3851 – IRIS — 1/Souveraineté et attractivité sont-elles compatibles ? 18 juin 2020 … 2/Les milliardaires peuvent/veulent-ils vraiment sauver le monde ? 18 juin 2020

1/Souveraineté et attractivité sont-elles compatibles ? 18 juin 2020 …

2/Les milliardaires peuvent/veulent-ils vraiment sauver le monde ? 18 juin 2020

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1/Souveraineté et attractivité sont-elles compatibles ?

Par Charles Thibout, chercheur associé à l’IRIS et André Loesekrug-Pietri, Executive Director of the Joint European Disruptive Initiative

La France serait devenue la première destination des investissements étrangers en Europe. Une bonne nouvelle qui doit être nuancée, tant par la réalité des investissements, que par ce qu’ils disent du modèle de croissance français et européen, sous perfusion étrangère.

Il y a quelques jours, le Premier ministre français, dans un post LinkedIn, a loué les bons résultats du pays et affirmé que « la France représente une valeur sûre » pour les investisseurs étrangers.

L’attractivité de la France à nuancer

Cette bonne nouvelle, saluée au sommet de l’État, repose pourtant sur des fondations fragiles. Le rapport d’EY (Ernst and Young) et celui de Business France se fondent en réalité sur le nombre de « projets annoncés » par les investisseurs, et non sur les montants réellement investis, chiffres malheureusement absents des études du cabinet de conseil et de l’agence française.

Et pour cause. La référence en matière de montants effectivement investis par des acteurs étrangers, la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), montre depuis des années qu’aucune corrélation ne peut être établie entre le nombre de projets d’investissements et le montant des sommes réellement investies.

Pis, les années les plus pauvres en termes d’annonces de projets d’investissement ont été celles où les investissements réels ont été les plus nombreux.

Pour se faire une idée valable des annonces récentes, il faudra donc suivre avec attention la publication du prochain rapport du CNUCED. Pour lors, tout ce que nous pouvons dire, c’est que ces bons résultats sont sujets à caution ; rien n’indique, dans les faits, que la France soit réellement la première destination des IDE en Europe. En 2018, l’agence onusienne classait la France au quatrième rang, derrière les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Espagne.

Attractivité vs souveraineté : l’heure du choix

Le cérémonial autour de ces résultats, au-delà de la réalité du podium, est également contradictoire avec la notion centrale de souveraineté.

En effet, peut-on sincèrement se féliciter d’être les champions européens des investissements étrangers – avec toutes les précautions que cela impose, on l’a vu –, alors qu’en même temps l’investissement (formation brute de capital fixe, FBCF) des entreprises françaises est en chute libre, avec une baisse de 10,5 % au premier trimestre 2020 (OCDE). Certes, le Covid19 est passé par là, mais c’est l’un des plus mauvais résultats d’Europe.

Difficile de se réjouir donc. Au-delà du fait que la croissance des investissements étrangers masque cette réalité, les leviers d’action à la portée des européens se réduisent comme peau de chagrin en raison de la part croissante du capital des entreprises européennes passant sous le contrôle d’investisseurs étrangers.

Un rapport de la Commission européenne, paru l’an dernier, affirmait qu’entre 2007 et 2016, le montant détenu par des acteurs étrangers dans le capital des entreprises européennes avait été multiplié par quatre : 35 % du capital des entreprises européennes cotées se trouve désormais dans des mains non-européennes.

La hausse des acquisitions étrangères a été particulièrement spectaculaire dans des secteurs stratégiques comme l’électronique et l’optique (54% des actifs contrôlés), l’industrie pharmaceutique (56%) et les machines-outils : trois secteurs essentiels, s’il en est, de toute politique industrielle moderne.

Même constat du côté de la « R&D scientifique », pour reprendre la nomenclature bruxelloise. 35 des 85 acquisitions dans ce secteur ont été réalisées par des entreprises extra-européennes, soit 41 %. En valeur, la part des acquisitions étrangères dans ce secteur s’élève même à 83 %.

C’est l’ensemble du tissu économique, industriel et technologique européen qui se dérobe sous nos yeux.

  • Dès lors, une question se pose. Au-delà des batailles de chiffres, doit-on réellement célébrer la forte attractivité de la France et de l’Europe, alors qu’elle traduit la perte de souveraineté des Européens ?

Les emplois nouvellement créés offrent un certain réconfort.

  • Mais combien d’emplois supprimés par les délocalisations et les fermetures d’entreprises ces nouveaux emplois viendront-ils vraiment compenser ?
  • Finalement, à l’instar de grands précédents historiques, l’Europe est-elle condamnée à devenir un gâteau que l’on se partage ?

source/https://www.iris-france.org/147950-souverainete-et-attractivite-sont-elles-compatibles/

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Les milliardaires peuvent/veulent-ils vraiment sauver le monde ?

18 juin 2020
Le point de vue de Pascal Boniface

Il y a quelques semaines, une fusée Space X envoyait dans la station spatiale internationale deux astronautes américains. A peu près au même moment, Bill Gates faisait un très gros chèque à l’Organisation mondiale de la santé pour compenser la suspension de la contribution nationale des États-Unis annoncée par Donald Trump. Il y a un peu plus longtemps encore, Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, voulait lancer la Libra, une monnaie virtuelle permettant aux consommateurs de payer en ligne à moindre coût.

Qu’ont ces trois événements en commun ?

Pour chacun d’eux, il s’agit de milliardaires ayant fait fortune dans le digital, qui viennent remplir des fonctions traditionnellement régaliennes. En l’occurrence, la conquête de l’espace est normalement l’affaire des États. Or, c’est Elon Musk qui est venu au secours de la NASA. De même, ce sont généralement les États qui apportent une contribution aux organisations internationales. Pourtant, au moment où les États-Unis retiraient leur contribution étatique, c’est Bill Gates qui venait suppléer la défaillance de l’État américain à travers sa fondation. Enfin, le fait de battre monnaie est par définition une compétence régalienne. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’historiquement, la fausse monnaie a toujours été ardemment combattue par les États.

La fortune de Jeff Bezos, le patron d’Amazon, s’est accrue de 25 milliards de dollars au cours de la crise du Covid-19, c’est à dire à peu près le PIB du Honduras. Sa fortune s’élève désormais à 150 milliards de dollars, l’équivalent du PIB de la Hongrie ; et on estime que sa fortune pourrait rapidement atteindre 1000 milliards de dollars. On a de plus en plus de mal à trouver un sens et une signification à ces fortunes faramineuses. Le chiffre d’affaires de Facebook équivaut au PIB du Liban, soit 56 milliards de dollars, celui d’Alibaba, 48 milliards de dollars, est comparable au PIB de la République démocratique du Congo qui est certes un pays pauvre, mais aussi à celui de l’Azerbaïdjan qui est pourtant un pays pétrolier. Facebook réunit 2,6 milliards d’utilisateurs, c’est à dire à peu près autant que la population de la Chine et de l’Inde réunies.  Alibaba a 650 millions de clients, ce qui en ferait le troisième pays du monde en termes d’effectif démographique.

L’importance grandissante de ces milliardaires capricieux est problématique, car cela pose la question de savoir qui les contrôle.

Donald Trump doit rendre des comptes aux électeurs américains. Même dans les pays autoritaires, les dirigeants doivent rendre des comptes à leurs citoyens, même en Chine, où Xi Jinping a été mis en cause au sujet de sa politique de lutte contre le Covid-19.

Les milliardaires n’ont de compte à rendre à personne sauf à eux-mêmes ou éventuellement à leur famille. Ils utilisent donc leur fortune à des fins personnelles comme bon leur semble. Le danger de leur importance grandissante est que sans aucun contrôle sur leur activité, au moment où l’on se bat pour faire progresser la démocratie, se crée finalement une oligarchie de milliardaires à l’échelle mondiale, capables de faire ce qu’ils veulent. Cela peut être au service de tous, comme lorsque Bill Gates Finance l’OMS, ou de façon purement égoïste, à l’instar d’Elon Musk qui veut aller habiter sur Mars avec un million de personnes pour se protéger des guerres ou de la disparition des ressources terrestres.

Cette oligarchie s’affranchirait donc de masses informes qui n’auraient pas le droit à la parole et qui seraient soumises au bon vouloir et à la générosité, parfois intéressée, des acteurs oligarchiques.

Le problème est que l’on met en avant la charité par rapport à l’équité. Or, le rôle des États est d’assurer l’équité et de s’intéresser à l’ensemble des citoyens et si ce n’est pas le cas, les citoyens ont des moyens de se faire entendre. Or, un milliardaire fait la charité si bon lui semble et si bon ne lui semble pas il fait ce qu’il veut. S’il n’y a pas de contrôle de la part des sociétés civiles et des Etats, le risque est cette oligarchie préalablement évoquée s’impose graduellement, décidant de nos sorts sur lesquels nous n’aurons plus de prise.

Ce que l’on a gagné en démocratie au niveau des États, serait alors perdu auprès d’acteurs non étatiques tout aussi importants, mais sur lesquels, on n’exercerait aucun contrôle.


source/https://www.iris-france.org/147957-les-milliardaires-peuvent-veulent-ils-vraiment-sauver-le-monde/

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