- 1°/«L’Europe – vers quel avenir?» Le XXIXe Colloque «Mut zur Ethik» du 2 au 4 septembre 2022 par Eva-Maria Föllmer-Müller – Suisse
- 2°/Quand je pense à l’Europe dans la nuit …par Karin Leukefeld Damas/Bonn*
- 3°/«Le conflit ukrainien et ses répercussions sur l’Europe et les Etas Unis» par William Scott Ritter – USA*
1°/«L’Europe – vers quel avenir?» Le XXIXe Colloque «Mut zur Ethik» du 2 au 4 septembre 2022 par Eva-Maria Föllmer-Müller – Suisse – Horizons & Débats
le canton de Thurgovie
Quelque 150 participants et plus de 20 intervenants d’Europe, d’Afrique, d’Asie et des Etats-Unis se sont réunis du 2 au 4 septembre 2022 dans le canton de Thurgovie (Suisse) pour le colloque «Mut zur Ethik» (Oui à l’éthique) de cette année. L’invitation avait été lancée à l’initiative du collectif «Mut zur Ethik». Depuis 1993, des participants venus de divers pays européens et de nombreux intervenants se réunissent une fois par an pour discuter pendant trois jours de questions d’actualité cruciales dans le cadre d’un dialogue ouvert et équilibré. Comme l’année dernière, les discussions se sont déroulées en virtuel aussi bien qu’en présence des intervenants, de sorte qu’outre les participants déjà sur place, les intervenants et les participants de plusieurs pays ont pu se connecter et se joindre aux débats. |
Eva-Maria Föllmer-Müller
Le colloque a débuté par un hommage à feu Mgr Elmar Fischer, évêque de Feldkirch dans le Vorarlberg autrichien, décédé en janvier de cette année à l’âge de 85 ans, après une courte et douloureuse maladie. Elmar Fischer était membre d’honneur du collectif de travail «Mut zur Ethik» et ne manquait aucun congrès. Ils lui tenaient à cœur. Il savait conjuguer de manière fructueuse ses principales thématiques, à savoir le mariage et la famille, la jeunesse, l’amour, l’éducation et la formation, la condition humaine par rapport aux grands événements mondiaux et à la foi chrétienne.
Colloque dans le canton de Thurgovie (Suisse) pour le colloque «Mut zur Ethik»
A-Se recentrer sur sa propre substance
et son identité
Cette année, le thème du colloque était: «L’Europe – vers quel avenir?»
Par le terme «Europe», cependant, on n’entendait pas l’Union Européenne et l’interrogation n’avait rien d’une liste de souhaits. Le choix du thème se basait sur l’idée que les peuples et les Etats d’Europe doivent se frayer leur propre voie dans la politique mondiale, entre autres parce que les liens trop étroits qui les unissent depuis des décennies à la politique des Etats-Unis menacent aujourd’hui l’existence même de l’Europe.
Les pays et les peuples d’Europe doivent se recentrer sur leur propre identité. En juin dernier, on pouvait lire dans Horizons et débats: «La voie vers une Europe indépendante, une Europe qui se réfère à ses racines historiques, à son identité culturelle et politique tournée vers l’homme et qui contribue ainsi à la paix en Europe, ne sera pas chose facile. Le christianisme, l’humanisme et les Lumières font certes partie intégrante de cette identité, de cette substance. Toutefois, qui dit culture dit aussi développement culturel. L’Europe a toujours progressé lorsqu’elle a ouvert ses portes à d’autres cultures et à leurs acquisitions pour le bien de l’humanité, c’est-à-dire lorsqu’elle a été ouverte au monde.
L’échange, le dialogue des cultures est indispensable. C’est pourquoi, comme toujours, ont été invités des conférenciers provenant de milieux culturels extra-européens aussi.
B-Des appels à la haine contre la Russie
qui portent atteinte à la dignité humaine
Depuis le 24 février 2022, comme l’ont souligné les paroles qui ont ouvert le colloque, on assiste à un déchaînement d’informations et de propagande d’une violence sans précédent – un fait que même des journalistes d’investigation chevronnés et renommés, comme l’Australien John Pilger, n’ont pas manqué de relever avec consternation.
Le rouleau compresseur médiatique qui chaque jour déferle sur nous en Occident, et cela même avant le 24 février, évoque les systèmes totalitaires et bafoue totalement la dignité humaine.
Ce déferlement radical de haine contre la Russie, son président, la persécution de citoyens russes dans d’autres pays européens – y compris de figures du monde culturel russe – a été planifié depuis des années. Après avoir pratiquement vidé de sa substance le droit international, tel qu’il est défini dans la Charte des Nations unies, par de nombreuses violations du droit international et par leur comportement au Conseil de sécurité des Nations unies, les Etats-Unis et leurs alliés tentent d’imposer leurs règles au monde entier.
Ils les appellent «rules based order» ou «rules based international order» et cherchent ainsi à masquer le fait que les règles sont fixées par le pouvoir qui croit encore à son «Manifest Destiny». Quelle arrogance! Et nous devrions y souscrire et obéir sans broncher?
C-Porter le regard au-delà de l’Europe
Si l’on porte son regard au-delà de l’Europe, le constat suivant s’impose: de nombreux pays ont vécu et vivent encore dans leur chair des situations de conflit et de crise engendrées par la mainmise coloniale et néo-impériale. Ils ne se laissent pas facilement impressionner par les «gesticulations occidentales», ils en sont même carrément revenus. Ils répondent aux «offensives de charme» occidentales, qui ne servent qu’à faire de ces pays des belligérants, par des refus polis et assumés.
Ils ont retenu les leçons du passé et en ont tiré les conséquences: ils suivent leur propre voie et accomplissent un travail énorme dans la construction de leur pays et d’une nouvelle voie, plus égalitaire, dans la coopération internationale. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux.
D-Qu’est-ce qui ne va pas
dans le monde occidental?
La question est de savoir ce qui ne va pas chez nous en Europe, on pourrait même dire ce qui ne va pas dans le monde occidental. Avons-nous conscience de la situation dans laquelle nous nous trouvons? Il s’est avéré qu’en Allemagne, les gens sont de plus en plus nombreux à quitter le pays parce qu’ils ne le supportent plus. De nombreuses PME s’en vont parce qu’elles ne voient plus d’avenir pour elles dans leur pays. Comment nos élites gouvernementales en sont-elles venues à s’engager dans une voie aussi suicidaire? A jeter ainsi aux orties notre patrimoine si riche, vieux de 2 500 ans? La Suisse a, quant à elle, cédé à la pression et rompu avec sa neutralité armée perpétuelle, et ce très soudainement.
Rares sont les intellectuels qui, grâce en particulier aux facultés intellectuelles qu’ils ont pu acquérir, prennent position dans le débat public en faisant preuve d’esprit critique et de logique.
«On doit constater que l’époque du monde unipolaire… appartient au passé», a déclaré Vladimir Poutine dans son discours prononcé à l’occasion de la «10e Conférence internationale de Moscou sur la sécurité», ayant eu lieu du 15 au 17 août 2022, à laquelle ont participé 700 délégués de 70 pays.
En l’occurrence, selon Poutine, les «élites mondialistes occidentales […] tentent par tous les moyens de conserver l’hégémonie, le pouvoir qui leur échappe, en essayant de maintenir de facto les pays et les peuples dans un ordre néocolonial. Leur hégémonie signifie le totalitarisme néolibéral, la stagnation pour le monde entier et pour toute civilisation, l’obscurantisme et l’abolition de la culture».
Actuellement, dans nos pays occidentaux, on rompt à un rythme effréné avec de nombreuses institutions qui ont pourtant démontré leur efficacité pendant des décennies et parfois des siècles (neutralité), avec des traditions avérées et éprouvées.
Des relations nouées pendant de nombreuses années (dans le cadre du rapprochement entre les peuples) sont purement et simplement abrogées. Le dialogue, la sagesse et le bon sens sont mis de côté. Dans les relations internationales, l’Occident a perdu le peu de décence qui lui restait. Dans le cadre de la transition d’un monde unipolaire à un monde multipolaire, la lutte pour le pouvoir géopolitique est féroce et touche tous les aspects de notre existence.
Nous vivons en guerre – et ceci non pas depuis le 24 février seulement.
E-L’histoire européenne est également
celle d’avoir surmonté l’injustice et la violence
Le discours d’ouverture a rappelé ce que le congrès «Mut zur Ethik» de 2015, il y a sept ans, avait inscrit dans son manifeste «Nous voulons une Europe de la paix et du droit», une Europe donc qui vive sous le signe de la liberté politique, de la diversité culturelle et de la démocratie dans un Etat de droit:
«L’histoire de l’Europe est une histoire d’injustice et de violence, mais aussi l’histoire de la façon dont elle a pu les surmonter grâce à son propre discernement moral et à sa force politique. » La tradition chrétienne et humaniste occidentale a posé les bases solides de l’égalité des droits, de l’humanité et de la reconnaissance de la dignité humaine.
« Chaque fois qu’au cours de l’histoire, ces bases se sont affirmées, la cohabitation des hommes et des peuples a gagné en paix, en justice et en sécurité.»
F-Evolution du droit
Et plus loin: «L’Europe se caractérise par une riche diversité de cultures et de nations sur un petit territoire, de la Crète au Cap Nord, de Lisbonne à Ekaterinbourg. En plus de 2 500 ans, des hommes et des femmes, partout en Europe, y ont largement contribué dans tous les domaines. Pour vivre ensemble dans la paix et la liberté, l’évolution du droit vers une justice toujours renforcée a été d’une importance fondamentale pour l’Europe et le monde.»
G-Sincérité et confiance
Les participants au congrès ont aussi affirmé que «la sincérité doit redevenir la base de toute coopération humaine et de toute action politique. Sans ce principe, il ne peut y avoir de confiance dans les accords conclus à l’intérieur du pays et entre différents pays, et la porte est alors grande ouverte à l’arbitraire. Les mécanismes de gouvernance dirigée (‹Governance›) et les techniques de manipulation de toute nature qui, en recourant abusivement à des procédés psychologiques, visent à influencer les gens sans leur fournir d’informations détaillées et transparentes, privent le citoyen de la possibilité de se forger une opinion indépendante. Elles portent ainsi atteinte à la dignité de la personne et détruisent la base du dialogue politique et de l’ordre juridique.»
H-Le bon sens et la compassion –
solidement ancrés dans la condition humaine
Par contre, le document met l’accent sur ce qui peut y remédier en ces termes:
«Les hommes sont parfaitement capables de repérer, grâce à leur bon sens et à leur compassion, les orientations fondamentales nécessaires à une action morale et politique et de réfléchir, de faire preuve de sensibilité et d’agir avec humanité. Ces dispositions sont en quelque sorte ancrées dans le cœur des hommes. Guidées par la raison et la conscience, elles ont vocation à fonder l’ensemble des déterminations morales, juridiques et politiques qui régissent la vie de l’homme et de la société. Elles garantissent la dignité de la personne humaine face aux idéologies éphémères.»
Sur les trois pages qui suivent, nous publions une première sélection des interventions du colloque. D’autres contributions seront publiées dans les prochaines éditions d’Horizons et débats.•
https://www.zeit-fragen.ch/fr/archiv/2022/nr-23-1-november-2022/europa-welche-zukunft-wollen-wir
2°/Quand je pense à l’Europe dans la nuit …par Karin Leukefeld, Damas/Bonn*
Merci pour l’invitation à pouvoir parler ici. Je vous parle depuis la Syrie, d’un autre monde. Il y a quelques heures, je suis rentrée d’un voyage à travers les provinces de Hama, d’Idlib, et d’Alep et je voudrais vous en parler brièvement. |
Morek
A Morek, un petit village dans la province d’Idlib, je m’informais sur l’état de la récolte des pistaches de cette année. Morek est le centre de la culture de «Cfisiq Halabié», des pistaches d’Alep.
Il n’y a pas eu assez de pluie et les coûts de la culture ont massivement augmenté. Il est exclu d’importer de l’engrais parce que l’on peut en faire des explosifs et la Syrie ne dispose pas des devises nécessaires pour en acheter au marché mondial. Le transport est cher en raison d’une pénurie presque totale du diesel. Les ressources nationales de pétrole de la Syrie au Nord-ouest se trouvent dans les parties occupées par les troupes des Etats-Unis sortant actuellement presque tous les jours des convois de pétrole du pays à destination de l’Irak. Ils volent le pétrole appartenant à la Syrie, ils pillent les ressources syriennes. Récemment le ministère extérieur de la Syrie a parlé d’une perte de 107,1 milliards de dollars.
Des sanctions, l’occupation, la «loi César» des Etats-Unis ont créé un mur d’interdictions autour de la Syrie qui coupe le souffle au pays. Le résultat en est le manque général de ressources importantes. Cela induit une hausse des prix et favorise la corruption. Les populations en subissent les conséquences, travaillant à deux ou plusieurs postes de travail et arrivent à peine à faire vivre leurs familles.
L’inflation et la montée des prix rendent la vie si chère que les gens se trouvent en sérieux manque de nourriture.
Peut-être vous souvenez-vous que lors d’une de mes conférences j’ai montré des images de paysans cultivant des pistaches, je les ai rencontrés pour la première fois il y a deux ans, en septembre 2020. Ils pleuraient lorsqu’ils m’ont montré leur première récolte après huit ans de guerre.
Deux frères, Jaser Kazem et son frère cadet Mohammad m’ont appelée en route. Ils voulaient me laisser un message adressé aux gens en Europe, surtout en Allemagne. Je vous le transmets selon leurs propres termes: «S’il vous plaît, faites quelque chose pour que les sanctions européennes contre la Syrie soient levées. Ces punitions font souffrir les gens, et non pas le gouvernement. Tous les Syriens en souffrent. Nous voulons vivre et travailler et reconstruire nos maisons. Aidez-nous pour que ces sanctions soient levées!»
Pendant que Mohammad Kazem parle, son frère Jasser est devenu très silencieux, tenant sa tête avec ses mains. Lorsqu’il lève son visage, il a les larmes aux yeux. Dans leur détresse, ces braves gens, comme beaucoup de mes interlocuteurs syriens lors de ces dernières onze années en Syrie, se sont adressés toujours à nouveau aux populations européennes, surtout à nous autres Allemands.
Mais en vain. L’Allemagne et l’Europe ne sont pas prêtes de lever leurs «mesures coercitives économiques unilatérales», comme on appelle officiellement, chez nous, ce fléau.
Josep Borell
Au contraire, en dépit de la soi-disant «Conférence des donateurs» de l’UE, fin mai 2022, sous le titre «Soutenir l’avenir de la Syrie et de la région», où le responsable de la politique extérieure de l’UE, Josep Borell a bien dit que l’on ne devait pas oublier la Syrie, il avait affirmé avant que l’UE maintiendrait ses trois non envers la Syrie jusqu’à ce que une solution politique à base de la résolution de sécurité 2254 de l’ONU serait effectuée. Les trois non signifient non à la reprise des relations avec la Syrie, non à l’aide à la reconstruction et non à la levée des sanctions.
C’est un coup dure infligé aux cultivateurs de pistaches comme à tous les Syriens épris de la volonté de reconstruire leur pays et se heurtant continuellement au blocage qu’exercent l’UE et les Etats-Unis avec leur mesures de punitions unilatérales.
Alep
ALEP
A l’est d’Alep, j’ai visité hier la plus grande centrale électrique de la Syrie occupée, d’octobre 2015 jusqu’en février 2016, par les combattants de l’Etat Islamique. Les réservoirs de pétrole ont été incendiés, les turbines et les centres de coordination détruits. L’installation avait été construite en 1994 et mise en service en 1997. Dans une conversation, le directeur technique de l’installation a chiffré les coûts de la reconstruction à 123450000 Euros. Pendant six années, la centrale électrique n’a pas pu être rénovée et remise en service parce que presque la totalité des pièces de rechange nécessaires devait être importée de l’étranger. Ce qui était et demeure toujours empêché par les sanctions imposées des Etats-Unis et de l’UE.
Personne ne nous a aidé, me dit le directeur, aucun Etat, aucun gouvernement ni organisation d’aide internationale. Néanmoins, il a été possible de remettre en service l’une des cinq turbines. Le directeur m’a montré les dégâts et la manière dont ils avaient réussi les réparations par eux-mêmes. C’était des «amis», comme il dit, qui les aident à faire les réparations, les pièces de rechange étant passé par de nombreux pays pour contourner les sanctions d’une manière ou d’une autre jusqu’à finalement arriver en Syrie.
J’ai pu m’entretenir avec quelques-uns des techniciens chargés du contrôle et de la commande de la cinquième turbine remise en état. «Ici, dans cette centrale, nous faisons tous partie de la génération de la première heure», déclare le responsable. La centrale électrique avait été construite en 1994 et mise en service en 1997. En presque 30 ans, certains ont vu leurs cheveux devenir gris, d’autres leur calvitie, déclare-t-il, au rire de tous.
«Nous sommes très fiers de pouvoir travailler à nouveau ici et d’aider à apporter de l’électricité aux gens», déclare un des techniciens. Tous rayonnent, un des chantiers est décoré par une butte de fleurs de jasmin.
« Nous n’en voulons pas aux Allemands ni aux Européens», déclare le directeur en partant. «Mais nous voyons que là-bas, les gouvernements font tout pour nous nuire.»
Une soirée dans la région d’Alep
En tant que correspondante, je voyage dans cette région depuis plus de 20 ans.
Souvent, tout se déroule à la tombée du soir. Surtout pendant la saison chaude, où il fait jusqu’à 45 degrés, on ne rencontre les gens que le soir ou même la nuit. Mercredi soir, j’étais à Alep en train de discuter avec un politicien indépendant, membre du conseil municipal d’Alep, quand soudain, deux bruits forts se sont succédé et la maison a légèrement tremblé.
Machinalement, j’ai regardé l’heure en me demandant: est-ce une attaque? Il était 20 heures, la conversation a continué. Peu après, on apprend que l’armée de l’air israélienne avait attaqué l’aéroport d’Alep. Plus tard, selon les informations syriennes, des roquettes explosent sur l’aéroport de Damas. Dans les médias européens, on n’en fait état que d’une note marginale. Au Conseil de sécurité de l’ONU, les attaques continues menées par Israël contre la Syrie (cette dernière ne les ayant pas provoquées) ne méritent pas son attention.
Ces temps-ci, la Syrie semble oubliée dans les médias officiels et dans la politique. Je m’en rends particulièrement compte le soir et la nuit, lorsque je réfléchis à mon travail quotidien. Je lis mes notes, j’écoute mes enregistrements en regardant les photos prises lors des entretiens de la journée.
Il faut trier. Cela implique aussi d’examiner les déclarations de presse des politiciens occidentaux et autres, notamment en ce qui concerne le Proche et le Moyen-Orient. De survoler au moins les déclarations des ministères des Affaires étrangères, de vérifier les prévisions du Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui a été discuté. Les déclarations des ambassadeurs de l’ONU doivent au moins être survolées. Il faut également trier les médias allemands et anglophones sur Internet.
Karin Leukefeld
De quoi les médias s’occupent-ils? Quel est leur sujet? C’est la guerre en Ukraine. Plus précisément,«la guerre d’agression de la Russie». Les journaux télévisés s’efforcent visiblement de placer ce terme, ce «cadrage», aussi souvent que possible dans les informations. La guerre en Ukraine a également la priorité dans les déclarations des hommes et des femmes politiques: Analena Baerbock a qualifié «les pipelines russes étant les armes à la guerre hybride». A une autre occasion, elle a déclaré que la Russie devait échouer stratégiquement, peu importe de l’avis de ses électeurs.
Olaf Scholz
Les rédacteurs des discours tenus d’Olaf Scholz ont récemment employé, lors de son discours à l’université de Charles à Prague, une expression courante dans de nombreux mouvements de protestation: «Quand, si ce n’est pas maintenant, qui, si ce n’est pas nous!» selon la chanson fameuse de Rio Reiser, de 1987. C’était tout de suite devenu le slogan du mouvement pacifiste en Allemagne et, plus récemment, des activistes pour le climat de «Fridays for Future» brandissant leurs pancartes avec cette parole. Or, Olaf Scholz de faire usage de cet appel, de sens pacifiste, de nombreux pour mettre en valeurs ses vues militaristes.
Il a littéralement déclaré: «Quand, si ce n’est maintenant, allons-nous créer une Europe souveraine capable de s’affirmer dans un monde multipolaire? Et qui, sinon nous, pourrait protéger et défendre les valeurs de l’Europe, à l’intérieur comme à l’extérieur? L’Europe est notre avenir, et cet avenir est entre nos mains.»
Josep Borrell, chargé de la Commission UE des affaires étrangères, a mentionné récemment, devant des journalistes, une réunion UE des ministres des affaires étrangères. Là aussi, il était question de l’Ukraine, des livraisons d’armes, du soutien et de la formation des soldats ukrainiens, tous des sujets figurant à l’ordre du jour. Bien sûr, dit-il aux journalistes, «le rôle de l’OTAN figurait parmi les thèmes de nos entretiens. Notre consensus politique est solide comme le roc». L’UE et l’OTAN se seraient «mis de concert dès le premier jour de l’invasion russe» en y ajoutant «l’unité transatlantique en était l’atout principal». De concert avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, il soutenait, dit-il, «l’augmentation des dépenses de défense» en y ajoutant que «l’industrie de la défense devait augmenter ses capacités afin d’approvisionner les armées européennes».
Les Anglais parlent, dans de telles occasions, d’«insulte à l’intelligence». Lorsque les médias, les hommes et les femmes politiques prennent les auditeurs ou les téléspectateurs pour des imbéciles de la sorte, ils leur réservent cette notion, «insult for intelligence». S’il ne s’agissait que de cela. Pour ces hommes et femmes politiques de l’UE, dans l’alliance transatlantique avec l’OTAN, les paroles comme celles citées ci-dessus, font parties de la guerre des mots commentant des actes bellicistes. Les grandes entreprises médiatiques applaudissent!
Ces cercles bellicistes ont pris l’Europe en otage, un continent entier, pour une politique de domination conçue, de concert avec Washington. On l’a compris depuis longtemps dans des pays comme la Syrie ou le Liban, mieux que chez nous en Europe. «Nous n’avons rien contre les Allemands ou les gens en Europe», a déclaré le directeur de la centrale électrique d’Alep. «Mais nous voyons que les gouvernements, là-bas, font tout pour nous nuire.».
Cette différence est importante. La Commission européenne et les institutions des centres des pouvoirs économique, politique et militaire, décidés à imposer la domination transatlantique au monde entier, veulent la guerre. L’Europe des nations et ses habitants ont toujours la chance d’évoluer dans une meilleure direction.•
(Traduction Horizons et débats)
*Exposé lors de la conférence annuelle de la groupe de travail «Mut zur Ethik» («Europe – vers quel avenir?») du 2 au 4 septembre 2022.
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https://www.zeit-fragen.ch/fr/archiv/2022/nr-23-1-november-2022/denk-ich-an-europa-in-der-nacht
3°/«Le conflit ukrainien et ses répercussions sur l’Europe et les Etas Unis» par William Scott Ritter, USA*
C’est un honneur et un privilège pour moi de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui. Le stratège militaire prussien Clausewitz a dit: «La guerre est une extension de la politique par d’autres moyens.» La raison pour laquelle je mentionne cette citation est que lorsque nous abordons la question du conflit en cours en Ukraine, je pense que nous devrions comprendre qu’il s’agit là de bien plus qu’un simple conflit militaire. Cela va bien au-delà du simple affrontement entre l’armée russe et l’armée ukrainienne. |
De l’issue de cette guerre, de ces combats, dépendent les répercussions de ce conflit pour l’Europe et les Etats-Unis. Permettez-moi d’aller droit au but. La Russie est en train de gagner et la Russie va remporter le conflit militaire – et il n’y a rien que l’OTAN ou les Etats-Unis puissent faire pour empêcher cette évolution. Ils peuvent ralentir le processus; ils peuvent en alourdir le prix à payer en vies humaines pour l’Ukraine et la Russie, mais ils n’en changeront pas le résultat. Et je pense que l’Occident commence à prendre conscience de cette réalité. Récemment, l’ambassadeur français aux Nations unies a déclaré qu’il était irréaliste de penser que l’Ukraine pourrait libérer le Donbass et la Crimée. Un nombre croissant de responsables politiques occidentaux prennent conscience du coût que ce conflit fait peser sur l’Europe, sur les Etats-Unis, sur le monde entier. Et ils reconnaissent que son issue ne sera pas celle qu’ils avaient espérée.
1/Les Etats-Unis et l’OTAN ne pensaient pas
que le conflit prendrait cette tournure
Pour commencer, je ne crois pas que les Etats-Unis, l’OTAN ou l’Ukraine aient imaginé que ce conflit évoluerait comme il l’a fait. Je crois que l’OTAN, l’Europe et l’Ukraine se préparaient depuis 2015 à un conflit décisif dans le Donbass, où les effectifs militaires ukrainiens mis en place par l’OTAN, entraînés, équipés, seraient en mesure de lancer une attaque décisive capable de venir à bout des milices de Donetsk et de Lougansk ainsi que de toutes les autres forces que la Russie pourrait mettre en place pour régler le problème. Dans la perspective d’un conflit plus étendu, je pense que les Etats-Uniset l’Europe étaient fermement convaincus que la menace de sanctions économiques et la réalité de ces sanctions dissuaderaient la Russie de s’en prendre à l’Ukraine au sujet du Donbass ou, si la Russie décidait de le faire, entraîneraient l’effondrement rapide de l’économie russe, de graves conséquences politiques pour les dirigeants russes et une défaite rapide et définitive de l’armée russe en Ukraine.
Au 14.11.2022
2/Pas de préparation, pas d’évaluation
réaliste des conséquences
Pourquoi en suis-je convaincu? Ayant moi-même servi dans l’armée et ayant participé à des conflits armés, je sais que la planification d’un engagement décisif contre un ennemi implique une mobilisation. Cela requiert une accumulation de puissance militaire, une préparation logistique. En bref, cela exige tout ce que l’OTAN, l’Europe et les Etats-Unis ont négligé de faire.
Ce conflit n’a fait l’objet d’aucune préparation militaire de la part de l’OTAN, ni des Etats-Unis, ni de l’Europe, ce qui me fait dire qu’ils ne croyaient pas que ce conflit allait être remporté sur le champ de bataille mais plutôt dans les banques, dans les entreprises, sur le terrain de l’économie.
Je ne voudrais pas me montrer trop ironique, mais si vous comptez rabaisser la Russie au rang d’une vulgaire station-service déguisée en nation souveraine, il vaut mieux pour vous ne pas être une voiture en panne sèche qui a besoin de faire le plein. Et ça, en bref, c’est ce que sont les économies européennes et américaines.
3/L’arrogance de l’Occident
mène au chaos économique
Les répercussions que les sanctions à l’encontre de la Russie pouvaient entraîner sur le plan énergétique n’ont fait l’objet d’aucune analyse réaliste.
Je pense que les Etats-Unis et l’Europe ont fait preuve de suffisance en pensant qu’ils pouvaient contrôler la sécurité énergétique, qu’ils pouvaient contrôler l’approvisionnement énergétique du monde et qu’ils pouvaient bloquer l’économie russe en sanctionnant le secteur de la production russe d’énergie. C’est exactement le contraire qui s’est produit.
La Russie a montré qu’elle connaît le marché mondial de l’énergie bien mieux que les Etats-Unis ou l’Europe. Et je ne cherche pas à plaisanter, car la situation n’est pas drôle, mais parfois, lorsqu’on est confronté à des absurdités et à des ridicules d’une telle ampleur, on n’a pas d’autre choix qu’un gloussement de consternation. Et c’est la situation à laquelle je suis confronté lorsque je considère l’Europe aujourd’hui.
L’arrogance du G7, celle de l’OTAN, celle de l’Union européenne a été de croire qu’ils pouvaient dicter sa conduite à la Russie par des moyens de pression économique sans se douter qu’après en avoir été menacée plus d’un an à l’avance, la Russie ne serait pas capable d’élaborer une contre-stratégie – mise au point pour absorber les sanctions de l’Occident et les retourner contre lui. Ce qui est exactement ce qu’a fait la Russie, alors que l’Occident démontrait qu’il n’avait pas prévu de plan B.
L’une des premières choses que l’on apprend dans l’armée, c’est qu’aucun plan ne survit au premier contact avec l’ennemi et que celui-ci a toujours son mot à dire.
Par conséquent, cette arrogance qui consiste à se présenter avec un seul plan, un seul concept, un seul raisonnement, un seul mode de fonctionnement et à ne pas être capable de s’adapter à l’évolution des événements a conduit l’Europe à la situation dans laquelle elle se trouve aujourd’hui: le chaos économique total et le risque d’un effondrement économique total.
4/L’idée de l’unité européenne
démasquée comme une fraude
Quelles en sont les conséquences au-delà de l’évidence, au-delà des souffrances que les Européens connaîtront cet hiver, au-delà des dommages causés à l’industrie européenne?
La notion d’unité européenne s’est révélée être une supercherie. On entend les dirigeants de l’OTAN et de l’Union européenne dire que l’Europe s’est ralliée. L’Europe ne s’est pas ralliée. Il y a de profondes fractures en Europe au moment où nous parlons, et ces fractures vont s’aggraver avec le temps. Voyez-vous, je crois que l’Europe a commis une grave erreur en embrassant le nationalisme ukrainien parce qu’en agissant ainsi elle a déclenché les forces que l’Union européenne était censée éliminer, à savoir les nationalismes européens, le nationalisme polonais, le nationalisme allemand et le nationalisme français. Tout cela est en train d’apparaître au grand jour.
Si elle est touchée par un choc économique, l’Europe va s’éparpiller au lieu de rester en un seul bloc compact.
On l’a déjà constaté: la Hongrie s’en est déjà désolidarisée en concluant son propre contrat énergétique avec la Russie pour assurer sa survie et, à mesure que la réalité de l’hiver à venir se fera sentir, vous verrez de plus en plus de pays européens contraints par la force de leur population à se détacher des politiques promulguées par l’Union européenne et l’OTAN et à poursuivre des politiques individuelles destinées à préserver la vie et l’infrastructure de leur propre nation.
La guerre en Ukraine va transformer le visage de l’Europe dans un sens que l’Europe a justement cherché à éviter depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
5/La carte de l’Europe est redessinée
Vous savez, l’une des conséquences de la Seconde Guerre mondiale a été le désir de l’Europe que les frontières ne puissent plus être modifiées. Il n’y aurait plus de redécoupage de la carte de l’Europe. C’était terminé. Ce n’est pas fini, Mesdames et Messieurs, il suffit de regarder l’Ukraine aujourd’hui.
Ce n’est pas seulement la Crimée qui va faire partie de la Russie pour toujours, ce n’est pas seulement le Donbass qui va faire partie de la Russie pour toujours. Je crois que cette guerre ne prendra fin que lorsque la Novorossiya sera elle-aussi la Russie pour toujours, le territoire qui s’étend de la Transnistrie et de la Moldavie au sud de l’Ukraine et qui deviendra la Novorossiya, avec les villes d’Odessa, de Kherson, de Zaporizhzhia, de Kharkov, de Dnipropetrovsk. Tout cela ne sera plus jamais l’Ukraine. Ils feront définitivement et pour toujours partie de la Russie.
A l’heure où nous parlons, on est en train de redessiner la carte de l’Europe, ce qui suscite l’intérêt d’autres nations qui se disent que nous pourrions peut-être redessiner les cartes en notre faveur. En Pologne, on parle déjà de redessiner la carte de l’Ukraine pour que l’Ukraine occidentale, ce territoire qu’on avait enlevé à la Pologne à la fin de la seconde guerre mondiale, puisse redevenir polonaise. Et voilà maintenant qu’il se murmure en Allemagne que les territoires qui ont été arrachés à l’Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale devraient peut-être redevenir allemands. Et ainsi de suite, et ainsi de suite.
Actuellement, on se trouve face à ce que des choses se profilent qui étaient censées ne jamais se reproduire.
6/L’Europe démasquée
Il faut y ajouter autre chose encore:
La militarisation de l’Europe. À la fin de la guerre froide, je pense que l’Europe a réalisé que la probabilité de voir se déclencher sur son territoire une guerre terrestre de grande ampleur était minime, voire nulle. Et cela explique le fait que l’Europe se soit essentiellement désarmée. Elle a cessé de construire des armes modernes. Ses troupes ont cessé de s’entraîner; elles sont restées dans leurs casernes. Lorsque l’OTAN a décidé, il y a quelques années, de créer ces groupements tactiques à envoyer dans les régions baltes et en Pologne pour dissuader l’agression russe, l’Europe a eu du mal à trouver les effectifs nécessaires à ces groupements tactiques de la taille d’un bataillon de renfort – nous parlons de 1 500 hommes. L’Allemagne, qui, pendant la guerre froide, disposait de forces armées considérables et disposait de cette capacité, a dû sacrifier ses propres blindés pour pouvoir envoyer un bataillon en Lituanie.
Maintenant, essayez une fois de réfléchir à ça: les Allemands ont envoyé un bataillon blindé en Lituanie. Rien que cette pensée doit donner la chair de poule. Ça n’est jamais bon signe. Mais les Allemands ont pu poster un bataillon blindé en Lituanie uniquement parce qu’ils ont cannibalisé tout le reste de leur armée pour le faire. Et maintenant, voilà Jens Stoltenberg qui parle de la nécessité de créer une force d’intervention rapide de 300 000 hommes. Et un des éléments de cette force armée consisterait à renforcer ces groupements tactiques de la taille d’un bataillon en groupements tactiques de la taille d’une brigade. Mais où va-t-on trouver les hommes? Où va-t-on trouver le matériel? Comment va-t-on s’y prendre? En bref, la réponse est: on ne pourra pas. L’Europe, on sait désormais que c’est un tigre de papier. C’est là l’une des conséquences de ce conflit.
7/L’OTAN a échoué
Sauf que l’on n’a pas seulement affaire à l’Europe qui est une union économique en faillite, mais aussi l’OTAN qui est une alliance militaire en faillite, et qui n’a pas la capacité d’entrer en conflit militaire d’envergure avec quelque ennemi que ce soit, ou avec un ennemi potentiel de la taille de la Russie. Par ailleurs, les Etats-Unis ont une fois de plus montré qu’ils sont peut-être le pire allié que l’Europe puisse avoir. Il fut un temps où les Etats-Unis étaient un allié fiable, où ils étaient le cœur et l’âme de l’alliance défensive de l’OTAN, mais une fois la guerre froide terminée et l’OTAN ayant perdu sa raison d’être, au lieu de chercher un moyen de démembrer cette relique de la guerre froide, les Etats-Unis ont pris l’initiative de transformer l’OTAN en une alliance offensive.
Un seul coup d’œil sur la guerre du Kosovo suffit pour comprendre que l’OTAN ne constitue plus une alliance défensive. Là-bas, on a assisté à une action offensive. Un autre coup d’œil sur l’intervention en Libye est également suffisant pour s’en rendre compte. Et que faisait l’OTAN, une organisation de sécurité transatlantique, en Afghanistan pendant près de deux décennies? Alors – vous savez – l’OTAN a perdu sa raison d’être. Les Etats-Unis ont laissez tomber l’OTAN en Afghanistan. Je ne sais pas si l’Europe s’est réveillée à ce sujet, mais nous avons abandonné l’OTAN, nous avons abandonné l’Europe, nous avons laissé l’OTAN se débrouiller toute seule en Europe, et cela a incité de nombreux membres de l’OTAN à se demander: quelle est la pertinence de tout cela, quelle est notre mission? Pourquoi sommes-nous là?
8/Les Etats-Unis ont abandonné l’OTAN
Ensuite les Etats-Unis ont fait volte-face parce qu’il y avait eu un changement de dirigeant et là, on a dit «non, maintenant vous servez à quelque chose, à présent il faut que vous vous concentriez sur la Russie».
Et l’OTAN l’a fait, mais pas militairement, l’OTAN n’a jamais développé la capacité militaire nécessaire à la confrontation avec la Russie. Ainsi, les Etats-Unis ont conduit l’OTAN, en Ukraine, sur la voie d’une guerre par procuration décisive avec la Russie, où l’OTAN appauvrit encore plus ses moyens militaires en transférant des équipements et du matériel à l’Ukraine pour ensuite les voir détruits sur le champ de bataille par la Russie, sans disposer des ressources industrielles nécessaires à leur remplacement. Les Etats-Unis ont abandonné l’OTAN.
9/L’effondrement de l’empire américain
Pour les Etats-Unis, les conséquences de ce conflit sont de précipiter la disparition de l’ordre international fondé sur des règles, c’est-à-dire le club que les Etats-Unis ont créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est en train de s’effondrer. Il s’effondre alors que le monde entier reconnaît de plus en plus la nécessité de la multipolarité, l’importance des autres nations. Que le monde ne peut pas tourner uniquement autour des Etats-Unis. Et cette charge contre la multipolarité est menée par la Russie et la Chine, avec l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et d’autres nations en première ligne.
Quoi qu’il en soit, cela avait quelque chose d’inévitable; l’histoire du monde montre qu’il existe un processus d’évolution et que les empires finissent par disparaître. Mais ce qui se déroule devant nos yeux, ce n’est pas le déclin de l’empire américain, mais l’effondrement de l’empire américain. Et l’une des conséquences de ce conflit est que les Etats-Unis constatent que leur rôle dans le monde s’effondre au moment même où nous parlons. Comment s’en sortir, puisque si nous analysons la situation, les Etats-Unis et l’Europe ont échoué stratégiquement à tous les niveaux, politiquement, économiquement, militairement. C’est la Russie qui est le grand gagnant.
10/La coexistence pacifique entre
l’Europe et la Russie est-elle possible?
Heureusement pour les Etats-Unis et l’Europe, ce désir de domination mondiale qu’ont les Etats-Unis, la Russie ne l’a pas. La Russie recherche simplement un nouveau cadre de sécurité européen qui respecte ce qu’elle considère comme ses intérêts légitimes en matière de sécurité nationale. Et c’est là que se trouve l’avenir.
Une victoire décisive de la Russie con-traindra finalement l’Europe à renoncer à son adhésion suicidaire à l’OTAN et à son rôle perpétuel d’extension de la politique de sécurité nationale américaine, et à rechercher plutôt un accord réaliste et responsable avec la Russie sur la manière dont cette dernière et l’Europe pourraient coexister pacifiquement, mais pas comme des amis.
L’Europe, à mon avis, a perdu pour toujours, du moins dans un avenir rapproché, l’occasion d’être l’amie de la Russie. La Russie ne fera plus jamais confiance à l’Europe – d’ailleurs la Russie n’aurait jamais dû faire confiance à l’Europe. L’Europe ne sera plus jamais partenaire de la Russie. On ne devient pas partenaire de nations qui vous poignardent dans le dos comme l’Europe l’a fait avec la Russie. Par contre, ce qui demeure possible, c’est la coexistence pacifique.
11/L’Etat de droit plutôt qu’un ordre
international fondé sur des règles
Et je crois que c’est là l’objectif de la Russie, et je crois que cela va aussi devenir l’objectif de l’Europe. A long terme, les perdants dans tout cela seront les Etats-Unis, tandis que le gagnant à long terme en sera le reste du monde. Car plus vite les Etats-Unis seront contraints de renoncer à leur rôle, autoproclamé, de maître du jeu mondial, plus vite le monde sera en mesure d’inviter les Etats-Unis à la table d’une multipolarité où l’Etat de droit supplante l’ordre international fondé sur des principes.
Echanger ces pensées avec vous a été un plaisir, je vous remercie de votre attention.•
(Traduction Horizons et débats)
- Exposé lors de la conférence annuelle de la groupe de travail «Mut zur Ethik» («Europe – vers quel avenir?») du 2 au 4 septembre 2022.
![]() Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines américains qui, au cours de sa carrière de plus de 20 ans, a notamment travaillé dans l’ex-Union soviétique à la mise en œuvre d’accords de contrôle des armements, dans l’état-major du général américain Norman Schwarzkopf pendant la guerre du Golfe et, plus tard, comme inspecteur en chef des armes de l’ONU en Irak de 1991 à 1998. |