La décentralisation des fonds européens, une petite catastrophe à la française
Par Aline Robert | EURACTIV.fr |
La décentralisation de la gestion des fonds européens a entraîné retards de paiement et dysfonctionnements. Le FEADER et le logiciel Osiris sont en première ligne des critiques de la Cour des Comptes.
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La France gère-t-elle bien ses nombreux fonds européens ?
Bien que très concernée, en raison du montant des fonds dont bénéficient ses territoires, la rigueur n’est pas toujours au rendez-vous selon la Cour des comptes française.
Cette dernière vient de rendre un avis cinglant sur le sujet. « L’organisation actuelle ne peut perdurer » selon la Cour qui pointe des coûts de gestion ubuesques et des retards très pénalisants, notamment pour les exploitants agricoles.
L’auditeur français s’est en effet penché sur le transfert aux régions de la gestion des fonds structurels (et d’investissement, sous l’acronyme FESI). Une déconcentration décidée pour des motifs politiques. En arrivant au pouvoir en 2012, François Hollande s’était assuré le soutien de la puissante Association des Régions de France en décidant de cette réforme, qui a contribué à garnir les caisses des collectivités locales.
Mais au lieu d’alléger le poids administratif, la décentralisation semble l’avoir alourdi, en tout cas pour certains fonds.
Le fonds européen de développement régional (Feder) a changé de tutelle sans trop d’anicroches.
En revanche, le Feader, (Fonds européen agricole pour le développement rural) subit des désordres multiples.
Ce dernier obéit à la fois à un cadrage national, qui doit être validé par la Commission européenne, et une déclinaison locale. Et personne ne sait plus qui fait quoi, si bien que les fonds ne sont pas alloués et les retards s’accumulent.
Au total, les Fonds européens structurels et d’Investissement (FESI) pour la période 2014-2020 n’ont été engagés qu’à hauteur de 61 %, soit moins que la moyenne des autres pays européens, même si le décalage n’est pas énorme (65 % en moyenne).
Dominique Antoine, rapporteur à la Cour des comptes
Si le transfert a été mal anticipé, il doit être amélioré, avancent les experts. « On a pas pu tout transférer : le Feder oui, mais le Fonds Social européen (FSE) traduit des compétences partagées entre collectivités locales et l’État », explique Dominique Antoine, rapporteur à la Cour des comptes, qui était auditionné par la commission des affaires européennes, le 22 mai.
Le Feader, nœud inextricable
Il ajoute que « le nœud le plus inextricable, c’est le Feader », pointant des logiques croisées entre le monde de l’agriculture, qui a résisté à la décentralisation, et les collectivités locales qui souhaitent gérer les fonds.
Le rapport s’interroge aussi sur le pilotage financier des régions. L’argent arrive plus vite qu’il n’est dépensé. Les régions ont visiblement une vision assez rock’n roll de la gestion de fonds européens, et certaines n’hésitent pas à utiliser des excès pour rembourser des dettes d’agriculteurs par exemple, en dépit de toute logique. Le parquet de la Cour de comptes a été saisi sur le sujet.
« La France n’est pas en retard dans ses paiements par rapport à la moyenne européenne, nous suivons le rythme moyen des autres États : il n’y a pas eu de dégagement d’office des fonds. Mais il y a une mauvaise pratique : « des réserves de fond sont constituées dans les conseils régionaux », ce qui n’est pas satisfaisant regrette l’auditeur.
Malgré ces déboires, la Cour des comptes ne conseille pas de revenir en arrière. Si les coûts de gestion ont augmenté avec la décentralisation avec notamment une hausse des dépenses globales de personnel, un retour en arrière risquerait d’entraîner des coûts encore supérieurs.
Christine de Mazières. – Photo OLIVIER DION
En revanche, la Cour des comptes propose des pistes de travail différentes pour deux dispositifs : le logiciel Osiris et le Feader «Il y a un outil, Osiris, qui est une vraie catastrophe, et qui n’est pas adapté à la déconcentration » assure Christine de Mazieres, de la Cour des comptes, qui a présenté les conclusions du rapport.
le député Charles de Courson.
La Cour propose de supprimer Osiris et de le remplacer au plus vite. « Osiris, c’est en théorie le dieu de l’agriculture, mais en l’occurrence, c’est le démon de l’agriculture ! » a ironisé le député Charles de Courson.
Le logiciel de paiement a pris très longtemps a être paramétré, laissant des centaines de projets sur le carreau, surtout parce que les régions et l’État ne sont pas parvenus à travailler ensemble correctement sur l’outil informatique.
Quant au Feader, comme la Commission européenne, la Cour des comptes propose que, comme dans 20 des 28 États membres, la France reprenne la totalité de sa gestion. « Le scénario est rejeté par les régions », reconnait-elle. Le dossier devrait en tout cas être tranché par le gouvernement, alors que des milliers de projets attendent encore leur financement. Et il y a urgence : la prochaine programmation pluriannuelle des fonds européens démarre en 2021.
Sans compter qu’à quelques jours des élections européennes, le sujet assombrit inutilement l’image de l’Europe qui dépense pourtant des milliards pour financer les territoires.
« On a une image dramatique du sujet : on dit c’est l’Europe, alors que c’est l’État qui gère très mal les fonds» se désole un député français.
Critique au vitriol de la Cour des comptes sur la PAC à la française
Par : Aline Robert | EURACTIV.fr – 11 janv. 2019
Inégalitaire et source d’effets pervers : la distribution des aides agricoles en France est violemment critiquée par la Cour des comptes dans un référé. La chambre demande à ce que la répartition évolue lors de la nouvelle PAC, ce qui n’est pas à l’ordre du jour.
Si un rapport brise un tabou et provoque le débat, il aura plus de chances d’avoir des conséquences concrètes : c’est le pari de la Cour des comptes française, qui s’est lançé dans une analyse de la répartition des aides découplées de la Politique agricole commune en France.
7,8 milliards distribués en dépit du bon sens
L’essentiel des aides aux agriculteurs en France sont attribuées par ce biais, et portent sur 7,8 milliards d’euros chaque année. Un montant conséquent : il s’agit de plus de la moitié de ce que la France, premier bénéficiaire de fonds européens en valeur absolue, touche de l’UE, soit 14,5 milliards d’euros.
Selon la Cour des comptes, aussi importantes soient-elles, ces aides directes attribuées par le Fonds européen agricole de garantie (Feaga) sont réparties en dépit du bon sens : les plus petites exploitations diversifiées et dont l’empreinte environnementale est faible touchent peu, alors que les grandes exploitations spécialisées en monocultures, dont l’impact sur les ressources et la biodiversité est maximal, raflent la mise.
Le nombre d’agriculteurs au RSA a quadruplé entre 2010 et 2016
Au point que les petits se paupérisent quand les plus gros s’enrichissent : entre 2000 et 2016 le nombre d’agriculteurs au RSA a été multiplié par 4 pour atteindre 33 300 agriculteurs en 2016. Soit 1 agriculteur sur 26.
À l’inverse, certains agriculteurs bénéficient de revenus importants, principalement dans la culture de céréales et d’oléoprotéagineux. « Ces aides directes ont également bénéficié à des exploitations déjà profitables, pour lesquelles elles ont constitué un supplément de revenu. Ainsi entre 2008 à 2015, 716 millions d’euros ont bénéficié à des exploitants dont les revenus individuels dépassaient déjà le niveau du revenu médian des ménages français, soit 1700 euros par mois souligne le rapport.
Ces écarts de revenus sont liés au choix, fait en 2006, d’attribuer des aides en fonction de la production des exploitations entre 2000 et 2002, plutôt qu’en fonction de leur production annuelle. Une situation qui fait que le montant des aides à l’hectare peut varier du simple au double.
Des aides aux machines agricoles et aux pesticides ?
Certains agriculteurs touchent ainsi des aides importantes sans en avoir besoin, quand d’autres en touchent très peu. Les inégalités sont frappantes entre l’élevage et les grandes cultures : les agriculteurs pratiquant l’élevage touchent en moyenne moitié moins d’aides découplées que leurs collègues qui font pousser du blé et du maïs à grand renfort de pesticides.
« La Cour a relevé une corrélation, pour les grandes cultures, entre les aides directes et des investissements excessifs au regard des gains de productivité (notamment en machines), ainsi qu’un accroissement des consommations intermédiaires, notamment d’intrants de synthèse (engrais et pesticides), avec une faible rentabilité marginale », précise le rapport.
La Cour des comptes demande donc au ministère de l’agriculture de remettre à plat cette répartition des aides et d’uniformiser notamment le mondant d’aides à l’hectare pour éviter cet accroissement des inégalités agricoles.
Ce à quoi le gouvernement a répondu avoir commencé à réorganiser la redistribution des aides, depuis 2015. Deux mécanismes, la convergence des aides, ainsi que la redistribution des aides pour les premiers hectares, tentent de lisser le montant des aides par hectare.
Une redistribution en cours, mais très lente
« C’est vrai qu’on peut estimer que la France réorganise la distribution des aides de façon très très progressive », reconnait Aurélie Trouillier, responsable du service « politiques agricoles » aux Chambres d’agriculture, « mais le traité européen précise qu’il ne faut pas introduire de rupture subite dans le versement des aides », avance-t-elle.
Avec comme argument les investissements et autres emprunts éventuellement contractés par des agriculteurs en fonction de leur niveau d’aide, qui pourraient en pâtir.