5388 – L’eau… Deux articles de l’IAEA « Nucléaire » concernant l’Eau Douce en Afrique… en Suisse… de Janvier 23

  • 1°/L’hydrologie isotopique au service d’une exploitation durable des eaux souterraines en Afrique du Nord – 18 Janvier 2023 – IAEA
  • 2°/Fonte de masse … une nouvelle application nucléaire prédit l’avenir des glaciers – 05 Janvier 2023 – IAEA


1°/L’hydrologie isotopique au service d’une exploitation durable des eaux souterraines en Afrique du Nord – 18 Janvier 2023 IAEA
Joanne Liou
Le Centre national marocain de l’énergie, des sciences et des techniques nucléaires (CNESTEN) joue un rôle clé dans l’utilisation des techniques isotopiques en Afrique et au Moyen-Orient. (Photo : CNESTEN)

Les ressources en eau douce sont plus vastes qu’on ne pourrait le croire. Par-delà les rivières, lacs et glaciers que nous voyons, des eaux souterraines, cachées dans les entrailles de la Terre, échappent souvent à notre regard.
Ces eaux s’infiltrent dans le sol, le sable et la roche, puis reposent dans les aquifères et se déplacent lentement à travers eux. Elles représentent 99 % des ressources en eau douce de la planète et, d’après l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), près de la moitié de la population urbaine mondiale en dépend – une dépendance qui ne devrait aller qu’en augmentant, au vu des effets du changement climatique.
La volatilité des précipitations et la fréquence des événements météorologiques extrêmes, tout comme les problèmes engendrés par la pollution et l’agriculture intensive, perturbent la répartition et limitent la disponibilité des ressources en eau, explique Yuliya Vystavna – spécialiste de l’hydrologie isotopique à l’AIEA. Les conséquences sont d’autant plus lourdes dans les régions arides et semi-arides d’Afrique, qui enregistrent de forts taux d’évaporation et peu de précipitations, et qui sont largement tributaires des ressources en eaux souterraines.
« Pour surmonter ces difficultés et le manque d’eau, nous devons comprendre les ressources dont nous disposons et les gérer d’une manière durable », ajoute-t-elle.
La gestion des eaux souterraines gagne en importance, à la fois parce que le niveau des nappes souterraines chute au fil de l’année à cause de la variabilité climatique, et parce que la pollution par les nitrates et la salinisation par l’intrusion d’eau de mer posent des risques en ce qui concerne la qualité. Rim Trabelsi – directrice au Laboratoire tunisien de radio-analyses et environnement (LARAE)

Dévoiler les caractéristiques des eaux souterraines

L’Afrique du Nord, qui abrite le désert du Sahara, est l’une des régions les plus sèches du monde. Tout au nord du continent africain, la Tunisie souffre de la variabilité des précipitations et compte parmi les pays méditerranéens les moins fournis en eau, indique Rim Trabelsi – directrice du Département de génie géologique et membre du Laboratoire tunisien de radio-analyses et environnement (LARAE) de l’École nationale d’ingénieurs de Sfax (ENIS) « Les eaux souterraines sont donc vraiment la ressource la plus fiable pour le développement durable de la Tunisie, et la population en dépend de plus en plus. »
L’utilisation accrue de ces ressources montre qu’il est nécessaire de mieux comprendre les liens entre la recharge et la décharge des eaux souterraines, soit le trajet de l’eau entre la surface et le sous-sol, et le trajet inverse.
« La gestion des eaux souterraines gagne en importance, à la fois parce que le niveau des nappes souterraines chute au fil de l’année à cause de la variabilité climatique, et parce que la pollution par les nitrates et la salinisation par l’intrusion d’eau de mer posent des risques en ce qui concerne la qualité », explique Mme Trabelsi.
En analysant les isotopes de l’eau, les scientifiques peuvent formuler des conseils sur la manière de protéger et de gérer cette ressource. La quantité d’isotopes stables présents naturellement dans l’eau, et d’autres substances, sert à déterminer l’origine, les mouvements, la qualité et l’âge de l’eau, ainsi qu’à recenser les sources de contamination.
L’âge de l’eau, mesuré par la concentration de certains isotopes, par exemple, peut aller de quelques mois à des millions d’années. C’est une donnée clé pour anticiper la présence de contaminants et comprendre la vitesse à laquelle les aquifères se rechargent.
Les eaux souterraines « jeunes » peuvent être réalimentées par les eaux de surface issues des précipitations mais peuvent également subir les effets de la pollution et du changement climatique, précise Mme Trabelsi, tandis que les eaux souterraines plus anciennes, dont la recharge est bien plus longue, sont moins exposées à ces phénomènes.

Renforcement des capacités analytiques

Comme dans tant d’autres domaines scientifiques, il faut acquérir des capacités pour pouvoir utiliser les outils d’hydrologie isotopique à des fins d’analyse.
Lorsqu’Hamid Marah a commencé à travailler dans la gestion des ressources en eau au Maroc, dans les années 90, il devait envoyer les échantillons d’eau hors d’Afrique pour les analyses. Aucun laboratoire du continent n’était en mesure d’analyser la teneur en isotopes stables, explique Mr. Marah – directeur scientifique du Centre national marocain de l’énergie…des sciences et des techniques nucléaires (CNESTEN).
« Grâce à l’AIEA, les capacités se sont renforcées au fil des ans, et nous disposons aujourd’hui en Afrique de plusieurs laboratoires capables de faire des analyses isotopiques fiables. »
Le programme de coopération technique et les projets de recherche coordonnée de l’AIEA permettent de diffuser les outils d’hydrologie isotopique sur le continent, pour que les scientifiques puissent exploiter durablement les ressources en eaux souterraines.
Ces dix dernières années, près de la moitié des projets d’adaptation au changement climatique de l’AIEA, y compris les projets de gestion des ressources en eau, ont eu lieu en Afrique. Des pays tels que le Maroc et la Tunisie jouent un rôle de premier plan dans l’utilisation des techniques isotopiques sur le continent et au Moyen-Orient.
En 2009, le LARAE et le CNESTEN ont rejoint la liste des centres régionaux désignés, et en 2015, le CNESTEN est devenu un centre collaborateur de l’AIEA – spécialisé dans l’analyse et la gestion des ressources en eau.
L’AFRA – ou Accord régional de coopération pour l’Afrique sur la recherche – le développement et la formation dans le domaine de la science et de la technologie nucléaires, est un accord intergouvernemental entre les pays d’Afrique qui vise à renforcer et à élargir la contribution de la science et de la technologie nucléaires au développement socioéconomique du continent.
Le LARAE et le CNESTEN forment régulièrement des scientifiques de toute l’Afrique et du Moyen-Orient et ont procédé à des centaines d’analyses isotopiques pour des études hydrologiques nationales et des projets appuyés par l’AIEA visant à résoudre les problèmes de disponibilité et de qualité de l’eau liés aux aquifères et aux bassins.
Dans le cadre d’une étude menée en 2020, le LARAE a analysé des échantillons d’eaux souterraines provenant d’un aquifère au centre-ouest de la Tunisie pour des mesures chimiques et isotopiques.
Au cours des dernières décennies, l’essor et le développement de l’agriculture irriguée se sont traduits par un appauvrissement des ressources en eaux de surface. L’étude, appuyée par l’AIEA dans le cadre d’un projet de recherche coordonnée, a permis de vérifier si les eaux souterraines se prêtaient à la consommation et à l’irrigation, et de recenser les facteurs influençant la salinité. Ses résultats ont été publiés dans la revue Agriculture, Ecosystems & Environment en juin 2021.


Le Colloque international de l’AIEA sur l’hydrologie isotopique, qui se tiendra à Vienne du 3 au 7 juillet 2023, sera l’occasion d’en apprendre davantage sur les ressources en eaux souterraines et leur rôle dans l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets.

https://www.iaea.org/fr/bulletin/lhydrologie-isotopique-au-service-dune-exploitation-durable-des-eaux-souterraines-en-afrique-du-nord


2°/Fonte de masse … une nouvelle application nucléaire prédit l’avenir des glaciers 05 Janvier 2023 – IAEA
Joanne Burge
Les glaciers de Suisse ont perdu plus de six pour cent de leur volume en 2022, la pire année jamais enregistrée. (Photo : Laboratoire de Spiez)

À l’échelle mondiale, les glaciers perdent de la masse depuis les années 1970.
L’équilibre entre les chutes de neige fraîche et la fonte des glaces a été rompu par le réchauffement climatique. Ces grandes structures de glace fondent, s’affaiblissent, s’effondrent et disparaissent de manière inédite dans le monde entier. Il en résulte des inondations, des sécheresses, des menaces sur l’approvisionnement en eau et un affaiblissement des économies, autant de facteurs qui contribuent aux effets catastrophiques du changement climatique.
Étant donné que de nombreuses personnes dépendent des glaciers pour l’eau potable, l’agriculture, l’hydroélectricité et le tourisme, il est essentiel de prédire avec précision le devenir des glaciers et de se préparer en conséquence.

La Suisse dépend de ses glaciers, mais eux aussi fondent rapidement.
Selon les Académies suisses des sciences, les glaciers du pays ont perdu plus de six pour cent de leur volume en 2022, la pire année jamais enregistrée. D’après les chercheurs, le glacier d’Aletsch, le plus grand de Suisse, pourrait perdre la moitié de son volume d’ici la fin du siècle.
Les glaciologues observent traditionnellement le mouvement des glaciers à l’aide de marqueurs, tels que tiges, photographies et peintures historiques, afin de suivre les changements de la glace au fil du temps. Des marqueurs fortuits (carcasses d’avions, par exemple) peuvent aussi révéler le mouvement des glaciers. Il existe désormais une autre méthode, plus précise, qui peut aider les glaciologues à modéliser plus exactement le comportement des glaciers et, partant, à prédire leur devenir. Les décideurs peuvent alors prendre les dispositions nécessaires en prévision du recul ou de la disparition totale des glaciers.
Nos tests avec les matières de référence de l’AIEA ont confirmé notre capacité d’analyser des concentrations de radionucléides incroyablement faibles dans l’eau — un millionième de millionième de millionième de gramme par kilogramme — ce qui est assez difficile à faire. Stefan Röllin – chercheur de la Division de chimie nucléaire du Laboratoire de Spiez
À une quarantaine de kilomètres au sud de Berne, la capitale du pays, le Laboratoire de Spiez a mis au point une technique nucléaire basée sur les signatures enregistrées dans les glaces lors des essais d’armes nucléaires des années 1950 et 1960. Ces essais ont produit et rejeté dans l’atmosphère des radionucléides artificiels qui se sont déposés dans les couches superficielles des glaciers du monde entier. Comme les dates des essais sont connues, l’identification des pics de concentration de ces radionucléides, ainsi que les schémas de dispersion des radionucléides dus à l’écoulement de la glace, permettent d’établir la chronologie des couches de glace.
« Nous avons utilisé une technique existante de mesure des radionucléides dans les sols et autres matériaux solides et, pour la première fois, nous l’avons appliquée à l’eau, à la glace et à la neige », indique Stefan Röllin, chercheur de la Division de chimie nucléaire du Laboratoire de Spiez.

Détection de radionucléides dans la glace

En 2019 et 2020, des experts du Laboratoire de Spiez et des membres de l’armée suisse ont escaladé les glaciers d’Aletsch et du Gauli, dans les Alpes bernoises, afin de recueillir des données isotopiques inestimables sur l’écoulement de la glace.
Ils ont prélevé environ 200 échantillons de glace de surface de chaque glacier, chaque échantillon pesant jusqu’à 1 kilogramme — quantité suffisante pour détecter les faibles niveaux de radionucléides. Ils ont ensuite fondu les échantillons et appliqué des méthodes radiochimiques pour extraire et purifier les isotopes d’uranium et de plutonium, qu’ils ont analysés à l’aide d’un instrument très sensible appelé spectromètre de masse multicollecteur à source plasma à couplage inductif.
Les chercheurs ont aussi appliqué d’autres techniques nucléaires permettant de détecter la présence de radionucléides provenant des essais d’armes nucléaires dans des échantillons environnementaux, notamment la spectrométrie gamma à haute résolution, qui a permis de détecter la présence de césium, et la mesure par compteur à scintillateur liquide, qui a permis de détecter la présence de tritium.
« Ces données peuvent être utilisées pour affiner et ajuster les modèles d’écoulement des glaciers, avoir une meilleure idée de la vitesse à laquelle le glacier fond, prédire son devenir et calibrer les modèles d’écoulement de la glace pour plus de précision », déclare Mr. Röllin. Les méthodes élaborées par le Laboratoire de Spiez ont été validées grâce à des échantillons de référence de l’AIEA provenant de la mer d’Irlande afin d’en garantir la précision.
Les échantillons de référence sont utilisés par les scientifiques pour vérifier que leurs méthodes de test donnent des résultats précis. L’AIEA met ces échantillons à la disposition des laboratoires du monde entier.
« Nos tests avec les matières de référence de l’AIEA ont confirmé notre capacité d’analyser des concentrations de radionucléides incroyablement faibles dans l’eau — un millionième de millionième de millionième de gramme par kilogramme — ce qui est assez difficile à faire », indique M. Röllin.
Le Laboratoire de Spiez a présenté ses recherches à la Conférence internationale sur la radioactivité environnementale (ENVIRA 2021) en Grèce en 2021, et à la Conférence internationale sur la métrologie des radionucléides — techniques de mesure de la radioactivité de faible niveau (ICRM-LLRMT), en 2022, en Italie.
Le Laboratoire de Spiez est un centre collaborateur de l’AIEA depuis 2016 et, en 2020, a été désigné à nouveau comme tel jusqu’en 2025, afin de soutenir les activités programmatiques de l’AIEA.
En tant que centre collaborateur de l’AIEA, il assure la formation de boursiers et accueille des cours de formation et des visiteurs scientifiques. Il participe aussi à des missions d’experts dans les États Membres de l’AIEA, afin de promouvoir l’application pratique de cette technique dans d’autres régions où les glaciers sont importants pour une politique environnementale durable et pour l’économie.
« Le Laboratoire de Spiez est un centre d’excellence qui a fait ses preuves en matière de compétence analytique et possède une grande expérience de l’échantillonnage et des mesures sur le terrain de tous les types de contaminants, en particulier des radionucléides », affirme Iolanda Osvath, chef du Laboratoire de radiométrie de l’AIEA. « Il apporte un soutien considérable en matière de formation et de développement méthodologique au réseau de laboratoires d’analyse pour la mesure de la radioactivité dans l’environnement (ALMERA) de l’AIEA. Ses activités de recherche-développement couvrent un large éventail de problèmes environnementaux avec des approches novatrices, comme en témoignent ses travaux inédits sur les glaciers. »

https://www.iaea.org/fr/bulletin/fonte-de-masse-une-nouvelle-application-nucleaire-predit-lavenir-des-glaciers