Par où commencer?
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Par la politique étrangère allemande rouge-jaune-verte [la coalition genre «feu tricolore»] qui se veut très moralisatrice («basée sur des valeurs«) mais qui, en réalité, enfreint de nombreuses lois éthiques?
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Par la classe politique, qui joue les donneuses de leçons envers les représentants d’autres pays (ceci non pas pas seulement ciblant de lointaines contrées, comme le Brésil ou la Chine, mais également envers ses voisins européens, y compris les plus proches, comme par exemple la Suisse – tandis qu’il persévère dans son attitude indocile refusant obstinément de revenir sur ses concepts illusionnistes ?
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Par une interview très instructive en provenance des colonnes du «Bild am Sonntag» (du 23 avril), qui montre une fois de plus qu’à l’Est du pays, on voit les choses tout autrement (de manière plus réaliste?!) que dans ses contrées occidentales?
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Par la référence à des livres susceptibles de stimuler la réflexion personnelle?
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Ou en concluant que l’Allemagne se trouve dans une sorte d’état exceptionnel, et pas seulement depuis le 24 février 2022 – mais de manière progressive – depuis qu’elle s’est constituée en état indépendant dans le contexte du XIXe siècle?
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Si bien que les bonnes intentions et les tentatives pratiques, y compris sur le plan constitutionnel, depuis la fin du XVIIIe siècle, de créer une Allemagne libérale, basée sur l’Etat de droit, sociale et démocratique, une Allemagne rationnelle, consciente de son humanité et de son histoire, et qui s’intègre sur un pied d’égalité dans la communauté internationale, n’ont pas été durablement couronnées de succès?
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Et qu’il nous faut – à tous ceux qui aiment l’Allemagne malgré tout – reprendre une très longue respiration et faire le point?
Une interview dans «Bild am Sonntag»
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Qu’avait-il donc de spécial dans les colonnes de «Bild am Sonntag», dans son édition du 23 avril?
Une interview pleine de bon sens.
Elle a mis au début la question chaude, posée sans ambage à la personne interviewée: «Les nouveaux chauffages [en Allemagne] devront fonctionner à partir de 2024 avec au moins 65% d’énergies renouvelables. Que pensez-vous de cette nouvelle loi?»
Réponse (entre autres): «Cette loi a été faite de bric et de broc et n’importe comment. Un tas d’éléments sont incompatibles ou impossibles à mettre en œuvre rapidement. Le gouvernement ‹feu tricolore› est en train de mettre en danger la prospérité de millions de personnes en Allemagne. […] Les gens ne pourront pas, pour la plupart, payer le coût de la transformation de leur maison ou de leur appartement selon les nouvelles normes». Selon cette même source, le grand tournant énergétique sera en conséquence «inabordable pour le gros des citoyens» ce qui pourrait générer un rejet de cette politique par «une grande partie de la population. Les gens s’en détourneront parce qu’on leur aura fait peur».
Autre question, pas moins directe: «Vous n’exagérez pas un peu?». Réponse: «Pas du tout. A nos yeux, le gouvernement ‹feu tricolore› perd toute crédibilité alors que sa mission consisterait d’œuvrer énergiquement en faveur de l’équilibre entre l’économie, l’écologie et le social. […] Tout au contraire, les projets de ce gouvernement conduisent à la désindustrialisation et par conséquent à une révolte de la population». Toujours selon la même source, la politique des Verts est une «aberration écologique».
Retour à «l’économie de planification centraliste» et à «l’éducation populaire»?
On rappelle à la personne interviewée les bons résultats électoraux des Verts. Réponse: «Pas en Allemagne de l’Est. Les Verts ont perdu la confiance fondamentale de la population. […] L’économie est étranglée, de très nombreuses entreprises ont reporté leurs projets d’investissement. Cela mènera à des délocalisations massives hors d’Allemagne. Nous scions la branche sur laquelle repose la prospérité de notre pays.»
Toujours selon l’interviewé, le gouvernement rouge-jaune-vert poursuit «une approche d’économie qui fait penser à la planification centrale et d’éducation populaire de mauvaise mémoire» et ne recherche «aucun consensus social». Pourtant, la mission d’un gouvernement démocratique n’est pas de promouvoir les scissions – tout au contraire, c’est «maintenir la cohésion du pays et é viter de créer des divisions».
Absence totale de diplomatie
Quant à la guerre en Ukraine, l’interviewé se voit interpellé sur les pronostics de sa durée. Croit-il qu’on en verra la fin cette année?
La réponse ne pourrait en être plus limpide: «Cela dépend aussi de l’engagement de l’Allemagne et de l’Europe en faveur de solutions diplomatiques. […] Pour la Ministre des Affaires étrangères, l’heure n’est pas aux négociations de paix, mais à la livraison d’armes. C’est une attitude qui perturbe de nombreux citoyens allemands – et moi aussi. La diplomatie a comme tâche primordiale la résolution des conflits. Je trouve que l’Allemagne a tort d’avoir abandonné cette position. Et le nombre des Allemands partageant ce point de vue augmente de jour en jour». [mises en relief textuelles par km.]
Michael Kretschmer
Mais enfin, qui est donc la personne interviewée? Il ne s’agit pas d’un habitué des manifestations de Pegida* en Allemagne de l’Est, mais du Ministre-président de l’État libre de Saxe, Michael Kretschmer.
Sinistre rappel à la direction du SED**
Si même la moitié seule des propos de ce ministre-président est-allemand seraient fondés, ce serait une raison suffisante pour un gouvernement tant soit peu scrupuleux de se remettre en question, de corriger le tir. Mais face au gouvernement actuel, il n’en est pas question. Cette attitude rigide rappelle, à de nombreux Allemands de l’Est (et on peut les comprendre), la phase finale de la politique de la RDA avec son manque flagrant d’intelligence de la situation dont faisaient défaut les dirigeants du SED de l’époque.
le Chancelier allemand Olaf Scholz
Le 18 avril, le Chancelier allemand Olaf Scholz a tenté de récupérer le président de la Confédération suisse, Alain Berset. Lors de la conférence de presse commune, il a certes commencé par dire «Cher Alain, bienvenue à Berlin» suivi de la formule que « l’Allemagne et la Suisse ne sont pas seulement de très bons voisins et amis. Nos pays sont très étroitement liés l’un à l’autre […]».
Le chancelier Scholz demande le ralliement de la Suisse
le président de la Confédération suisse Alain Berset
Mais ensuite le discours a déraillé un peu. Scholz de continuer en ces termes: «Notre lien se reflète aussi dans la proximité de notre concertation politique. Nous partageons de nombreuses valeurs et positions communes. Nous défendons la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’homme et l’ordre international fondé sur des règles [!], et cela dans le monde entier. S’engager ensemble pour ces valeurs est devenu encore plus important depuis le 24 février 2022, date de l’attaque russe contre l’Ukraine. Par sa brutalité, la Russie ne menace pas seulement l’Ukraine, mais l’ensemble de l’ensemble du dispositif sécuritaire européen.»
On ne pouvait en effet pas s’attendre à ce que le chancelier allemand ait entre-temps appris que ce discours ne correspondait pas à la réalité.
Peut-être aurait-il dû auparavant lire le livre récemment paru de Hannes Hofbauer et Stefan Kraft intitulé «Kriegsfolgen. Wie der Kampf um die Ukraine die Welt verändert» (Dommages de guerre. Comment le conflit ukrainien transforme le monde, ISBN 978-3-85371-511-6) et de le prendre au sérieux [voir l’encadré]. Il serait peut-être alors parvenu à d’autres conclusions.
Toujours d’actualité: les livraisons d’armes
Mais le chancelier Scholz avait autre chose en tête. Faisant référence à son discours sur le «Tournant de l’époque» il s’est adressé frontalement à son invité suisse: Le «Tournant de l’époque exige beaucoup de nous. L’Allemagne a dû se défaire d’années de certitudes en livrant désormais des armes dans une zone de conflits pour que l’Ukraine puisse se défendre contre l’agression russe. […] Cette guerre au sein de l’Europe nous force tous à revenir de manière critique sur notre conception de nous-mêmes ainsi qu’à nous montrer prêts à prendre parfois des décisions inconfortables mais justes». [mises en relief de l’auteur]
C’est pourquoi «il est certes de bon augure que la Suisse soutienne les sanctions [contraires au droit international!] de l’UE contre la Russie». Mais cela ne suffit pas. L’Allemagne elle-même est fermement décidée, confirma son chancelier, à «soutenir l’Ukraine, y compris par les armes, aussi longtemps qu’il le faudra». A cet égard, «tout soutien de la part de nos amis, qu’il soit direct ou indirect, sera toujours le bienvenu». Et d’ajouter: «Honnêtement, nous comptons également beaucoup là-dessus».
Certes, on n’en est pas encore à menacer la Suisse du mot grossier d’antan «de lui envoyer la cavalerie», mais les intentions sortaient tout de même de manière claire.
Et le point de vue suisse dans les médias, où est-il?
l’ex-ambassadeur de Suisse en Allemagne –Tim Guldimann
Le plus curieux dans tout cela, c’est l’absence totale de critiques à l’encontre des pressions allemandes exercées sur la Suisse, non seulement en Allemagne, mais également dans la quasi-totalité des médias suisses. Bien au contraire: Le journal télévisé de la SRF du 18 avril a permis à l’ex-ambassadeur de Suisse en Allemagne, Tim Guldimann, d’en remettre une couche: la politique de neutralité menée jusqu’à présent par la Suisse ne serait plus adaptée à notre époque et devrait être réexaminée.
Côté RTF [chaîne médiatique officielle suisse subventionnée en vue d’une information é quitable! ndt.] a commenté l’événement le même jour (18 avril), pratiquement en porte-parole du gouvernement allemand, en disant entre autres: «La bienveillance du gouvernement allemand à l’égard de Berne a déjà souffert de l’échec de l’accord-cadre entre la Suisse et l’UE. A Berlin, la porte est encore ouverte aux requêtes suisses, mais non plus aussi largement que par le passé. Si Berne ne trouve pas le moyen de mieux s’expliquer, cela pourrait mettre rudement à l’épreuve l’attachement traditionnel de Berlin à son voisin du Sud.»
Et «Blick» de ce même 18 avril à surenchérir la nécessité de l’attachement suisse aux attentes extérieures de la sorte: «L’attitude de la Suisse dans la guerre en Ukraine pèse sur les relations avec l’Allemagne, au point que le voisin du nord commence à s’impatienter sérieusement, notamment en ce qui concerne les livraisons d’armes».
Quant au gros titre de l’éditorial de la «Neue Zürcher Zeitung» du 19 avril, il martela: «Scholz ménage Berset dans ses critiques». L’article reprenait néanmoins les sévères critiques de divers politiciens allemands à l’encontre de la Suisse.
Le 20 avril, l’hebdomadaire «Die Weltwoche» enfonçait le clou en ces termes: «Dans sa couverture de la visite de Berset chez Scholz, la NZZ a soigneusement éliminé la moindre trace de soupçon qu’il puisse é galement exister un point de vue suisse.» •
* Pegida ou PEGIDA, acronyme pour «Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes» (Européens patriotiques contre l’islamisation de l’Occident ), mouvement politique dont le siège est à Dresde.** SED, «Sozialistische Einheitspartei Deutschlands», parti communiste au pouvoir en RDA (République Démocratique Allemande) de 1949 à 1990 |
Populisme et paix«Comme ce bref résumé des discours de Zelensky le montre, il présente l’histoire complexe du conflit russo-ukrainien comme une simple histoire d’Armageddon, c’est-à-dire: la bataille finale entre les forces de la lumière et les forces des ténèbres. Ce qui rend ce cadre de référence mythique extrêmement problématique face à la guerre russo-ukrainienne, c’est qu’il ne tient pas compte de tous les facteurs importants devant être pris en considération si des pourparlers sont entamés dans une attitude honnête, ce qui veut dire qu’il faut y intégrer le coup d’Etat sur le Maïdan, le soulèvement dans le Donbass, les accords de Minsk et leurs suivis. Lorsque tous ces faits sont pris en considération, le tableau du conflit apparaît du coup dans un contexte beaucoup plus complexe. C’est précisément la reconnaissance de cette complexité accrue qui invite à des visions alternatives pour arriver à une solution pacifique. Ces visions méritent d’être accueillies et non pas réprimées.Il est difficile de trouver une solution pacifique sans se montrer ouvert à la complexité de l‘argumentation respectant la raison intellectuelle qui fait défaut au populisme. La restauration d’une approche raisonnée est toute autre chose que la restauration de l‘empire russe, comme le populisme voudrait nous faire croire. Zelensky donne de la catastrophe actuelle une image unidimensionnelle et mythique. Elle n‘a donc peu de potentiel, ou manque plutôt entièrement le potentiel d‘instaurer la paix. En traçant des lignes de démarcation fixes entre les parties en conflit, sa représentation simplifiée exclut toute possibilité de créer d’un espace symbolique nécessaire à la communication. Pour construire la paix, il faut restaurer cet espace symbolique – c‘est une condition nécessaire à la négociation des différences et à la recherche de compromis. Abandonner le mythe de l‘Armageddon est donc une obligation, car il n‘inclut aucune solutions du domaine politique, tout contrairement, pour ce mythe il s‘agit de se battre jusqu‘au bout. Les jugements simplistes se révèlent ainsi être littéralement mortels. L‘humanité doit en prendre conscience, même d’urgence pour qu‘il ne soit pas trop tard.»tiré de: Olga Baysha. Selenskis autoritärer Populismus: Vom Frieden zum Krieg; ds.: Hannes Hofbauer/Stefan Kraft (Hg.). Kriegsfolgen. Wie der Kampf um die Ukraine die Welt verändert. ProMedia Vienne 2023; p. 111-121; ISBN 978-3-85371-511-6Olga Baysha, née de famille ukrainienne à Kharkiv en 1966, est Professeur spécialisée en matières de médias et de communication publique à la Higher School of Economics de Moscou. Avant ses études, elle a travaillé comme rédactrice à la télévision ukrainienne (1991–2008)(Traduction Horizons et débats). |
https://www.zeit-fragen.ch/fr/archives/2023/nr-9/10-2-mai-2023/deutschland-im-ausnahmezustand