1/ Pourquoi Emmanuel Macron tient-il tant à célébrer Georges Pompidou? 15/06/2019 –2/ Ce que Pompidou a eu de séduisant pour les Français et que Macron veut imiter 20/06/2019 – Par3/ Pourquoi Emmanuel Macron a choisi la conférence de presse, ce format emblématique de la Ve République 25/04/2019 – Par4/ Macron derrière un bureau pour son allocution comme De Gaulle et Pompidou 25/04/2019 – |
1/ Pourquoi Emmanuel Macron tient-il tant à célébrer Georges Pompidou?
Deux historiens expliquent le sens du triple hommage rendu par le président de la République à son lointain prédécesseur, élu il y a 50 ans jour pour jour.

POLITIQUE – En avril, l’Élysée évoquait “un devoir moral et politique”. Pour “souligner la continuité [1] entre présidents de la République”, Emmanuel Macron avait tenu à assister à une messe célébrée à Paris en l’honneur de Georges Pompidou.
L’entourage de l’ancien chef de l’État expliquait alors que l’actuel président ne pourrait pas être présent au colloque organisé le 15 juin pour commémorer le 50e anniversaire de son élection. Sauf qu’entre-temps, Emmanuel Macron a réussi à dégager du temps dans son agenda.
Il sera donc bien présent à cette journée organisée au centre Pompidou, comme il a préfacé un ouvrage publié début juin sur les années Pompidou. Dans ce texte, le chef de l’État présente le successeur du général de Gaulle comme
“un réformateur inlassable qui fit de la France une avant-garde, lettré et visionnaire aux commandes d’une nation embrassant les défis de la modernité avec confiance”.
“Cela tombe bien que ce soit Pompidou”
l’historien Jean Garrigues,
Ce triple hommage et les mots employés par Emmanuel Macron ne peuvent qu’interpeller même si, comme souligne l’historien Jean Garrigues,
“il n’est pas illogique qu’un président de la République honore un lointain prédécesseur”.
Mais le professeur à Sciences Po ajoute aussi que
“cela tombe bien que ce soit Georges Pompidou”.
Car la personnalité de l’ancien président et l’époque qu’il représente trouvent un écho dans ce qu’Emmanuel Macron aimerait désormais incarner. Entre les deux hommes, il y a bien sûr le parallèle de la trajectoire:
deux personnalités attachées aux belles lettres, passées par la même banque d’affaires (Rothschild) et pas forcément destinées à devenir présidents de la République.
Mais ce n’est pas cela que l’actuel titulaire du poste va tenter de capter.
Christian Delporte
“Pompidou a une image de modernité et il représente l’époque où la France allait bien, la France d’avant la crise”, rappelle Christian Delporte, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles.
Jean Garrigues
“Il incarnait le miracle français et un certain optimisme que Macron veut projeter dans un contexte plus difficile”, abonde Jean Garrigues.
Après une première partie de quinquennat marquée par un exercice jupitérien du pouvoir, l’acte II engagé après les gilets jaunes doit également être incarné dans une nouvelle méthode.
Christian Delporte.
“Alors que son premier modèle était plus de Gaulle ou Mitterrand, Pompidou marque la stratégie de proximité qu’Édouard Philippe a encore définie dans son discours de politique générale”, note Christian Delporte.
Emmanuel Macron lui-même a évoqué un nouveau moment “plus humain”[2], une qualité reconnue à Georges Pompidou, surtout dans la première partie de son mandat.
“Casser la droite en deux”
Georges Pompidou 1er Ministre, De Gaulle Président, Chaban Delmas Président du Parlement
Les deux historiens s’accordent aussi pour déceler des intentions politiques, voire politiciennes derrière cet hommage.
“Pompidou c’est le dernier gaulliste et le gaullisme c’est un peu ce que, dans la rhétorique macronienne, on appelle le rassemblement. Mais le gaullisme c’est aussi la droite sociale qu’il veut mettre en avant aujourd’hui et qui peut lui permettre de casser la droite en deux”, avance Christian Delporte.
Alors que les élections européennes ont marqué un basculement de l’électorat de LREM vers la droite, cette référence pompidolienne peut effectivement lui permettre d’enfoncer un coin supplémentaire en vue des prochaines échéances.
“Cette filiation à Pompidou peut servir à séduire un électorat conservateur de droite mais d’une droite humaniste et libérale. C’est d’autant plus notable que Macron reste un président venu de la gauche. Qu’il se réfère à un prédécesseur de droite est un signe fort même s’il aurait aussi intérêt à célébrer Chaban-Delmas qui, avec son discours sur la nouvelle société, est plus en symbiose avec l’acte II du quinquennat”, note Jean Garrigues.
Mais l’historien appelle tout de même à rester très prudent sur l’incidence d’une telle célébration.
“Tout ça, c’est une symbolique qui passe sans doute au-dessus de la tête de beaucoup de gens. Dans un paysage saturé de commémorations, cela a beaucoup moins d’impact que l’attitude qu’a eue Macron au cours de la crise des gilets jaunes avec une certaine autorité qui a séduit une partie de l’électorat”, veut croire Jean Garrigues.
LIENS
- https://www.huffingtonpost.fr/entry/emmanuel-macron-signe-la-preface-dun-livre-sur-georges-pompidou_fr_5ca1ec3ee4b0bc0dacab708d
- https://www.huffingtonpost.fr/entry/emmanuel-macron-veut-un-acte-ii-plus-humain-merkel-juncker_fr_5d0092dce4b0e7e7816f59cf?utm_hp_ref=fr-emmanuel-macron
Georges & Claude Pompidou
2/ Ce que Pompidou a eu de séduisant pour les Français et que Macron veut imiter
Quelle raison à l’hommage si appuyé de Macron? Après l’austérité de De Gaulle et avant la crise sous Giscard, les années Pompidou sont une parenthèse enchantée de liberté pour les Français
Georges Pompidou prend un bain de foule le 10 juin 1972 au Mans, à l’occasion du départ de la course automobile des 24 heures du Mans.
On comprend qu’Emmanuel Macron ait oublié, voilà bientôt deux mois, de rendre hommage au fondateur et premier président de la Ve République, lors du 50ème anniversaire de son départ volontaire, le 28 avril 1969, au lendemain d’un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat auquel 52% des Français répondirent “Non”.
Parler de référendum perdu et de démission d’un Président aurait pu porter malchance… et en tout cas, faire bien trop plaisir aux Gilets Jaunes[1] et à tous les opposants de gauche et de droite qui réclamaient, précisément, un référendum et une démission.
- Mais pourquoi le Président de la République, qui avait déjà préfacé un ouvrage sur Georges Pompidou, a-t-il choisi de célébrer avec tant de faste[2] –une réception à l’Élysée, un grand discours- le cinquantenaire de l’élection de Georges Pompidou[3] ?
(le 20 juin 1969 par 58% des suffrages, face au président centriste du Sénat, Alain Poher)?
- Cette date aurait-elle à ses yeux une signification symbolique, à l’égal de l’élection de François Mitterrand, qui marqua pour la gauche et particulièrement pour les socialistes, le 10 mai 1981, l’avènement d’un nouveau monde?
Même si, durant sa campagne de 1969, il proclama sur tous les tons sa fidélité au Général, après avoir défendu sur toutes les tribunes le “Oui” à son référendum, Pompidou incarne en effet une “rupture”, ou en tout cas une nouvelle phase de la Ve République:
- après la fin de la guerre d’Algérie,
- après le rude effort de reconstruction de l’économie, de la défense et du moral du pays,
- après, surtout, le règne “jupitérien” de onze années de l’austère Général en uniforme pour les grandes occasions, en costume croisé cravate tous les jours (même en vacances en famille dans sa maison de Colombey-les-Deux-Eglises)
voici venu le temps de jouir enfin des fruits de la croissance: les Français travaillent encore en moyenne 45 heures par semaine, mais il découvrent le Club Med et la “libération sexuelle”, facilitée par le vote, en 1967, sous de Gaulle, de la loi autorisant la pilule, et devenue, en mai 1968 dans la bouche de Dany Cohn-Bendit et de ses amis, un leitmotiv.
- Ils mangent encore trop de plats en sauce, mais ils commencent, nombreux, à s’adonner au sport et lisent “Comment maigrir”, un best-seller à l’égal du “Défiaméricain” de Jean-Jacques Servan-Schreiber.
- Ils achètent des téléviseurs et des machines à laver, mais ils se plaignent du manque de lignes téléphoniques (7 pour 100 habitants!) et du manque d’autoroutes pour circuler dans leurs nouvelles voitures.
- Ils veulent avoir plus de temps libre et ils mettent en cause les hiérarchies verticales autoritaires dans les entreprises, mais ils restent attachés à l’équilibre d’une société encore fortement rurale et aux valeurs familiales.
Claude & Georges Pompidou
Georges Pompidou, qui se fait photographier avec sa femme Claude au balcon et dans les canapés du palais de l’Élysée, réussit à incarner à la fois ces aspirations contraires: modernisateur affiché, il clame
“Chère vieille France! La bonne cuisine, les Folies bergères, c’est terminé! Notre révolution industrielle est largement entamée.”
Afin que cela se manifeste clairement, il ne se contente pas de lancer le grand projet sidérurgique des hauts fourneaux de Fos-sur-Mer.
Il affiche son goût de l’art moderne. Il veut incarner aussi la nouvelle société des loisirs:
l’été, au Fort de Brégançon, le nouveau président ne craint pas de se laisser photographier en caleçon de bain aux commandes d’un hors-bord comme lorsque,
Premier ministre, il passait ses vacances en Bretagne avec Claude. On ne le voit plus au volant de la Porsche qu’il a offerte à sa femme et avec laquelle il passait prendre ses dossiers le samedi matin à Matignon avant de gagner leur maison de campagne. Mais le couple donne des dîners d’artiste et des soirées cinéma. En robe courte dévoilant ses longues jambes et même une fois en long short de satin rose, Claude affiche une élégance française jugée d’avant-garde et qui suscite, comme les robes de Brigitte Macron[4], beaucoup de commentaires admiratifs ou agacés.
Les premières nuits à l’Élysée, les Pompidou accrochent aux murs de leur nouvelle demeure des toiles de Soulages et d’Alechinsky, en attendant de confier à des designers contemporains comme Paulin la création d’un petit salon, d’une chambre et d’une salle de bains. Ensemble, tous deux vont créer, en plein cœur de Paris, le Centre d’Art contemporain qui portera le nom de Pompidou. Voilà pour la symbolique du changement.
Mais la force de Georges Pompidou, c’est aussi de savoir rassurer. Le fils d’instituteur et petit-fils d’agriculteur natif de Montboudif (Cantal), le brillant normalien fou de poésie n’a pas eu besoin de lire les ouvrages à la mode de sociologues américains comme Laurence Wylie, auteur d’un autre best-seller de l’époque “Un village en Vaucluse” pour savoir que la France demeure un peuple de paysans, attaché, tout autant qu’
- à la fameuse “libération sexuelle”,
- à “la bagnole”
- à la modernisation de leur maison,
- à la vie de famille,
- à la sécurité
- et même à l’autorité.
Doté d’un physique solide (on ne sait pas encore que la maladie qui l’emportera s’est déclarée dès 1968), il est décrit ainsi par le baron Guy de Rothschild qui, durant quatre ans, lui a fait découvrir le monde de la finance et des affaires:
“L’œil droit est celui du bon vivant qui aime l’argent, le plaisir et la douceur de l’existence… le gauche, froid, dur, impérieux, est celui de l’homme qui ne cède pas”.
Pompidou le moderne tient à montrer son attachement à la société paysanne traditionnelle en faisant servir à l’Élysée du petit salé aux lentilles et en retournant parfois à Montboudif. Pompidou l’autoritaire, jugeant que la nouvelle révolution industrielle secoue bien assez les Français, met en garde son premier Ministre Jacques Chaban-Delmas et ses ministres contre des réformes de société trop brutales:
“Arrêtez d’emmerder les Français!”
- Pressent-il que la mondialisation et la financiarisation de l’économie vont leur imposer des changements encore plus violents et douloureux?
La croissance de ces années dites “glorieuses” entamées sous le règne du Général atteint encore, comme on va le rappeler ces jeudi et vendredi à l’occasion du colloque organisé au Centre Pompidou[5], 4% à 5% l’an. Le chômage ne dépasse pas 400.000 inscrits.
Mais déjà, les mutations économiques et sociales font des victimes:
les petits commerçants, menacés par le développement des supermarchés, vont se révolter derrière Gérard Nicoud et Pierre Poujade.
Le nombre de suicides chez les agriculteurs, dont les exploitations disparaissent ou sont regroupées à grande vitesse, va se multiplier…
Si la parenthèse heureuse des années Pompidou, devenue légendaire, a vraiment existé, elle n’aura donc duré que peu de temps.
Valéry Giscard d’Estaing 1974
Valéry Giscard d’Estaing, le jeune successeur du président malade (mort en 1974 avant la fin de son septennat) connaîtra, à peine élu,
- un second, puis un troisième “choc pétrolier”.
- Il devra gérer une inflation galopante,
- une violente crise de la sidérurgie et du textile et la montée continue du chômage.
Désormais, le mot de “crise” va s’installer à la Une des journaux et dans le vocabulaire français habituel pour n’en plus disparaître.
-
En tentant d’apparaître comme un nouveau Pompidou -plus jeune, plus mince, mais non moins modernisateur, “et en même temps” humain, au bras d’une “Première dame” en mini-jupe, qui reprend aujourd’hui, justement, la présidence d’une Fondation créée naguère par Claude Pompidou -Macron espère-t-il exorciser ce mal?
LIENS
- https://www.huffingtonpost.fr/news/gilets-jaunes/
- https://www.huffingtonpost.fr/entry/pourquoi-emmanuel-macron-tient-il-tant-a-celebrer-georges-pompidou_fr_5d03a950e4b0985c419c6023
- https://www.huffingtonpost.fr/entry/en-quoi-georges-pompidou-peut-etre-un-modele-pour-emmanuel-macron_fr_5d09d915e4b06ad4d2585a5d
- https://www.huffingtonpost.fr/news/brigitte-macron/
- https://www.centrepompidou.fr/cpv/agenda/event.action?param.id=FR_R-ca89738243c71b23c65846f18d149e¶m.idSource=FR_E-ca89738243c71b23c65846f18d149e
3/ Pourquoi Emmanuel Macron a choisi la conférence de presse, ce format emblématique de la Ve République
POLITIQUE – Premières images, première surprise. Contrairement à ses prédécesseurs François Hollande[1] et Nicolas Sarkozy[2] qui s’exprimaient debout pendant leurs conférences de presse, Emmanuel Macron a choisi, pour sa première, de s’adresser aux journalistes assis et derrière un bureau.
Un choix de pure forme que le jeune président affectionne lorsqu’il s’adresse aux Français à la télévision, mais plus inhabituel dans le cadre d’une conférence de presse où la position debout est désormais privilégiée en France comme à l’étranger.
Cette manière de s’adresser à la presse était pourtant en vogue au tout début de la Ve République. Le général de Gaulle, qui donnait une conférence de presse deux fois par an, parlait assis derrière un bureau. Tout comme son successeur George Pompidou.
Outre la volonté de renouer avec cette tradition présidentielle, à une époque où la parole du chef de l’État était rare, le choix de l’Élysée pourrait aussi s’expliquer par la durée de cette conférence de presse. Programmée à partir de 18h, celle-ci pourrait jouer les prolongations au-delà de 20h. Comme a prévenu Daniel Cohn-Bendit,
“amenez vos sandwich parce que ça va durer longtemps”.
LIENS
- https://www.huffingtonpost.fr/news/francois-hollande/
- https://www.huffingtonpost.fr/news/nicolas-sarkozy/
SOURCE / Qui sommes-nous?Fondatrice: Anne Sinclair
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