Cette campagne présidentielle est passionnante, renversante et atypique. Qui aurait pu prévoir qu’un deuxième tour plausible pourrait opposer Emmanuel Macron à Marine Le Pen ? Que la droite classique pourrait n’avoir aucun représentant dans la joute finale, que Benoît Hamon, avec des déserteurs le fuyant, irait de mal en pis et que Jean-Luc Mélenchon se sentirait pousser des ailes au point de briguer une troisième place en reléguant François Fillon ?
30 mars 2017- Par Philippe Bilger
Tout évidemment peut encore bouger, notamment pour Emmanuel Macron dont la fiabilité du projet économique est vivement contestée et dont l’inquiétude est perceptible sur un autre plan : certes François Bayrou a fait alliance avec lui mais son mouvement apparaît de plus en plus comme la béquille d’un socialisme qui considère que son sauveur est paradoxalement un continuateur de François Hollande et un adepte de la réforme douce.
Manuel Valls vient de le rejoindre, en violation de son engagement pour la primaire, et « En Marche ! » à force de recycler à gauche va persuader les citoyens qu’Emmanuel Macron n’est ni de droite ni de droite. Dérangeant pour quelqu’un qui a construit sa montée sur le dépassement des frontières traditionnelles et s’en est vanté !
On n’a jamais plus parlé de la Justice, du Parquet national financier (PNF), de l’indépendance des magistrats, de leur rôle dans le débat politique que durant ces dernières semaines. En dehors de l’ancien procureur général de Paris, François Falletti, qui continue de s’accrocher à la vieille lune de la trêve judiciaire lors de la campagne présidentielle [1], il me semble toutefois que cette prétendue exigence a été rejetée légitimement dans les oubliettes.
En effet, il y a l’ordre politique, ses manifestations, ses réunions et son espace citoyen et médiatique et, en même temps, le rythme judiciaire n’a aucune raison de se mettre en suspens, de ralentir son cours en ne suivant pas la logique de sa mission fondamentale pour la démocratie : en fin de compte, éclairer le peuple sur la personnalité, la moralité et les comportements de ceux qui sollicitent ses suffrages.
A partir du moment où la justice est saisie de la situation de tel ou tel et qu’une enquête a été ordonnée et une information ouverte, avec des mises en examen à la suite.
On a le droit de soutenir, comme je le fais, que le projet de François Fillon est de loin le plus cohérent, que la victoire de ce candidat, pourtant, est de plus en plus improbable au point, si j’étais démenti, du surgissement d’un miracle politique. Il n’est pas interdit aussi de mettre en garde son camp
- contre des absurdités que le partisan n’excuse pas,
- contre l’accusation provocatrice mais vide de crédibilité d’un cabinet noir à l’Élysée,
- contre une vision complotiste de la Justice qui découle d’abord de l’ignorance des soutiens de François Fillon.
Pour foncer tête baissée, il faut surtout ne rien savoir !
- Ce ne sont pas les juges qui font l’élection présidentielle.
- Ce ne sont pas les magistrats qui ont créé de toutes pièces ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Fillon.
C’est une grave erreur d’analyse que d’espérer un gain républicain quelconque avec cette focalisation sur de prétendus dysfonctionnements judiciaires et leur malignité. Elle empêche ce qu’au contraire on devrait concéder à l’argumentation politique, c’est-à-dire tout ou presque tout.
Ce que fait à rebours, avec une redoutable efficacité, Marine Le Pen qui se moque comme d’une guigne des atteintes censées affaiblir et discréditer le FN – soupçons, enquêtes et informations – mais se nourrit, s’amplifie de ce qui systématiquement prétend le réduire et le renforce à tout coup.
Participant à de multiples dîners-débats et rencontres citoyennes sur les relations entre la justice et la politique, je n’ai pu que constater le désabusement ou pire l’indignation de beaucoup. Si une majorité est prête à admettre la validité de la procédure engagée contre le couple Fillon à partir de l’article publié à une date malicieusement opportune par Le Canard enchaîné, en revanche la justice à la carte ne passe plus. Et le deux poids deux mesures devient intolérable.
C’est un risque auquel l’institution judiciaire doit être tout particulièrement sensible. Dès lors qu’on met en branle dans une urgence remarquée un processus judiciaire sur la simple publication d’un texte qu’on peut estimer bien informé, en tout cas suffisamment digne d’intérêt pour emporter des conséquences contentieuses, on a ouvert la boîte de Pandore. En effet, plus rien ne justifiera qu’on ne bouge pas ici et qu’on s’active là, à partir des mêmes origines, aussi ténues et légères soient-elles.
C’est la disparité apparente entre certains traitements et certaines abstentions qui suscite aujourd’hui les questionnements, voire le sentiment d’une justice aux ordres. On n’a plus aucune raison, sauf à démontrer sur-le-champ l’absence de toute transgression susceptible d’une qualification pénale, de ne pas tirer d’immédiates conclusions procédurales de toute incrimination personnalisée dans un livre, dans un article ou dans une émission. Si, pour la classe politique, tous les fauteurs réels ou soupçonnés, de droite ou de gauche, ne sont pas traités de la même manière, c’est un scandale. Le citoyen est prêt à accepter la justice si elle est fondée sur l’équité. Il les veut tous ou il préfère ne s’étonner sur personne.
Pour me faire mieux comprendre : il consent à valider ce ce qui se rapporte judiciairement au couple Fillon si, en même temps, Jean-Marie Le Guen gravement mis en cause, au sujet du Qatar, dans un livre est également ciblé par la Justice.
Faute de quoi la confiance démocratique dans l’institution – elle ne discrimine pas, elle est objective et réprobatrice sans faire le moindre partage politique ou idéologique – sera rompue. Pour le pire.
L’initiative de députés Républicains, ayant en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale relevé et dénoncé au PNF un certain nombre d’infractions semblant pouvoir être pointées dans les pages d’un livre récent cité par François Fillon, est à la fois pathétique, ridicule mais éclairante. Elle est la conséquence absurdement logique d’une configuration où la société se persuade que tous les politiques ne sont pas appréhendés à la même aune.
Pour mettre fin à de telles démarches partisanes, il faut impérativement cesser de favoriser la justice à la carte. Mais la Justice.
En matière politique comme ailleurs, la justice, son appareil, sa rapidité, sa sévérité, pour tous ou pour personne.
Beau défi judiciaire et démocratique.

Philippe Bilger, né le 31 août 1943 à Metz1, est un magistratfrançais. Juge d’instruction, puis avocat général, il est resté au service de la justice pendant près de quarante années, connu surtout pour avoir été responsable du service de la Cour d’assises au sein de la Cour d’appel de Paris. Il est l’auteur de nombreux ouvrages2 et membre fondateur du Cercle K23
Carrière judiciaire
Juge d’instruction à Lille en 1972, substitut à Bobigny en 1976 puis à Paris en 1982, il y poursuit sa carrière, à partir de 1999, comme avocat général hors hiérarchie1,9.
Philippe Bilger représente l’accusation notamment aux procès de Christian Didier, François Besse, Bob Denard et Émile Louis8.
En 2004, il est avocat général au procès de Maxime Brunerie, qui a essayé de tuer Jacques Chirac. Dans son réquisitoire il décrit alors, en ce qui concernerait l’accusé, un « désir de lustre étincelant effaçant une vie de grisaille » ; le verdict dépasse ses réquisitions10. Maxime Brunerie, à sa sortie de prison, lui propose de préfacer son livre ; Philippe Bilger refuse11.
En 2006, au procès d’Hélène Castel, il requiert et obtient que l’accusée, quinze ans après les faits et repentante, soit condamnée à une peine dimensionnée de manière à ce qu’elle soit libérée à l’issue du procès12.
En 2009, Philippe Bilger représente le ministère public au procès relatif à l’affaire « du gang des barbares ». Ses réquisitions sont dans l’ensemble suivies par la cour, notamment en condamnant le principal accusé à la peine maximale, et il déclare que « les débats et l’arrêt rendu ont été exemplaires »13,14. N’ayant pas demandé cette peine maximale pour certains complices, il est attaqué pour son traitement de cette affaire par Bernard-Henri Lévy et par l’avocat des parties civilesFrancis Szpiner15.
Le 1er septembre 2009, Philippe Bilger est admis à la retraite et maintenu en activité comme substitut général16, et ce jusqu’au 1er septembre 201217,18. Le 3 octobre 2011, il quitte la magistrature et rejoint le Cabinet D’Alverny Demont et Associés en qualité de conseiller spécial salarié jusqu’en décembre 201219,6. Il crée alors l’Institut de la parole qui dispense des formations pour l’amélioration de la communication orale20,6. À partir de 2013, il devient auto-entrepreneur avec la même activité, plus celle de consultant judiciaire. Au début de l’année 2014, il acquiert le statut d’indépendant[réf. nécessaire].
Engagement politique
Philippe Bilger intervient fréquemment sur des sujets politiques ou de justice, dans les médias et sur son blog21. Sa forte présence médiatique et ses positions qu’il qualifie de « réactionnaires » lui attirent de nombreuses hostilités22,6.
Présenté comme de droite, se définissant comme « réactionnaire »23, Philippe Bilger défend les peines plancher, et, du moins initialement, la suppression du juge d’instruction. S’agissant de cette dernière réforme, il indique qu’à ses yeux elle devrait être assortie d’une réelle indépendance structurelle du parquet, estimant que cette réforme permettrait de « sortir d’une justice d’autorité pour entrer dans une justice de contradiction et d’explication »24.
Estimant qu’il a « pr[is] [s]es désirs pour des réalités », il finit par revenir sur cet optimisme25, comme sur la politique de Nicolas Sarkozy : il joint sa voix aux protestations de la magistrature du début 201126.
Au nom de la défense de la liberté d’expression il s’oppose à la loi Gayssot et soutient Éric Zemmour avant son procès pour diffamation raciale et appels à la discrimination et à la haine raciale2
Liens[]
SOURCE/http://www.philippebilger.com/blog/

