Une vague provoquée par le typhon Hato surpasse la barrière le long du littoral de Zhuhai
24 mars 2018 – La rédaction – Question Chine
Le 29 novembre 2017, Li Keqiang arrivait à Budapest accueilli par Viktor Orban pour la 6e réunion 16 + 1 entre Pékin et les pays d’Europe Centrale et Orientale que Bruxelles considère comme une stratégie chinoise destinée à diviser l’Europe
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Publié le 1er décembre 2017, « China at the gate »[1], par François Godement et Abigael Vasselier est le 2e rapport de l’European Council on foreign relations sur les relations entre l’UE et la Chine. Le premier rapport publié au printemps 2009 par François Godement et John Fox, était déjà un constat sans concession des vulnérabilités européennes face à la Chine et un appel pour plus de cohésion et plus de pragmatisme dans la politique chinoise de Bruxelles. Lire : Chine Europe. Le vent tourne….à la suite de cet article. |
Le nouveau travail enfonce le clou autour de plusieurs idées maîtresses
- allant du raidissement européen résultat d’une prise de conscience des États membres,
- aux stratégies chinoises articulées à un changement de paradigme reléguant le droit et les possibilités d’arbitrage des conflits à un rang subalterne,
- en passant par l’absence de réciprocité commerciale dans les échanges,
- les risques de captations de technologies
- et une mise en perspective des Investissements Directs étrangers chinois en Europe.
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Il est un fait que Chine donne le sentiment que, développant une stratégie planétaire, perceptible notamment par un mouvement global de prise de contrôle de la gestion de nombreux ports partout dans le monde, est décidée à promouvoir ses propres règles d’arbitrage séparées de la jurisprudence onusienne, dans un contexte où, en même temps, elle exige chez elle des transferts de technologies contraires aux règles du droit de propriété intellectuelle, en échange de l’accès au marché chinois.
Tel est le contexte qui fut à l’origine, d’abord d’une chute notable des investissements européens en Chine entre 2015 et 2016, tombés à 7,7 Mds d’€, ensuite d’une réaction de crispation des autorités de l’UE. |
Crispations européennes.
Sur la photo Cécilia Malmström représentant l’UE pour le Commerce. Après avoir décidé d’imposer des taxes à l’acier chinois importé, elle a rappelé que l’UE continuera à prendre des mesures contre le dumping. L’imposition de 35% de taxes européennes sur l’acier chinois a soulevé la colère de Pékin. Celle-ci s’est cristallisée le 2 juin 2017 à Bruxelles, lors du 19e sommet UE – Chine.
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Le premier point d’orgue du raidissement européen face à Pékin, coïncidant avec le « Brexit », eut lieu le 24 juin 2016, quand la Commission de l’UE et la Haute Représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité adressèrent une note politique conjointe au parlement européen et au Conseil européen (Sommet des Chefs d’États). |
Après une longue partie décrivant les opportunités et les espoirs de la relation Chine – Europe, le texte qui insistait sur la nécessaire solidarité des membres de l’UE à l’international, pointait du doigt l’évolution et la puissance des stratégies extérieures chinoises et affirmait la nécessité pour les pays de l’Union d’agir en « bloc cohérent et avec efficacité » afin, disait le texte, « de promouvoir les intérêts de l’Europe et de ses citoyens ».
Le deuxième épisode des crispations eut lieu le 2 juin 2017 à l’occasion du 19e sommet UE – Chine où Pékin était représenté par Li Keqiang, le premier ministre. |
A cette occasion, ce dernier, placé sous la contrainte de la puissante bureaucratie du ministère du commerce qui l’accompagnait, continua à adopter la position intransigeante de Pékin d’une plainte à l’OMC contre le refus de Bruxelles d’accorder le statut d’économie de marché à la Chine. En représailles, Li Keqiang refusa d’endosser une déclaration commune sur le climat proposée par Bruxelles.
Sur le sujet du « statut d’économie de marché » de la Chine, lire la note de synthèse de Question Chine du 20 novembre 2016.[2]
« Les représailles » qui furent le réflexe de la bureaucratie chinoise à Bruxelles, utilisant souvent l’accès (ou non) à son vaste marché, sont un réflexe récurrent de la Chine. L’objet des ripostes n’est d’ailleurs pas uniquement commercial.
Représailles et mises aux normes.
John Hugh, Australien d’origine chinoise, renvoyé à Sidney après l’atterrissage de son vol à Shanghai le 21 mars 2018, en représailles de ses critiques contre le Parti communiste chinois et de son engagement pour la défense de la démocratie en Chine.
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En 2008, Pékin agacé par les positions françaises sur le Dalai Lama avait déjà annulé un sommet UE – Chine. En 2010, pour protester contre l’attribution à Liu Xiaobo du prix Nobel de la paix, condamné à 11 années de prison pour « incitation à la subversion de l’État » alors qu’il faisait circuler une pétition demandant la fin du parti unique, Pékin décida de suspendre les négociations commerciales en cours avec Oslo « punie » après la décision du Comité Norvégien du prix Nobel, pourtant indépendant du pouvoir politique. |
Au passage, rappelons que, quand il s’agit de la sécurité politique du Parti unique au pouvoir, le régime chinois est intraitable et féroce.
Dans un article paru dans la « Revue des deux Mondes » en mars 2018, Anne Cheng, sinologue, titulaire de la chaire « Histoire intellectuelle de la Chine » au Collège de France écrivait que « Liu Xiaobo était mort presqu’en martyr en 2017 », dans une ambiance politique où, pour le Parti, « il n’existait pas ».
Ajoutons que, pour Pékin, « la faute » de Liu Xiaobo décédé d’un cancer du foie était d’autant plus grave qu’il avait reçu l’appui des États-Unis.
Dernière représaille en date, le 21 mars 2018, Pékin refusait l’entrée en Chine à John Hugh, Australien d’origine chinoise renvoyé à Sidney après l’atterrissage de son vol à Shanghai en riposte à son engagement pour la défense de la démocratie en Chine. |
L’incident faisait suite à la « séquestration » temporaire pendant une semaine en mars 2017 en Chine du professeur Feng Chongyi résident à Sydney, mais toujours titulaire d’un passeport chinois, pour s’être élevé contre l’organisation d’un concert en l’honneur de Mao Zedong qui, dit-il « était pour nombre d’Australiens, le symbole de la dictature, de la violence et de la persécution politique ».
Pour conclure ces réflexions sur la tendance de Pékin aux représailles, y compris pour « corriger une mauvaise manière de penser », en articulant un raisonnement aux arrière-pensées morales, il faut préciser que la reprise des relations avec Oslo en 2016 fut entourée de commentaires chinois exprimant la tendance politique « normative » de la pensée du Parti.
A cette occasion, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères, ignorant toujours que le gouvernement norvégien n’avait rien à voir avec l’attribution ou non du prix Nobel, expliquait que la Norvège avait « sérieusement réfléchi aux raisons pour lesquelles la confiance mutuelle avait été affaiblie et à la manière d’améliorer les relations bilatérales ».
Une stratégie tentaculaire.
La carte présente la localisation des terminaux de conteneurs dont la Chine contrôle une part importante par COSCO (47 terminaux dans 13 pays) et China Merchants (29 ports dans 15 pays.)
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Alors que les investissements directs étrangers chinois restent encore très en deçà du sentiment que donnent les hyperboles diffusées par les médias (200 Mds de $ dans le monde, représentant 11% du total dont seulement 43 Mds ont été dirigés vers l’Europe – à comparer avec les 46 Mds de $ engagés par la Chine dans le seul Pakistan -), la stratégie portuaire chinoise donnant le sentiment d’une manœuvre globale génératrice de craintes, mérite attention. |
A la date de rédaction ce cette note, Pékin a pris le contrôle par des contrats de leasing plus ou moins longs et plus ou moins chers des ports australiens
- de Darwin (Leasing de 99 ans, contre 361 millions de $),
- de Newcastle (99 ans, 1,6 Mds de $),
- alors qu’une négociation politiquement très controversée à Sydney est en cours pour le port de Melbourne avec, à la clé, 7 Mds de $ par le fond d’investissement chinois CIC, lui-même appuyé par un fond australien.
Les autres ports dont la gestion est devenue chinoise ou qui abritent une puissante logistique chinoise installée ou en cours d’installation, se trouvent en Indonésie (Bitung, – dans les Célèbes à l’Est du vaste archipel fermant la mer de Chine du sud où, depuis 2010, les investissements chinois ont été multipliés par 7 à 1,4 Mds de $ – ce qui objectivement est encore peu) ;
- En Malaisie, à Penang (2 Mds de $, par une coentreprise sino-malaise) ;
- au Myanmar où la Chine négocie à Kyauk Pyu (État de Rakhine à l’ouest) un investissement controversé du groupe CITIC à plus ou moins 85% des parts (entre 4 et 6 Mds de $) ;
- à Sri Lanka (ports de Colombo et Hambantota où la Chine avance ses intérêts en dépit de sérieuses réactions adverses – 1 Mds de $ contre un leasing de 99 ans à Hambantota) ;
A Djibouti où Pékin construit une base militaire, en face du port pakistanais de Gwadar, terminal du « Corridor pakistanais » où Pékin investit 46 Mds de $, point d’entrée d’un gazoduc et d’un oléoduc vers le Xinjiang, en passe de devenir une base militaire.
En Afrique de l’Est (Kenya, Tanzanie) ; en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Benin) ; en Égypte (Port Saïd) ; en Israël (3 Mds de $ pour les ports de Ashdod et Haïfa).
A cette liste s’ajoutent des ports en cours de négociation plus ou moins abouties ou déjà conclues en Europe du nord (Islande, Norvège, Arkhangelsk, Pays Baltes) |
En Bulgarie (Burgas) et en Grèce (Port du Pirée, où COSCO détient 67% du capital pour la gestion de 3 terminaux, stimulant appréciable de l’économie grecque, pourvoyeur de 1000 emplois avec cependant des conditions de travail et de salaires contestables ) ; à Algésiras, Valence et Bilbao en Espagne ; à Zeebrugge en Belgique, ce dernier étant aujourd’hui contrôlé à 100 % par COSCO.
En revanche des difficultés sont apparues au Havre où la ville est en conflit avec un investisseur chinois d’Aubervilliers n’ayant pas tenu ses promesses et à Rotterdam où le gouvernement des Pays Bas a stoppé les négociations avec COSCO.
Il est important de noter que, plus que de la valeur totale des investissements, somme toutes raisonnables, la crainte des observateurs se nourrit surtout de la puissance du réseau global ainsi créé. Cette angoisse d’une stratégie tentaculaire s’ajoute à celle véhiculée par l’affirmation chinoise de « spécificités » articulées non pas au droit mais à la culture et à l’histoire prenant le contrepied de l’organisation du monde appuyée depuis 1945 sur le droit international. |
Notons au passage que l’annexion par Vladimir Poutine de la Crimée en 2014 légitimée et rendue « imparable » par un vote local, prenait également le contrepied du droit international au nom de l’histoire et de la culture. |
Captations de technologies.
Avec l’apport du fond d’investissement de Trieste (7%) qui s’ajoute au 48% de Fincatieri, l’Italie a pris le contrôle de STX avec 55% du capital. Grâce à l’alliance entre Feretti devenu chinois en 2012, la Chine a mis un pied dans la construction navale française qui fabrique les porte-avions.
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A côté de l’affaiblissent des règles du droit au profit d’une affirmation identitaire historique et culturelle, à laquelle s’ajoute l’asymétrie des rapports commerciaux créée par l’existence en Chine de 11 secteurs protégés inaccessibles aux investissements étrangers, le dernier point du rapport méritant attention, est l’opiniâtreté avec laquelle la Chine s’efforce par tous les moyens de capter les technologies nécessaires à sa modernisation. |
A cet égard, François Godement et Abigaël Vasselier citent l’exemple des chantiers navals STX, cible de l’Italien Fincantieri largement médiatisé en 2017 au cœur des intérêts stratégiques français.
Après avoir, en 2012, racheté 75% du capital du constructeur naval italien Ferreti (Yachts de luxe et vedettes militaires rapides) au bord de la faillite, Shandong Heavy Industry Group a créé au sein de Ferreti une division navale militaire. 5 ans plus tard, China Shipbuilding corporation, un des flambeaux nationaux de la construction navale chinoise concluait un accord avec Fincantieri pour construire à Shanghai des bateaux de croisière civils géants, avec à la clé des transferts de technologies.
La manœuvre chinoise coïncida avec une première tentative avortée de Fincantieri de prendre le contrôle des chantiers navals français STX, n°1 mondial des bateaux de croisière et constructeur du porte-avions français.
Simultanément, Fincantieri signait avec Ferreti, devenu chinois, un accord pour construire des navires de combat, matérialisant ainsi un marchandage qui transférait à la Chine des technologies de constructions navales militaires en échange d’une part sur le marché chinois des navires de croisière.
La suite concerne directement les intérêts français.
Adoptant une stratégie d’approche oblique à la chinoise, Fincantieri a reformulé son offre pour STX, réduisant ses prétentions à seulement 48% des parts.
Mais l’offre était complétée par celle d’une fondation italienne – Fundazione Trieste – offrant de reprendre 7% des parts de STX – ce qui, au total, permet à la partie italienne de contrôler 55% du capital de STX et donc à la Chine d’avoir un point d’entrée vers la construction des porte-avions français par le truchement des accords entre Fincantierri et Ferreti et la promesse française de coopérer avec Fincantieri sur les technologies militaires navales maîtrisées par la Direction des Constructions Navales.
Cet épisode de la captation de technologies sensibles par la Chine n’est pas une première.
2011 fut en effet l’année de la rupture entre la Chine et l’Agence spatiale européenne qui accusait Pékin d’utiliser les travaux pour le système de position Galileo pour développer son propre système : dans une note rédigée en avril 2009, le Dr Casarini, chercheur associé à l’Institut Marie Curie du Centre de recherches avancées de l’Institut Robert Schumann de Florence, écrivait : « Grâce à sa coopération au projet Galileo la Chine développe son propre système de positionnement ». Question Chine avait analysé cet épisode en 2011[3].
LIENS
- http://www.ecfr.eu/publications/summary/china_eu_power_audit7242
- https://www.questionchine.net/la-chine-l-europe-l-allemagne-et-la-france?artpage=3-3
- https://www.questionchine.net/l-espace-lieu-de-toutes-les-mefiances?artpage=5-5
SOURCE/ https://www.questionchine.net/les-vents-contraires-de-la-relation-chine-europe?artpage=2-2
Chine Europe. Le vent tourne
Après avoir longtemps cru qu’elle pourrait utiliser ses rapports très denses avec l’UE pour faire contrepoids aux États-Unis, la Chine s’est avisée, comme beaucoup d’Européens, que l’Union ne serait peut-être jamais une vraie puissance, au sens où elle l’entendait, dotée d’une influence non seulement économique, mais également militaire et stratégique. L’arrivée au pouvoir de l’administration Obama, qui a permis de resserrer les liens ou, à tout le moins, d’apaiser le ton des controverses entre Pékin et Washington et mis sous le boisseau quelques reproches américains récurrents, a diminué l’urgence d’une manœuvre de revers de Pékin, et renvoyé la coopération stratégique avec l’EU à l’arrière plan des préoccupations chinoises.
Décidément, aux yeux du Bureau Politique, l’UE ne pouvait pas être un atout. Elle ne serait pas non plus une menace.
Tout au plus pouvait-elle être considérée comme un conglomérat assez hétéroclite et facilement manipulable de pays concurrents sur le marché chinois, rarement capables d’une position commune, inaptes à faire pression, et animés d’un indéfectible et sincère désir de coopération. Tout cela en dépit de lourdes différences culturelles et politiques et d’incessants litiges, dont le piratage de technologies sensibles, un important déficit commercial et d’interminables controverses sur l’ouverture incomplète ou biaisée du marché chinois. Sans parler des rivalités stratégiques qui surgissent ici et là, à propos du Moyen Orient, de l’Afrique ou de l’Iran.
La nouvelle assurance de la Chine, résultat de ses succès sur la scène mondiale et des relations apaisées avec les États-Unis s’est conjuguée avec la prise de conscience des faiblesses stratégiques européennes, quand à l’automne 2008, Pékin a réagi avec une violence très peu diplomatique aux controverses sur la question tibétaine après les émeutes de Lhassa en mars 2008. A l’époque, indiquant au passage le peu de cas qu’elle faisait de l’UE et la priorité absolue qu’elle accordait au respect de sa souveraineté et à l’unité de son territoire, sujets de nervosités récurrentes, elle avait purement et simplement annulé le sommet annuel entre la Chine et l’UE, quelques jours seulement avant la date prévue. |
La Chine est, malgré la persistance et l’acuité de ses problèmes politiques et sociaux internes, devenue une puissance majeure. La crise financière, puis économique mondiale, en affaiblissant l’icône américaine, a aussi rehaussé son statut de puissance économique et son influence dans le monde. Dans un contexte, où il est juste de dire que les stratégies de Pékin ne sont plus tout à fait sans risques pour les intérêts des pays membres de l’UE, certains responsables politiques se demandent si l’Union sera capable de se mettre en ordre de marche cohérente pour adopter une politique chinoise coordonnée et efficace, apte à protéger ses intérêts et ceux de ses États membres.
C’est en tous cas à ce travail d’analyse et de persuasion des pouvoirs politiques européens que s’est attelé le « European Council on Foreign Relations » premier « Think Tank » pan européen, créé en 2007, avec la mission de « promouvoir des débats en Europe sur la définition d’une politique étrangère commune, basée sur les valeurs fondamentales de l’Union ». L’étude – « A power audit of EU – China relations » – signée de John Fox et François Godement, deux éminents spécialistes de la Chine, qui circule dans les chancelleries depuis le printemps dernier, est un constat sans concession des vulnérabilités européennes en Chine et un appel pressant à plus de cohésion et plus de pragmatisme dans la politique chinoise de Bruxelles.
Long d’une centaine de pages, le texte passe en revue les principales lacunes de l’engagement de l’UE en Chine. La liste commence par les innombrables difficultés d’une politique commune, à laquelle les principaux États préfèrent les liens bilatéraux plus faciles à établir, sinon plus rentables, (actuellement la Chine a ouvert 6 dialogues sur les questions d’environnement avec des pays de l’UE qui agissent sans concertation les uns avec les autres). L’état des lieux assez catastrophique, continue avec l’insistance de Bruxelles pour faire adhérer la Chine aux « valeurs communes » de peu d’intérêt pour Pékin, mais très consommatrices en temps et énergie. Sans oublier le poids des bureaucraties et l’absence chronique de concertation entre États membres. |
Surtout, l’étude stigmatise le manque de clairvoyance des Européens, dont beaucoup continuent à percevoir la Chine comme un pays émergent, qu’il convient d’aider à intégrer la communauté internationale, au prix d’importantes concessions, notamment sur les transferts de technologie. Elle condamne le manque de fermeté qui conduit à ne jamais exiger (ou presque) une réciprocité chinoise aux avantages consentis par certains pays membres, et dénonce clairement la responsabilité de Paris, Londres et Berlin, tous trois préoccupés avant tout de se tailler une position privilégiée en Chine, au détriment des autres.
Face à cette cacophonie européenne, Pékin a beau jeu de pousser ses avantages. Avec habilité et pragmatisme, elle tire profit des accords OMC pour protéger les fleurons de son économie et ses banques contre la concurrence venue d’Europe, ferme le marché des travaux publics aux entreprises de l’UE, détourne sans état d’âme le dialogue sur les droits de l’homme vers des voies de garage et ne cesse de se tailler des parts de marché en Europe dans des secteurs de plus en plus sophistiqués, au détriment des entreprises européennes. Dans le même temps, sachant le parti qu’elle tire des rivalités européennes, elle calibre ses visites d’investissements en Europe, téléguidées par le pouvoir, pour en faire une arme politique destinée à diviser les pays membres, « récompensant » les bon élèves par des contrats, et sanctionnant les plus rétifs, en les snobant. |
Pour les auteurs de l’étude, il est urgent que les États de l’Union se mettent en ordre de marche et fassent preuve de plus de solidarité et de cohérence.
La tâche ne sera pas simple car les stratégies nationales sont disparates. Le document les divise en effet en quatre groupes :
- les pays industrialisés « rétifs », peu sensibles aux séductions chinoises (Pologne, RFA, République Tchèque) ;
- les adeptes inconditionnels du marché libre (GB, Pays Bas, Danemark, Suède) ;
- les suiveurs, fidèles aux stratégies européennes (Pays Baltes, Belgique, Autriche, Luxembourg, Irlande) ;
- les pays mercantiles, séduits par les tactiques chinoises (Europe de l’Est sauf Pologne, Europe du Sud, France).
A noter que l’Allemagne d’Angela Merkel a, depuis l’accession au pouvoir de la « Dame de l’Est » rejoint le groupe des pays « rétifs », venant du groupe des mercantiles, où elle se trouvait du temps de G.Schröder, en compagnie de la France de Jacques Chirac. Cette dernière est actuellement positionnée entre le groupe des mercantiles et celui des « rétifs », en pleine migration, commencée après les échauffourées franco-chinoises en 2008.
La cohérence intra européenne et le pragmatisme prônés par l’étude visent à rééquilibrer les stratégies chinoises des États membres et de l’UE, non seulement dans les relations politiques et économiques directes (coopérations sensibles comprises), mais également sur des sujets d’importance globale, comme le développement et la bonne gouvernance en Afrique, la prolifération nucléaire, le réchauffement climatique, les institutions financières mondiales, la réforme du Conseil de Sécurité. Autant de questions stratégiques à propos desquelles Bruxelles doit faire entendre sa voix, si possible en coopération avec Pékin et Washington. |
La dernière partie de l’étude égrène de nombreuses recommandations, dont on retiendra d’abord l’exigence de réciprocité dans les échanges, non seulement économiques et commerciaux, mais également sur les questions stratégiques.
Qu’il s’agisse de commerce, d’obstacles non tarifaires, de lutte contre le dumping, de respect des droits de propriété, ou de questions globales, comme celle des relations avec l’Afrique – où les échanges chinois augmentent trois fois plus rapidement que ceux de l’Europe -, des rapports avec les États parias, de la prolifération nucléaire en Iran ou en Corée du Nord, ou encore de la sécurité des lignes de communication maritimes, la stratégie proposée repose toujours sur un échange de bons procédés, volet pratique de la réciprocité. A l’occasion, les auteurs suggèrent de rechercher les moyens de faire pression.
Dans les faits rien n’a encore changé. Les pays européens avancent toujours en Chine en ordre dispersé, sans concertation stratégique, comme s’il leur importait d’abord d’y défendre leurs intérêts nationaux et d’établir des liens de confiance privilégiés avec le système politique chinois.
Mais les perspectives tracées par l’étude proposent de modifier radicalement l’approche européenne de la Chine en tournant le dos aux anciennes politiques mal coordonnées des États membres. L’avenir dira si ces derniers auront assez de lucidité et Bruxelles assez de capacité de persuasion pour, qu’à l’avenir, la voix de l’Union pèse plus lourd et que ses intérêts et ceux des États membres, soient mieux protégés. Ce virage de la politique européenne vers plus de pragmatisme et plus de cohérence pourrait être le premier test des nouvelles institutions politiques de l’UE. |
[…] 2654 – Les vents contraires de la relation Chine – Europe 30 mars 2018 […]
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