6043 – La dette publique comme horizon indépassable de notre temps – Par de Jean Claude Werrebrouck – 17.04.24 – La Crise des Années 2010


Par de Jean Claude Werrebrouck – 17.04.24 – La Crise des Années 2010
Tout a été dit sur la dette publique et donc il est inutile d’apprécier telle ou telle recommandation ou d’imaginer tel ou tel chemin technique pour la réduire. Les choses sont hélas plus radicales et la réalité de la dette correspond à des considérations qui dépassent de très loin les sphères de la technicité économiciste.
Comprendre la dette publique passe en effet par des réflexions sur le type d’ordre humain dans lequel nous vivons… avec l’identité anthropologique qui lui correspond. On peut ainsi risquer l’hypothèse qu’il y aurait des ordres humains qui ne s’appuient pas sur la dette publique tandis que d’autres en exigent son existence voire son auto accroissement. Dans le cas de la France si on raisonne sur la longue période qui va de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, on constate d’abord un monde qui efface et éradique la dette (1945/1973) à un monde qui ne se conçoit que par le biais de son continuel élargissement.

A – Les logiciels des deux types de mondes

Curieusement le premier monde est celui des dévaluations monétaires compétitives (12 entre 1944 et 1987) et dévaluations concernant des montants parfois considérables (jusqu’à 80% pour la dévaluation de 1948). A ce premier monde correspond un plein emploi et une production maximale aussi encouragée par le fouet de la dévaluation compétitive.
Simultanément la fiscalité portant sur une production et des revenus qui ne cessent de se développer peut nourrir l’affermissement d’un gigantesque Etat-providence sans risque de déficit public. Un « gros Etat » sans dette se nourrit d’une richesse produite, richesse elle-même protégée par des dévaluations compétitives répétées : les effets-prix des dévaluations dopent les exportations et contiennent la dérive des importations.  La France de l’époque, en tant qu’ordre humain, est sans doute fragile, et son développement ne se déroule qu’au prix d’incessantes glissades monétaires. Sans elles il aurait fallu des gains d’efficience productive beaucoup plus performants.
Sans glissades monétaires il eut été impossible de construire un Etat- providence non endetté.
Le résultat est toutefois clair : dans ce type de monde les revenus et les dépenses correspondantes sont issus d’une production réelle.
Le second monde est celui de la parfaite stabilité monétaire : il n’y a plus de dévaluation possible depuis le projet de monnaie, projet  devenu la réalité de l’euro.
Les dévaluations disparues ne nourrissent plus la compétitivité, et si l’on veut maintenir et agrandir l’Etat-providence, la solution devient une compétitivité croissante (gagner des parts de marché à l’international)ou l’endettement public.
Le choix entre les deux réalités relève de l’ordre politique et sociétal. La balance commerciale française devenue considérablement déficitaire n’est que l’effet miroir d’un déficit public devenu simple choix politique.
Choix ou contrainte politique indépassable ?
La question de la situation particulière de la France devient préoccupante si ce choix depuis le milieu des années 70 correspond à ce qu’on pourrait appeler un horizon indépassable.
Ainsi posée la question reviendrait à imaginer que sur les marchés politiques la dette publique deviendrait le fruit d’un échange mutuellement avantageux pour l’ensemble des partenaires/citoyens.
Clairement il s’agirait d’un équilibre stable.  De quoi laisser sans espoirs les thuriféraires de l’équilibre budgétaire.

B – Un monde enraciné autour de son centre de gravité

Les marchés politiques français ne sont plus ce qu’ils étaient lors de l’affermissement de l’Etat-Nation.
Sans revenir sur une histoire fort ancienne, la France s’est construite sur un Etat fort, très centralisé, très concentré, très laïcisé, et s’arrogeant le monopole de l’intérêt général.
Très producteur d’identité, cet Etat fort a construit une réalité anthropologique où les droits de l’hommes étaient organisés autour de devoirs ne permettant pas l’irruption de « l’individu désirant » d’aujourd’hui.
C’est dire qu’insérés dans un tel monde  les jeux de l’économie marchande sont encadrés et qu’il n’est guère pensable que des externalités négatives aux échanges puissent se développer sans limite.
Concrètement entre l’offreur et le demandeur il n’y a pas de tiers sur lequel on pourrait aisément reporter les couts de l’échange. Par exemple nous ne sommes pas encore dans l’actuel marché de la santé où les médecins ne supportent pas le cout de leur offre et les patients ne paient  pas le prix des soins.
Dans un tel monde les échanges sont d’abord des échanges de marchandises concrètes industrielles ou agricole et le recours à la finance est limité.
Les marchés restent un lieu d’exercice de la responsabilité des acteurs. Ce type organisationnel est propice à la stabilité monétaire : on ne triche que peu avec l’équilibre extérieur et le déficit budgétaire est quasi inexistant. Cela correspond bien à la France d’avant 1914, voire à celle d’avant la seconde guerre mondiale qui ne connaitra que 5 dévaluations (1928 ; 1936 ;1937 ;1938 ;1940). Mais précisément ce monde du juste avant guère prépare la suite….

C – Un monde qui reste enraciné… mais qui externalise ses contradictions.

Les choses changent après la seconde guerre mondiale avec l’apparition de nouveaux droits et l’émancipation de citoyens qui le seront de moins en moins et deviendront aussi des consommateurs de services publics.
Désormais les marchés politiques deviennent ouvertement des marchés de services à produire pour des salariés/consommateurs.
Certains préfèrent les produits politiques qui correspondent à des dépenses, celles de la construction de l’Etat-providence ( essentiellement  les électeurs dits de gauche).
D’autres préfèrent des produits politiques qui correspondent à une diminution des recettes (moins de pression fiscale exigée par des électeurs dits de droite).
La construction d’un Etat providence non réellement financé passe par des dévaluations massives qui irriguent l’outil de production sur lequel est puisé l’impôt devenu simple support des dépenses.
La dévaluation devient ainsi l’externalité providentielle permettant la maximisation des gains à l’échange entre les acteurs : citoyen/salariés/consommateurs et entrepreneurs politiques à la recherche de gains politiques.
Ce scénario n’est pas spécifiquement français et se trouve plus ou moins validé dans les autres démocraties occidentales. Il est toutefois beaucoup plus prononcé dans le cas de la France en raison de son histoire particulière qui a toujours mis en avant un Etat qui reste idéologiquement (et non réellement) porteur d’un intérêt général. Et même les partis politiques les plus contestataires d’un Etat supposé instrument des rapports entre classes sociales antagonistes acceptent l’idée d’intérêt général.
Globalement Il en résulte une pression plus forte en France qu’à l’étranger sur le niveau des recettes et dépenses publiques.
Les alternances au pouvoir ne peuvent rien changer. Il faut pour conquérir le pouvoir multiplier les produits politiques, devenir des généralistes de l’Etat-providence comme il existe des généralistes de la grande distribution.
Et lorsque l’accès au pouvoir suppose un partage (coalition de partis politiques) il y aura nécessairement multiplication de produits politiques dont les couts ne pourront être supportés par une pression fiscale refusée.

 

Les alternances ne peuvent être l’occasion de revenir sur les choix antérieurs.
Ainsi la gauche ne peut revenir sur une éventuelle baisse de la pression fiscale, et la droite ne peut revenir sur les hausses de dépenses.
Certes le temps long des gains de productivité permettrait en théorie d’internaliser les externalités négatives des jeux politiques (les gains de productivité paient la facture). Hélas les temps politiques sont courts et le report sur l’extérieur est préféré : la dévaluation facile l’emporte régulièrement et correspond aux « déjections sociétales » de l’époque

D – Euro et wokisme : Un monde qui généralise sa déconstruction.


La monnaie unique génère de nouvelles contradictions. Elle va interdire ces « déjections sociétales » que sont les dévaluations désormais interdites. Par contre elle ouvre de nouveaux espaces de libertés et les marchés ne sont plus contraints par des taux de change qui sont autant de barrières et de frontières. Marché unique et promesse d’une union des marchés de capitaux (UMC) sonnent le glas des restrictions à l’économicité.
Ces nouvelles libertés sont aussi en congruence avec la déconstruction sociètale et le wokisme devient lui-même un nouvel espace de marché aussi bien pour les entrepreneurs économiques (« Woke capitalism ») que les entrepreneurs politiques.
Les droits de l’homme s’élargissent sans limite et toutes les contraintes doivent être définitivement levées. Wokisme et anomie risquent ainsi de cohabiter.
La dialectique interne au wokisme (capitalisme illimité contre droits de l’homme illimités) ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se trouve dans un monde où l’Etat disposait déjà de peu de place (monde anglo-saxon) ou dans un monde où l’Etat disposait d’une place centrale (France).
Dans le premier cas il y a victoire de l’économicité et de ses fruits en termes de gains de productivité, d’où la présente échappée américaine en termes de croissance.
Dans le second il y a pérennisation de la tendance aux déjections sociètales sous forme de dette publique incontrôlable.
En France les manifestations concrètes du wokisme s’expriment encore sous forme de demande de services publics nouveaux au moment même où les institutions de l’ancien monde s’effritent sous la poussée de l’illimitation capitaliste.
Par exemple la laicité n’existe plus que sous la forme de trace mais son ancien émetteur étatique reste très sollicité en termes de services sociaux et donc de dépenses publiques hors de contrôle. Macro économiquement et Macro socialement
La France devient le pays où l’on dépense un revenu qui n’est pas produit.

E – La finance avale tout

Le déficit public en termes de « déjections sociétales » d’un genre nouveau dispose d’un bel avenir car une nouvelle industrie se trouve consommatrice des dites déjections : la finance. La différence entre le revenu distribué, sa dépense, et sa maigre contrepartie en terme de production devient cet objet double qu’est le déficit extérieur abyssal d’un côté, et la dette publique elle-même colossale de l’autre côté. Cette différence est de la monnaie crée par la banque centrale.
La masse monétaire correspondante se retrouve dans les comptes bancaires figurant au passif de toutes les banques et plus particulièrement dans les comptes bancaires des gagnants de la mondialisation.
Au plus les déjections sociétales s’accroissent au plus les bilans bancaires voient leur taille augmenter.
Au passif nous aurons la contrepartie de la dépense publique, et à l’actif les bons du Trésor vendus par l’Agence France Trésor pour couvrir les dépenses.
Cette nouvelle forme de déjection sociétale qu’est la dette vient ainsi gonfler l’industrie financière qui va se gaver de dette publique.
Alors que les bilans industriels et bancaires étaient de taille comparable jusque dans les années 70, les premiers sont devenus des nains et les seconds des géants. Les déjections sociétales sont ainsi devenues la matière fondamentale des jeux financiers, d’abord comme matière première, ensuite comme titres de garanties (ce qu’on appelle le collatéral).
Cette finance faussement contrôlée dans un code monétaire et financier  fait partie de l’illimitation du capitalisme :
les échanges sont de moins en moins des échanges de marchandises et de plus en plus des échanges de  produits financiers.
Mieux, elle cherche à échapper aux vieilles traces institutionnelles et voit dans le wokisme un allié : on reparle de titrisation pour s’éloigner de la dette publique et on remplace les vieilles monnaies des Etats par des cryptomonnaies qui libèrent, pense- t-on définitivement les anciens citoyens  des contraintes étatiques.
On voit ainsi des individus devenus désocialisés  se méfier de la vieille monnaie publique et se réfugier dans les mirages du bitcoin.

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