Sergueï Riabkov
Question: Vladimir Poutine et Donald Trump ont donné une estimation positive de leurs pourparlers à Osaka.
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Quelque chose de concret, sur lequel un travail conjoint pourrait être lancé prochainement, est-il ressorti de cet entretien?
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Vladimir Poutine et Donald Trump
Réponse: Les politiciens russes ne constatent aucune amélioration significative de la situation intérieure aux États-Unis. Des congressistes antirusses lancent toujours différentes initiatives et exigent de l’exécutif qu’il prenne des décisions visant à compliquer toute amélioration de l’atmosphère des relations entre Moscou et Washington.
Cette tendance semble être appelée à perdurer.
D’autant que les États-Unis sont déjà lancés dans la course présidentielle, et que les propos incessants sur l’ingérence prétendue de la Russie dans les élections précédentes laissent présager la poursuite des efforts de dégradation de nos relations.
Nous travaillons avec les Américains dans ce contexte depuis déjà quelques années et sommes prêts à n’importe quels tournants.
Quant à la rencontre d’Osaka, elle a été positive du point de vue de sa tonalité et de son contenu.
Les leaders ont directement évoqué pratiquement toutes les questions figurant à l’ordre du jour. En ce qui concerne les domaines où l’on pourrait constater un certain progrès, je voudrais souligner la stabilité stratégique et le contrôle des armes. Nous préparons le lancement concret de ce travail dans un avenir proche.
Le deuxième domaine est celui du commerce et de l’économie.
Washington commence visiblement à prendre conscience du fait qu’une situation comme celle de 2018, où les échanges bilatéraux ont été inférieurs à 25 milliards de dollars, n’est pas normale, car le potentiel est beaucoup plus important.
Les sanctions constituent évidemment un obstacle, mais elles ne sont pas le seul facteur.
La participation d’une délégation américaine très représentative au Forum économique international de Saint-Pétersbourg constitue également un fait marquant. Les entrepreneurs américains savent parfaitement qu’il existe en Russie des possibilités de mener un travail productif.
Les sociétés européennes et asiatiques qui se sont installées ici il y a longtemps ont intérêt à élargir leur coopération avec nos entreprises et à augmenter leurs investissements dans l’économie russe.
Les Américains doivent rattraper ce retard, s’ils ne veulent pas tout céder à leurs concurrents.
A mon avis, le rôle des gouvernements est de favoriser ou, au moins, de ne pas compliquer davantage ce processus.
Question: Vous avez mentionné la sécurité parmi les sujets prioritaires. Manifestement, le traité FNI relève déjà du passé.
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Parliez-vous de l’avenir du traité START?
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D’un point de vue technique, a-t-on assez de temps pour le prolonger compte tenu du fait qu’il expire en 2021?
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Le président Russe a officiellement suspendu lundi la participation de la Russie au traité de désarmement nucléaire INF signé avec les États-Unis pendant la Guerre froide et dénoncé début février par Washington – AFP – Publié lundi 4 mars 2019
Réponse: Nos collègues de l’Otan maintiennent le sujet du FNI à l’ordre du jour et présentent la situation comme si la Russie serait encore en mesure de faire certains efforts pour sauver le traité.
Il s’agit tout simplement d’une astuce propagandiste, d’un trucage visant à rejeter sur nous de manière artificielle la responsabilité de l’écroulement du FNI.
Suite au lancement par les États-Unis de la procédure de retrait de ce texte, qui devrait prendre fin le 2 août, je ne vois aucun moyen de renverser le processus.
Il faudrait un miracle pour que des changements s’opèrent tout de même, c’est-à-dire que les Américains soient prêts,
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premièrement, à examiner concrètement nos réclamations concernant leurs violations du traité depuis plusieurs années, et,
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deuxièmement, à évoquer encore une fois de manière professionnelle et factuelle la question du missile 9M729.
Nous ne constatons cependant aucune volonté de le faire dans la position des États-Unis et des alliés de ce pays dans le cadre de l’Otan.
Le FNI devrait donc se transformer début août en vestige du passé.
La question du START est encore plus sensible.
Nous nous prononçons pour sa prolongation, mais cette dernière nécessite au préalable la résolution d’un problème notoire: les Américains excluent une partie considérable de leurs vecteurs stratégiques du comptage dans le cadre du traité.
Cette question est également compliquée d’un point de vue technique et organisationnel car, selon nos procédures, la décision concernant sa prolongation éventuelle exigera notamment de mener certaines procédures à l’Assemblée fédérale. Même l’adoption la plus rapide possible de ce texte par notre Parlement prendra des semaines, voire des mois. Autrement dit, il est nécessaire de définir l’avenir du START beaucoup plus tôt.
Nous ne savons pas pour l’instant si les États-Unis sont en principe prêts à prolonger le traité.
Nous attendrons un signal américain et les encouragerons à définir plus rapidement leur position.
D’autant plus que la campagne électorale américaine a déjà débuté et que, par expérience, on sait qu’il est de plus en plus compliqué de résoudre ces questions à Washington à l’approche des élections. A un certain moment, elles seront tout simplement reportées à la période post-électorale.
Question: L’année dernière, la Russie a proposé aux Américains d’adopter une déclaration sur la prévention de la guerre nucléaire – ce que les États-Unis et l’URSS avaient fait par le passé – mais Washington a refusé pour des raisons inconnues.
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Faut-il lancer encore une tentative?
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Réponse: Les États-Unis n’ont pas formellement refusé une telle déclaration concertée. Ils ne réagissent tout simplement pas à nos propositions. Cela est peut-être lié à certaines concertations intérieures. J’espère que la position des États-Unis n’a pas dramatiquement changé pour le pire et que cette pause n’est pas liée aux doutes américains concernant la justesse de la déclaration américano-soviétique majeure à ce sujet, soulignant qu’il n’y aura pas de vainqueurs dans une guerre nucléaire et qu’on ne doit donc jamais en déclencher.
Si Washington n’en est plus certain, la situation est beaucoup plus grave qu’on ne peut l’imaginer.
Question:
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Autrement dit, Washington estime actuellement qu’il pourrait y avoir un vainqueur en cas de guerre nucléaire?
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guerre nucléaire
Réponse: Dans tous les cas, ils acceptent l’idée d’une utilisation des armes nucléaires dans tel ou tel conflit. Beaucoup d’éléments indiquent que la pensée militaire et politique des États-Unis évolue dans cette direction.
Je parle notamment des modifications assez troublantes des doctrines qui témoignent de plus en plus que les Américains progressent vers une baisse du seuil du recours aux armes nucléaires, du lancement de la conception de nouveaux systèmes de combat, y compris de puissance réduite, ou de l’effacement de la frontière entre les conflits conventionnel et nucléaire.
Toutes les administrations précédentes, depuis la signature des accords américano-soviétiques en ce sens, considéraient l’échange de frappes nucléaires uniquement comme un scénario hypothétique.
Nous ne sommes pourtant pas sûrs que l’administration actuelle tienne à cette politique.
Les Américains doivent concrétiser leurs approches, examiner notre proposition de manière sobre et responsable. Le monde attend un tel signal concerté de Moscou et de Washington. Il existe trop de réticences, de divergences, de spéculations et d’interprétations. Tout cela est inacceptable dans le domaine des armes nucléaires.
Question:
- Envisage-t-on d’organiser avec les Américains des consultations sur la prévention des incidents dans l’espace cybernétique?
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Réponse: J’espère que la question des technologies de l’information et de la communication et de leur influence sur la situation générale sera évoquée dans le cadre de l’examen des problèmes de la stabilité stratégique. En ce qui concerne l’histoire sans fin du rapport de Robert Mueller sur le prétendu piratage russe, d’un côté on affirme l’absence de toute collusion, de l’autre on confirme les faits de piratage.
Dans ce domaine, les Américains évitent toute conversation entre les professionnels. C’est dommage, car nous sommes prêts à en débattre.
Question: On a l’impression que les Américains ont adopté sous Donald Trump la tactique de l’escalade maximale – comme nous l’avons constaté dans le cas de la Corée du Nord – avant le lancement des négociations. La situation autour de l’Iran et du « deal nucléaire » ne fait que s’aggraver actuellement.
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Moscou envisage-t-il un moyen de sauver le Plan d’action global commun et de ne pas perdre le contrôle de la situation?
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Devant la centrale nucléaire de Bouchehr, en Iran, en 2010.
Réponse: Je suis contre ces généralisations. Les politologues indiquent souvent que Washington met en œuvre une tactique de pression par la force et d’aggravation délibérée, suivie d’un certain recul. On affirme qu’une telle escalade des tensions permettrait de ramollir la position de l’adversaire pour obtenir ensuite des ententes plus avantageuses du point de vue des intérêts américains que quand il n’y a pas de tel bombardement politique et psychologique préalable.
Mais chaque cas est unique. Il existe différents facteurs internationaux qui influent sur telle ou telle situation. Les Américains profitent parfois d’une aide très active de leurs alliés, alors que dans d’autres cas ce sont les adversaires des États-Unis qui jouent le rôle principal.
Quant au Plan d’action global commun, ce traité est au « service des soins intensifs » politiques. Et je ne peux pas dire si le patient guérira même suite à l’utilisation d’outils très forts, notamment des injections et des défibrillateurs diplomatiques. Dans tous les cas, son état n’affiche aucun signe d’aggravation.
Nous sommes préoccupés par le fait que la politique de pression maximale sur l’Iran par les États-Unis sera poursuivie, comme on l’annonce officiellement. Les nouvelles tentatives de former un front anti-iranien, notamment dans le Golfe, sont elles aussi inquiétantes.
Heureusement, nos collègues iraniens ont des nerfs d’acier, et je ne pense pas qu’ils soient amenés à commettre des erreurs.
Quoi qu’il en soit, le pays n’a manifestement pas tiré de bénéfices économiques de la signature de cet accord et il lui est ces derniers temps très difficile – à cause des sanctions américaines – de maintenir ses exportations pétrolières à un niveau raisonnable lui permettant d’en tirer des revenus.
Dans tous les cas, on constate également une certaine amélioration. Ainsi, INSTEX, mécanisme de paiement longtemps attendu, a été enfin lancé, et nous espérons qu’il sera possible de l’ouvrir rapidement aux transactions des pays tiers et non seulement des membres de l’Union européenne.
Il existe d’autres questions concrètes sur lesquelles travaillent les experts pour maintenir le Plan d’action global commun.
Le retrait américain de l’accord en 2018 et les actions consécutives des États-Unis constituent une initiative inédite, une violation directe de la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’Onu et de l’article 25 de la Charte de l’Onu.
Nous n’avons jamais constaté par le passé qu’un pays signataire de telle ou telle entente non seulement s’en retirait, mais aussi changeait sa politique de manière aussi drastique.
Dans le cas évoqué, l’affaire s’est terminée par une violation grossière du droit international par Washington.
Question: Certains affirment que les actions américaines constituent un exemple de concurrence déloyale, car les États-Unis veulent pousser l’Iran hors du marché énergétique.
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Réponse: Si l’on compare le volume des exportations iraniennes de pétrole à celui des autres pays producteurs et à la consommation mondiale, on constate qu’il n’est pas assez considérable pour constituer un facteur déterminant. Le fait n’est pas que quelqu’un veuille pousser un concurrent hors du marché, mais que Washington utilise la coercition et l’agression économique pour modifier radicalement la carte régionale et obtenir l’annulation de la présence iranienne dans plusieurs zones.
Les États-Unis pourraient avoir des projets encore plus larges: il s’agit de la politique de pression maximale sur les gouvernements indésirables qui a déjà été réalisée par des administrations différentes et s’est soldée par le chaos au Moyen-Orient.
Nous constatons toujours des conséquences très graves de cette politique américaine dans certains pays. Comme l’histoire n’apprend pratiquement rien à nos collègues de Washington, ils sont toujours certains de leur droit d’imposer leur volonté aux autres États.
Question: Le régime vénézuélien est lui aussi indésirable aux yeux des États-Unis. Cependant, selon des fuites provenant de Washington, la Maison blanche a réduit de manière considérable son soutien au président autoproclamé Juan Guaido.
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Qu’est-ce qui a permis de réduire la pression?
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Réponse: Je ne voudrais pas examiner toutes les crises sous le seul prisme de ce que Washington fait ou ne fait pas.
La focalisation démesurée sur les États-Unis est une erreur, répandue notamment dans les médias russes.
Cela rappelle le modèle physique de Ptolémée, démonté par Nicolas Copernic: ce n’est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre mais c’est la Terre qui se trouve sur l’orbite solaire.
Il existe dans les relations internationales beaucoup de facteurs de force et d’influence, nous constatons une évolution réelle vers la multipolarité. Il est donc incorrect de présenter la situation comme si tous les événements internationaux qui se trouvent sur des orbites différentes tournaient autour d’un seul centre d’attraction, en l’occurrence les États-Unis.
Washington dispose certainement de beaucoup d’outils d’influence sur la situation au Venezuela, mais la politique responsable du gouvernement légitime de Nicolas Maduro, son ouverture au dialogue, les contacts avec l’opposition qui ont été établis et seront visiblement poursuivis, la coopération entre différents acteurs – notamment le groupe international de contact et ses membres – avec d’autres pays tels que la Russie, la Chine ou la Turquie, forment un ensemble qui permet d’espérer que la politique américaine optera pour une approche plus raisonnable et équilibrée du règlement.
Nous avons plusieurs « lignes rouges », que nous avons présentées aux Américains.
Il s’agit notamment de l’inadmissibilité de toute ingérence militaire ou des tentatives d’imposer au peuple vénézuélien un modèle prédéfinissant le résultat des contacts et des échanges politiques.
Je pense que les efforts conjoints que nous menons avec tous les partenaires raisonnables nous permettrons de progresser dans la bonne direction, mais je ne veux pas sous-estimer les risques d’une nouvelle aggravation.
L’expérience du passé nous dit que, dans certaines situations, les États-Unis ne veulent s’arrêter sous aucun prétexte, préférant ignorer les avertissements voire les normes élémentaires, sans parler de leurs engagements internationaux.
Question: L’ancien secrétaire d’État américain Rex Tillerson a indiqué que les États-Unis auraient proposé à la Russie de restituer partiellement sa propriété diplomatique, mais à des conditions inacceptables pour Moscou.
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Si c’est bien le cas, de quelles conditions américaines s’agit-il? Et quelles sont les perspectives de règlement de ces divergences?
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Une des propriétés diplomatiques russes saisie par Washington
Réponse: L’approche américaine ne montre malheureusement aucun signe d’évolution. Nous nous heurtons à un mur épais de refus des arguments évidents, dont le principal est la violation grossière non seulement du principe d’inviolabilité des sites protégés par l’immunité diplomatique, mais aussi du principe fondamental américain d’inviolabilité de la propriété privée – qui est celle d’un autre État en l’occurrence.
A un certain moment, les Américains ont en effet avancé des propositions du type:
« Vous pouvez revenir en ces lieux, mais votre utilisation de cette propriété sera très limitée. Vous devez consentir que des représentants du gouvernement américain puissent y entrer à tout moment pour vérifier ce que vous y faites ».
C’est comme si des personnes ayant commis un raid contre un bureau de tabac disaient à son propriétaire, après en avoir pris possession:
« Tu peux y venir de temps en temps, voire continuer d’y commercer, mais si nous te demandons de sortir, tu le feras sans dire un mot. Quant à ce que nous y ferons ensuite, ce n’est pas ton affaire ».
Cette position témoigne d’une absence totale du sens des réalités et d’une tentative délibérée d’offenser. Nous avons refusé sans aucune émotion. Nous exigeons une restitution inconditionnelle et sans réserve de notre propriété.
En même temps, nous avons répété à plusieurs reprises que si Moscou et Washington trouvaient actuellement la possibilité de progresser vers la normalisation du fonctionnement des missions diplomatiques, cela serait un signal important, qui serait remarqué dans le monde entier. Encore plus important: cela serait le premier pas vers la normalisation, ou au moins vers un certain assainissement, de l’atmosphère de nos relations.
Question: La Russie envoie tous les deux ans aux autorités américaines une demande d’extradition de Konstantin Iarochenko, qui se heurte habituellement à un refus.
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Est-ce que ce citoyen russe pourra quitter avant terme les États-Unis et revenir chez lui?
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une demande d’extradition de Konstantin Iarochenko
Réponse: Il existe une base juridique incontestable pour le transfert de Konstantin Iarochenko, condamné sur la base d’accusations malveillantes et montées de toutes pièces. Il s’agit de la Convention de 1983, signée par les pays membres du Conseil de l’Europe.
Elle est également ouverte aux États tiers. Les États-Unis participent eux aussi à cette Convention sur le transfert des personnes condamnées, qui permet à ces dernières de purger leur peine dans leur pays d’origine.
Nous avons proposé aux Américains d’utiliser cet outil et avons à plusieurs reprises confirmé notre volonté d’examiner la possibilité de transférer plusieurs Américains condamnés en Russie à des peines différentes. Ces détenus existent. Les États-Unis refusent cependant de le faire et maintiennent Konstantin en otage de leur « justice ».
Je ne vais pas citer de noms, mais peu de temps avant la fin du mandat de l’administration précédente, un de ses hauts responsables a tenu des propos très marquants dans une conversation privée. Il a dit tout simplement:
« Konstantin Iarochenko est en prison et il y restera ».
Nous ne pouvons en aucune façon l’accepter, d’autant plus que nous sommes au courant de l’état grave de la santé de Konstantin et de sa situation familiale – il y a eu des événements tragiques. Je le prends à cœur. Nous nous occuperons de cette affaire de manière très active.
Dans ce domaine, beaucoup dépend de la volonté politique de Washington. Les autorités des États-Unis doivent comprendre que la réaction des « androïdes » américains, étrangers à tous les sentiments humains, nous semble surtout grotesque sur le fond des sermons incessants de nos collègues américains concernant la nécessité de défendre partout les droits de l’homme, ou la valeur absolu de la personnalité humaine.
L’hypocrisie américaine dans l’affaire de Konstantin Iarochenko saute aux yeux.
source/ http://www.mid.ru/fr/foreign_policy/news/-/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/3710229
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