1/ L’assassinat de Qassem Soleimani et l’assassinat comme politique d’État
2/ Le vote du parlement irakien en faveur du départ des américains: Le pire désastre politico-militaire américain au Moyen Orient depuis la chute du chah d’Iran en 1979.
1/ L’assassinat de Qassem Soleimani et l’assassinat comme politique d’État
Par Bill Van Auken – 6 janvier 2020 – wsws.org
Avec l’assassinat par un drone du général iranien Qassem Soleimani et de sept autres personnes à l’aéroport international de Bagdad aux petites heures du matin vendredi, l’administration Trump a perpétré un acte criminel de terrorisme d’État qui a stupéfié le monde entier.
Le meurtre de sang-froid par Washington d’un général de l’armée iranienne et d’un homme largement décrit comme la deuxième personnalité la plus puissante de Téhéran est incontestablement à la fois un crime de guerre et un acte de guerre direct contre l’Iran.
Le président Donald Trump prononce un discours sur l’Iran, dans sa propriété de Mar-a-Lago, le vendredi 3 janvier 2020, à Palm Beach, en Floride. (AP Photo/ Evan Vucci)
Il faudra peut-être un certain temps avant que l’Iran ne réagisse à ce meurtre. Il ne fait aucun doute que Téhéran réagira, en fait, surtout face à l’indignation du public au sujet du meurtre d’une figure qui avait un grand nombre de partisans.
Mais l’Iran consacrera sans doute à sa réponse beaucoup plus d’attention que Washington n’en a accordé à son action criminelle.
Le Conseil national de sécurité du pays s’est réuni vendredi et, selon toute probabilité, les responsables iraniens discuteront du meurtre de Soleimani avec Moscou, Pékin et, très probablement, avec l’Europe. Les responsables américains et les médias capitalistes semblent presque vouloir des représailles immédiates pour leurs propres fins, mais les Iraniens ont de nombreuses options.
C’est un fait politique que l’assassinat de Soleimani a effectivement déclenché une guerre des États-Unis contre l’Iran, un pays quatre fois plus grand et avec plus du double de la population de l’Irak. Une telle guerre menacerait de propager le conflit armé dans toute la région et, en fait, dans le monde entier, avec des conséquences incalculables.
Ce crime, motivé par le désespoir croissant des États-Unis face à leur position au Moyen-Orient et la crise interne croissante au sein de l’administration Trump, est stupéfiant par son degré d’imprudence et d’anarchie. Le recours par les États-Unis à un acte aussi odieux témoigne du fait qu’ils n’ont atteint aucun des objectifs stratégiques qui ont conduit aux invasions de l’Irak en 1991 et 2003.
Le meurtre de Soleimani est l’aboutissement d’un long processus de criminalisation de la politique étrangère américaine.
Les «assassinats ciblés», un terme introduit dans le lexique de la politique impérialiste mondiale par Israël, ont été utilisés par l’impérialisme américain contre des terroristes présumés dans des pays s’étendant de l’Asie du Sud au Moyen-Orient et à l’Afrique au cours de près de deux décennies. Il est toutefois sans précédent que le président des États-Unis ordonne et revendique publiquement le meurtre d’un haut fonctionnaire en visite légale et ouverte dans un pays tiers.
Soleimani, le chef de la Force Quds du Corps des gardiens de la révolution islamique en Iran, n’était pas un Oussama ben Laden ou un Abou Bakr al-Baghdadi. Au contraire, il a joué un rôle central dans la défaite des forces d’Al-Qaïda et de l’État islamique (EI), que ces deux figures, toutes deux assassinées par les escadrons de la mort des opérations spéciales américaines, avaient dirigées.
Des centaines de milliers de personnes ont rempli les rues de Téhéran et des villes à travers l’Iran vendredi pour pleurer et protester contre le meurtre de Soleimani, qui était considéré comme une icône du nationalisme iranien et de la résistance aux attaques de l’impérialisme américain sur le pays depuis des décennies.
En Irak, l’attaque du drone américain a été fermement condamnée comme une violation de la souveraineté du pays et du droit international. Parmi ses victimes, on compte non seulement Soleimani, mais aussi Abu Mahdi al-Muhandis, le commandant en second des Forces de mobilisation populaire (FMP) irakiennes, la coalition de milices chiites comptant 100.000 combattants qui est considérée comme faisant partie des forces armées du pays.
Cette réponse tourne en dérision les déclarations de voyou ignorantes de Trump et de ses conseillers. Le président américain, s’exprimant depuis son lieu de villégiature de Mar-a-Lago en Floride, s’est vanté d’avoir «tué le terroriste numéro un dans le monde». Il a poursuivi en affirmant que «Soleimani complotait des attaques imminentes et sinistres contre des diplomates et des militaires américains, mais nous l’avons pris sur le fait et nous l’avons éliminé.»
Trump a accusé le général iranien de «perpétrer des actes de terreur pour déstabiliser le Moyen-Orient depuis 20 ans.» Il a déclaré: «Ce que les États-Unis ont fait hier aurait dû être fait il y a longtemps. Beaucoup de vies auraient été sauvées.»
Qui le président américain pense-t-il tromper avec sa rhétorique mafieuse?
Les 20 dernières années ont vu le Moyen-Orient dévasté par une série d’interventions impérialistes américaines.
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L’invasion américaine illégale de l’Irak en 2003, basée sur des mensonges concernant les «armes de destruction massive», a coûté la vie à plus d’un million de personnes, tout en décimant ce qui avait été l’une des sociétés les plus avancées du monde arabe.
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Avec la guerre de dix-huit ans menée par Washington en Afghanistan et les guerres de changement de régime lancées en Libye et en Syrie, l’impérialisme américain a déclenché une crise régionale qui a tué des millions de personnes et en a forcé des dizaines de millions à fuir leurs foyers.
Soleimani, que Trump a accusé d’avoir «fait de la mort d’innocents sa passion malade» – une description appropriée de lui-même – s’est élevé à la tête de l’armée iranienne pendant la guerre Iran-Irak qui a duré huit ans et qui a coûté la vie à environ un million d’Iraniens.
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Il s’est fait connaître de l’appareil militaire, de renseignement et diplomatique américain en 2001, lorsque Téhéran a fourni des renseignements à Washington pour l’aider à envahir l’Afghanistan.
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Au cours de la guerre américaine en Irak, les responsables américains ont mené des négociations indirectes avec Soleimani alors même que sa Force Quds apportait son aide aux milices chiites qui résistaient à l’occupation américaine.
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Il a joué un rôle central dans le choix des politiciens chiites irakiens qui ont dirigé les régimes installés sous l’occupation américaine.
Soleimani a ensuite joué un rôle de premier plan
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dans l’organisation de la défaite des milices liées à Al-Qaïda qui se sont déchaînées contre le gouvernement de Bachar al-Assad dans la guerre orchestrée par la CIA pour le changement de régime en Syrie,
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puis dans le ralliement des milices chiites pour vaincre la progéniture d’Al-Qaïda, l’EI, après qu’il eut envahi environ un tiers de l’Irak, en mettant en déroute les forces de sécurité formées par les États-Unis.
Qualifier un tel personnage de «terroriste» signifie seulement que tout fonctionnaire ou commandant militaire d’un État, n’importe où dans le monde, qui entrave les intérêts de Washington et des banques et sociétés américaines, peut être qualifié de tel et être ciblé pour un meurtre.
L’attaque de l’aéroport de Bagdad montre que les règles d’engagement ont changé. Toutes les «lignes rouges» ont été franchies. À l’avenir, la cible pourrait être un général ou même un président en Russie, en Chine ou, en fait, dans n’importe quelle capitale des anciens alliés de Washington.
Après cet assassinat célébré publiquement – ouvertement revendiqué par un président américain sans même un semblant de déni – y a-t-il un chef d’État ou une figure militaire éminente dans le monde qui puisse rencontrer des responsables américains sans avoir à l’esprit que si les choses ne se passent pas bien, il pourrait lui aussi être assassiné?
L’assassinat du général Soleimani à Bagdad a été comparé par Die Zeit, l’un des journaux allemands de référence, à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche en 1914. Comme dans le cas précédent, il a déclaré: «Le monde entier retient son souffle et attend anxieusement ce qui pourrait arriver.»
Cet acte criminel comporte la menace d’une guerre mondiale et d’une répression dictatoriale à l’intérieur des frontières des États-Unis. Il n’y a aucune raison de croire qu’un gouvernement qui a adopté le meurtre comme instrument de politique étrangère s’abstiendra d’utiliser les mêmes méthodes contre ses ennemis intérieurs.
L’assassinat de Soleimani est une expression de la crise extrême et du désespoir d’un système capitaliste qui menace de jeter l’humanité dans l’abîme.
La réponse à ce danger réside dans la croissance internationale de la lutte des classes. Le début de la troisième décennie du 21e siècle est témoin non seulement de la poussée vers la guerre, mais aussi de la montée en puissance de millions de travailleurs à travers le Moyen-Orient, l’Europe, les États-Unis, l’Amérique latine, l’Asie et tous les coins du monde dans la lutte contre les inégalités sociales et les attaques contre les droits sociaux et démocratiques fondamentaux.
C’est la seule force sociale sur laquelle peut se fonder une véritable opposition à la campagne de guerre des élites capitalistes au pouvoir. La réponse nécessaire au danger de guerre impérialiste est d’unifier ces luttes croissantes de la classe ouvrière par la construction d’un mouvement anti-guerre socialiste, international et uni.
(Article paru en anglais le 4 janvier 2020)
source/https://www.wsws.org/fr/articles/2020/01/06/pers-j06.html
2/ Le vote du parlement irakien en faveur du départ des américains: Le pire désastre politico-militaire américain au Moyen Orient depuis la chute du chah d’Iran en 1979.
Les députés irakiens réunis en session extraordinaire dimanche 5 janvier. HANDOUT/REUTERS
madaniya.info – 2020/01/06
Le parlement irakien a voté dimanche 5 janvier 2020 en faveur du départ des soldats américains d’Irak ; conséquence de l’élimination par les États-Unis par un tir de drone du général Qassem Souleymani, commandant de la brigade Jérusalem des gardiens de la révolution iranienne, et de son lieutenant irakien, al-Mouhandis, chef d’«Al Hached Al Chaabi», la milice chiite irakienne vainqueur de Daech.
Ce vote fait suite à plusieurs jours des manifestations en Irak et en Iran invitant le gouvernement de Bagdad à voter le départ des 5200 militaires officiellement déployés par Washington depuis 6 ans en Irak pour lutter contre l’État islamique.
Les Américains avaient pris pied en Irak à la suite de leur invasion de l’Irak, en 2003, au cours de laquelle avait été renversé Saddam Hussein.
Un contingent de 150.000 hommes dans 105 bases militaires avait été déployé, porté à 170.000 lors des violences communautaires de 2006. Les États-Unis avaient fini par se retirer du pays en décembre 2011, sur ordre de Barack Obama, après 9 années d’occupation. Sur les 40.000 soldats encore présents à cette époque, seuls était restée une grosse centaine d’hommes, chargés d’entraîner les forces armées irakiennes et à protéger l’ambassade de Bagdad.
Avec le lancement de la coalition internationale contre l’État islamique en 2014, les États-Unis ont été contraints de réinvestir militairement l’Irak. Le nombre de soldats envoyés sur place est progressivement monté pour atteindre 3500 en juin 2015, puis 5000 en 2016. Ces forces ont été officiellement dépêchées pour jouer le rôle de «conseillers militaires».
Si le vote du parlement irakien venait à se concrétiser, il mettrait fin à une présence militaire américaine de 17 ans, matérialisée par des dépenses de l’ordre de 6 trillions de dollars (six mille milliards de dollars), 5.000 morts et 33.000 blessés.
Un échec d’autant plus cuisant que le démantèlement des bases américaines entrainerait la fermeture de la base américaine d’Al Tanaf, à la frontière syro irakienne, et libérerait ainsi la voie au transit transfrontalier entre l’Iran, l’Irak et la Syrie, affectant considérablement l’efficacité du blocus américain contre la Syrie et l’Iran.
Intervenant deux ans après la mise en échec du projet de constitution d’un état Kurde indépendant dans la zone frontalière irako-iranienne, en octobre 2017, en vue de servir de plateforme aux menées israéliennes et américaines contre l’Iran, le vote du parlement irakien constitue le pire désastre militaire américain depuis la déroute du Vietnam en avril 1975, il y a 44 ans. Pis, la première déroute politico militaire américaine de grande ampleur au Moyen Orient depuis la chute du Chah d’Iran en 1979.
Faisant écho au vote du parlement irakien, le chef du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah, a estimé dimanche 5 janvier que l’assassinat du général Qassem Souleiymani, constituait un «tournant» dans la confrontation du Moyen Orient.
«Aucun général américain ne vaut le général Soleymani. Toutes les bases et installations américaines au Moyen Orient, de même tout soldat constituent désormais une cible non seulement pour les Iraniens mais également pour toutes les forces opérant dans l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américaine au Moyen Orient», a ajouté le chef de la milice chiite libanaise, généralement considéré comme l’alter ego du général iranien et son principal partenaire militaire.
Au vu de ces sombres perspectives, l’élimination du principal artisan de l’accession de l’Iran au rang de puissance régionale majeure pourrait n’être qu’une victoire à la Pyrrhus, face à un pays millénaire, inventeur du jeu d’échec et de sa martingale imparable «échec et mat», qui signifie littéralement «As cheikh mat». Le roi est mort. Autrement dit en termes accessibles à l’opinion occidentale, le début de la fin de l’hégémonie américaine dans la zone.