Vétos hongrois et polonais au budget de l’UE … bientôt la rupture ? 18 novembre 2020
Accord européen … Les États membres de l’UE incitent la Hongrie et la Pologne à revenir sur leur veto 24.novembre.2020
A/Vétos hongrois et polonais au budget de l’UE : bientôt la rupture ?18 novembre 2020
Ferenc Almássy – 18 novembre 2020
Union européenne – C’est officiel, lundi 16 novembre 2020, la Hongrie et la Pologne ont mis leur véto au budget 2021-2027 de l’Union européenne ainsi qu’au plan de relance covidien.
Pour les instances bruxelloises, le conditionnement des fonds européens au respect de l’état de droit se voulait être la solution pour faire plier la Hongrie et la Pologne, dont le positionnement politique depuis 2015 irrite l’Ouest. Mais c’était aller vite en besogne, et l’UE s’enfonce encore plus dans la crise. Alors que l’échéance 2021 arrive à grands pas, comment une telle situation est-elle devenue possible, et qu’attendre pour la suite ?
Tout d’abord, il est important de clarifier un point : le véto des deux États membres est politique, et non encore juridique, et il a été annoncé par les délégués desdits pays.
Mais cela a déjà suffi à enrayer la machine UE, aussi complexe que fragile.
Nombreux ont été ceux qui ont vu venir ce véto pourtant, et pour cause, la Hongrie et la Pologne ont toutes deux prévenu depuis l’été qu’elles étaient prêtes à le faire si un compromis n’était pas trouvé sur les conditions d’attribution des fonds européens, rejetant de concert le détournement politique du budget commun.
Un premier accord avait été trouvé cet été, mais modifié ensuite unilatéralement par les instances bruxelloises. En particulier, c’est la question du « respect de l’état de droit » qui forme le cœur du problème.
Pour Bruxelles, l’attribution des fonds européens doit être corrélée à un bon respect de l’état de droit – une idée attribuée au libéral belge Didier Reynders en 2016, et portée par l’Allemagne depuis. Une condition inacceptable pour la Hongrie et la Pologne qui estiment cela contraire au Traité de Lisbonne.
Mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Depuis des années, Budapest et Varsovie sont accusées de porter atteindre à l’état de droit.
Notion fumeuse, vague, et de plus en plus politisée par des politiciens libéraux, l’état de droit a autant de définitions, ou plutôt, de perceptions, qu’il existe d’intérêts particuliers. Michael Roth, ministre délégué pour l’Europe au ministère des affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne, a bien annoncé que début 2021, il inviterait les États membres à définir ensemble ce qu’est l’état de droit, mais le temps presse.
Tantôt synonyme de démocratie libérale, d’attitude favorable au lobby LGBT et centrée sur les minorités, tantôt synonyme de souveraineté populaire et de respect à la lettre de la loi, toute discussion sur le sujet ne peut qu’enfanter la discorde tant l’expression est imprécise à l’heure actuelle ; d’où aussi la réticence des deux pays d’Europe centrale à se soumettre à une condition aussi modulable et indéfinissable – personne n’est dupe, ils sont directement visés.
Le ministre hongrois de la Justice – Mme Judit Varga, a le 26 octobre décidé de lancer un programme de formation et d’étude des questions d’état de droit au niveau du V4 – seule la Pologne a rejoint ce projet. En cause, justement, « la confusion conceptuelle autour de la question de l’état de droit », écrit Mme Varga.
L’outil sera-t-il à la hauteur du combat attendu pour gagner ce bras de fer ? On peut en douter. Dès lors, qu’attendre pour la suite ?
La gestion paniquarde du Covid a amené l’Union européenne dans une situation catastrophique – du moins, du point de vue des populations – et qui est loin d’être terminée.
Dans ce contexte, et alors que les forces libérales contestataires sont de plus en plus agressives et hostiles en Pologne et en Hongrie qui n’en finissent plus d’être illibérales, malgré l’adhésion de Budapest et de Varsovie à la narration covidienne si chère aux libéraux européistes et autres Démocrates états-uniens, il devient clair que les gouvernements hongrois et polonais sont dos au mur.
Piégés entre, d’un côté, les instances de l’Union européenne qui brandissent la menace du chantage financier, et de l’autre côté leurs principes, leurs légitimités démocratiques, et surtout leurs électorats, faire l’anguille et botter en touche n’est plus une option.
Et pour l’UE, il y a urgence.
Les pays du Sud sont notamment très pressés de voir le nouveau budget adopté afin de limiter la casse économique et sociale particulièrement accrue du fait des mesures pandémiques.
Le combat doit désormais être frontal. Dont acte.
Mais si le budget peut être bloqué par un véto, l’accord sur le principe légal imaginé par la présidence allemande se vote, lui, à la majorité des deux tiers des États membres, ce que la Hongrie et la Pologne ne peuvent pas bloquer, malgré le soutien slovène.
Pour Viktor Orbán, tout cela n’a rien à voir avec un concept juridique, mais seulement avec des conceptions politiques. Il s’agit pour lui d’un chantage que l’Occident veut utiliser pour bénéficier d’un outil d’ingérence afin, par exemple, de contrer la politique migratoire de la Hongrie. Et l’homme d’État hongrois d’ajouter que
« si cette législation venait à passer […], ils transformeraient l’Union européenne en deuxième Union soviétique ».
Des mots lourds de sens dans la bouche de cet ancien dissident du communisme.
D’autant plus forts que le tabou de la sortie de l’Union européenne est tombée déjà l’an dernier sur les rives du Danube. La presse pro-Orbán avait, c’est de notoriété publique, la consigne de ne pas aborder la question du Huxit. Mais le ton a changé.
Pour le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro, le prétexte de l’état de droit n’est qu’un outil pour démolir la souveraineté nationale. Une ligne rouge pour le gouvernement polonais.
Pour M. Ziobro, ce problème est « fondamental pour le futur du pays ». Pour le premier ministre Mateusz Morawiecki, accepter ces critères d’allocation des fonds reviendrait à approuver un double standard dans le traitement des États membres. Le gouvernement polonais, à qui une action populaire ne fait pas de mal après sa dégringolade récente dans les sondages, a toutes les raisons de tenir bon :
57% des polonais soutiennent le gouvernement dans son véto, contre seulement 20% s’y opposant.
Pendant ce temps, Bruxelles dit ne pas avoir de plan B et semble construire une communication jetant la faute sur le mauvais esprit des deux pays rebelles, qui seraient responsables d’un blocage durable dont personne ne sortirait gagnant, bien qu’il s’agisse avant tout d’un aveu d’irresponsabilité inquiétant du sommet de l’Union.
Pourtant, malgré ces nouvelles alarmantes, de nombreux cadres comme Nadia Calviño ministre des Affaires économiques du Royaume d’Espagne, mais surtout ancienne directrice du Budget européen de 2014 à 2018, se disent sereins et confiants qu’une solution sera rapidement trouvée. Aucun détail ne fuite pour le moment, mais il est à noter que ce mercredi, le Parlement européen a confirmé les propos de Petri Sarvamaa député européen négociateur pour la question de l’état de droit, qui avait affirmé que le conditionnement du versement des fonds au respect de l’état de droit était un sujet clos et qu’il était hors de question de revenir dessus.
Traduction : Budapest et Varsovie vont devoir plier.
L’analyste politique hongrois Botond Feledy avance l’hypothèse d’une manœuvre légale qui permettrait de soustraire le budget de relance à celui du cycle 2021-2027, contournant ainsi le véto hongro-polonais. Budapest pourrait y perdre 16 milliards d’euros. De plus, si le nouveau budget n’est pas mis en place pour le prochain cycle, la règle prévoit que la répartition des fonds continue selon le budget du cycle précédent. Cela représenterait selon les estimations de M. Feledy une perte annuelle pour la Hongrie de 2,5 à 3 milliards d’euros. Viktor Orbán a quant à lui, vendredi dernier, affirmé que la Hongrie touchera ce qui lui est dû.
Jeudi 19 novembre à 18h, les chefs d’État et de gouvernements de l’UE vont discuter par visioconférence la suite des événements.
Photo : Facebook / Viktor Orbán
Ferenc Almássy
Franco-hongrois, Ferenc Almássy est le fondateur et rédacteur en chef du Visegrád Post. Journaliste indépendant spécialisé sur l’Europe centrale, la France et les questions migratoires, il est aussi correspondant en Europe centrale de TV Libertés et publie dans l’hebdomadaire hongrois Magyar Demokrata.
https://visegradpost.com/fr/2020/11/18/vetos-hongrois-et-polonais-au-budget-de-lue-bientot-la-rupture/
B/Accord européen : Les États membres de l’UE incitent la Hongrie et la Pologne à revenir sur leur veto 24.novembre.2020
24.novembre.2020 // Les Crises
Les ministres européens ont exhorté la Pologne et la Hongrie à lever leur veto sur l’accord budgétaire de l’Union qui est tant attendu, en mettant en garde contre les dommages économiques persistants dus à la crise de la Covid-19.
Les représentants de la France, de l’Allemagne, du Danemark et d’autres États membres ont déclaré que les citoyens pouvaient difficilement se permettre de faire face à un retard du financement de 1,8 milliard d’euros initialement convenu lors d’un sommet en juillet, alors qu’ils sont en butte à l’opposition continuelle de Varsovie et de Budapest concernant un mécanisme dit d’État de droit qui subordonnerait les dépenses européennes à des principes de l’UE tels que l’indépendance judiciaire.
Le ministre allemand de l’Europe Michael Roth, qui a présidé une vidéoconférence des ministres des Affaires européennes mardi, a averti que la Pologne et la Hongrie devaient être conscients que leurs propres citoyens seraient également amenés à en payer le prix si l’accord continuait d’être différé.
« Il y a plusieurs milliards d’euros qui vont à la Hongrie et à la Pologne. Ces citoyens méritent tout autant la solidarité européenne que les autres. Nous devons sortir de cette impasse et la présidence [de l’UE] va essayer de trouver des solutions », a déclaré M. Roth.
Il a ajouté que tout compromis éventuel nécessiterait également l’approbation du Parlement européen, lequel a insisté sur un mécanisme rigoureux de promotion de l’État de droit. Philippe Léglise-Costa ambassadeur de France auprès de l’UE, a exhorté tous les gouvernements à
« prendre leurs responsabilités » pour faire passer le dispositif.
Ces injonctions ont été rejetées par Judit Varga ministre hongroise de la Justice, qui a affirmé lors de la réunion que Budapest était victime de « manipulations idéologiques » et était visée par un mécanisme destiné à « amener les pays à s’aligner ».
« Comment peut-on raisonnablement s’attendre à ce que nous soutenions une telle proposition ? a demandé Mme Varga. La base juridique n’en est pas fondée, les mesures sont arbitraires et la procédure est sans garanties sérieuses. »
Les négociateurs de la présidence allemande de l’UE et du Parlement européen ont conclu ce mois-ci des accords préliminaires portant sur la dimension finale du prochain budget septennal de l’Union et sur le texte juridique du mécanisme de l’État de droit, mais les espoirs d’un accord rapide sur la législation finale se sont évanouis.
Le problème est l’opposition persistante du Premier ministre hongrois Viktor Orban, et du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, à la réglementation sur l’État de droit.
Les dirigeants européens doivent discuter de la situation lors d’une vidéoconférence jeudi. La question est de savoir comment faire participer toutes les capitales. Une option envisagée par les responsables est une déclaration de la Commission européenne visant à rassurer la Pologne et la Hongrie sur le fait que le mécanisme de l’État de droit ne visera pas spécifiquement certains pays en particulier et respectera la souveraineté des États membres.
Cependant, les deux pays ont écarté cette idée. Pawel Jablonski, le vice-ministre polonais des Affaires étrangères, a déclaré qu’une proclamation sans fondement juridique ne serait pas une solution acceptable.
Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, à gauche, et Viktor Orban, Premier ministre hongrois, continuent de s’opposer à un mécanisme d’État de droit rattaché au budget septennal de l’UE © Jacek Szydlowski/EPA-EFE
« Nous pouvons écrire tout ce que nous voulons… le cœur du problème, c’est l’application, a-t-il déclaré au Financial Times. Et s’il n’y a pas de principes juridiquement contraignants qui garantiraient le respect des droits tels que prescrits dans les traités, je ne pense pas qu’un règlement puisse être adopté. »
Certains parlementaires européens demandent si le fonds de recouvrement devrait être soustrait du droit communautaire et transformé en un traité intergouvernemental entre 25 États membres, à l’exclusion de la Hongrie et de la Pologne. Cela refléterait les mesures extrêmes prises par l’UE pendant la crise de la dette souveraine, lorsqu’elle a mis en place le mécanisme européen de stabilité pour faire des prêts aux États membres en difficulté.
Toutefois, une telle mesure se heurterait à une résistance au sein de l’UE, étant donnée l’ambition de l’Union de faire du fonds de relance de 750 milliards d’euros un projet pour tous les États membres, sous l’impulsion de la Commission elle-même.
Guy Verhofstadt député européen du groupe centriste Renew Europe, a exhorté les États membres à faire passer le fonds de relance par la procédure dite de coopération renforcée de l’UE, faisant valoir que cela permettrait de mettre en place le dispositif sans que Varsovie et Budapest n’en soient partie prenante.
« La coopération renforcée est la seule façon pour les 25 chefs d’État d’aller de l’avant, si la Hongrie et la Pologne continuent de prendre en otages leurs collègues et à agir de manière flagrante au détriment de l’intérêt commun », a déclaré M. Verhofstadt.
Cependant, la première chose à faire pour Bruxelles sera sans doute de désamorcer la dispute.
L’une des mesures incitatives qui pourraient ramener Budapest et Varsovie dans le droit chemin serait la fin de la procédure dite de l’article 7 qui a été engagée contre ces deux états pour violation présumée de l’État de droit. Un diplomate a déclaré qu’il était peu probable que le différend soit résolu avant que les dirigeants européens ne tiennent leur prochain sommet officiel le 11 décembre.
Paolo Gentiloni, le commissaire européen chargé de l’Economie, a insisté mardi sur le fait qu’il y avait « d’excellentes raisons » de penser que le veto serait contourné et que Bruxelles n’envisageait pas de « plan B » pour imposer le budget ou le fonds de relance.
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, qui est l’un des plus fervents critiques du gouvernement de M. Orban, a déclaré mardi à son parlement que l’UE ne diluerait pas les conditions de l’État de droit et a insisté sur le fait que l’UE était une « communauté partageant des valeurs ».
« La liberté de la presse, la liberté d’expression et la liberté d’être gay sont remises en question dans ces pays. »
Source : Financial Times, Sam Fleming, Mehreen Khan, Valerie Hopkins, James Shotter, 17-11-2020
Traduit par les lecteurs du site Les Crises
https://www.les-crises.fr/accord-europeen-les-etats-membres-de-l-ue-incitent-la-hongrie-et-la-pologne-a-revenir-sur-leur-veto/
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