3557 – Dossier Malaisie … A – Equilibre précaire le 05/08/2016 … B – Quelle stratégie internationale avec Mahathir Mohamad ? le 28/05/2018… C – La Malaisie à nouveau sur les rails de la Chine ? le 21/04/2019

A – Malaisie … équilibre précaire … le 05/08/2016

B – Quelle stratégie internationale avec Mahathir Mohamad ? le 28/05/2018…

C – La Malaisie à nouveau sur les rails de la Chine ? le 21/04/2019

EAGLE FEEDING

A – Malaisie … équilibre précaire … le 05/08/2016

le 05/08/2016 – Myriam Sonni – Asialyst.com

MALAISIE-UMNO-NAJIB-RAZAKNajib Razak, Premier ministre malaisien et président de l’United Malays National Organisation (UMNO) au pouvoir, lors du congrès annuel de son parti à Kuala Lumpur le 10 décembre 2015. (Crédits : MOHD RASFAN / AFP)

La Malaisie, puissance de l’Asie du Sud-Est, est l’un des pays les plus stables de la région.

Monarchie fédérale parlementaire, régime démocratique, société multiethnique et multiconfessionnelle, ancienne colonie britannique, la Malaisie est d’autant plus exceptionnelle que son territoire est divisé en deux par la Mer de Chine :

la Fédération de Malaisie est composée
  • de la Malaisie péninsulaire ou Malaisie occidentale
  • de la Malaisie orientale (nord de l’île de Bornéo).

Pour autant, plusieurs facteurs fragilisent l’unité de ce pays. Dans un contexte de crise de légitimité du pouvoir, les tensions ethniques sont exacerbées par des stratégies électorales et témoignent d’un équilibre précaire de la société malaisienne.

Contexte

La démocratie malaisienne est-elle en danger ? Le 1er août, une nouvelle loi sécuritaire, le National Security Council Act, est entrée en vigueur en Malaisie : elle inquiète aussi bien les Nations Unies que les groupes de défense des droits de l’homme et le peuple malaisien.

Si officiellement son objectif est de lutter contre le terrorisme islamiste, cette législation, votée en décembre dernier au Parlement, renforcerait le pouvoir du Premier ministre, Najib Razak, lui permettant de faire taire ses critiques.

Mêlé au scandale de corruption du fonds d’investissement étatique 1Malaysia Development Berhad (1MDB), Najib est accusé d’avoir détourné des centaines de millions de dollars et est vivement contesté, aussi bien par l’opposition que par sa propre coalition, le Barisan Nasional. Le National Security Council Act permettra au Premier ministre de déclarer des zones délimitées « d’état d’urgence » où les forces de sécurité bénéficieront de pouvoirs considérables et d’une certaine immunité. Dans sa quête de légitimité, Najib Razak, en plus de renforcer son autoritarisme, attise les tensions interethniques à des fins électorales et met en péril l’équilibre déjà fragile d’une Malaisie fracturée.

La Malaisie, un modèle de société multiethnique ?

La Malaisie est considérée comme un exemple de société multiethnique « pacifique ».

Aujourd’hui, le pays rassemble 30 millions d’habitants, dont
  • une majorité malaise et indigène (67.4%)
  • des minorités chinoise (24.6%),
  • indienne (7,3%)
  • d’autres ethnies (0.7%),

selon le dernier recensement daté de 2011.

Diverses langues et religions coexistent :

  • les Malais pratiquent l’islam,
  • les Chinois le christianisme,
  • le taoïsme
  • le bouddhisme,
  • les Indiens, de langue tamoule, pratiquent l’hindouisme.

A mi-chemin entre la Chine et l’Inde, la Malaisie a profité du développement du commerce maritime pour devenir un carrefour régional et mondial, et de ce fait, une société multiculturelle.

La colonisation européenne a néanmoins bouleversé la société malaise traditionnelle. Les Britanniques sont arrivés sur la péninsule au cours du XVIIIème siècle : Penang, Singapour et Malacca sont regroupés en 1826 au sein des Straits Settlements (établissements des détroits), territoires anglais d’abord gérés par la Compagnie britannique des Indes orientales, puis dès 1867, directement sous le contrôle de la Couronne. Progressivement, jusqu’en 1914, le Royaume-Uni instaure une politique de protectorat[1] dans le reste du pays.

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L’immigration sous l’ère coloniale britannique a bouleversé la société malaise.
Les dirigeants britanniques ont favorisé l’immigration chinoise et indienne ; ils ont créé une ségrégation ethnique artificielle en attribuant aux populations des secteurs économiques bien définis*.
*Serge Desponds, Identité malaise et diasporas dans le détroit de Malacca, Paris, IRD, 1998, p. 262.
Ainsi, les Malais travaillaient dans l’agriculture, les Chinois dans l’industrie et les Indiens dans les plantations.

En renforçant les divisions interethniques, ils empêchent ainsi toute forme de solidarité entre ces groupes sociaux.

Les Chinois, qui résident sur la côté occidentale de la péninsule malaisienne, sont urbanisés, bien plus que les Malais, et construisent les villes.
Les Malais, eux, sont concentrés dans les Etats liés à l’agriculture, comme Perlis, Kedah, Kelantan et Terengganu, dans le nord du pays.
Les occupations associées aux zones urbaines sont donc entre les mains des Chinois : ainsi, ils profitent davantage du développement économique du pays, et diversifient leurs activités rapidement, notamment dans le commerce.

Cette séparation géographique entre les ethnies qui composent la Malaisie n’a fait que renforcer les différences culturelles, linguistiques et religieuses.

En effet, chaque communauté a conservé une identité forte, compliquant la création d’une certaine unité nationale. La stratégie « diviser pour mieux régner » appliquée par les Britanniques dans ses colonies à porter ses fruits : l’appartenance à un groupe ethnique est plus forte que l’appartenance à la nation ou à une classe sociale, rendant difficile une quelconque révolte.

Les Malais détiennent en revanche le pouvoir politique : les officiers coloniaux placent exclusivement des Malais au sein du gouvernement, et les forment progressivement à les remplacer.

Il en découle une représentation forte et très ancrée dans la société malaisienne, notamment après l’indépendance : les Malais détiendraient le pouvoir politique et les Chinois le pouvoir économique.

Dans les faits, ces pouvoirs sont monopolisés par une élite restreinte, où Chinois et Malais n’hésitent pas à coopérer.

L’envahisseur japonais au cours de la Seconde Guerre mondiale a renforcé les divisions ethniques.

  • Les Chinois et les Indiens, nécessaires à la production pour l’effort de guerre, subirent la stricte surveillance de la Kempetaï, la Gestapo japonaise, accompagnée de tortures et de massacres.
  • En revanche, les Malais qui se trouvaient toujours majoritairement dans les campagnes, furent davantage épargnés. Ainsi la politique nippone d’occupation du pays s’est-elle fondée sur une oppression discriminée*.
*Serge Desponds, Identité malaise et diasporas dans le détroit de Malacca, Paris, IRD, 1998, p. 262.
Cette opposition entre les Chinois résistants et les Malais collaborateurs marque alors les premiers conflits entre les différentes ethnies, qui jusqu’à présent vivaient ensemble mais séparément. Soit des règlements de compte sanglants entre résistants et collaborateurs. Couplée aux tensions interethniques, la fin du mythe de la supériorité des Européens a provoqué l’éveil d’un nationalisme ethnique malais qui exclue les autres groupes.

Il faudra douze ans après la fin de la guerre pour que tous se rassemblent autour d’une nation malaisienne, tant les communautés étaient opposées sous l’occupation nippone.

Un paysage politique divisé en deux coalitions

Le départ des Japonais en 1945 laisse un paysage politique en forme de champ de bataille. Héritage de la colonisation et de la guerre, l’ethnicité garde un rôle prépondérant dans la création des partis politiques.
L’United Malays National Organisation (UMNO), qui défend les droits malais, entre en politique en 1946. Les Indiens sont représentés par le Malaysian Indian Congress (MIC), parti fondé la même année, et les Chinois par la Malaysian Chinese Association (MCA), qui fut reconnu comme parti politique en 1951.
Autant d’organisations ethnico-poliques encouragées par les autorités britanniques, qui poussent également à la formation d’une alliance pluriethnique entre ces partis. En 1952, Le MCA (chinois, donc) s’allie avec l’UMNO (malais) lors des élections municipales de Kuala Lumpur. Cette association, d’abord temporaire, donne naissance à l’Alliance. La coalition est rejointe par le MIC (indiens) en 1954 (1). L’Alliance, composée des trois principaux partis ethniques, remporta par la suite les premières élections fédérales de la Fédération de Malaisie en 1955, avec la majorité absolue – 51 sur 52 sièges (2) -,

…ouvrant les portes de l’indépendance, accordée en 1957, grâce à un arrangement entre les représentants des trois groupes ethniques de la Malaisie contemporaine.

(1)Keat Gin Ooi, ed. (2004). Southeast Asia: A Historical Encyclopedia, from Angkor Wat to East Timor, Volume 1. ABC-CLIO. pp. 138–139. (2) Michel Gilquin, La Malaisie, Khartala, 1996, Paris, p. 68.

En mai 1969, l’équilibre s’écroule. La monopolisation du pouvoir par l’Alliance est remise en question pour la première fois par une coalition d’opposition menée par le Democratic Action Party (DAP), à majorité chinoise, qui remporte 25 sièges.

Conséquence, des émeutes raciales éclatent le 13 mai 1969 à Kuala Lumpur, opposant des Malais et des Chinois et causant plusieurs centaines de morts.

Pour que ces événements ne se reproduisent plus jamais, le gouvernement a mis en place un système de discrimination positive pour les Malais, la « Nouvelle politique économique », qui étend les droits spéciaux de l’ethnie majoritaire en termes d’éducation, d’accès aux crédits bancaires et d’emplois publics afin de l’aider à rattraper son retard économique par rapport aux Chinois. L’Alliance se renomme Barisan Nasional (Front National) et s’élargit en incluant les partis Gerakan ou PPP (People’s Progressive Party), ainsi que des partis locaux de Sabah et Sarawak, les deux Etats de la partie insulaire de la Malaisie.

Aujourd’hui, la coalition, composée de 13 partis, est largement dominée par l’UMNO.

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Depuis 2008, le paysage politique malaisien est divisé entre deux coalitions.
En 2008, l’alliance Barisan Nasional se retrouve encore en difficulté lorsqu’une nouvelle coalition d’opposition s’est formée, nommée Pakatan Rakyat. Elle rassemble les trois principaux partis d’opposition :
  1. le parti DAP,
  2. le parti multiracial People’s Justice Party (PKR)
  3. le parti islamiste Pan-Malaysian Islamic Party (PAS).

Ensemble, ils privent le Barisan Nasional de la majorité des deux tiers au Parlement, qui lui permettait jusqu’à présent de réviser la Constitution. Le Premier ministre de l’époque, Abdullah Badawi céde sa place en 2009 à l’actuel Premier ministre, Najib Razak, moins religieux et avec plus de poigne. Malgré ce changement de leader, les élections générales de 2013 confirme l’effritement du parti au pouvoir UMNO et la montée de l’opposition, portée par le vote des Chinois et des Indiens, mais aussi par une importante portion de la communauté malaise. Barisan Nasional garde une majorité de sièges (133) au parlement, mais perd le vote populaire, avec seulement 47.38% des suffrages.

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Les élections législatives de 2013 témoignent d’un déclin de la coalition au pouvoir, le Barisan Nasional.
Si l’opposition s’est affaiblie depuis la sortie du parti islamiste PASen 2015, Najib Razak et l’UMNO traversent une crise de légitimité depuis la révélation par le Wall Street Journal [2] d’un scandale financier lié au 1Malaysia Development Berhad, le fonds d’investissement créé par le Premier ministre en 2009.
Najib Razak est soupçonné d’avoir fait verser sur son compte une somme équivalente à environ 550 millions d’euros provenant du fonds souverain. Cette affaire a ravivé la coalition Bersih (« propre » en malais). Formé en 2006, le mouvement rassemble diverses ONG qui appellent à une réforme du système électoral pour assurer des élections justes et non corrompues. Elle dénonce les manipulations de la Commission électorale sous la direction du Département du Premier ministre afin de protéger et favoriser la coalition Barisan Nasional au pouvoir depuis 1957 (voteurs fantômes, fraudes, etc.).

Les rassemblements organisés en août 2015[3] par Bersih 2.0 étaient majoritairement constitués de Chinois et Indiens. Leur objectif : réunir les Malaisiens pour combattre la corruption, et contre le gouvernement actuel accusé d’exploiter les différences de son peuple pour se légitimer.

Dr Ahmad Farouk Musa, président adjoint de Bersih 2.0, analyse :

«  » L’objectif du gouvernement était de s’assurer que les manifestations échouent. Il y a eu une propagande de la part des médias tenus par le pouvoir pour faire de Bersih un mouvement chinois, chrétien, soutenu par le DAP et qui essaie de faire tomber le gouvernement malais. Il y a beaucoup de Chinois à ces rassemblements, mais aussi des Malais. Cela s’explique par le retrait de PAS de la coalition Pakatan Rakyat. Le parti islamiste, qui jouait un rôle important dans l’organisation des manifestations précédentes du mouvement, a décidé en 2015 de ne pas s’impliquer. » »

En réponse, un contre-mouvement s’est organisé pour soutenir le Premier ministre Najib Razak : une manifestation à Kuala Lumpur le 16 septembre 2015, nommée Malay Dignity Gathering (Rassemblement pour la dignité malaise), et clairement anti-chinoise.

Un islam instrumentalisé pour légitimer le pouvoir

Najib Razak Najib Razak, premier ministre malaisien. Joshua Paul / AP

Affaibli, Najib Razak multiplie les excès d’autoritarisme et se sert de l’islam pour légitimer son pouvoir[4].

Pour mieux comprendre, revenons sur l’islamisation de la Malaisie. Elle a débuté dès les années 1970 avec la naissance de plusieurs mouvements religieux, appelant à un renouveau de l’islam et un retour aux sources, prônées par des dakwah, des groupes de prosélytisme islamique.

Ces derniers ont un impact important sur la société malaisienne et donc sur le paysage politique, avec un gouvernement qui souhaite s’impliquer dans ce « réveil de la foi ». L’islam devient alors l’un des principaux éléments de campagne des partis malais et musulmans, l’UMNO et le PAS, les poussant à une surenchère religieuse.

Après le vote massif de la communauté chinoise et indienne pour la coalition d’opposition, Najib Razak a crié au « tsunami chinois ».Désormais, la stratégie électorale de son parti consiste à se concentrer sur le vote malais, en marchant sur les plates-bandes du parti PAS, isolé après s’être retiré de la coalition d’opposition, en conflit avec le parti laïque DAP.

Dans le même temps, l’homme fort de l’UMNO tente de faire diversion face aux accusations de corruption et à l’économie en berne.

Le pays reste dépendant deses exportations en ressources naturelles vers la Chine, dont le ralentissement handicape l’économie malaisienne, tandis que le taux de change du ringgit par rapport au dollar a chuté.

Pour se maintenir, Najib mise sur une alliance avec les partis islamistes, en instrumentalisant l’islam radical, bien qu’il lui manque l’aura pieuse et la vision politico-religieuse de ses prédécesseurs, Mahathir et Abdullah Badawi.

Ainsi, l’actuel Premier ministre autorise des institutions religieuses et des membres de son parti à afficher des positions fondamentalistes, des positions qui touchent de plus en plus les non musulmans. Pour gagner le vote des Malais conservateurs, son gouvernement soutient les États de la fédération qui souhaitent appliquer les hudûd [4], châtiments prescrits par le Coran et la Sunna, défendus par le PAS. Si les hudûd sont légalisés, ils ne seront appliqués qu’aux musulmans. Vivre dans une société aussi conservatrice effraie néanmoins les communautés chinoise et indienne.

Le Sarawak aux Sarawakiens : la perspective d’une scission de la Malaisie ?

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Le territoire malaisien a la particularité d’être discontinu:
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  • il est divisé entre la Malaisie péninsulaire et la Malaisie orientale, qui regroupe les États de Sabah et Sarawak au nord de l’île de Bornéo.

Leur intégration à la Fédération de Malaisie le 16 septembre 1963, devait contrer le poids démographique chinois de Singapour.

Cependant, Sabah (autrefois Nord-Bornéo) et Sarawak ne bénéficient pas du même développement socio-économique que la Malaisie péninsulaire. Craignant de devenir à nouveau des colonies, plusieurs partis politiques se sont formés pour défendre les intérêts des peuples de Sabah et Sarawak. Les deux États jouissent donc d’une certaine autonomie, sur le plan administratif, judiciaire et sur le contrôle de leurs frontières.

En revanche, il persiste entre les deux rives des écarts de développement démographique et économique. Sabah et Sarawak, bien moins peuplés que la péninsule, lui servent de réserve en ressources naturelles – des plantations d’huile de palme aux gisements offshore de pétrole et de gaz.

Or l’économie malaisienne repose principalement sur l’exportation de ces matières premières, même si elle dépend aussi de l’exploitation de ses plantations de palmiers et d’hévéas sur le péninsule.

L'économie malaisienne repose sur l'exploitation de ses ressources naturelles.
L’économie malaisienne repose sur l’exploitation de ses ressources naturelles.
Les Etats de la Malaisie insulaire sont un bastion de la coalition Barisan Nasional, qui comprend sept partis locaux.
Cependant, de par leur diversité ethnique et religieuse (la population de ces États est majoritairement issus d’ethnies indigènes et chrétienne), ils rejettent de plus en plus les décisions de Kuala Lumpur : de l’islamisation du pays à la gestion même des deux États insulaires.
Plusieurs groupes réclament ainsi l’indépendance des deux États, notamment du Sarawak.
Le groupe Sarawak 4 Sarawakians (Sarawak aux Sarawakiens) milite pour davantage d’autonomie, notamment sur la gestion des ressources naturelles.
Selon un sondage du Merdaka Center for Opinion Research,
  • 85% des citoyens du Sarawak souhaiteraient plus d’autonomie pour leur État, particulièrement sur l’économie et l’éducation,
  • et 47% soutiennent Sarawak 4 Sarawakians.

Le mouvement a annoncé en janvier dernier avoir rassemblé 300 000 signatures pour la restauration complète de l’autonomie de l’État.

L’UMNO, guidé par Najib Razak, est de plus en plus contesté, au sein même de sa coalition. Pourtant, l’homme fort de la Malaisie est prêt à tout pour rester au pouvoir, quitte à compromettre son parti et même l’unité de son pays.

Une peine d’emprisonnement pour corruption plane sur la tête de Najib comme une épée de Damoclès: une perspective d’avenir qu’il évite tant qu’il est au pouvoir.

Son objectif est donc clair: remporter les élections législatives de 2018. Pour cela, il joue sur les tensions interethniques et interreligieuses de la Malaisie, fragilisant ainsi son unité, et n’hésite pas à supprimer les quelques libertés civiles restant au peuple malaisien.

La Malaisie, un pays divisé mais stable, va-t-elle perdre son équilibre ? Ou pourra-t-elle un jour, comme l’opposition l’offre, devenir une nation unie dans sa diversité, et franchir les lignes ethniques et religieuses ?

 

Par Myriam Sonni
  1. http://thingsasian.com/story/history-malaya%E2%80%A6how-it-all-began
  2. https://www.wsj.com/articles/fund-controversy-threatens-malaysias-leader-1434681241
  3. https://www.straitstimes.com/asia/se-asia/what-you-need-to-know-about-malaysias-bersih-movement
  4. https://asialyst.com/fr/2016/06/30/religion-et-evolution-socio-politique-de-la-malaisie/

source/https://asialyst.com/fr/2016/08/05/malaisie-equilibre-precaire/

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B – Quelle stratégie internationale avec Mahathir Mohamad ? le 28/05/2018…

Victor Germain – Asialyst –

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De retour au pouvoir, compte rééquilibrer les relations de la Malaisie avec la Chine. (Source : Asia Times)
C’est une avalanche de sourires et de poignées de mains. Des photos publiées en cascade sur le compte Twitter du nouveau Premier ministre malaisien. Depuis son arrivée à la tête du gouvernement, Mahathir Mohamad reçoit beaucoup.

Les diplomates étrangers cherchent à en savoir plus sur les intentions de celui qui a mené la coalition Pakatan Harapan (Le « Pacte de l’Espoir ») à une victoire historique le 9 mai 2018 , marquant la première alternance en Malaisie depuis son indépendance en 1957.

Clic, clac ! Photos avec l’ambassadeur d’Australie, des États-Unis, de Grande-Bretagne, puis en fin de semaine dernière avec les ambassadeurs japonais, chinois et russe. Un tour du monde en images, qui pour l’instant est resté muet. Mahathir Mohamad ne s’est pas encore exprimé sur la politique extérieure, sachant que l’actuel gouvernement restreint[1} ne compte pas encore de ministre des affaires étrangères.

Cette absence de prise de position sur la politique étrangère malaisienne s’explique par la crise politique qu’a connue le pays à la veille des quatorzièmes élections générales.

Contrairement aux batailles électorales précédentes, les questions internationales n’ont pas été abordées pendant la campagne.
Ou alors pour faire peur aux électeurs : l’ancien Premier ministre Najib Razak agitant une hypothétique menace sioniste contre le pays, tandis que le Pakatan accusait son principal adversaire, en l’occurrence le Barisan Nasional de vouloir céder la souveraineté du pays à la Chine. Les débats se sont concentrés notamment sur les affaires de corruption et les soupçons de détournements de fonds publics entourant Najib Razak.

Élu pour y mettre fin, le nouveau gouvernement concentre ses efforts avant tout sur les questions intérieures délaissant donc l’international.

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Le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed avec l’ambassadeur de la Fédération de Russie. (Compte Twitter officiel)

Héraut des pays du Sud

Pourtant, dans le jeu politique malaisien, l’international a longtemps servi à l’exécutif à renforcer sa légitimité. Mahathir Mohamad a été le premier à en jouer quand il était chef du gouvernement sous d’autres couleurs* entre 1981 et 2003
(*Il était alors membre du principal parti du Barisan Nasional, la United Malay National Organisation qu’il quitte en 2016 pour rejoindre le Pakatan Harapan).
Le Docteur Mahathir se faisaient à la fois le chantre des musulmans en soutenant les causes palestiniennes et bosniaques notamment, mais aussi le porte-parole des petits pays d’Asie face aux grandes puissances, dénonçant la domination de l’Occident sur le système international.
Jusqu’à la crise financière de 1997, la Malaisie de Mahathir est ainsi souvent apparue en héraut virulent du Sud, n’hésitant pas à s’en prendre violemment aux États-Unis sur les questions des droits de l’Homme ou de l’environnement.
Loin de vouloir renverser le système international, Kuala Lumpur demandait alors sa réforme pour garantir aux États du Sud leur indépendance politique et économique et ainsi assurer leur développement. Dans le même temps, le pays cherchait à diversifier ses sources d’investissements pour ne pas trop dépendre de l’Occident.

Cette stratégie a été efficace car jamais Mahathir n’a été critiqué par ses opposants sur sa politique étrangère. Il avait aussi le soutien des pays du Sud. Un appui de poids qui a permis à la Malaisie d’être reconnue sur la scène internationale et d’être élue deux fois en dix ans au Conseil de Sécurité de l’ONU.

MALAISIE Docteur Mahathir 000_19K3YA-e1538297976583-640x400 Le Premier ministre malaisien Mahathir bin Mohamad pendant le débat général de la 73ème session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 28 septembre 2018 (Crédit : KENA BETANCUR / AFP)

Cette politique de confrontation avec l’Occident n’est certes pas allée sans quelques errements autour du conflit israélo-palestinien. N’hésitant pas à franchir la frontière entre antisionisme et antisémitisme, le Premier ministre malaisien interdit en 1983 l’orchestre philharmonique de New York de jouer une œuvre composée par un musicien juif. C’est lui aussi qui plus tard va exiger la censure de La Liste de Schindler, qualifiant le film de Steven Spielberg de « propagande juive ». Avant ce dérapage dix ans plus tard, lors d’un sommet des États musulmans en 2003 : « Les juifs, déclarait-il alors, dirigent le monde par procuration. »

Le mouvement des « modérés »

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Tun Abdullah giving his speech during the opening of Limkokwing London.
L’arrivée au pouvoir d’Abdullah Badawi en 2003 fait cesser les provocations mahathiriennes.
  • Il met au contraire en avant le thème de la modération qui doit permettre au pays de mieux s’insérer dans la mondialisation.
  • Il met entre parenthèses les récriminations face à l’Occident.
  • Il tente aussi un rapprochement avec les États-Unis, malgré la persistance des tensions sur les questions palestiniennes et iraniennes. Washington a longtemps reproché à Kuala Lumpur ses bonnes relations politiques et économiques avec l’Iran.

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A partir de 2009, Najib Razak va poursuivre cette politique d’apaisement. La Malaisie s’affiche alors en exemple de pays musulman développé et modéré. C’est notamment le lancement depuis la tribune de l’ONU en 2015, du « Global Movement of Moderates ».

Le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed avec l'ambassadeur de Chine. (Compte Twitter officiel)

Le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed avec l’ambassadeur de Chine. (Compte Twitter officiel)

L’objectif est également de garantir le développement économique du pays et d’assurer la stabilité du régime. Pour cela, Najib se rapproche de la Chine. L’objectif est d’intégrer la Malaisie aux « Nouvelles Routes de la Soie », le projet lancé par Pékin devant connecter l’Asie au reste du monde.

Les investissements chinois pleuvent. Le pays doit accueillir un grand parc industriel, une ligne de chemin de fer reliant l’est et l’ouest de la péninsule, ainsi qu’un nouveau port dans la ville de Malacca. Mais le changement de ton est de courte durée.
En 2015, suite à la révélation d’un transfert de 700 millions de dollars provenant du fonds d’investissement publique 1MDB sur le compte personnel de Najib, celui-ci renoue avec une certaine véhémence. Il défend publiquement les Rohingyas, la minorité musulmane de Birmanie victime d’un nettoyage ethnique, et accuse l’ONU d’impotence face à la tragédie pour son inaction.

Crédibilité internationale

MALAISIE Le retour de Mahathir AP18225159119567-640x400 Le Premier ministre de la Malaisie Mahathir Mohamad lors d’un entretien avec l’AP à Putrajaya, en Malaisie, le 13 août 2018. (Crédit : AP Photo/Yam G-Jun)

Le retour de Mahathir au pouvoir sous les couleurs de l’opposition va-t-il marquer un retour aux grandes heures de la défense des pays du Sud face à l’Occident ? Rien n’est moins sûr. La Malaisie peut être aujourd’hui considérée comme une puissance moyenne.

Ce statut implique donc un certain nombre d’attentes pour ne pas être déconsidérée sur la scène internationale. Pour ne pas effrayer ses partenaires et apparaître comme crédible, Kuala Lumpur doit rester mesuré dans ses propos, d’autant que le plan d’orientation 2016-2020 du ministère des Affaires étrangères fait de la crédibilité internationale la ligne directrice de son action diplomatique.

Surtout, la Malaisie atteindra bientôt le stade des économies à hauts revenus, comme l’indique la Banque Mondiale*, et devrait compter parmi les 25 premières économies mondiales en 2050[2}.

*Banque Mondiale, « Turmoil to Transformation, 20 Years after Asian Financial Crisis », in Malaysia Economic Monitor, décembre 2017.

Pour ne pas briser cette dynamique économique, le pays ne peut pas se permettre d’être pointé comme un dissident voire un déviant à l’international. Cela ne pourrait qu’avoir des conséquences désastreuses pour son économie.

Bien que toutes ses priorités et orientations aient été annoncées par le précédent gouvernement, il est bien peu probable que la nouvelle administration revienne dessus. Alors même qu’il cherche à tourner définitivement la page des années Najib (2009-2018) et à remettre de l’ordre dans l’économie et la politique intérieure de la Malaisie, Mahathir ne peut pas se permettre d’ouvrir un second front sur l’international.
MALAISIE L'alliance d'opposition malaise conduite par l'ancien dirigeant Mahathir Mohamad, 92 ans, a remporté les élections législatives 1525929365
L’alliance d’opposition malaise conduite par l’ancien dirigeant Mahathir Mohamad, 92 ans, a remporté les élections législatives ce qui met un terme à six décennies de pouvoir de la coalition pro-gouvernementale Barisan Nasional (BN)

La victoire du Pakatan Harapan offre aujourd’hui une crédibilité exceptionnelle au pays. Elle est désormais perçue comme une véritable démocratie.

MALAISIE La vice-premier ministre Wan Azizah 23457538-25728558 MALAISIE La vice-premier ministre Wan Azizah  

La vice-premier ministre Wan Azizah a ainsi fait savoir que le nouveau gouvernement suivrait la ligne diplomatique du Barisan Nasional sur la question palestinienne : le rejet de Jérusalem comme capitale d’Israël et la recherche d’une paix à deux États.
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Mahathir Mohamed et les investissements chinois en Malaisie. (Crédits : DR)
Seule la question des relations avec la Chine pourrait marquer une rupture en politique étrangère avec Najib Razak. Mahathir Mohamad a violemment dénoncé la politique d’investissement chinois dans le pays.

Pékin a lancé une opération de séduction le 23 mai 2018 en envoyant un émissaire auprès du nouveau Premier ministre et son ambassadeur a rappelé les relations anciennes et prospères entre les deux pays depuis 1974. Mais ces efforts semblent vains.

Le 26 mai 2018, Mahathir a déclaré que son gouvernement cherchait à renégocier à moindre coût les termes du contrat pour le super projet chinois East Coast Rail Link devant traverser la péninsule malaise. L’objectif de Kuala Lumpur est de recouvrer la souveraineté que Najib aurait cédée à la Chine et surtout de s’assurer que le chantier soit bénéfique à l’économie du pays.

Comme souvent chez les puissances moyennes d’Asie du Sud-Est, les capitales économiques sont mises en concurrence pour essayer d’en tirer le meilleur parti.

L’histoire pourrait bien bégayer. A son arrivée au pouvoir en 1981, Mahathir avait fait du Japon l’un des principaux partenaires du pays. Selon un communiqué de l’agence de presse malaisienne, le nouveau Premier ministre effectuera son premier déplacement officiel[3] en juin prochain à… Tokyo.
Par Victor Germain

Victor Germain

Victor Germain
Spécialiste de la Malaisie, Victor Germain est chargé d’études à l’Institut de recherche stratégique de l’École Militaire (IRSEM). Diplômé de Sciences Po Paris en science politique et relations internationales, il a également étudié à l’Universiti of Malaya à Kuala Lumpur. Il est l’auteur d’un mémoire universitaire à l’IEP de Paris sur le populisme dans la politique étrangère de la Malaisie.

  1. https://www.thestar.com.my/news/nation/2018/05/21/new-cabinet-members-sworn-in-including-countrys-first-female-deputy-pm/
  2. https://www.nst.com.my/business/2017/09/277677/malaysia-be-worlds-24th-most-powerful-economy-2050-pm-najib
  3. https://www.malaysiakini.com/news/426614


Kuala Lumpur
ville de Kuala Lumpur en soirée, paysage urbain de Malaisie, Kuala Lumpur est la capitale de la Malaisie

C – La Malaisie à nouveau sur les rails de la Chine ? le 21/04/2019

 

Victor Germain – Asialyst –

 

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Le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamed. (Source : SCMP)

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« Avec cette réduction, nous pourrions à nouveau construire deux fois les tours Petronas ! »
Ainsi exultait Daim Zainuddin[1] après la signature le 11 avril 2019 dernier, d’un accord entre la Chine et la Malaisie en vue de reprendre les travaux de l’East Coast Rail Link(ECRL). Projet lié aux « Nouvelles routes de la Soie », cette ligne de chemin de fer traverse la péninsule malaisienne de Kota Baru à l’Est jusqu’à Port Klang sur le détroit de Malacca.
Ancien ministre des finances de 1984 à 1991, Daim avait été chargé par le Premier ministre Mahathir Mohamed de renégocier le contrat afin d’en réduire le coût. Mission accomplie pour l’octogénaire puisque les travaux doivent redémarrer au mois de mai[2].
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Annoncé en novembre 2016, l’ECRL devait être le projet le plus coûteux que la Malaisie ait connu. Long de 688 km, il était estimé à 14 milliards d’euros, soit 21 millions le kilomètre, et il plaçait le pays au cœur de la Belt and Road Initiative (BRI) promue par Pékin.
Cependant, la ligne ferroviaire a immédiatement suscité de nombreuses critiques à cause de son coût, mais aussi de la faible part allouée aux Malaisiens dans les travaux. En effet, comme dans de nombreux projets liés à la BRI, les entreprises chinoises prennent tout en charge, de la conception jusqu’à l’acheminement d’ouvriers.
Mahathir Mohamed, Premier ministre de 1981 à 2003, a été le plus virulent à l’égard de l’ECRL, n’hésitant pas à accuser Najib Razak, alors chef du gouvernement, de vendre la Malaisie à la Chine. Mais ces critiques n’ont pas arrêté les travaux, la phase initiale ayant démarré en août 2017 après une cérémonie en grande pompe.

De la négociation au compromis

La victoire historique de la coalition du Pakatan Harapan menée par Mahathir lors des élections législatives de mai 2018 a remis en cause l’ECRL. Le gouvernement a ordonné la suspension des travaux en juillet. Mais un mois plus tard, Mahathir, alors en voyage officiel à Pékin, se montre flou sur son avenir.
Après avoir annoncé l’annulation de trois projets chinois dans le pays, dont l’ECRL, il rétropédale quelques heures plus tard et précise que les travaux sont suspendus sine die. Le gouvernement malaisien conditionne leur reprise à une réduction sensible des coûts de construction.
Lancées dès juillet 2018, les négociations entre la Malaisie et l’entreprise China Communications Construction Corporation (CCCC) en charge du projet apparaissent vite bloquées. A tel point que Mahathir annonce à plusieurs reprises que son gouvernement est prêt à payer les pénalités d’annulation.
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Le ministre des Finances Lim Guan Eng
Début mars 2019, un accord semble en vue. Le ministre des Finances Lim Guan Eng déclare alors que les travaux de l’ECRL reprendront si les coûts sont revus à la baisse. Quelques semaines plus tard, le gouvernement rejette la proposition de CCCC de réduire la facture de 2,1 milliards d’euros[3].
Finalement, la Malaisie et l’entreprise chinoise signent un compromis le 11 avril. Le coût total du projet est désormais estimé à 9,4 milliards d’euros, soit une réduction d’un tiers du montant initialement prévu.
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Le tracé est également modifié. Plus courte de 40 kilomètres, la ligne de chemin de fer dessert un nouvel État fédéré, le Negeri Sembilan au sud de Kuala Lumpur. Cette déviation évite de percer un tunnel mais permet aussi de relier Putrajaya, la capitale administrative du pays, ainsi que l’aéroport international de Kuala Lumpur[4].
Dans une conférence de presse le 15 avril, Mahathir annonce d’importants changement par rapport à l’accord initial [5]. La part des travailleurs malaisiens sur le chantier doit passer de 30 à 40 % ; ce dernier ne sera plus confié uniquement à CCCC mais une coentreprise sino-malaisienne. Enfin, le Premier ministre déclare que l’entreprise chinoise a accepté de rembourser l’avance du gouvernement pour les premiers travaux, soit 660 millions d’euros, dont 213 doivent être payés avant la fin avril.

Toutes ces modifications retardent de deux ans l’entrée en service de l’ECRL, dont la mise en service est désormais prévue pour 2026.

Position doublement confortée

MALAISIE CHINE xi-jinping Xi Jinping en visite d’Etat à Rome, en mars: après l’Italie, la Grèce et la Malaisie rejoignent la liste des pays prêts à s’associer davantage avec la Chine sur les projets liés aux nouvelles routes de la soie.

A l’annonce de la reprise des travaux, certains observateurs avancent que la nouvelle a du rendre le sourire à Xi Jinping [6]. Certes, l’accord consolide ses « Nouvelles Routes de la Soie » en Asie du Sud-Est, mais il en démontre aussi le caractère parfois contraint.

En effet, si la Malaisie a accepté de relancer l’ECRL, ce n’est que pour éviter de payer des pénalités d’annulation estimées à 4 milliards d’euros. S’il y a bien un gagnant à ces négociations avec Pékin, il s’agit de Mahathir.

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Car la Malaisie a conforté ses positions internationales. Dans un article paru dans Forbes  [7], l’économiste Panos Mourdoukoutas encense la stratégie malaisienne.
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Le 9 décembre 2017, le Sri Lanka a accordé une concession de 99 ans sur les activités commerciales du port de Hambantota à l’entreprise chinoise “China Merchants”. Cette acquisition est une nouvelle étape dans le développement de l’initiative “Belt and Road”. Grâce à cette opération, le Sri Lanka voit, d’une part, sa dette diminuer et devient plus attractif pour les investisseurs étrangers.https://www.oboreurope.com/fr/hambantota-chine/
De nombreux projets liés à la BRI ne sont pas viables économiquement, pointe-t-il, et font peser le risque d’un endettement insoutenable pour les pays qui les accueillent[8].
C’est notamment le cas du Sri Lanka avec le port Hambantotaconstruit par des entreprises chinoises avant de leur être concédé pour 99 ans car le gouvernement sri-lankais n’était pas en mesure de supporter les frais de construction.
Un risque similaire pèse sur le Pakistan et les Philippines.
Contrairement aux dirigeants de ces pays, note Panos Mourdoukoutas, Mahathir a eu l’audace de s’opposer à la Chine et de négocier pour que la BRI profite aussi à l’économie malaisienne et non uniquement à Pékin.
Surtout, le Premier ministre malaisien est resté ferme sur ses positions de n’autoriser que les projets bénéfiques à la Malaisie. Alors que certains observateurs voyaient en lui un opposant à la Chine, Mahathir s’est toujours défendu de telles positions. Il ne s’est jamais caché de son soutien à la BRI, à condition qu’elle profite à l’économie malaisienne.

C’est pour cela que les deux autres projets gelés en août 2018 n’ont pas repris et ont été définitivement annulés

[Le Premier ministre Mahathir Mohamad résiste fermement dans l’annulation du gazoduc Trans-Sabah (TSGP) soutenu par la Chine et situé à Sabah, d’une valeur de 4,06 milliards de RM.« Nous avons déterminé que le pipeline (projets) ne sera pas construit …] [9].
De plus, la Malaisie a réussi à échanger la reprise des travaux de l’ECRL contre un engagement de la Chine à augmenter ses importations d’huile de palme malaisienne[10]. Alors que la France et l’Union européenne cherchent à limiter leur consommation[11], cet accord avec Pékin garantit aux producteurs malaisiens un débouché.

 Mais ce n’est pas seulement la position extérieure du chef de gouvernement malaisien qui s’en trouve renforcée, il en va de même en interne.

La renégociation des projets chinois dans le pays était l’une des principales promesses de campagne du Pakatan Harapan. Alors que la coalition gouvernementale a connu samedi 13 avril sa troisième défaite consécutive dans une législative partielle et qu’elle avoue ne pas être capable d’appliquer tout son programme, la réduction des coûts de l’ECRL lui assure une victoire symbolique. D’autant plus que la reprise des travaux bénéficie d’un relatif consensus dans l’opinion publique malaisienne. La coalition d’opposition du Barisan Nasional, qui a porté le projet initial, est bien en peine d’émettre des critiques et n’a pu reprocher au gouvernement qu’une coquille dans le communiqué de presse annonçant la reprise du chantier : il y était écrit « République de Chine » et non « République populaire de Chine »[12]. Surtout, l’ECRL traverse les États du Kelantan, du Terengganu et du Pahang qui sont tous les trois des bastions de l’opposition malaisienne et conservatrice. L’annonce de la reprise des travaux a été très bien accueillie par les exécutifs locaux qui s’inquiétaient de leur annulation qu’ils considéraient comme une « vendetta » du Pakatan Harapan pour punir les électeurs d’avoir « mal » voté en mai dernier.
La relance du chantier prévue pour le début du mois de mai conforte le gouvernement dans ses positions et devrait apaiser, temporairement, les tensions qui le traversent. Elle permet également à la Malaisie une normalisation de ses relations avec Pékin après environ un an d’incertitudes. Surtout, la reprise des travaux assure à Mahathir une position de force face à la Chine dans les négociations à venir et lui garantit d’aborder sereinement le deuxième sommet de la BRI auquel il se rendra fin avril.
Par Victor Germain
  1. https://www.malaysiakini.com/news/472040
  2. https://www.malaysiakini.com/news/472333
  3. https://www.malaymail.com/news/malaysia/2019/03/31/daim-govt-definitely-not-okay-with-rm10b-ecrl-cost-cut/1738227
  4. https://www.malaysiakini.com/news/472331
  5. https://www.thesundaily.my/local/ecrl-to-proceed-with-adjustments-updated-XF788088
  6. https://www.lopinion.fr/edition/international/nouvelles-routes-soie-xi-jinping-trouve-renfort-en-grece-en-malaisie-184092
  7. https://www.malaysiakini.com/news/472324
  8. https://asialyst.com/fr/2018/08/09/nouvelles-routes-de-la-soie-pourquoi-defiance-monte-en-asie/
  9. https://www.malaysiakini.com/news/472346
  10. https://www.malaymail.com/news/malaysia/2019/04/15/dr-m-ecrl-deal-involved-palm-oil-trade-but-not-jho-low/1743377
  11. https://asialyst.com/fr/2019/02/25/malaisie-france-huile-de-palme-discorde/
  12. https://www.thestar.com.my/news/nation/2019/04/12/wee-is-malaysia-negotiating-with-china-or-taiwan-on-ecrl/

Ajout Sans a priori

La Malaisie, premier coup d’arrêt des Nouvelles Routes de la Soie ?

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Par Victor Germain, EXTRAIT …

Le 21 août 2018, la presse du monde entier commence à relayer la même nouvelle : la Malaisie vient d’infliger un « revers » aux Nouvelles routes de la soie[1]. En visite officielle en Chine, le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamad a annoncé l’annulation pure et simple de trois projets d’infrastructures, pour une valeur de 22 milliards de dollars, liés à la Belt and Road Initiative (BRI) chinoise : la ligne de chemin de fer East Coast Rail Link (ECRL) et les deux pipelines Multi-Product Pipeline (MPP) et Trans-Sabah Gas Pipeline (TSGP)[2]. ….

… Conclusion : pas de « revers » mais une première brèche

Analyser les décisions prises par l’administration malaisienne depuis mai 2018 concernant la Belt and Road Initiative comme autant de revers ou de coups d’arrêt serait allé un peu vite en besogne. S’il y a eu bien annulations, gels et vexations, il ne s’agit que de dégâts collatéraux de la chute de l’ancien Premier ministre Najib Razak dont la stratégie électorale de défense des projets liés à la BRI a fini par les assimiler entièrement à son œuvre. Sa défaite le 9 mai 2018 en scellait le sort.

Cela ne signifie pour autant pas que Kuala Lumpur rejette entièrement les « mégas-projets » d’infrastructures ou même la BRI, mais plutôt qu’elle cherche à réajuster son rapport à Pékin et à se trouver une nouvelle place sur les routes de la soie. Face à la Chine avec laquelle elle est fortement liée, Mahathir tente de recouvrer la souveraineté qu’il estime amoindrie. Cela passe donc par quelques annulations, mais surtout de nombreuses négociations afin de poursuivre les travaux d’infrastructures tout en réduisant leurs coûts. C’est là que réside la brèche malaisienne dans la Ceinture chinoise : pour la première fois, un Etat demande avec fracas la renégociation des contrats. Peut-être l’exemple malaisien inspirera-t-il d’autres pays de moins en moins à l’aise avec l’implication chinoise dans leur économie.

Pour lire l’intégralitéhttps://observatoirenrs.com/2018/10/12/la-malaisie-premier-coup-darret-des-nouvelles-routes-de-la-soie/

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Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie avec les fameuses tours jumelles : les Petronas. Emblèmes de la capitale malaisienne, elles sont parmi les plus hauts monuments du monde avec leurs hauteurs dépassant les 400 m.