1/Retrait américain de Syrie : La fin d’une époque ? 16/10/2019
2/En quatrième vitesse … La Syrie sans les USA …16/10/2019
3/Offensive turque: «En désertant la zone, les Occidentaux ouvrent la voie à l’instabilité» 14/10/2019
Retrait américain de Syrie : La fin d’une époque ? |

La décision du président américain de retirer les troupes de Syrie et du Moyen-Orient en général, et d’« en finir avec les guerres sans fin », si elle est menée à bien jusqu’au bout, marquera un tournant majeur. Dans le chaos et la douleur, un nouvel ordre est en train dans de naître. Beaucoup parlent des douleurs, peu de l’enfant.
En ordonnant d’acter pour de vrai le retrait des troupes américaines présentes au Moyen-Orient, tout en pointant du doigt la soumission des élites de Washington, du Congrès et des agences de renseignement vis-à-vis du « complexe militaro-industriel », Donald Trump renverse le paradigme qui a dominé les États-Unis depuis la fin de la Guerre froide, voire depuis l’assassinat de John F. Kennedy, et qui les a entraînés dans la vision d’un monde unipolaire des néo-conservateurs anglo-américains.
Retrait des troupes
Mark Esper jouit d’un grand respect au Pentagone.© Andrew Harnik/AP/SIPA
Le 6 octobre, le gouvernement américain a annoncé le retrait des troupes américaines du Nord de la Syrie. Ce retrait, qui a donné le feu vert à la Turquie pour lancer son opération « printemps de la paix » d’incursion dans le Nord-Est syrien, a ensuite été confirmé le 13 octobre par Marc Esper, le secrétaire à la Défense, qui a ordonné à l’ensemble des 1000 soldats américains présents dans la région de partir.
Dans l’intervalle, Trump a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a réaffirmé son engagement – exprimé depuis sa campagne électorale de 2016 – pour mettre fin aux « guerres sans fin »,
induites par « tous ces gens à Washington qui s’accommodent très bien avec le complexe militaro-industriel ».
« Regardez Eisenhower, a-t-il poursuivi ; il en avait parlé à son époque. [le complexe militaro-industriel] concentre énormément de pouvoir. Ils aiment la guerre. Cela leur permet de gagner beaucoup d’argent ».
L’engagement au Moyen-Orient, qui a coûté 8000 milliards de dollars et des millions de vies depuis le 11 septembre 2001, est selon le président américain
« la pire erreur jamais commise par les États-Unis », qui les amenés à se comporter « comme une police » dans la région.
Trump a ensuite expliqué que davantage que la chasse aux sorcières lancée contre lui, le plus dur pour lui est d’accompagner et de consoler les familles de soldats morts au combat en Afghanistan ou en Syrie lorsque les cercueils rentrent aux États-Unis.
« Il y a un moment et un lieu où il faut en finir », a-t-il lancé.
Donald Trump, alors candidat républicain à la présidentielle américaine, devant la conférence politique 2016 de l’AIPAC, à Washington, D.C., le 21 mars 2016. (Crédit : Saul Loeb/Getty Images/AFP via JTA)
Trump a redit tout cela avec force lors de son discours au « Values Voter Summit », devant 3000 partisans ; ce qui est d’autant plus remarquable puisqu’il s’agit des chrétiens évangélistes qui ont été lavés du cerveau depuis des décennies avec une vision messianique des États-Unis intervenants dans le monde pour défendre à coup de canon la « démocratie » et la « liberté »…
Sans surprise, la décision du retrait des troupes a déclenché l’ire de la machine médiatique et de l’ensemble de la classe politique américaine, qui ont accusé Trump de « trahison » vis-à-vis des Kurdes.
Les Démocrates sont bien entendus les plus virulents, eux qui ont avalé tant de couleuvres au cours de la présidence Obama, au point de dépasser le néoconservatisme de Bush et Cheney.
Rappelons que les États-Unis d’Obama, le Royaume-Uni, la France et d’autres pays européens, afin de mener une « guerre par procuration » contre les islamistes ; les Occidentaux avaient initialement voulu lancer ces islamistes — étiquetés « rebelles modérés » — contre le régime de Damas ;
depuis, ces groupes ont noué une alliance avec l’YPG, une organisation « kurde » multiforme mais sous forte influence du PKK, qui a commis des milliers d’attentats en Turquie et figure sur la liste des organisations terroristes.
Lindsey Graham & Mitch McConnell
Côté républicain, le président américain doit faire face à une fronde venant même de ses plus proches soutiens, comme le sénateur Lindsey Graham. Le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a lui-même pointé un
« retrait précipité » des troupes qui ne bénéficierait qu’à « la Russie, à l’Iran et au régime Assad ».
Bruno Odent
Or, comme le souligne Bruno Odent dans l’Humanité du 15 octobre,
« McConnell apparaît comme un verrou décisif dans le processus de destitution de Donald Trump déclenché par les démocrates à la Chambre des représentants ».
Nouvelle donne
Le 9 octobre, le président Erdogan a lancé l’incursion militaire dans le Nord-Est syrien, avec pour objectif affiché de vouloir « nettoyer » la zone et bien sûr d’empêcher l’émergence d’une entité kurde autonome sur ses frontières. Bien qu’en Europe l’on feigne d’être surpris, cette opération était préparée de longue date et les intentions turques étaient connues de tous.
La veille, Erdogan en a informé le président russe Vladimir Poutine, puis Donald Trump.
Sergueï Lavrov et Mevlut Cavusoglu, se sont parlé par téléphone
De même, les ministres russes et turcs des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et Mevlut Cavusoglu, se sont parlé par téléphone, à la demande des Turcs.
« Notre position reste invariablement basée sur notre engagement à résoudre tous les problèmes par un dialogue entre le gouvernement de Damas et les représentants des communautés kurdes vivant dans la région », a déclaré ensuite Lavrov. Cavusoglu a assuré au ministre russe que la Turquie garantissait de « respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie » et que « l’ensemble de l’opération aura pour objectif ultime de restaurer l’entière intégrité territoriale de la Syrie ».
En réalité, depuis plusieurs années, la Syrie autorise la Turquie à agir de cette façon dans des circonstances exceptionnelles.
«Le grand Kurdistan reste un mythe» © VR
Même si le danger existe de voir les armées turques et syriennes s’accrocher, personne ne veut et n’a à gagner d’un conflit entre les deux États. De plus, ils partagent la même volonté d’empêcher la création d’une autonomie kurde en Syrie.
En Turquie, la présence des 3,5 à 5 millions de réfugiés syriens, de moins en moins supportée par la population, place Erdogan dans une situation fragile devant son opposition.
Un accord de paix avec la Syrie permettrait aux réfugiés syriens de rentrer chez eux.
Ainsi, dans cette nouvelle donne créée par le retrait des troupes américaines, se dessine une possible sortie par le haut de la crise :
un accord entre la Turquie et la Syrie, conclu par l’intermédiaire de la Russie et basé sur le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale.
Un tel accord serait bien entendu gagnant pour la Syrie ; mais également pour la Turquie, qui verrait sa frontière sécurisée et les réfugiés en mesure de rentrer progressivement chez eux ; pour les Kurdes syriens, qui obtiendraient la protection de Damas et seraient à l’abri des assauts turques ; pour la Russie, qui apparaît comme un acteur incontournable de la région, capable de parler avec tout le monde .
Enfin, ce serait gagnant pour Trump, qui serait renforcé d’un tel développement, en vue de sa réélection en 2020, mais surtout pour les États-Unis, qui sortiraient de 20 ans de guerres stupides en sans objet, sources de chaos et de destruction dans le monde comme à l’intérieur, et qui trouveraient ainsi l’occasion de renouer avec l’héritage diplomatique de Franklin Roosevelt et John F. Kennedy, basé sur l’entente entre État-nations.
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source/
En quatrième vitesse … La Syrie sans les USA … |
par Dedefensa – 16/10/2019
Elijah J. Magnier
Nous signalions hier les tweets enthousiastes du commentateur Elijah J. Magnier concernant la situation en Syrie. Il nous semble logique de reprendre le texte de ce même commentateur qui reprend lui-même une description complète de la situation après le grand événement que constitue le retrait des forces US protégeant les Kurdes tandis que les forces régulières syriennes et probablement la Russie prennent en charge cette protection.
On notera effectivement dans le texte de Magnier le rôle omniprésent des Russes et également la façon dont se poursuivent parallèlement les combats et différentes négociations aboutissant à des accords divers, plus ou moins respectés, entre ceux-là même qui mènent les combats.
La Syrie est un remarquable exemple de ce qu’on nomme “ guerre hybride”, mais selon notre définition qui est de considérer qu’un conflit se fait aujourd’hui dans plusieurs dimensions et plusieurs domaines complètement différents de l’action, avec interférences diverses et dont aucun n’est décisif ni même fixé, ce qui conduit à la désintégration constante de la réalité et nécessite constamment l’appel à ce que nous nommons “vérité-de-situation”.
(Chacun a sa définition de l’expression “guerre hybride”. La nôtre se comprend en accord avec une époque qu’on peut justement définir comme “hybride” avec l’introduction de fonctions très différentes, – communication, simulacre, conflits illégaux, multiplication des moyens d’intervention, d’observation, de simulation, etc., – qui interfèrent sans vergogne entre elles et désintègrent effectivement le concept d’une réalité unique perceptible par les sens courants et la seule raison.)
Quoi qu’il en soit, tout le monde se reconnaîtra dans le jugement que la petite décennie qui vient de s’écouler a été le théâtre d’une cascade d’événements de divers domaines et factures, qui ont conduit à des changements intéressants en Syrie, – et ailleurs bien sûr et surtout, aux USA par exemple.
Le titre original du texte de E.J. Magnier du 14 octobre est « Un obus a provoqué le retrait des USA : détails sur l’accord entre kurdes, russes et syriens ». Nous l’avons modifié pour des raisons techniques tout en proposant une image qui, pour n’être pas juste stricto sensu, a une valeur et une signification symboliques selon nous incontestables.
dde.org
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… La Syrie sans les USA |
Vendredi dernier, un obus d’artillerie de 155 mm s’est abattu à 300 mètres d’un poste de commandement des USA proche de la ville frontalière syrienne de Ayn al-Arab (appelée “Kobané” par les Kurdes syriens), dans le cadre de l’opération militaire en cours de la Turquie, membre de l’OTAN et alliée des USA. Cette opération vise à faire reculer à une distance de 30 à 35 kilomètres de la frontière les militants kurdes du YPG soutenus par les USA, la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), désigné par les USA, l’UE et l’OTAN comme un groupe terroriste.
En cette première semaine de leur opération militaire en territoire syrien occupé par les USA, les troupes turques soutenues par leurs mandataires syriens ont également progressé rapidement en coupant les voies principales et en tentant d’isoler leurs ennemis.
Ces deux événements ont suffi pour sonner l’alarme et pousser aussitôt l’administration américaine à annoncer, par l’entremise du secrétaire à la Défense Mark Esper, le retrait d’environ 1 000 militaires américains du nord-est syrien. C’est que la mort de tout soldat américain en Syrie nuirait grandement à la campagne électorale du président des USA Donald Trump en 2020. La France et la Grande-Bretagne, qui maintiennent aussi des forces spéciales dans le nord-est syrien, devraient aussi emboîter le pas.
Les forces syriennes ont reçu l’ordre de se déployer dans le nord-est syrien à la suite d’un accord entre la Russie et la Turquie, et entre la Russie et les responsables syriens, afin de garantir la sécurité des Kurdes syriens séparatistes.
Le président syrien Bachar al-Assad a accepté de garantir la sécurité des Kurdes à la condition qu’ils se joignent aux Forces de sécurité nationale. Aucune autre condition n’a été exigée des Kurdes, dont le souffle a été coupé depuis le retrait soudain des USA. Damas a promis qu’il n’y aura pas de vengeance ou de ressentiment envers les Kurdes qui, pendant des années, ont servi de boucliers humains pour protéger les forces d’occupation américaines restées en Syrie malgré la défaite de Daech.
L’accord entre les Russes et les Kurdes prévoit le déploiement de l’armée syrienne le long de la frontière avec la Turquie et la reprise de toutes les sources d’énergie (gazière et pétrolière) par les forces contrôlées par le gouvernement syrien. Ces sources d’énergie sont vitales pour le gouvernement syrien frappé de lourdes sanctions imposées par les USA et l’UE. Toutes les livraisons de pétrole ont été bloquées, sauf celles de l’Iran, dont le superpétrolier a réussi à percer le blocus.
L’accord initial entre les Kurdes et Damas (par l’entremise de la Russie) consiste à mettre fin à l’autonomie administrative du nord-est syrien, à intégrer les Kurdes syriens sous le commandement de l’armée syrienne et à combattre et éliminer toutes les forces de Daech.
Un retrait des USA du poste frontalier d’al-Tanf entre l’Irak et la Syrie est également prévu lorsqu’on aura trouvé une solution pour les 64 000 réfugiés du camp d’al-Rukhba
Tout ce qui motivait et avantageait les USA pour maintenir leurs forces d’occupation en Syrie ne tient plus. Le “danger iranien” n’a plus sa raison d’être depuis la réouverture du poste frontalier d’al-Qaem. Maintenir des forces US à la frontière alors qu’il n’y a plus de forces “adverses” coûte cher à Trump et engage sa responsabilité inutilement.
L’idée de maintenir des forces US en Syrie jusqu’à ce que l’on s’entende sur une nouvelle constitution n’intéresse et ne préoccupe plus les USA. Trump laisse la Russie et la Turquie se débrouiller avec ce problème qu’ils devront régler avec le président Assad (et le soutien de l’Iran !).
Imposer des sanctions à la Syrie est devenu inutile et empêche tout rapprochement avec les Arabes sans la moindre justification. Tous les pays arabes (à l’exception du Qatar) ont exprimé leur solidarité avec le président Assad et condamné l’invasion turque. Le retour des Arabes établira une base solide pour la reconstruction de la Syrie. Le marché syrien attire les pays arabes et la reprise des échanges commerciaux leur permettra de regagner leur influence au Levant. Le président Assad, qui ne demande pas mieux que de clore le chapitre de la guerre et d’entamer de nouvelles relations positives avec les pays du Moyen-Orient, ne voit pas de mal à les laisser exercer une certaine influence, comme c’était le cas avant 2011.
Les sanctions contre l’Iran ont perdu tout leur sens avec l’ouverture du poste frontalier d’al-Qaem et celui d’al-Tanf qui devrait suivre. Les biens iraniens se retrouveront sur le marché syrien et vice versa. La route reliant Téhéran, Bagdad, Damas et le Liban devrait reprendre vie et regagner son importance.
Trump a annoncé son retrait sans informer ses alliés. Le partenariat USA-UE sur le terrain s’écroule. La crédibilité des USA est au plus bas en raison de leur attitude envers les Kurdes, qui ont défendu les forces de Trump en échange d’un État, le “Rojava”.
Les sanctions des USA contre la Turquie ne sont que des paroles en l’air. Trump a menacé d’imposer des sanctions à la Turquie si elle franchissait la ligne rouge, à 35 km de la frontière, pour ensuite annoncer un retrait total deux jours plus tard.
La tentative de diabolisation de la Russie par l’élite des USA a fait chou blanc, les Russes étant aujourd’hui devenus les sauveurs des Kurdes trahis par les USA.
Ceux qui soutiennent fanatiquement les Kurdes et qui multiplient les appels pour éviter leur extermination par les Turcs ne peuvent dorénavant plus retourner leurs armes et leurs plumes contre la Russie, puisque les Russes, avec Assad par-dessus le marché, entrent en scène pour les sauver.
Le Kremlin gagne du terrain au Moyen-Orient, en peaufinant sa diplomatie dans une partie du monde très complexe que fuient maintenant les USA.
Moscou accueille à bras ouverts ces mêmes Kurdes qui ont choisi de rester sous le giron des USA pendant des années. Le président Vladimir Poutine a astucieusement réussi à établir de bonnes relations avec l’Iran et l’Arabie saoudite, Assad et Israël, le Hezbollah et les rebelles syriens, et même la Turquie.
Beaucoup ressortent gagnants de ce qui se passe en Syrie aujourd’hui, y compris Trump, qui se sauve pour éviter des pertes humaines (comme il l’a promis dans sa campagne électorale).
Les Kurdes sont les seuls véritables perdants, car ils ont perdu 11 000 des leurs pour un État qu’ils espèrent voir naître un jour. Miser sur le mauvais cheval (américain) s’est retourné contre eux de façon catastrophique, mais ils ont tout de même fini par sauver leur peau en changeant de mentor.
Elijah J Magnier
source/ https://www.dedefensa.org/article/en-quatrieme-vitesse-1
Offensive turque … «En désertant la zone, les Occidentaux ouvrent la voie à l’instabilité» |
FIGAROVOX/TRIBUNE – Rappelant les enjeux du conflit kurdo-turc, le doctorant en géographie Adrian Foucher analyse l’opération militaire turque en cours, futur source d’instabilité régionale

Adrian Foucher est doctorant en géographie au sein du laboratoire Citeres de l’Université de Tours, associé à l’équipe de recherche portant sur les études migratoires (aMiMo) de l’Institut Français d’Études Anatoliennes à Istanbul et membre du collectif de chercheurs Noria.
Le 9 octobre 2019, les forces armées turques en coopération avec «l’armée nationale syrienne», armée par la Turquie et composée d’opposants au régime de Bachar El-Assad, lancent une opération militaire conjointe dans le nord de la Syrie, à l’Est de l’Euphrate.
Cette opération militaire, selon le gouvernement turc, a deux objectifs: mettre fin aux actions terroristes de l’Organisation État islamique et des combattants kurdes de Syrie du YPG considérée comme l’extension du PKK en Turquie et assurer le retour des réfugiés syriens dans un espace sécurisé.
Sur le long terme, l’opération « Source de paix », promet d’être la source d’une instabilité régionale durable.
La communauté internationale, de l’Union européenne aux États-Unis ainsi que de nombreux pays du monde arabe, s’épouvante de l’avancée des troupes turques et somme Ankara d’y mettre fin. Sur le long terme en effet, l’opération «Source de paix», promet surtout d’être la source d’une instabilité régionale durable.
Mais comment s’étonner de la conduite de cette opération dans la droite lignée des intérêts de l’État turc?
L’alliance de plusieurs membres de la coalition internationale en Irak et en Syrie, dont la Turquie était membre, aux combattants kurdes du YPG considéré par Ankara comme une organisation terroriste au même titre que Daech, laissait déjà percevoir l’établissement d’une situation explosive.
L’opération source de paix: paix improbable, instabilité certaine
Avant le début du conflit, l’espace reliant le fleuve Euphrate à la frontière irakienne accueillait une population aux origines ethniques et confessions diverses: Arabes, sunnites et chrétiens, Kurdes, Arméniens… Les populations de cette zone principalement rurale et désertique, moins développée que les territoires de l’Ouest syrien, malgré les quelques villes de taille moyenne situées à proximité, ont souffert depuis 2014 de nombreuses batailles. Dans sa partie sud, de Raqqa à Deir ez-Zor, l’Organisation État islamique s’y implanta durablement jusqu’au printemps 2017, avant d’être progressivement repoussée par les combattants kurdes du YPG au nord, par le gouvernement syrien au sud.
Un communiqué d’Ankara Anadolu Agency, l’équivalent turc de l’AFP, publié au lendemain du lancement de l’opération militaire «Source de paix» établit clairement les intentions du gouvernement turc: mettre fin à la menace terroriste kurde et développer une zone sécurisée s’étendant de l’Euphrate à la frontière irakienne sur une profondeur de 30 km afin d’y réimplanter près de 2 millions de réfugiés syriens.
Toute opération armée turque à l’encontre des Kurdes, qu’ils soient de Syrie ou d’Irak, a en effet été suivie de vagues d’attentats en Turquie.
L’opération militaire est partie de Ras Al-Aïn et de Tell Abyad, villes syriennes situées à la frontière turque au sud de Ceylanpınar et de Sanliurfa. Les premiers effets sont déjà visibles: plusieurs dizaines de victimes et 60 000 déplacés forcés, fuyant les combats, dans les villes alentour qui n’ont pas encore été prises d’assaut .
Sur un terme plus long, la projection des troupes turques aux frontières du pays, contribuera à nourrir un conflit sur son propre sol. Toute opération armée turque à l’encontre des Kurdes, qu’ils soient de Syrie ou d’Irak, a en effet été suivie de vagues d’attentats en Turquie. Cette opération militaire est comparable à un coup de pied dans les braises. En cherchant à éteindre le foyer principal d’un incendie, la Turquie risque surtout de multiplier les départs de feu.
Sur un terme peut-être encore plus long, le projet d’installation de deux millions de réfugiés Syriens sur cette zone sécurisée, préfigure le démarrage d’un jeu extrêmement dangereux.
Ces deux millions de réfugiés, principalement d’origine arabe sunnite, noieront démographiquement cet espace en majorité kurde, mettant ainsi fin à tout espoir de région autonome.
Concrètement, sur le terrain, se tiendront face à face
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une population kurde indépendantiste et parfaitement hostile à Ankara
-
une population arabe sunnite favorable au régime turc en raison de l’accueil qu’elle a reçu sur son territoire.
Ce type de politique porte un nom: l’ingénierie démographique, et modifiera en profondeur les fragiles équilibres d’un territoire déjà en crise.
Perception turque… le soutien des Kurdes du YPG-PYD par la coalition internationale en Irak et en Syrie, une position intenable
Deuxième puissance militaire de l’OTAN derrière les États-Unis, membre de la coalition internationale en Irak et en Syrie, la Turquie a vu d’un très mauvais œil le soutien de plusieurs membres de la coalition internationale aux combattants kurdes du YPG. Ankara n’a en effet jamais caché percevoir ce groupe armé comme une extension du PKK groupe armé kurde de Turquie et considéré par le gouvernement turc, l’Union européenne et les États-Unis, comme une organisation terroriste.
En 2011, la Turquie prend peu à peu position contre le gouvernement syrien et soutient l’armée syrienne libre qui se constitue.
En 2011, en Syrie, alors que les premières manifestations d’opposition à Bachar Al-Assad sont durement réprimées par le régime, la Turquie, malgré une logique de rapprochement avec son voisin alaouite, prend peu à peu position contre le gouvernement syrien et soutient l’armée syrienne libre qui se constitue. Les cadres de cette armée sont accueillis sur son territoire, ses combattants soignés dans les hôpitaux turcs frontaliers de la Syrie. Ankara apporte même un soutien logistique et parfois militaire lors de ses opérations afin de faire tomber le régime.
Les groupes armés actifs dans le conflit se multiplient: dès 2011-2012, le PYD et le PKK prennent le contrôle des zones kurdes syriennes. Enfin, l’avènement de l’Organisation État islamique (OEI), sa rapide progression en Irak et en Syrie et les attentats perpétrés en Europe changent la donne. Pour les membres de la communauté internationale, en désaccord sur la question de maintenir ou non Bachar El-Assad au pouvoir, apparaît une nouvelle priorité: anéantir cette organisation islamiste aux ambitions d’État. Suite à l’emblématique reprise de Kobané, les Américains font des YPG leurs alliés dans la lutte contre Daech.
Ankara proteste fortement. Le YPG n’est rien d’autre à ses yeux que l’extension du PKK en Syrie. Nombre des cadres du groupe armé kurde de Syrien sont en effet issus de l’organisation turque.
Or, en Turquie, le conflit armé opposant cette organisation aux gouvernements turcs successifs a provoqué, depuis 1984, la mort de 44 000 personnes, civils, militaires, tous camps confondus.
Un court cessez-le-feu est signé entre Ankara et le PKK de 2013 à 2015. Durant cette période, un parti politique pro-kurde important, le HDP, se développe alors en Turquie et parvient à intégrer l’assemblée nationale turque. Mais Ankara observe avec inquiétude le renforcement du YPG à sa frontière. L’établissement d’un Kurdistan syrien constitue à ses yeux une menace sérieuse. D’autant plus que jusqu’en 1999, sous le régime d’Hafez El Assad, nombre des camps d’entraînement du PKK et Öcalan lui-même, le fondateur de cette organisation armée, étaient abrités en Syrie.
L’opération « Source de paix » est la réponse froide d’un État dominé par des considérations sécuritaires et désireux d’affirmer sa puissance au sein de son espace régional.
Suite aux bombardements turcs de bastions du YPG dans le Nord-Est syrien, le PKK décrète la fin du cessez-le-feu. Une terrible répression est alors menée par Ankara contre le mouvement kurde: violences armées, destruction de quartiers entiers de villes de l’Est, arrestation des principaux leaders politiques kurdes…
La Turquie réclame alors l’établissement d’une zone tampon afin de protéger sa frontière des incursions de l’État islamique, d’un potentiel désir de revanche de Bachar et pour mettre fin aux espoirs naissants du développement d’un Kurdistan syrien. Les politiques américaines et européennes de soutien au YPG sont vécues en Turquie comme l’alliance de ses alliés avec l’ennemi. Le virage diplomatique de la Turquie vers le Kremlin tire en partie son explication de cette situation.
Le soutien des combattants kurdes du YPG par de nombreux pays membres de la coalition internationale esquissait donc déjà les contours d’un fragile équilibre. Le positionnement des membres de la coalition combiné au passif du conflit turco-kurde a conduit la politique turque dans une impasse.
L’opération «Source de paix» est la réponse froide d’un État dominé par des considérations sécuritaires et désireux d’affirmer sa puissance au sein de son espace régional. Cette démonstration de force est d’autant plus importante qu’Ankara souhaite s’affirmer aux yeux et à la barbe d’«alliés» extérieurs qui n’ont pas tenu compte de ses prétentions et de sa situation.
La tragédie kurde
Les Kurdes de Syrie vivent une véritable tragédie à la frontière turque, eux qui avaient acquis de facto une autonomie pendant la guerre contre Daech (Photo : AFP) — Le fils de Jawaher est mort en Syrie dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI). Aux funérailles de combattants tués au cours de l’offensive de la Turquie, pleine d’amertume mais résignée, elle rappelle que les Kurdes ont toujours été trahis.http://www.lequotidien.lu/international/enterrant-leurs-morts-les-kurdes-de-syrie-denoncent-la-trahison-de-washington/
Cela a déjà largement été débattu, écrit, commenté. Les populations du nord de la Syrie et les combattants du YPG sont les grands perdants de cette guerre.
Combattants glorifiés par les médias occidentaux, «rempart» d’un islamisme radical, instaurateurs d’un modèle politique original de gestion du territoire, les YPG et le mouvement politique kurde en Syrie ont été abandonnés par l’ensemble de leurs alliés, après avoir joué le rôle de troupe terrestre dans la guerre faite à Daech.
Car il faut le dire, le retrait des troupes occidentales constitue bien un abandon. Et si Américains et Européens ont réellement l’espoir de mettre fin à l’opération militaire turque en cours par des sanctions économiques, ils font preuve d’un grand amateurisme.
Tout au mieux contribueront-ils à la fragilisation de l’un des derniers États stables de la région ; et les centaines de millions d’euros investis dans le secteur humanitaire pour la stabilisation de cette zone ne suffiront plus. Autrement, cette posture ne sert qu’à s’offrir bonne conscience.
«Well done Kurds, thank you», et d’ici à ce que l’État islamique réapparaisse sous un autre avatar: débrouillez-vous.
Des Kurdes de Syrie manifestent le 31 octobre 2018 dans la ville de Qamichli pour protester contre les bombardements turcs sur des positions d’une milice kurde dans le nord de la Syrie.afp.com/Delil SOULEIMAN
source/https://www.lefigaro.fr/vox/monde/offensive-turque-en-desertant-la-zone-les-occidentaux-ouvrent-la-voie-a-l-instabilite-20191014
Il y aurait beaucoup à dire sur le dernier article du Figaro. Mais qu’attendre d’autre de ce canard boiteux.
Exemple: « EUX QUI AVAIENT ACQUIS DE FACTO UNE AUTONOMIE PENDANT LA GUERRE CONTRE DAECH » Non Monsieur vous et tous les membres de cette « coalition terroriste » leur avez fait croire que ce territoire était le leur à jamais, tout comme on a donné la Palestine aux Khasars. Est-ce que le peuple Syrien qui s’est battu à mort contre nos terroristes « modérés » ou non, ont été consultés ? surtout pas dans votre système démocratique colonial.
Et je pourrais continuer à critiquer ce texte encore longtemps. Au fait pourriez-vous me dire ce qu’est la « Communauté Internationale » ? Ne serait-ce pas dans l’esprit des journaleux aux ordres, en gros l’Otan et ses alliés ? Ai-je bon ? Car le reste du monde n’existe pas pour vous.
Les Kurdes n’ont pas été trahis tout le temps, ils se sont toujours appuyés sur celui qu’il ne fallait surtout pas approcher. Dès le début de cette guerre mondiale sur le sol Syrien, vous deviez faire partie de l’armée arabe Syrienne plutôt que de la combattre, vous auriez aujourd’hui une place de choix. De plus vous n’êtes en réalité pas mieux que Daesh envers les Chrétiens etc bref tous ceux qui ne sont pas Kurdes.
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