
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Développée à marche forcée, aux graves dépens de l’équilibre écologique du pays que le Parti tente aujourd’hui de résorber sans y parvenir, certaines régions comme celles de l’exploitation effrénée des terres rares ayant été irrémédiablement rendues impropres à l’agriculture, l’économie très dépendante des importations d’énergie, peine à se restructurer en dehors de la rigidité des grands groupes publics.
S’il est vrai que ces derniers promus à la pointe du rattrapage technologique par le biais du programme China 2025 sont aussi les fers de lance de la stratégie extérieure des Nouvelles Routes de la soie, la vérité oblige à dire que 5 années après la publication du plan de réformes de mars 2013, les progrès restent fragiles.
Le système financier, les procédures commerciales, la gouvernance des groupes publics et la propriété foncière restent empreints d’une grande rigidité, tandis que la crainte du chômage induit des relances financières répétées, expédients générateurs de dettes et retardant les réformes de structures.
Au lieu de réduire la puissance des féodalités industrielles, Xi Jinping lancé dans la création de champions nationaux, les a renforcées, augmentant ainsi la force de résistance interne aux réformes.
L’augmentation, également voulue par Xi Jinping du rôle des commissaires politiques au sein des entreprises publiques et privées aggrave encore la raideur de la machine économique, tandis que l’absence d’indépendance des tribunaux d’arbitrage commercial entretient la vieille méfiance des investisseurs étrangers.
Pour autant, l’organisation verticale capable de concentrer efficacement les moyens et les crédits dont bénéficie la recherche publique commence à porter des fruits spectaculaires, y compris dans la réduction de la pollution atmosphérique.
Ingrédients incontestables de la légitimité du Parti qui peut également se prévaloir d’un bon niveau d’éducation moyen de la population, de progrès significatifs dans la santé publique et d’un impressionnant aménagement du territoire, clé du développement des provinces du centre et de l’ouest, les récentes percées de la Chine dans l’intelligence artificielle, les expériences de mécanique quantique, l’exploration spatiale et lunaire et la biochimie médicale sont un adjuvant de la pérennité du régime.
II.- Intérêts stratégiques directs et projection navale.
Devenue la 2e du monde, la marine chinoise représente une force de rupture stratégique. Dans sa zone d’intérêt direct elle vise, avec l’arsenal des missiles balistiques, à dissuader l’US Navy d’intervenir au profit de Taïwan.
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Deuxième groupe des priorités stratégiques de Xi Jinping : les 14 voisins et les océans qui bordent le pays. Les deux furent les chemins ou l’origine des invasions qui subjuguèrent la Chine au XIXe siècle. La périphérie terrestre est l’objet d’actives stratégies d’influence parfois élargies à coup de prêts, de dons et de coopérations d’infrastructure.
Le meilleur exemple est l’Organisation de Coopération de Shanghai (O.C.S) ayant elle-même agrégé, à partir de l’Asie Centrale, des pays à l’importance cruciale pour la Chine. L’Inde et le Pakistan, voisins directs et frères ennemis sont les derniers arrivés du cercle des membres actifs, tandis que l’Iran, l’Afghanistan, la Biélorussie et la Mongolie étaient des observateurs invités au sommet de Qingdao en juin 2018.
L’O.C.S est également l’épine dorsale originelle du projet eurasiatique des « nouvelles routes de la soie ». A la fois vecteur économique et stratégique et chemin d’exportation de l’économie chinoise par le truchement de vastes projets d’infrastructure mis en œuvre en majorité par des entreprises publiques, le projet initial fut avant tout le moyen pour Pékin d’augmenter l’emprise chinoise sur l’Eurasie et de sécuriser ses approches terrestres immédiates et lointaines.
l’Amiral Liu Huaqing
Née il y a plus de 20 ans grâce aux efforts de l’Amiral Liu Huaqing, la puissante stratégie navale ayant doté la Chine de la 2e marine du monde
(lire : Chine – Afrique : De la quête des matières premières à la coopération. Sur fond de manœuvre géopolitique. et La marine chinoise lance deux destroyers géants.) est devenue un facteur de bascule géopolitique dans le détroit de Taïwan, en mer de Chine du sud ou dans l’océan indien.
Aux approches directes de la Chine, qu’il s’agisse des îlots bétonnés, élargis et militarisés ou du détroit de Taïwan, la stratégie de Pékin est claire : Installer le doute dans l’esprit de Washington et du Pentagone sur la capacité américaine à s’impliquer victorieusement dans un conflit aéronaval avec la Chine y compris pour voler au secours de Taïwan.
Aux approches immédiates de la Chine, et parallèlement à ses démonstrations de force, Pékin développe aussi une approche « douce » utilisant la puissance de son économie, de son commerce, de ses investissements accompagnant l’aide au développement dispensée, non sans quelques crispations négatives des pays cibles, au Pakistan, en Asie du sud-est et en Asie Centrale.
Dans ces zones la Chine est d’ores et déjà devenu un partenaire plus important que les États-Unis ou le Japon.
III.- La Chine ,le monde et les valeurs occidentales.
Le ministre des AE Wang Yi avec Sidiki Kaba Ministre des AE du Sénégal le 6 janvier 2019 (Xinhua). En Afrique, la Chine est persévérante, apprend vite et corrige ses erreurs.
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Le 3e groupe de priorités stratégiques au cœur de la réflexion de Xi Jinping touche précisément les points sensibles de la relation avec le monde et l’influence politique que Pékin entend y développer.
Avec l’Asie Centrale, l’Amérique Latine, le Sri Lanka, le Pakistan et les Maldives, une des cibles prioritaires de Pékin, homothétique de celles de Mao qui privilégiait les relations avec le Tiers Monde et les non-alignés de la guerre froide, est l’Afrique, déjà largement évoquée par QC et où la vision de Pékin ambrasse les 45 ans qui viennent.
Lire :
– A Johannesburg, Xi Jinping parie sur l’Afrique.
– Chine – Afrique : De la quête des matières premières à la coopération. Sur fond de manœuvre géopolitique.
Au-delà des critiques occidentales et de certains pays africains comme la Zambie, où la lourde insistance chinoise parfois assortie d’abus a provoqué une controverse de politique intérieure à Lusaka et la chute du gouvernement pro-Pékin, deux caractéristiques émergent :
les Chinois tiennent compte des critiques et leur persévérance contre vents et marées s’inscrit dans le très long terme.
A côté des échecs, de belles réussites s’affirment comme en Éthiopie ou sur tout le continent dans les secteurs des infrastructures de transport et de l’aide médicale directe.
Résultat, comme du temps de la guerre froide et de l’aide chinoise au Tiers Monde, mais avec des moyens décuplés par la puissance tentaculaire de son économie, Pékin se crée une clientèle d’alliés à l’ONU y compris pour sa stratégie dans le détroit de Taïwan visant la réunification à terme dont la date limite est implicitement liée à réalisation du rêve chinois en 2049. |
Ambition culturelle globale et contrefeux.
Enfin dernier cercle des intentions de Xi Jinping, l’ubiquité multiforme des stratégies chinoises véhiculant une pensée politique opposée aux valeurs occidentales crée aujourd’hui partout en Occident l’angoisse que l’ordre de l’après-guerre établi par les vainqueurs du 2e conflit mondial cède le pas à l’influence chinoise.
La Nouvelle Banque de Développement des BRICS
Attisée par le surgissement à l’instigation chinoise d’une série d’institutions parallèles à la Banque Mondiale (banque d’infrastructure, banque des BRICS), l’inquiétude qui enfle et s’étend comme une trainée de poudre est précisément à l’origine des contrefeux auxquels Pékin doit aujourd’hui faire face.
Évoqués dans le dernier éditorial du site (A l’orée de l’année du cochon, bilan discordant de l’année du chien.), la longue suite de crispations anti-chinoises sont la manifestation la plus évidente du choc provoqué par l’émergence globale à un niveau inédit d’un contrepoids stratégique et culturel à la prévalence sans partage de l’Occident.
Alors que Xi Jinping indique de manière répétée dans ses discours que la Chine ne se contentera plus d’être une puissance de statuquo dont l’ambition serait de s’insérer dans l’ordre établi, l’alarme des Occidentaux est d’autant plus forte que les valeurs démocratiques mises à mal par l’ébranlement du monde ne paraissent plus être l’horizon politique souhaité et idéalisé qui prévalait au moment de la chute de l’URSS.
Faiblesse et angoisse des démocraties.
Manifestations des gilets jaunes à Paris. Dans la réflexion politique chinoise, rejoignant certaines idées en vogue à l’ouest, les démocraties et leurs débats compliqués assortis de troubles sociaux ont perdu leur capacité à agir efficacement face aux grands problèmes du monde.
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Au milieu des tensions migratoires, des inquiétudes sur le climat, sur les pénuries d’eau, sur la disparition des espèces et la monté des océans, la valeur qui monte n’est plus l’exigence du débat et celle de la parole donnée à tous, mais celle de l’efficacité politique, dont il faut bien reconnaître que nos systèmes indécis et complexes n’ont plus l’apanage.
Avant de disparaître Michel Rocard l’écrivait dans un article du Monde en 2011
« La démocratie sera la première victime de l’altération des conditions universelles d’existence que nous sommes en train de programmer (…) Lorsque l’effondrement de l’espèce apparaîtra comme une possibilité envisageable, l’urgence n’aura que faire des processus lents et compliqués de délibération. Pris de panique l’Occident transgressera ses propres valeurs de liberté et de justice. ».
Rappelant souvent le « martyr – 烈士 » subi par la Chine « crucifiée » au XIXe siècle, Xi Jinping et le Parti se souviennent que l’ordre actuel du monde a été établi par des puissances coloniales et considèrent qu’il n’est pas adapté à leurs intérêts.
L’appréciation des conséquences réelles et la portée de ces remises en question restent à faire. Mais déjà on voit bien que globalement les préceptes du droit, de la démocratie libérale et de la prévalence donnée aux droits des personnes sont remis en question.
L’ordre économique patronné par l’OMC, également contesté par D. Trump est lui aussi sur la sellette et l’actuelle guerre commerciale avec Washington ne fera qu’aggraver les résistances chinoises. Mais au moment où la Chine dessine elle-même son avenir de puissance accomplie à l’horizon 2049, ce qu’elle fera de son nouvel ascendant global reste encore flou.
Enfin, alors qu’en Occident un débat encore ténu commence à surgir sur la manière de reprendre une coopération positive avec l’omnipotence de Pékin et ses tendances normatives qu’elle réfrène mal, en Chine même monte un inconfort politique provoqué par les réactions adverses en riposte aux affirmations de puissance ayant tourné le dos aux conseils de prudence stratégique de Deng Xiaoping, vieux de plus de 30 ans.
Deng Xiaoping
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