4035 – Andreï Klepatch sur l’Economie Russe et l’Epidémie de la Covid-19 – 05 octobre 2020 – Par Jacques Sapir

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L’interview d’Andrei Klepatch dans le n° 39 d’EKSPERT (21-28 septembre), dont un résumé a été proposé à mes lecteurs (I) présente une analyse très stimulante de la crise liée au COVID-19 et des mesures dites « anti-crise » prises par le gouvernement. Elle invite, aussi, à une comparaison avec l’impact de crise et les mesures prises par le gouvernement en France.

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Un Impact Différent de la Pandémie

Andrei Klepatch insiste donc à juste titre sur les spécificités structurelles de l’économie Russe, et notamment la faible taille relative du secteur des services, comme l’un des facteurs de l’impact relativement modéré de la pandémie.
Ainsi, au 2ème trimestre de 2020, la contribution de l’industrie manufacturière à la chute du PIB a été certes moins forte que celle des services, mais la part relativement faible du secteur des services a contribué à une baisse du PIB modérée.
Globalement, pour l’ensemble de 2020, la baisse de la production du secteur industriel ne sera que de 2,3% tandis que la baisse du secteur des services pourrait atteindre 14,3%.
Inversement, la France, où la part des services est bien plus importante, connaitra en 2020 une récession d’au-moins -9% et peut-être de -11%, ce qui est à comparer avec le chiffre de -4%/-5% avancé pour la Russie.

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Cela pose aussi le problème de la gravité de l’épidémie dans chaque pays.

La COVID-19 a beaucoup plus touché, en proportion à la taille de la population, la France, l’Espagne et l’Italie que la Russie. La Russie a pu ainsi éviter le type de confinement utilisé en France comme en Italie ou en Espagne, type de confinement qui a eu des conséquences très délétères sur l’économie. C’est une des explications à l’impact plus faible sur l’économie russe.
Une autre raison tient aux spécificités structurelles de l’économie russe dont, bien sûr, le poids du secteur des hydrocarbures. Klepatch note, cependant, que ce sont les conséquences de la « guerre des prix » de mars et avril qui ont été les plus notables. Cette « guerre des prix » n’est liée que de manière indirecte avec la pandémie et a beaucoup à voir avec l’opposition entre l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et la Russie.
Cependant, les effets de cette « guerre des prix » sont avant tout financiers. Ils se sont matérialisés par un forte baisse du prix du pétrole. Il est probable que le prix du pétrole restera autour de 40-50 USD le baril jusqu’à la fin de 2021.

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La Consommation et l’Investissement

Andrei Klepatch insiste, de manière très juste, sur la baisse de revenu des ménages et sur la chute de l’investissement. Il s’agit, effectivement, de deux points critiques, et liés. La baisse de revenu va conduire à une baisse de la consommation qui va entraîner à son tour une baisse de l’investissement. Ce dernier est en outre directement affecté par l’incertitude induite par l’évolution de la pandémie.
En France, le revenu des ménages a été protégé en partie par les mesures dites de « chômage partiel » qui ont abouti à la prise en charge par l’Etat d’une large fraction de la population. Mais, on mesure aujourd’hui que ceci n’a abouti qu’à décaler dans le temps cette baisse de revenu. Ce dernier va bien être affecté de manière durable par la crise économique.
Quant à la question de l’investissement, outre le problème de la dépense solvable potentielle, elle est affectée par l’incertitude qui pèse sur le futur. Ajoutons, ici, que le tissu économique de la France compte, en proportion, plus de PME que la Russie et que les PME sont plus sensibles à l’incertitude que les très grandes entreprises. Klepatch note, à juste titre le rôle des entreprises d’Etat dans le maintien relatif de l’investissement. C’est ici un avantage comparatif de la Russie sur la France. L’absence de levier étatique important dans l’économie, par le biais d’entreprises publiques ou à forte participation de l’Etat, désavantage la France dans le domaine de la mise en œuvre de mesures de politique économique.

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Les Mesures Anti-Crise

Cela conduit à considérer les mesures anti-crise qui ont été prises en Russie comme en France. Klepatch constate que le « plan anti-crise » a été de faible ampleur en Russie avec une dépense d’environ 3,5% du PIB. C’est une remarque qui a été faite par nombre d’économistes et qui est juste.. Mais, il souligne aussi – et ceci est inquiétant – que le gouvernement a réduit ses commandes publiques, au risque d’ailleurs de ne pas respecter les contrats signés, et souhaite revenir rapidement à une orthodoxie budgétaire qui, elle, est très discutable.
La volonté du gouvernement de revenir dès 2021 à l’application de la « règle budgétaire » apparaît dans ce contexte comme dangereuse, voire irresponsable. Tout se passe, selon Klepatch comme si le gouvernement sacrifiait l’avenir au présent. Klepatch n’écarte ni les mesures sociales, ni le recours à ce que l’on appelle l’Hélicoptère Money. Mais, surtout il insiste à très juste titre sur les investissements publics.
La France, en apparence, a choisi une politique bien plus expansive. Le plan de relance, qui vient s’ajouter aux mesures de soutien déjà prises (43 milliards d’euros, soit 2% du PIB), se monte à 100 milliards d’euros (4,4% du PIB) sur deux ans.
Mais, sur ces 100 milliards, il y a 20 milliards d’abattement d’impôts et beaucoup de sommes qui étaient déjà prévues, comme celles pour la SNCF et pour le secteur de la santé ; il y a enfin 6,6 milliards pour le prolongement du dispositif du chômage partiel.
Ce n’est donc plus 100 milliards que l’on obtient mais 62,7 milliards, soit environ 3% du PIB. Nous sommes, en dépit de ce qu’affirme le gouvernement, en dessous du niveau de réaction de l’Allemagne, de l’Italie et de la Russie.
Plus grave encore : si l’on regarde les mesures spécifiquement prévues pour l’industrie, qui se montent à 35 milliards, on constate que seulement 15 milliards seront de l’argent immédiatement disponible.

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Un Conservatisme Budgétaire ?

Il y a donc bien, en Russie comme en France, un problème majeur avec les réactions des gouvernements face à la crise du COVID-19. Les deux gouvernements semblent incapables de comprendre l’ampleur des dégâts que cette crise a provoqués.
Ils semblent aussi incapables de comprendre que l’incertitude radicale engendrée par l’épidémie ne peut être combattue que par un programme massif de soutien à l’investissement, que ce soit dans le domaine industriel, dans celui des infrastructures ou dans celui de la santé.
En Russie comme en France, les gouvernements s’accrochent à des conceptions budgétaires du passé, qui risquent d’handicaper très sérieusement l’économie dans la phase de récupération de la crise.
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MOSCOW – AUGUST 09: Moscow City construction site on August 09, 2013, Russia. Planned to combine business, entertainment and living space for 300,000 people. Cost estimated at $12 billion

Notes:
(I) https://www.facebook.com/jacques.sapir/posts/2078665722263335?__tn__=K-R