4699 – Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d’une conférence de presse à l’issue des pourparlers entre les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de la Russie et de l’Inde au format « 2+2 », New Delhi, 6 décembre 2021- 16H42

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Nous avons terminé la première partie du travail préparatoire en vue de la visite du Président russe Vladimir Poutine en Inde et de son entretien avec le Premier ministre indien Narendra Modi.

le Ministre des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar.


Une rencontre bilatérale a eu lieu avec mon homologue indien, le Ministre des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar. Nous avons parlé des questions centrales de notre ordre du jour: l’économie, les hydrocarbures, et l’énergie, notamment nucléaire. Il y a des plans concrets et assez prometteurs. Nous avons évoqué la nécessité de préparer au début de l’année 2022 une nouvelle réunion de la Commission intergouvernementale pour la coopération commerciale, économique, scientifique, technique et culturelle – que Subrahmanyam Jaishankar copréside avec le vice-Premier ministre russe Iouri Borissov. Nous avons évoqué les échanges éducatifs et scientifiques, les liens culturels. Notre ordre du jour est très nourri.

le vice-Premier ministre russe Iouri Borissov.


En parallèle s’est déroulée une réunion de la Commission inter-gouvernementale russo-indienne pour la coopération militaire et militaro-technique. Un entretien utile et concret a eu lieu, qui se poursuivra demain. Nous avons préparé la réunion au format « 2+2 ».
La décision de réunir les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de la Russie et de l’Inde pour travailler dans ce format a été prise par le Président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre indien Narendra Modi. Selon notre avis commun, cette initiative a trouvé sa pleine justification. Les pourparlers sur les différents thèmes ont été utiles et substantiels.

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le Président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre indien Narendra Modi.


Nous avons accordé une attention particulière à la situation dans la région Asie-Pacifique, où ces dernières années s’accumulent des éléments d’instabilité qui risquent de mettre à mal l’architecture inclusive de coopération construite autour de l’Asean.
Nous avons exprimé notre sérieuse préoccupation à nos amis indiens vis-à-vis de l’activité des États-Unis sous le slogan des « stratégies indo-pacifiques ». Ils créent des structures de bloc, fermées. Le dernier exemple est Aukus, une alliance militaire et technologique entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.
Plusieurs questions se posent notamment sur les projets d’organiser en Australie la production ou de livrer dans ce pays des sous-marins nucléaires à propulsion nucléaire et quant à la conformité de ces actes avec les normes de l’AIEA et le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Plus concrètement, et sur un plan régional plus étroit, si ces plans devaient se réaliser dans quelle mesure l’Australie sera-t-elle fidèle à ses engagements concernant la zone exempte d’armes nucléaires dans le Sud de l’océan Pacifique (traité de Rarotonga de 1985). Une zone similaire a été annoncée par les pays de l’Asean (traité de Bangkok de 1997). D’où la nécessité de préciser comment ces choses se combineront en cas de réalisation des projets de livraison de sous-marins nucléaires à l’Australie.

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la région Asie-Pacifique


Au regard de la situation dans la région Asie-Pacifique, nous avons également parlé d’autres associations affichant un développement actif (hormis l’Asean). C’est avant tout l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Elle possède des relations de partenariat avec l’Asean, tout comme l’UEE. Il y a de bonnes perspectives. Nous partageons son avis positif, selon lequel l’OCS continuera de renforcer ses positions, de jouer de plus en plus un rôle de centre de coopération.

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Pendant le sommet précédent de l’OCS en septembre dernier à Douchanbé a été lancé le processus d’élargissement de l’Organisation: l’Iran a été invité à en devenir membre à part entière. L’OCS traite des questions économiques, de développement durable et de sécurité. Nous avons apprécié la participation de l’Inde aux exercices antiterroristes de l’OCS « Mission de paix 2021 ».

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Nous avons parlé du mécanisme de consultations Russie-Inde-Chine (RIC). Cette troïka s’est récemment réunie en visioconférence et a approuvé un document détaillé diffusé à l’Onu.
Les Brics sont un groupe plus large d’États au sein duquel, avec la Russie l’Inde et la Chine, interagissent nos partenaires d’Afrique du Sud et du Brésil. Ce format peut également exercer une influence de stabilisation sur cet espace géopolitique.

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L’Asie centrale comprend généralement les cinq anciennes républiques soviétiques situées à l’est de la mer Caspienne. Sauf le Tadjikistan iranophone, la population de ces pays pratique des langues turques: ouzbek, kazakh, kirghiz, turkmène, etc. La religion principale est partout l’islam sunnite. 
Pays Capitale Population (2019) Langue principale Filiation Superficie
 Ouzbékistan Tachkent 32,9 millions ouzbek (82,9%) langue turcique 447 400 km²
 Kazakhstan Noursoultan 18,4 millions kazakh (64,6%) langue turcique 2 727 300 km²
 Kirghizistan Bichkek 6,3 millions kirghiz (73,0%) langue turcique 198 500 km²
 Tadjikistan Douchanbé 9,2 millions tadjik (84,6%) langue iranienne 143 100 km²
 Turkménistan Achgabat 5,9 millions turkmène (76,2%) langue turcique 488 100 km²

En ce qui concerne l’Asie centrale, l’Afghanistan a fait l’objet d’une discussion à part. Nous sommes unanimes avec nos collègues indiens pour dire que les talibans doivent mettre en application leurs affirmations sur la garantie d’un nouveau gouvernement de nature inclusive et ethno-politique, sur les droits de l’homme, et sur la nécessité d’empêcher le maintien sur le territoire afghan de la menace terroriste, des drogues, et d’un « transbordement » de l’instabilité dans les États voisins.
Nous sommes préoccupés avant tout par les pays d’Asie centrale. Nous avons clairement réaffirmé la position déjà exprimée plusieurs fois par le Président russe Vladimir Poutine: nous sommes absolument opposés aux tentatives des États-Unis et d’autres pays de l’Otan de projeter dans les pays voisins une partie de leur infrastructure militaire et des forces armées qui ont hâtivement terminé leur mission en Afghanistan, sans remplir aucun des objectifs qu’ils s’étaient fixés. Les alliés et les partenaires d’Asie centrale ont souligné que c’était inadmissible, tout comme ils désapprouvent la perspective liée aux tentatives de « pousser » les réfugiés d’Afghanistan pour les envoyer en Asie centrale. Nous sommes convenus de coordonner étroitement nos actions à ce sujet, notamment dans le cadre de l’OCS.
Ensemble, avec d’autres États, la Russie et l’Inde peuvent utilement participer aux efforts internationaux pour stabiliser la situation dans ce pays. Nous avons parlé du travail de la « troïka élargie » Russie-Chine-États-Unis + Pakistan. De notre point de vue, il existe des raisons de faire participer l’Inde et l’Iran au travail de cette structure.
Dans un sens plus large, il existe le format de Moscou. Il inclut les pays mentionnés, tous les voisins de l’Afghanistan sans exception ainsi que des alliés et des partenaires d’Asie centrale. Ce format poursuivra son travail.

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Parmi d’autres sujets, nous avons mentionné le Moyen-Orient et le Nord de l’Afrique. Nous avons principalement parlé de la Syrie.
Comme nous, l’Inde réalisait des projets économiques et d’investissement en Syrie. L’Inde n’a jamais fermé son ambassade et entretient des contacts avec le gouvernement légitime de Bachar al-Assad. Nous avons cherché à savoir comment nous pouvions aider plus activement à régler les problèmes socio-économiques de ce pays qui se sont aggravés à cause des sanctions illégales. Nous avons parlé du travail du format d’Astana, de sa contribution à la progression du processus constitutionnel dans le cadre de la réunion de Genève. Nous avons dit qu’une nouvelle réunion de la troïka d’Astana était en préparation pour le mois de décembre à Noursoultan, avec la participation d’observateurs de pays arabes.
À la demande de nos interlocuteurs, nous avons exprimé notre vision de la stabilité stratégique et des problèmes qui persistent dans ce secteur, notamment au vu du démantèlement de la majorité des traités sur la maîtrise des armements (à l’exception du Traité sur la réduction des armes stratégiques). Nous avons raconté comment nous menions le dialogue stratégique avec les États-Unis à ce sujet.
Voici les principaux résultats des rencontres d’aujourd’hui. Nous rapporterons au Président russe Vladimir Poutine et au Premier ministre indien Narendra Modi que cette initiative était parfaitement justifiée. Nous souhaitons qu’elle devienne régulière. Nous avons invité les homologues indiens à se rendre en visite au format « 2+2 » à Moscou ou dans une autre région russe au premier semestre 2022.

Question1/4 Vous avez mentionné l’alliance trilatérale Aukus et le concept indopacifique des États-Unis. De toute évidence, la Russie considère ces deux éléments comme une menace. Les partenaires indiens partagent-ils cet avis? Comment la Russie compte-t-elle neutraliser ces menaces?
Sergueï Lavrov: Les partenaires indiens ont clairement pris leurs distances de l’alliance militaire et technologique appelée Aukus. Ils participent au groupe Quad (Inde, Japon, Australie, États-Unis). Ils mettent l’accent sur leur intérêt pour des projets économiques, de transport et d’infrastructure au niveau de ce groupe.
Je pense qu’en grande partie, l’Inde explique par cette approche que la composante militaire des stratégies américaines a été déplacée dans le format Aukus (maintenant on cherchera à l’élargir, il a déjà été annoncé que le Japon et la Corée du Sud devaient y adhérer). Je doute sérieusement que cela contribue à la paix et à la stabilité. Des menaces surviennent.
J’ai déjà parlé des risques pour le régime de non-prolifération des armes nucléaires. Quand nous nous sommes vus avec le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken récemment à Stockholm en marge de la réunion ministérielle de l’OSCE, les Américains nous avaient promis d’expliquer en détail comment ils voyaient le respect du régime de non-prolifération des armes nucléaires dans le cadre de la réalisation du « projet australien ».
Nos positions coïncident de nouveau avec les collègues indiens. Nous nous opposerons par tous les moyens à ce que les plans des stratégies indo-pacifiques, Aukus et d’autres formats (de bloc) fermés tentent de placer sous leur emprise l’Asean et les structures Aseano-centrées, qui ont été créées au cours des dernières décennies, notamment le mécanisme du forum régional de sécurité de l’Asean un mécanisme de rencontres entre les ministres de la Défense de l’Asean et des pays partenaires de l’Asean.
Toute cette architecture est couronnée par une forme importante de coopération: le Sommet d’Asie orientale. Nous assistons déjà à des tentatives de substituer les règles établies dans tous ces formats. Nous sommes convenus avec nos collègues indiens de prendre soin de ce qui avait déjà été créé. Nous soutiendrons le format Aseano-centré d’architecture de sécurité et de coopération dans cette région, qui convient à tous sans exception.
Question 2 Avez-vous évoqué avec votre homologue indien des questions relatives à la production en Inde du vaccin Spoutnik V? Il a été rapporté plus tôt que la production de Spoutnik Light serait lancée en Inde en décembre de cette année. Ces plans sont-ils toujours d’actualité et de quelle quantité est-il question?
Sergueï Lavrov: En ce qui concerne le Spoutnik Light, les négociations se terminent. Un accord a été passé sur le vaccin principal Spoutnik V pour mettre en place sa production ici. Il est déjà activement mis en œuvre. Nous tablons sur de grandes quantités, plusieurs centaines de millions de doses par an.
Question 3 Vous avez dit plus tôt que la Russie souhaitait entamer au plus vite les négociations entre l’Inde et la Commission économique eurasiatique sur la création d’une zone de libre-échange. Comment le travail avance-t-il sur cet axe?
Sergueï Lavrov: Des consultations préliminaires sont d’abord organisées avec un partenaire intéressé. C’est un processus assez long, concret, d’experts, quelque part technique. Il est déjà terminé avec l’Inde. Maintenant nous le constatons lors des pourparlers. Tout est prêt pour commencer les négociations sur la signature d’un accord sur la zone de libre-échange. Je pense que si le problème du Covid ne l’empêchait pas, elles se dérouleraient début 2022.
Question 4 (traduite de l’anglais): Ma question concerne la coopération militaire entre la Russie et l’Inde. Comment voyez-vous la réalisation symbolique du contrat sur les S-400 et la perspective de tels contrats à terme?
Sergueï Lavrov: Le contrat sur les S-400 possède non seulement une importante symbolique mais aussi pratique pour garantir la capacité de l’Inde à se défendre. La situation évolue et le contrat est mis en œuvre. Nous voyons du côté des États-Unis des tentatives de saboter cette coopération et de forcer l’Inde à obéir aux ordres américains, à suivre la vision américaine du développement de cette région. Mais nos amis indiens ont fermement déclaré et ont clairement expliqué qu’ils étaient un pays souverain et qu’ils décideraient eux-mêmes quelles armes acheter et qui sera le partenaire de l’Inde dans ce secteur et dans d’autres. La même chose a été confirmée et dit plus tôt: les relations russo-indiennes sont un partenariat stratégique privilégié. La réunion de ce matin de la commission inter-gouvernementale sur la coopération militaire et militaro-technique a clairement montré et confirmé que cette coopération représentait un intérêt pour les deux pays.

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