1/La Belgique porte plainte contre la France au sujet du parc éolien marin de Dunkerque
2/Projets d’énergies renouvelables, les débats publics ne servent à rien et sont même nuisibles
La Belgique porte plainte contre la France au sujet du parc éolien marin de Dunkerque
27 avril 2022 – La Rédaction
La Belgique s’est résolue à porter plainte contre la France. Bruxelles reproche à Paris de ne pas vouloir entendre parler de ses craintes concernant la sécurité aérienne et maritime du fait de l’emplacement jugé problématique du parc éolien marin qui devrait voir le jour au large de Dunkerque, à la limite des eaux territoriales belges.
On ne peut pas dire que les projets français de parcs éoliens marins cumulent les succès.Non seulement, la France est très en retard par rapport à ses voisins européens dans ce domaine, mais de nombreux projets se heurtent à de fortes oppositions locales quand ils ne sont pas en plus mal conçus sur le plan technique. Ainsi, Ailes marines, filiale du groupe espagnol Iberdrola qui mène le projet controversé de la baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), a accumulé les échecs techniques faute d’avoir suffisamment étudié les fonds marins où elle veut installer ses plateformes. Sans parler de mensonges éhontés annonçant par exemple que les 62 éoliennes géantes produiraient l’équivalent de la consommation de 835.000 habitants sur les 3,34 millions que compte la Bretagne. Il y a juste un oubli: l’intermittence desdites éoliennes…
Opposition locale et opposition du gouvernement belge
Mais le revers le plus spectaculaire vient aujourd’hui de Dunkerque. La Belgique a annoncé le 26 avril avoir décidé de porter plainte auprès de la Commission européenne contre le projet de parc éolien situé à la limite de ses eaux territoriales. Le pays reproche à la France de ne pas accordé la moindre attention à ses arguments sur les problèmes posés par l’emplacement du parc.
En juin 2019, le groupement EDF renouvelables, Innogy et Enbridge, ont remporté un appel d’offre pour la construction et l’exploitation d’un parc d’environ 50 km2 situé à une dizaine de kilomètres des côtes en bordure des eaux territoriales belges. Il devrait être constitué de 46 éoliennes, hautes de 225 à 300 mètres, pour 600 MW de capacité. Sa mise en service est prévue en 2027 et son exploitation doit durer 30 ans.
Plusieurs collectifs et associations, dont la Ligue de protection des oiseaux et «Vent debout» s’opposent au projet. La France Insoumise, le Modem, le Mouvement des Citoyens , le Nouveau centre, les Républicains, l’Union des Centristes et des Ecologistes ont réclamé pendant des mois, en vain, l’organisation d’un référendum sur le projet, estimant que la transition énergétique ne peut se faire «contre» les citoyens. La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili n’a rien voulu entendre. Pas plus d’ailleurs les oppositions locales que les demandes du gouvernement belge.
Si ce dernier s’oppose à la construction, c’est que selon lui le terrain se situe «dans l’espace aérien contrôlé par la Belgique». La présence d’éoliennes d’une telle taille est jugée «préoccupante» pour la sécurité du trafic au départ et à destination de la base militaire de Coxyde. De même la Belgique s’inquiète d’un éventuel «blocage des routes maritimes historiques entre le Royaume-Uni et le port d’Ostende». Le projet risquerait enfin de compliquer «d’éventuelles opérations de sauvetage» dans cette zone.
Passage en force
Le ministère belge avait proposé en juin 2021 de déplacer le parc de 5 km plus au large, ce qui «pourrait résoudre presque toutes les objections formulées par la Belgique». Face au refus français, l’État belge, la région de Flandre et la commune de La Panne ont déposé chacun une requête devant le tribunal administratif de Lille pour obtenir l’annulation du projet.
Une opération de médiation a par la suite été menée par la Commission européenne mais elle n’a rien donné a indiqué le ministre belge Vincent Van Quickenborne.
«Au cours de ce processus, nous avons constaté qu’il n’y avait pas suffisamment de volonté du côté français pour prendre en compte les droits des habitants du littoral belge, du port d’Ostende et des autres parties prenantes.» Il a ajouté que la plainte «est nécessaire pour sauvegarder nos droits (…) C’est bien dommage que la France ne veuille pas répondre à la main tendue du côté belge».
Une fois saisie, la Commission doit rendre un avis motivé dans les trois mois après avoir entendu les arguments des deux États membres. Le cas échéant elle pourra également saisir la Cour européenne de justice. Le parc éolien marin de Dunkerque ne semble pas prêt de commencer à produire de l’électricité…
Et pourtant, sans éolien marin, le gouvernement n’atteindra jamais les objectifs qu’il s’est lui-même fixé de production d’électricité renouvelable. «L’éolien offshore est vital» dans une «logique de décarbonation», une «énergie très compétitive», «incontournable pour atteindre l’objectif de 40% d’énergie renouvelable dans notre mix électrique en 2030», n’a cessé d’affirmer Barbara Pompili. Des propos parfois assez éloignés de la réalité. Puisque cette énergie «très compétitive» coûte plus de 150 euros le mégawatt heure…
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Projets d’énergies renouvelables – les débats publics ne servent à rien et sont même nuisibles
20 avril 2022 – La Rédaction
Les oppositions locales aux projets d’énergies renouvelables, parcs éoliens, méthaniseurs, centrales solaires, se sont multipliées au cours des dernières années et sont devenues de plus en plus virulentes. L’organisation de débats publics factices, pour réduire les oppositions et officiellement pour tenter de confronter les points de vue, n’a aucun impact et s’avère même contre-productive. Ils radicalisent les points de vue pour la bonne raison qu’ils n’ont aucun effet sur les décisions.
Au sud de Bordeaux, un grand projet d’énergie renouvelable baptisé «Horizeo» a été récemment débattu, à la suite d’une saisine de droit de la Commission nationale du débat public (CNDP). Porté par un consortium comprenant les sociétés Engie, NeoEN, RTE et la Banque des Territoires, il s’articule autour d’un parc de panneaux photovoltaïques d’une puissance installée d’environ 1 gigawatt, auquel sont associées plusieurs «briques technologiques» (notamment un centre de données numériques, des batteries de stockage d’électricité et un électrolyseur produisant de l’hydrogène).
Localisés à Saucats en Gironde, sur une propriété pour le moment utilisée en sylviculture industrielle, les 1.000 ha de panneaux solaires prévus en feraient l’un des plus grands parcs d’Europe, s’inscrivant dans une tendance générale à l’accroissement de la taille des projets de photovoltaïque au sol.
Compte tenu de la taille et du coût du projet, en effet, le maître d’œuvre était tenu de déposer un dossier de saisine à la CNDP qui a décidé de mettre en place une Commission particulière du débat public. Ce débat, qui s’est donc tenu et devrait informer une décision étatique au cours des mois à venir, a mis en lumière un ensemble d’enjeux, à la fois pour la filière concernée mais aussi sur la place de telles discussions publiques dans la prise de décision française en matière de transition énergétique.
Un mode de débat bien particulier
Sur le papier, la démarche, fondée sur l’accueil de tous les publics dans divers formats, le partage de l’information, la transparence, la neutralité et l’égalité entre tous les participants, avait tout pour plaire. Pourtant, l’idée selon laquelle un tel débat aboutirait à une vision partagée du problème voire à des solutions, ne résiste pas à l’expérience empirique de ces quatre mois.
À l’inverse, il a plutôt contribué à réifier les oppositions: les associations de protection de la nature se sont ainsi alliées avec les syndicats de forestiers pour défendre la forêt que le projet impliquerait de défricher: cultivée en monoculture de pin maritime, elle a soudainement été érigée en forêt patrimoniale à préserver absolument. Cette controverse autour du défrichement a fait passer au second plan le bilan carbone très positif du projet.
Du côté du maître d’ouvrage, les réponses apportées aux questions du public ont reproduit une certaine «vision d’ingénieur» dans laquelle les problèmes sont segmentés et traités les uns après les autres, par des mesures techniques et de la modélisation, mais rarement de façon systémique et globale. Entré à reculons dans le débat, le maître d’ouvrage s’est souvent réfugié derrière des arguments réglementaires, acceptant en toute fin de débat d’envisager une amélioration du projet au-delà du simple cadre de ses obligations légales.
Des intérêts bien cachés
Plus généralement, le mantra de l’égalité entre les participants du débat, vertueux sur le plan de la démocratie, a eu pour inconvénient de masquer les positionnements sociaux et les intérêts des acteurs. Chacun est enjoint de faire comme si la finalité du débat était bien de rechercher la meilleure solution possible pour résoudre la question de l’implantation de capacités de production photovoltaïque en Nouvelle-Aquitaine.
Cependant, il y a bien d’un côté des industriels qui entendent gagner de l’argent, des propriétaires qui vont tirer de leurs terrains des loyers décuplés par rapport à la sylviculture et une municipalité qui va toucher le jackpot fiscal.
De l’autre côté, il y a des sylviculteurs biberonnés à l’aide publique qui défendent leur intérêt plus que la forêt et des riverains installés à la campagne pour jouir d’aménités environnementales.
On ne peut donc pas dire que la discussion ait tellement gagné en clarté au fil des quatre mois, ce qui pose la question de la fonction réelle d’un débat public local visant une politique énergétique nationale.
Une discussion trop précoce
Pour comprendre l’échec de la discussion, un premier élément de réponse est à chercher dans le positionnement temporel de tels débats publics par rapport à la décision étatique. Depuis la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, le débat public intervient encore plus en amont sur des projets non encore finalisés, afin de prendre en compte la critique classique de projets «déjà ficelés» qu’on imposerait aux populations avec une consultation de pure forme.
L’intention, louable, est de faire émerger, parmi un faisceau d’options possibles, la moins mauvaise possible pour l’environnement et les acteurs des territoires. Toutefois, cette précocité de l’échange semble se retourner contre les projets. Certains acteurs soupçonnent que la relative imprécision des projets cache une manœuvre d’après débat. D’autres regrettent que des impacts environnementaux précis ne soient pas portés au débat.
À l’inverse, malgré ce débat très en amont, certains participants ont remis en cause une discussion trop fermée qui ne permet pas de discuter des scénarios de la transition énergétique… scénarios pourtant inscrits dans la programmation pluriannuelle de l’énergie déjà soumise à une large consultation en 2020.
Cependant, et plus fondamentalement, l’insatisfaction face au débat repose sur un grand malentendu: contrairement à ce qui est généralement pensé localement, la vocation de ces débats publics n’est en aucun cas de produire un avis pour ou contre le projet, mais uniquement d’éclairer la décision en collectant les opinions des acteurs. Autrement dit, la décision lui échappe par définition.
Dans le cas d’Horizéo, le choix est du ressort de la préfète de Gironde. Le débat Horizéo n’ayant pas débouché sur un consensus, loin de là, l’autorité décisionnaire a toute discrétion pour en tirer les conclusions qu’elle voudra au terme de la longue procédure d’autorisation dans laquelle le débat public n’est qu’une étape.
Sauf instruction directe du gouvernement, elle s’appuiera pour trancher sur l’avis de ses services, en particulier la Direction départementale des territoires et de la mer, partagée entre les objectifs énergétiques et les questions de biodiversité et la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, qui relaie le point de vue des sylviculteurs hostiles au projet. Elle tiendra compte également de la position des grands élus de son département –or le président de région, celui du département et le maire de Bordeaux se sont prononcés contre.
Un débat pour rien?
«Tout cela pour cela!» pourrait-on dire. D’un côté, on peut en conclure que l’État s’est donné les moyens de rester le maître du jeu et le débat public apparaît comme distraction au sens de Pascal quand l’essentiel se passe ailleurs.
De l’autre côté, les représentants de la CNDP n’ont pas tort lorsqu’ils défendent leur procédure en arguant que, à son issue, une majorité de projets traités sont quand même modifiés assez substantiellement.
Dans un pays où les acteurs nationaux dominants refusent toujours de trancher nettement en faveur des ENR, on ne devrait pas s’étonner que, du moins actuellement, ce rapport entre la décision et le débat public ne satisfasse personne.
Sébastien Chailleux Maître de conférences en science politique, Sciences Po Bordeaux
Andy Smith Research Professor, Sciences Po Bordeaux
Daniel Compagnon Professeur en science politique, Sciences Po Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.