4208 – Russie – Interview de Sergueï Lavrov – Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie – accordée au holding médiatique RBC – Moscou – 19 février 2021

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Question: On a le sentiment que l’Occident est très irrité par l’apparition du vaccin russe Sputnik V. Au début, ils se sont vraiment comportés de manière très agressive et ne l’ont pas autorisé. Quand j’ai parlé au Ministre russe de l’Industrie et du Commerce, Dmitri Mantourov, il a déclaré que c’était une « guerre des vaccins ». Cet avis a changé à présent. S’agit-il vraiment uniquement de la qualité du vaccin ou la politique est tout de même mêlée à ces décisions?

Sergueï Lavrov: Ici s’applique certainement la logique du proverbe russe « je le veux mais ça gratte ». L’Occident sait que le Sputnik V est effectivement le premier, si pas le meilleur, vaccin. Sinon il n’y aurait pas autant de demandes – et elle grandit de manière exponentielle.

D’un autre côté, ils ont conscience du fait que la propagation du Sputnik V et d’autres vaccins russes qui sortiront prochainement sur le marché international signifie une hausse de l’autorité et de la réputation de la Russie sur la scène internationale. Ils ne le veulent pas. Mais ils ont pris conscience du fait que la première réaction était complètement révoltante du point de vue des faits, du point de vue de la science médicale.
Quand, en août 2020, le Président russe Vladimir Poutine a annoncé la création du vaccin, les attaques n’étaient pas du tout diplomatiques: elles laissaient transparaître l’irritation, vous avez absolument raison.
vladimir poutune  Vladimir Poutine en visioconférence devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 22 septembre 2020. — © Mikhail Klimentyev/AFP

Aujourd’hui, plusieurs pays  — la République tchèque et d’autres — disent qu’ils veulent attendre que le vaccin Sputnik V soit certifié par l’Agence européenne des médicaments. La Hongrie estime être déjà prête, et les livraisons commencent. Le nombre de requêtes en provenance d’Europe grandit constamment. Il y a littéralement quelques jours, le Prince Albert II de Monaco a demandé de fournir des vaccins pour toute la population de la Principauté.

Après la publication des avis scientifiques des structures indépendantes, l’Occident a été contraint de reconnaître que ce vaccin était bon. Néanmoins, les tentatives de le discréditer se poursuivent.
Littéralement hier, j’ai lu une déclaration assez équivoque du Président français Emmanuel Macron, dans laquelle il nous a classés avec les Chinois parmi ceux qui tenteraient d’obtenir des avantages sur la scène internationale grâce à nos exploits médicaux. Avant-hier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a prononcé une déclaration avec des insinuations très négatives vis-à-vis des fournitures du vaccin russe dans d’autres pays.

Nous devons rester attachés à la position fondamentale très juste initialement exprimée par le Président russe Vladimir Poutine:

nous avons été les premiers à le créer et nous élargirons sa production. Ce n’est pas facile, nous n’aurons pas suffisamment de capacités, c’est pourquoi nous nous entendons avec l’Inde, avec la Corée du Sud et avec d’autres pays. En même temps, il a déclaré que nous étions ouverts à une très large coopération.

Autre point très important. Quand ce problème a été récemment soulevé à l’Onu, le Secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres a appelé à ce que les pays qui détenaient ce vaccin ou de l’argent pour l’acquérir n’oublient pas les pays pauvres. Or on cherche à nous accuser de marquer des points géopolitiques en faisant des livraisons l’étranger. Il y a clairement une contradiction et, évidemment, l’Occident était mal préparé pour cette discussion.

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Question: C’est la même chose quand le Président russe Vladimir Poutine déclare au forum de Davos qu’on ne peut pas vivre uniquement au profit du « milliard d’or », mais de facto nous sommes accusés de livrer des vaccins au profit de ce « milliard d’or ». Mais tout de même, cette attitude envers le vaccin est-elle due à son origine russe?

on ne peut pas vivre uniquement au profit du milliard d'or

Sergueï Lavrov: Je ne trouve pas d’autre explication, parce que personne n’a même tenté de réaliser une analyse médicale ou scientifique. Il a été simplement dit immédiatement que cela était impossible parce que cela ne pouvait pas exister: « Personne ne fait rien aussi vite. » C’est seulement en octobre 2020 que les Occidentaux ont annoncé qu’ils pouvaient expliquer où ils en étaient. Alors que le Président russe Vladimir Poutine a déclaré en août déjà que le vaccin russe était prêt.

Malheureusement, je constate très souvent que la réaction à tous ce que nous faisons, disons et proposons est immédiatement méfiante. Dans le meilleur des cas. En règle générale, on entend que « les Russes jouent encore à leurs jeux géopolitiques ».

 

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Question: Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui s’est rendu ici récemment et que vous avez rencontré, a déclaré que la Russie s’écartait elle-même de l’Occident. En même temps, le porte-parole du Président russe, Dmitri Peskov, a déclaré que nous étions prêts à coopérer avec l’Europe. Vous avez dit que nous étions prêts à une rupture, mais que nous ne rompions pas les relations. Qu’est-ce qui empêche réellement l’établissement de relations normales entre l’UE et la Russie?

Josep Borrell &   Dmitri Peskov,

Sergueï Lavrov: Le parti pris, en grande partie. J’ai travaillé avec Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, un bon collègue, quand il était Ministre espagnol des Affaires étrangères. Actuellement, en cherchant à doter d’une dimension scandaleuse la visite du Haut représentant en Fédération de Russie, certains oublient comment tout a commencé. Quand, en mai 2019, Josep Borrell a déclaré:

« Notre vieil ennemi, la Russie, fait de nouveau parler de lui et représente de nouveau une menace. »
Nous avons alors demandé des précisions à son service protocolaire. Il nous a été répondu que c’était une allégorie et qu’il avait été mal compris. Mais la mentalité avait percé à la surface.
https://i1.wp.com/zakulisi.ru/wp-content/uploads/2018/01/612.jpg   CF/ https://sar-gallery.ru/fr/mir/vladimir-solovev-vladimir-solovev-biografiya-televedushchego-i.html
Nous sommes considérés comme des étrangers. Quand j’ai accordé une interview à Vladimir Soloviev, à sa question de savoir si nous étions prêts à rompre les relations avec l’UE, j’avais répondu par l’affirmative parce qu’il n’y a déjà plus de relations. Pour reprendre les termes utilisés un jour par l’ex-président américain Barack Obama (en parlant de l’économie russe), les relations sont « en lambeaux ».
Oui, en 1997, l’Accord de partenariat est entré en vigueur. Il contenait plusieurs objectifs déclaratifs consistant à avancer vers des espaces communs: économiques, sociaux. Pendant des années, nous disposions du mécanisme des sommets organisés tous les six mois par alternance en Fédération de Russie et en UE.
Nous organisions des rencontres annuelles de la composition intégrale du gouvernement russe avec la Commission européenne pour évoquer les objectifs des acteurs de la coopération dans le contexte de plus de 20 dialogues sectoriels.
Nous avions mis en place quatre espaces communs, des feuilles de route sur chacun d’eux, des projets purement objectifs et concrets.
Tout cela s’est effondré. Tout comme le Conseil de partenariat et de coopération dans le cadre duquel le Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité passaient en revue l’ensemble des relations. Cela avait cessé d’exister bien avant la crise ukrainienne.
Beaucoup n’attendent que le moment propice pour s’attaquer à la politique du gouvernement russe sur la scène internationale. On nous pose la question de savoir comment nous pouvons parler de la disposition à rompre les relations avec l’UE alors que c’est notre plus grand partenaire commercial et économique.
En prenant l’UE en tant que partenaire collectif, alors c’est notre plus grand partenaire en termes de commerce brut. Mais, par exemple, en 2013 (en prenant la période précédant les événements en Ukraine), la Russie est devenue membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Depuis que nous sommes devenus membres de l’OMC, toutes nos relations commerciales se sont basées sur les principes de cette organisation, et non sur des principes proposés par l’UE

Dans l’ensemble, l’UE en tant que bloc commercial commun participait également à l’activité de l’OMC. Nous commercions avec les pays membres selon les principes de l’OMC. Si l’UE est un partenaire aussi précieux dans le domaine du commerce et de l’économie, 

voici des statistiques: en 2013, les États-Unis (près de 480 milliards de dollars) étaient le premier partenaire de l’UE, suivis de la Chine (428 milliards de dollars) et la Russie (417 milliards de dollars). Autrement dit, des chiffres comparables.
Qu’arrive-t-il aujourd’hui?
En 2019, les échanges avec les États-Unis ont atteint 750 milliards de dollars, avec la Chine 650 milliards de dollars, avec la Russie près de 280 milliards de dollars, et en 2020 218 milliards de dollars en comptant l’Angleterre – 191 milliards de dollars sans le Royaume-Uni.
La raison? Les sanctions décrétées par notre « précieux » plus grand partenaire économique pour des raisons qui ne se sont jamais appuyées sur aucun fait. Du moins, ces faits ne nous ont pas été présentés.
On comprend la Crimée, on comprend le Donbass: l’UE, ayant reconnu son incapacité ou peut-être par réticence à empêcher le coup d’État anticonstitutionnel à caractère franchement russophobe, a décidé de tout mettre sens dessus dessous.
Bruxelles a rejeté la faute sur autrui et a décrété des sanctions non pas contre les putschistes, qui se sont moqués des garanties de l’UE qui avait apposé sa signature sous les accords en question, mais contre la Russie en ignorant complètement, comme je l’ai dit, le fait que les actions du gouvernement qu’ils ont soutenu étaient franchement et férocement antirusses.

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Question: Nos relations avec l’Occident seraient-elles arrivées au même point en l’absence des événements en Ukraine?

Russie-la-justice-maintient-l-emprisonnement-de-l-opposant-Alexei-Navalny Alexeï Navalny

Sergueï Lavrov: C’est difficile à dire. Après tout, cela a été suivi par des événements liés aux accusations d’« empoisonnement à Salisbury ». Aucune preuve n’a été apportée. Il nous a été empêché de rencontrer notre citoyen. Aucune preuve n’a été présentée. C’est approximativement la même situation qu’avec « l’empoisonnement » d’Alexeï Navalny aujourd’hui.

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Question: Cela donne l’impression que l’Occident cherche un prétexte pour détériorer ces relations.
Sergueï Lavrov: Ils cherchent, mais les motifs sont suffisamment nombreux: il est toujours possible de prendre quelque chose comme prétexte pour diriger les relations dans la direction désirée. Ce n’est pas qu’ils veulent dégrader les relations. Je ne pense pas que cela soit leur objectif principal.
Ils veulent s’affirmer. Ils se mettent à agir de la même manière que les États-Unis, notamment en faisant preuve d’une mentalité de cohorte exclusive d’États.

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J’ai cité le Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas.

Quand il lui a été demandé pourquoi ils continuaient de parler des sanctions contre la Russie, quels objectifs ils avaient atteint grâce aux sanctions, il a répondu qu’il ne pensait pas que les sanctions devaient être obligatoirement adoptées pour un objectif. Le fait même qu’ils ne laissent pas impunie une action quelconque de la Fédération de Russie confirme quelque chose.

Le fait de taire les faits qui pourraient confirmer les accusations à notre encontre a commencé bien avant la crise ukrainienne. Rappelons l’année 2007, l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko à l’hôpital. Une enquête médicolégale a été menée. Puis ce procès a été proclamé « public », ce qui, selon la logique de George Orwell, signifie en réalité au Royaume-Uni un « procès secret » dans le cadre duquel il est impossible de présenter les résultats d’enquête des services secrets. Vous savez, ce sont des problèmes systémiques.

J’ai énuméré ce qui existait effectivement dans nos relations avec l’UE. Il ne reste plus rien à présent, pas même de contacts sporadiques sur des problèmes internationaux.
Au sujet du nucléaire iranien, nous ne participons pas au travail directement en relation avec l’UE mais au sein du groupe collectif de pays qui tentent aujourd’hui de faire revenir ce programme dans un cadre normal.
Nous disposons d’un « quartet » de médiateurs pour le Proche-Orient comprenant la Russie – les États-Unis – l’UE et l’Onu. Autrement dit, ce ne sont pas des relations avec l’UE mais une coopération multilatérale.
D’ailleurs, en parlant de ceux qui engagent des démarches pour ralentir la dégradation des relations. Quand Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité s’apprêtait à venir à Moscou, nous pensions précisément à cela. Il a proposé de se pencher ensemble sur la santé, sur les vaccins. Nous en avons déjà parlé avec vous. L’UE, en tant que structure bruxelloise, ne sera certainement pas autorisée à déboucher de manière autonome sur des établissements russes, à coopérer dans le secteur des vaccins. Nous coopérerons plutôt directement avec les producteurs d’AstraZeneca, comme c’est déjà le cas.
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 AstraZeneca est un groupe pharmaceutique, né de la fusion en avril 1999 du suédois Astra et du britannique Zeneca.

A la veille de la visite de Josep Borrell, nous avons proposé à ses experts de faire une déclaration conjointe du Ministre russe des Affaires étrangères et du Haut représentant de l’UE sur le Proche-Orient, où nos positions sont pratiquement identiques, pour appeler à relancer l’activité du « quartet », appeler aux négociations israélo-palestiniennes directes et au respect des résolutions de l’Onu, entre autres.
Nous avons reçu au départ un texte parfaitement acceptable d’une page et demie. A quelques jours de la visite, on nous a dit: « Ça n’ira pas« . Je vais vous dévoiler un secret parce que c’est un exemple scandaleux. A la table des négociations, j’ai demandé à Josep Borrell: « Pourquoi n’avons-nous pas réussi à faire cette déclaration? » Il a commencé à tourner la tête dans tous les sens, et il est devenu clair, comme il l’a confirmé, que personne ne l’avait prévenu. Ce sont de telles personnes qui sont en charge de ce que certains de nos libéraux appellent les « relations avec l’UE ».

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Question: Pour clore ce sujet. Je suis né en URSS. Pour moi, la confrontation entre l’URSS et l’Occident était compréhensible: l’idéologie était différente, l’économie était différente, etc. Puis il m’a semblé que tout était devenu identique: des deux côtés nous étions pour la démocratie, des deux côtés il y avait l’économie de marché. Alors où est la contradiction? Pourquoi n’arrivons-nous toujours pas à trouver le terrain d’entente qu’il me semblait avoir été trouvé dans les années 1990? Et pourquoi c’était le cas à l’époque?
Sergueï Lavrov: C’était le cas à l’époque parce que personne en Fédération de Russie ne contestait la question de savoir qui était « le maître à la maison ». Le Président russe Vladimir Poutine en a parlé à différentes occasions. Ils ont décidé que c’était fini, que c’était la fin de l’histoire.

skynews-francis-fukuyama-fukuyama_4827426  Francis Fukuyama 

Francis Fukuyama a annoncé que dorénavant la pensée libérale dirigerait le monde. Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle tentative de faire passer cette pensée libérale au premier plan dans la lutte pour l’influence sur la scène internationale. Mais quand il s’est avéré que la Russie n’était pas du tout d’accord de vivre dans une « maison où le maître s’est désigné lui-même », c’est alors que toutes ces complications ont commencé.
Au début, en devenant Président, Vladimir Poutine et son équipe ont tenté de le faire à travers des signaux diplomatiques, qui doivent être décryptés par des personnes intelligentes et sensées.
Mais personne ne les a décryptés. Puis il a fallu le formuler, toujours poliment mais franchement, dans le discours de Munich. Quand ce signal a été ignoré –plus exactement, la Russie a été perçue de nouveau comme un « hooligan » sur la scène internationale, on s’apprêtait encore « apprendre » à la Russie les bonnes manières — c’est alors que tout cela a commencé. Du moins, c’est à cette époque que la préparation idéologique de l’Occident pour les actions actuelles a commencé.

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Question: En ce qui concerne les sanctions. L’agence de presse Bloomberg a évoqué aujourd’hui la préparation de nouvelles sanctions contre la Russie en lien avec le Nord Stream 2, tout en précisant qu’elles seraient « souples ». D’un autre côté, on entend dire que les Américains voudraient empêcher la construction du Nord Stream 2 mais sans se brouiller avec l’Allemagne. Dans quelle situation sommes-nous?

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Sergueï Lavrov: Nous nous sommes retrouvés dans la situation d’un pays qui remplit à 100% les engagements contractuels pris par nos compagnies membres du projet conjointement avec les compagnies des pays de l’UE.
La situation actuelle a été principalement engendrée par une décision de l’UE, une décision qui montre clairement ce qu’est cette entité. Quand, il y a quelques années, les Polonais et d’autres ont tenté de bloquer le projet Nord Stream 2, un avis spécial et officiel du service juridique de la Commission européenne a été demandé.
Ce service a fourni un document faisant apparaître noir sur blanc que le projet d’investissement avait commencé bien avant les modifications apportées à la directive gazière de l’UE, ledit « Troisième paquet énergie ». Un point c’est tout.
La question est close pour toute personne respectueuse de la loi. Mais non: la Commission européenne a formulé cette conclusion pour mener ses propres procédures pseudo-juridiques, à l’issue desquelles il a été dit que le projet avait effectivement commencé bien avant cela mais qu’il tombait sous le coup du Troisième paquet énergie et de la directive gazière.
Voilà la qualité de notre partenaire dans ces prétendues « relations ».
Si l’on parle de comment nous pouvons les « attaquer » et nous dire prêts à rompre les relations avec eux si c’est notre principal partenaire économique: voilà à quoi ressemble ce partenaire économique.
Seule l’Allemagne se bat actuellement pour ce projet.
En réalité, l’administration de Joe Biden n’annulera aucune action de Donald Trump à l’exception du retrait de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au sein de laquelle les démocrates veulent revenir.

La réunion des ministres de  la Défense de l'Otan

La réunion des ministres de  la Défense de l’Otan s’est achevée: on n’a constaté aucun « recul » de l’exigence de verser 2% du PIB pour la défense, c’est-à-dire pour l’achat d’armes américaines. Ni de l’exigence adressée à l’Europe concernant le Nord Stream 2 de cesser de participer à des affaires qui saperaient la sécurité européenne.
Ils sont mieux placés, n’est-ce pas? Voilà pour la question de savoir qui est le maître à la maison. L’Europe veut elle aussi être le maître à la maison, mais on lui montre sa place. La situation concernant le Nord Stream 2 est parfaitement claire.
Maintenant, ils écrivent ouvertement qu’un marchandage est en cours et qu’on évoque la possibilité d’une entente entre Washington et Berlin pour que la construction du Nord Stream 2, tant pis, se termine, qu’il fonctionne mais que si en parallèle le transit de gaz via l’Ukraine diminuait, alors le Nord Stream 2 serait bloqué.
Je ne peux pas décider pour l’Allemagne mais il est évident pour moi que c’est une proposition humiliante.
Comme l’a déclaré le Président russe Vladimir Poutine pendant sa rencontre avec des chefs de fraction de la Douma, cela confirme une fois de plus que l’on cherche à soutenir financièrement le projet géopolitique nommé « Ukraine » au détriment de la Russie.

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Question: Mais devons-nous payer pour ce projet géopolitique? Pourquoi pensent-ils que nous devons payer pour cela?

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Sergueï Lavrov: Parce qu’ils ne veulent pas payer eux-mêmes.
Ils ont besoin du régime ukrainien uniquement pour irriter constamment la Russie et trouver de nouveaux prétextes pour une politique russophobe.
Ils veulent affaiblir par tous les moyens ce qui se trouve autour de nous: la Biélorussie, l’Asie centrale, maintenant la Transcaucasie où après la mission réussie du Président russe Vladimir Poutine pour la médiation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ils se sont ameutéscomment serait-il possible de faire quelque chose sans eux?
Maintenant ils cherchent à pénétrer et à accroître leur activité dans cette région. Cela n’a rien à voir avec l’idéologie de la Guerre froide, avec la confrontation entre deux systèmes dont vous venez de parler. Tout cela est dû au fait que nos partenaires occidentaux ne veulent pas, ne sont pas prêts et ne savent pas parler sur une base équitable. Que ce soit avec la Russie, la Chine ou qui que ce soit d’autre.
C’est la raison pour laquelle l’Onu leur plaît de moins en moins, parce qu’ils ne peuvent pas la contrôler à 100%.

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Question: D’après vous, l’UE ressemble-t-elle effectivement aujourd’hui à un monolithe ou des processus s’y déroulent, des pays disent tout de même qu’ils veulent être amis avec la Russie? Parce qu’en ce qui concerne les sanctions, leurs principaux idéologues sont étonnamment les pays baltes qui ne jouent pas un grand rôle au sein de l’UE – mais tout le monde les écoute pour une raison qu’on ignore.

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Sergueï Lavrov: Concernant le « monolithe », il n’est pas opportun de poser cette question quelques mois après le Brexit. Ce monolithe n’est plus ce qu’il était. Concernant le monolithe au sens figuré – non. Un très grand nombre de pays entretiennent des relations avec la Russie.

La visite de Josep Borrell était une première à ce niveau depuis trois ans. Alors qu’au cours de cette même période des dizaines de ministres des pays membres de l’UE se sont rendus en Russie. Notre dialogue se déroule parfaitement. Nous ne gaspillons pas de temps pour ces problèmes de confrontation et de moralisation. Oui, ils ont tous un « devoir à la maison »: lire les deux pages convenues par le « comité régional » de Bruxelles.

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Question: Autrement dit, ils possèdent un manuel avec lequel ils arrivent?
Sergueï Lavrov: Évidemment. Aucune erreur n’est pardonnée. C’est Alexeï Navalny, par exemple, ou les Skripal, comme auparavant, les droits de l’homme. Maintenant le chercheur Iouri Dmitriev de Carélie. Ils rejettent complètement les faits qui prouvent sa participation aux crimes, à la pédophilie. Ils lisent, je cite des contrarguments, j’explique ce que nous voyons dans telle ou telle situation, et pourquoi nous ne pouvons pas obtenir de preuves concernant ces mêmes Alexeï Navalny et les Skripal. En réponse, ils lisent simplement la même page. En dehors de cette discipline de « solidarité de bloc » la conversation est normale. Oui, l’UE détermine à quel niveau ils participent à l’OMC.
Or nous commerçons avec ces pays au sein de l’OMC sur les bases sur lesquelles la Russie y a adhéré. Mais l’UE n’a rien à voir avec ce commerce et la coopération d’investissement hormis la tentative d’étouffer les relations commerciales et économiques.

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Vous avez mentionné les pays baltes. Oui, ils « commandent le défilé » très fortement. J’en ai déjà parlé plusieurs fois à vos collègues. Quand, en 2004, ils étaient activement attirés vers l’UE, la Russie et Bruxelles avaient à l’époque des dialogues très francs (Romano Prodi était le président de la Commission européenne). En 2005 avait été fixé l’objectif d’adopter un régime sans visa.

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Question: Plus personne n’en parle aujourd’hui.
Sergueï Lavrov: Nous le rappelons à ceux qui nous demandent comment nous osons dire que nous sommes prêts à rompre les relations avec l’UE. Vous avez mentionné les pays baltes. Nous avons longtemps négocié la modernisation de l’Accord de partenariat et de coopération entre la Russie et l’UE, suspendu par cette dernière en 2014.

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Il était appelé à aller plus loin, à dépasser le cadre des normes de l’OMC pour s’entendre sur des préférences commerciales supplémentaires. A une époque, nous avions fixé l’objectif de créer une zone de libre-échange, mais cela est oublié depuis longtemps. Cependant, il y avait des intentions de moderniser l’accord pour libéraliser davantage le commerce en plus des normes de l’OMC. En 2014, cela a été suspendu – encore un exemple de rupture des relations.

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L’accord sur le régime sans visa était également prêt en 2013. Nous avons remplis toutes les conditions de l’UE: nous sommes convenus que le régime sans visa serait accessible seulement pour les détenteurs de passeports biométriques, que ceux qui enfreindraient les règles d’entrée ou de séjour en UE pendant la période sans visa feraient l’objet d’une réadmission (nous avons signé un tel accord).
Tout ce qu’ils avaient demandé et ce qui nous convenait a été fait. Puis, quand le moment de signer et de ratifier est venu, l’UE a déclaré: « Attendons ». Nous avons rapidement compris la raison, ils ne la cachaient pas. Il a été décidé dans le collectif bruxellois qu’il était politiquement incorrect d’accorder un régime sans visa à la Russie avant son obtention par la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie.

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Question: Autrement dit, la Russie dépendait d’autres pays?

Sergueï Lavrov: Bien sûr. A l’initiative des pays baltes. Cela nous renvoie à la discussion sur la nature de ces relations. Ce sont des relations entre des gens qui ont décidé qu’ils étaient l’Europe, or ce n’est pas du tout le cas. La Russie perçoit l’Europe dans toute sa diversité. Si le « comité régional » bruxellois ne l’apprécie pas, on ne peut pas le forcer.

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Question: L’Europe va au moins jusqu’à l’Oural.

EXTREME-ORIENT-RUSSE-1024x592  khabarovsk-2 RUSSIE  le sommet UE-Russie à Khabarovsk

Sergueï Lavrov: Jusqu’à l’Oural. En 2009, quand José Barroso était président de la Commission européenne, nous avons organisé le sommet UE-Russie à Khabarovsk. Les collègues européens sont arrivés dans la soirée. Ils sont sortis se promener sur le quai. Nous leur avons montré la ville. José Barroso avait déclaré: « C’est étonnant, nous avons volé 13 heures depuis Bruxelles, mais cela reste l’Europe. » C’est précisément le sens à l’origine du slogan « l’Europe de l’Atlantique au Pacifique ».

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Question: Une question sur un autre pays: la Biélorussie. Les deux présidents se rencontreront le 22 février 2021. Alexandre Loukachenko se rendra en Russie. Le Ministre biélorusse des Affaires étrangères Vladimir Makeï a récemment accordé une interview à RBC dans laquelle il a parlé de la politique étrangère multi-vectorielle de la Biélorussie. Selon vous, a-t-on réussi à s’entendre avec Minsk sur l’intégration? Que faut-il attendre de ces négociations?

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Sergueï Lavrov: Le terme multi-vectoriel ne doit pas être utilisé comme un mot indécent. Tous les pays normaux souhaitent mener une politique sur plusieurs axes. Ce principe est également présent dans les fondements de notre politique étrangère depuis 2002. Mais selon notre compréhension, une politique multi-vectorielle n’est possible que sur une base d’équité, de respect et de recherche d’un équilibre d’intérêts et de profit mutuel. Seulement ainsi.

Nous sommes d’abord menacés par des sanctions, puis ces mêmes personnes disent que nous sommes allés trop loin, c’est pourquoi des sanctions sont décrétées contre nous, et ensuite ils disent que nous sommes « méchants » parce que nous « regardons vers l’Est ». Tout est mis sens dessus-dessous.

La Russie est une puissance eurasiatique. Nous avons des contacts très étroits avec l’Europe. Ils ont été cultivés pendant des siècles quand personne ne songeait encore à l’UE, alors que les Européens étaient en guerre et en compétition entre eux. Par ailleurs, nous les avons souvent réconciliés et les avons aidés à obtenir un résultat juste dans les guerres.

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Question: Même sauvé des monarchies?

Sergueï Lavrov: Oui, et ils le savent. Tout comme la République aux États-Unis, dans une certaine mesure.

Mais cette partie de notre voisinage rompt pratiquement toutes les relations, laisse seulement des contacts sporadiques sur des crises internationales qui intéressent l’UE pour ne pas disparaître de la scène internationale. En grande partie, ils sont mus pour la volonté d’être visibles par rapport à la Syrie et à d’autres sujets. Si nous n’y sommes pas les « bienvenus », alors nous continuons simplement de travailler avec d’autres voisins qui ne sont pas sujets à de tels caprices.
Objectivement notre commerce avec l’UE a été pratiquement divisé par deux depuis 2013. Sur la même période, il a doublé avec la Chine.

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Question: Pour revenir à Minsk. Que faut-il attendre des pourparlers du Président russe Vladimir Poutine avec le Président biélorusse Alexandre Loukachenko le 22 février prochain?
https://s.rfi.fr/media/display/a0988130-104b-11ea-8dd1-005056a99247/w:1280/p:16x9/000_Par7998301_0.webp  Le président russe Vladimir Poutine (à gauche) et son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko (à droite), à Minsk le 10 octobre 2014. AFP PHOTO/MAXIM MALINOVSKY

Sergueï Lavrov: Certains veulent voir dans la confirmation par Minsk du caractère multivectoriel de sa politique étrangère sa « non-fiabilité » en tant que partenaire et allié. Je ne le pense pas.
Au Conseil de l’Europe, dont la Biélorussie ne fait pas encore partie, nous prônons l’instauration des relations avec Minsk. Nous avons soutenu l’adhésion de Minsk à certaines conventions du Conseil de l’Europe.
Nous avons toujours prôné des relations normales entre la Biélorussie et les voisins occidentaux. A présent, je ne sais même pas ce que le Conseil de l’Europe va faire. La russophobie a submergé la majorité des pays de l’UE représentés, et les plus « agités » dictent l’ordre du jour.
J’ai lu les déclarations du Président biélorusse Alexandre Loukachenko (pas toute l’interview mais des citations) selon lesquelles il ne voyait aucun obstacle à l’approfondissement de l’intégration. Ils avanceront comme ils en conviendront avec le Président russe Vladimir Poutine.
Les pourparlers se tiendront dans deux jours. Je pense qu’il est inutile de prendre les devants. Nous saurons tout très bientôt.

A suivre…

SOURCE/ https://www.mid.ru/fr/foreign_policy/news/-/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/4589817