1/- Normes : « La démocratie risque de rendre son dernier souffle »
2/- 303 normes ont coûté 1,4 milliard d’euros aux collectivités territoriales en 2014
3/- La petite fabrique des normes
NORMES : Chiffres-clés
- •80 000 pages de circulaires
C’est ce que reçoivent les préfets en moyenne chaque année, dont 30 000 concernent la police nationale.Restent 50 000 textes…
- •33 141 normes Afnoront été édictées en 2012,
- ………..dont 3 166 d’origine internationale,
- ………..20 643 d’origine européenne
- ………..et 9 332 d’origine française.
Seulement 1 % sont d’application obligatoire.
- •287 projets ayant un impact sur les collectivités territoriales ont été examinés sur la seule année 2011 par la CCEN.
Normes : « La démocratie risque de rendre son dernier souffle »
Publié le 29/02/2016 • Par Jean-Marc Joannès • dans : France
Le président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), par ailleurs médiateur des normes, fixe une date butoir pour constater le succès, ou l’échec, du dispositif de lutte contre l’inflation normative, soit décembre 2016.
Sus à l’inflation normative ! Depuis le début de l’année, toutes les initiatives se conjuguent pour renforcer l’arsenal de lutte contre les normes inutiles et coûteuses. Une offensive de bon augure ou la marque d’un échec ?
La lutte contre l’inflation normative semble s’accélérer. Pourquoi ?
Les autorités politiques se mobilisent vraiment. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, a montré une vraie volonté de lutter contre l’inflation normative. Le Sénat s’est mobilisé à plusieurs reprises. Les associations d’élus s’investissent sérieusement, notamment l’AMF. André Vallini, ex-secrétaire d’État à la réforme territoriale, a fait avancer les choses autant qu’il a pu (1). Malheureusement, les administrations centrales freinent toujours et considèrent que la France ne pourrait pas vivre sans leurs textes. Ce sont pourtant elles qui paralysent le pays et mettent en panne sa croissance.
Les résultats obtenus sont donc encore insuffisants ?
Je suis partagé. Les administrations centrales n’obéissent pas à la volonté politique. L’année 2016 doit être celle durant laquelle le pouvoir politique réaffirme avec force son autorité sur ses administrations. Si, à la fin 2016, il n’a pas repris la main sur celles-ci, j’en conclurai que la France n’est plus gouvernée par le pouvoir élu, mais par les administrations. Et qu’elles ont réussi un « coup d’État rampant ».
Votre constat n’est pas nouveau…
Nos administrations sont rétives au changement et leur révolution culturelle tarde tragiquement. Au CNEN, nous nous épuisons à essayer de les convaincre qu’elles pourraient souvent s’abstenir de réglementer. Les textes qu’elles élaborent devraient systématiquement autoriser une certaine souplesse d’adaptation sur le terrain.
Comment réagissent les hauts fonctionnaires à vos propos ?
Je ne ressens pas d’hostilité. Ils me témoignent une considération amicale. A dire vrai, je les sens résignés. Ils considèrent l’inflation normative comme une fatalité. C’est très inquiétant. Ils s’habituent à la condition de rouages d’une mécanique infernale !
Une proposition de loi sénatoriale veut inscrire dans la Constitution des limites dans l’édiction de la loi. N’est-ce pas schizophrénique ?
C’est un avatar du parlementarisme rationalisé de la Ve République. Les majorités parlementaires sont aux ordres du gouvernement. Et si elles ne le soutiennent pas, elles sont considérées comme félonnes. Le Parlement, au désespoir de devoir légiférer en flux tendus sous la pression des gouvernements, en appelle à la Constitution pour conjurer l’overdose.
Êtes-vous favorable à la constitutionnalisation du principe d’adaptabilité locale de la norme, préconisée par l’institut Montaigne ?
Entendons-nous bien sur la question. Instaurer un principe général d’adaptabilité des lois, je suis mille fois pour ; donner un pouvoir de réglementation local, je suis très réservé. Étendre encore le pouvoir réglementaire, même local, ne peut conduire qu’à de nouveaux excès. Je préconise plutôt d’insérer dans la Constitution le principe d’adaptabilité et de proportionnalité afin d’instaurer la souplesse nécessaire dans l’application des lois.
La lutte contre l’inflation normative passe donc par une « VIe République » ?
Non. Les grands principes de la Constitution sont cohérents. C’est l’utilisation qui en est faite qui est à revoir. Il existe des instruments pour rationaliser la production de lois. L’initiative parlementaire est faible. D’où ce message d’alerte, qu’il faut comprendre ainsi : « Cessez de nous obliger à légiférer dans de très mauvaises conditions. » Pourquoi ne pas revenir à deux sessions parlementaires de trois mois par an, le reste du temps, les parlementaires feraient du contrôle. Un équilibre mécanique s’instaurerait : les administrations occupées au contrôle parlementaire auraient moins de temps pour produire des textes.
Vous avez dû accueillir avec plaisir l’élargissement des conditions de saisine du CNEN…
C’était nécessaire, le Conseil national d’évaluation des normes souffrait de ne pouvoir répondre à la demande des collectivités territoriales. Il est tellement sollicité par le flux de normes, qu’il lui est difficile de se saisir du stock. Lors de notre dernière séance, nous avons examiné, pour un mois seulement, 14,5 cm d’épaisseur de textes ! Cela devient notre unité de mesure.
Qu’en est-il du travail de la médiature ?
Jusqu’à présent, elle n’avait pas pu produire d’effets significatifs, puisqu’il fallait passer par le « filtre » préfectoral. Grâce au nouveau décret, toute collectivité peut saisir directement le médiateur des normes. C’est une saisine « bottom/up » très intéressante.
Le dispositif devient ainsi très complémentaire : le CNEN examine les textes qui viennent du « haut », tandis que le médiateur est saisi des problèmes d’application qui viennent d’en bas.
La lutte contre les normes n’est-elle pas devenue un poncif, une posture ?
Le vocable « normes » est instrumentalisé de toutes parts tellement il charrie d’excès et d’incompréhension. Les normes excessives et coûteuses ne suffisent à expliquer à elles seules les difficultés financières des collectivités territoriales.
Cependant, j’estime que le plus grave n’est pas là : si l’excès normatif ne cesse pas, la démocratie aura rendu son dernier souffle, et il faudra constater que le pouvoir politique a perdu le pouvoir en France.
dates clés
30 avril 2014 Décret n° 2014-446 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes.
13 novembre 2015 Décret n° 2015-1479 instituant un médiateur des normes.
14 janvier 2016 Décret n° 2016-19 relatif à la composition et au fonctionnement du CNEN.
13 janvier 2016 Résolution et proposition de loi sénatoriale visant à la simplification du droit pour les collectivités territoriales.
5 février 2016 Installation d’un groupe de travail sénatorial sur la simplification des normes en matière d’urbanisme et de construction
303 normes ont coûté 1,4 milliard d’euros aux collectivités territoriales en 2014
Publié le 28/08/2015 • Par Jean-Marc Joannès, Romain Mazon • dans : A la une, Actu juridique, Actualité Club finances, France
« Le choc de simplification tarde à trouver sa traduction, à raison de l’ignorance des principes de proportionnalité, de simplicité, d’accessibilité et d’intelligibilité ».
C’est la conclusion abrupte du rapport annuel d’activité du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN).
Décryptage et revue des normes qui coûtent, qui génèrent des économies, ou des recettes.
Cet article est paru dans Le Club Finances
Les 303 projets de textes examinés en 2014 par le CNEN ont généré pour les collectivités locales un coût brut avoisinant 1,4 Mds d’euros en année pleine. La répartition par secteurs des normes coûteuses place en tête la réglementation
- « Territoire et Logement » (51 %),
- devant le secteur « Santé–social » (33 %)
- et la « Fonction publique » (8%).
Se fondant sur les fiches d’impact financier renseignées par les ministères porteurs, le CNEN produit, par ordres de grandeur, les coûts induits par les textes examinés en 2014. Mais l’examen des projets de textes aura aussi permis, selon le rapport, 633 M d’euros d’économies par rapport au coût de la réglementation en vigueur et 204,6 M d’euros de recettes dites « potentielles ». Le CNEN précise toutefois que ces données sont indicatives et non exhaustives, « dépourvues de valeur scientifique et ayant vocation à être exploités exclusivement à des fins d’information ». En outre, elles ne tiennent pas compte des « externalités positives », bref des services que rendent ces normes.
Un bilan plutôt positif, mais qu’Alain Lambert, président du CNEN, tempère en fustigeant les administrations centrales, qui méconnaissent encore les nouvelles règles de la lutte contre l’inflation normative.
Les ministères coûteux
- •Le ministère du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité est le plus important générateur de coûts : plus de 724 M€ en année pleine pour 43 textes, soit 51 % des coûts de l’ensemble des textes soumis, dont 711 M€ découlant des seuls textes relatifs à l’accessibilité, à l’installation des détecteurs de fumée ainsi qu’à la réforme de l’aide mensuelle à la place d’aire d’accueil des gens du voyage au titre de l’allocation temporaire de logement.
- •Le ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes est le deuxième plus important contributeur en termes de coût généré par 51 textes : 470 M€, soit 33 % des coûts de l’ensemble des textes soumis, dont 300 M€ liés à la revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active (RSA).
- •Le ministère en charge de la Fonction publique représente le troisième contributeur le plus important : les 42 textes examinés représentent un coût global en année pleine de 107 M€, soit 8 % des coûts de l’ensemble des textes soumis.
Les projets coûteux
Les projets les plus coûteux sont les suivants :
- •50 M€ au titre des dispositions relatives aux cotisations d’allocations familiales et d’assurance vieillesse de divers régimes de sécurité sociale ;
- •75,8 M€ au titre des dispositions relatives à l’instauration d’une indemnité dite de garantie individuelle du pouvoir d’achat ;
- •90 M€ au titre des zones d’aide à finalité régionale et aux zones d’aide à l’investissement des petites et moyennes entreprises pour la période 2014-2020 ;
- •245 M€ au titre des dispositions relatives à l’accessibilité des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public ;
- •420 M€ au titre des dispositions relatives à la revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active ;
- •466 M€ au titre des dispositions relatives à l’accessibilité des personnes handicapées ou dont la mobilité est réduite.
Économies et recettes potentielles
Les économies générées par les projets de textes présentés en 2014, par rapport au coût de la réglementation en vigueur (abrogation, simplification, rationalisation…) ont été estimées par les administrations à environ 633 M€, essentiellement ainsi répartis :
- •40 M€ au titre du décret relatif aux conditions d’aliénation des terrains du domaine privé des établissements publics de santé et portant modification du décret n°2013-936 du 18 octobre 2013 relatif aux conditions d’aliénation des terrains du domaine privé des établissements publics de l’Etat, ou dont la gestion leur a été confiée par la loi, prévues à l’article L. 3211-13-1 du code général de la propriété des personnes publiques en vue de la réalisation de programmes de construction de logements sociaux ;
- •41,4 M€ au titre des 2 décrets et de l’arrêté relatifs aux obligations de la troisième période du dispositif des certificats d’économies d’énergie ;
- •63 M€ au titre du décret modifiant le décret n°2011-873 du 25 juillet 2011 relatif aux installations dédiées à la recharge des véhicules électriques ou hybrides rechargeables dans les bâtiments et aux infrastructures pour le stationnement sécurisé des vélos ;
- •191,9 M€ au titre des 5 projets de texte relatifs à la surveillance de la qualité de l’air intérieur ;
- •213,9 M€ au titre du décret relatif à la collecte des déchets des ménages.
Selon le rapport, des recettes potentielles résultent des projets de réglementation suivants :
- •12 M€ au titre de l’arrêté relatif au taux kilométrique de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises pour 2015 ;
- •187,2 M€ au titre du décret n°2013-705 du 2 août 2013 portant application de l’article 67 de la loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Urgence préjudiciable
« Les élus font preuve d’une disponibilité importante et se sont attelés à la tâche sans délais et avec vigueur », souligne Alain Lambert. Mais il attire surtout l’attention du gouvernement sur « l’impérieuse nécessité » d’un suivi scrupuleux et constant du respect des délais de saisine du CNEN : « le nombre des demandes d’examen sous 15 jours, voire 72 heures, doivent rester exceptionnelles ; il en va de la crédibilité du processus normatif en France ». Tel a été pourtant le cas pour plus de 20 % des textes examinés en 2014.
Ces saisines en urgence sont fortement préjudiciables : elles contraignent à rendre un avis de pure forme, sans qu’il soit possible d’opérer une analyse de qualité « ce qui n’est pas à la hauteur des attentes du législateur », souligne le rapport. Un constat que partage l’AMF. Dans une lettre du 16 juillet, François Baroin écrivait à Clotilde Valter, Secrétaire d’Etat chargée de la réforme de l’Etat que « la multiplication des textes en urgence ou en extrême urgence n’est pas respectueuse des élus qui siègent au CNEN et des institutions qu’il représente (…). Lors de la séance du 4 juin 2015, 18 textes étaient inscrits en urgence, contraignant le président à en reporter de nombreux, n’ayant fait l’objet d’aucune concertation préalable ».
Les administrations centrales en position dominante
La complexité des textes à examiner, la nécessité de consulter des praticiens, l’asymétrie manifeste de l’information détenue par les ministères (comparée à celle dont disposent les représentants des collectivités territoriales), se traduisent dans des délais aussi écourtés, par une situation de position dominante de l’administration territoriale, souligne le rapport. Une situation qui « porte une atteinte manifeste à l’équilibre indispensable pour rendre un avis éclairé ».
Sur les 303 projets de textes examinés, le CNEN a délivré 250 avis favorables, assortis cependant régulièrement de recommandations pour une meilleure maîtrise des coûts des normes. 27 avis défavorables ont été rendus, pour défaut de concertation, excès de précision contraire aux principes de proportionnalité et d’adaptation à la diversité des territoires ou insuffisance des études d’impact. Au total, les services de l’État ne semblent pas s’être approprié les nouvelles procédures.
Alain Lambert demande en conséquence au législateur d’adresser aux administrations centrales porteuses de textes « un rappel des règles nouvelles ».
La petite fabrique des normes
Publié le 03/06/2013 • Mis à jour le 04/06/2013 • Par Bénédicte Rallu • dans : A la une, Dossiers d’actualité, France
« On ne sait plus qui produit les normes. » Le 16 avril 13, lors d’un forum organisé par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, le maire de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) et membre du bureau de l’Association des maires de France, Didier Mathus, constatait l’incurie. Le débat mélange normes d’application obligatoire (loi, décret, arrêtés…) et volontaire (de type Afnor). Car les producteurs de normes sont multiples.
Au sein de l’État, le secrétariat général du gouvernement (SGG) devrait servir de « gare de triage », selon le président de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), Alain Lambert, président (DVD) du conseil général de l’Orne.
Cette institution administrative, dépendant du Premier ministre, « jette un regard sur l’ensemble des textes réglementaires et voit passer tous les textes publiés au “Journal officiel » détaille Célia Vérot, directrice, adjointe au secrétaire général du gouvernement, chargée de la simplification. Le SGG ne fait pas de modification, seulement des vérifications : nécessité du texte, bonne proportionnalité par rapport aux objectifs poursuivis, réalisation de l’étude d’impact, possibilité de réduction de charges, règle exprimée clairement, etc.
Pouvoir de blocage – Le SGG est aussi chargé de mettre en œuvre le principe d’une norme supprimée pour toute norme créée. Mais, pour l’appliquer, le Premier ministre devra se montrer ferme et « utiliser s’il le faut la menace, insiste Alain Lambert, celle de refuser un texte trop long, trop complexe ».
Le SGG a le pouvoir de bloquer un texte. Tout le problème est en effet de faire face à la « technostructure », évoquée ici par le sénateur (UMP) et vice-président du conseil général du Loiret, Jean-Noël Cardoux.
Les ministères prennent en effet leurs aises. Didier Lallement, préfet et secrétaire général du ministère de l’Intérieur, expliquait le 16 avril leurs différentes stratégies : « Certains ministères faibles adoptent des politiques de contournement du niveau national et s’adressent au niveau européen. D’autres adoptent une stratégie du fort au fort”. C’est le cas du ministère de l’Intérieur qui, hormis ses compétences relatives aux collectivités locales, produit assez peu de textes. »
Selon Alain Lambert, les administrations centrales souffrent d’un « manque de culture juridique. Compétentes techniquement, elles oublient que la règle doit être adaptée dans son écriture au destinataire. Les ministères sont aussi dans l’ignorance absolue de ce que font les autres ministères ».
Pour les textes impactant les collectivités territoriales, la CCEN manque encore de pouvoirs de blocage. « La plupart des textes réglementaires sont pris en application des lois, bien avant que nous intervenions », déplore son vice-président, Philippe Laurent.
Le poids des lobbys
– Le Parlement n’apparaît pas mieux loti pour le maire de Sceaux (Hauts-de-Seine). « Les parlementaires se font imposer les textes par les administrations centrales. Il y a bien sûr des études d’impact sur les projets de loi, mais pas sur les amendements. » De plus, « obtenir une norme devient un enjeu de combat ». Le sénateur du Val-d’Oise, Alain Richard (PS), dénonçait le 16 avril les lobbys influant sur le contenu des textes.
Le secrétaire général du gouvernement, Serges Lasvignes, en témoignait en prenant l’exemple des menus des cantines scolaires : « Nous avons engagé un dialogue avec le ministère de l’Agriculture dans la perspective de mesures expérimentales. Cela n’a pas été possible : des lobbys se sont mobilisés. »
L’Assemblée nationale travaille sur les propositions du député Christophe Sirugue (Saône-et-Loire, PS) pour revoir les relations entre ses membres et les représentants d’intérêts. Une nouvelle réglementation est prévue pour le dernier trimestre 2013.
C’est surtout dans l’élaboration des normes volontaires que ces réseaux d’influence agissent ouvertement aux niveaux international, européen comme national. Au sein de l’Afnor, les textes sont rédigés, sur la base du consensus, par les commissions de normalisation dédiées à des domaines précis (sols sportifs, piscines publiques, règles de construction parasismique…). Celles-ci se composent des acteurs du champ économique concerné.
Y participe qui veut, moyennant un droit d’accès (entre 1 650 euros à 3 330 euros pour une collectivité et quatre à cinq réunions par an). Tout un chacun peut s’exprimer (gratuitement cette fois) quand le projet de norme est publié sur le site de l’Afnor lors de l’enquête publique préalable.
« Il est vital que chacun puisse avoir voix au chapitre, assure Olivier Peyrat, le directeur général de l’Afnor. Certains ont un intérêt objectif à participer à ces travaux : ceux qui sont du côté de l’offre. Il est donc important d’avoir aussi l’avis de ceux qui vont appliquer la réglementation. Dans le processus de normalisation, tout le monde peut venir. Mais il faut s’impliquer dès le début. Il serait souhaitable que les collectivités soient plus présentes ». Elles y ont intérêt.
Vigilance obligatoire
– L’État vise ces normes volontaires par l’intermédiaire du Squalpi (sous-direction de la qualité, de la normalisation, de la métrologie et de la propriété industrielle au ministère du Redressement productif) et entité de tutelle de l’Afnor. Celui-ci « garantit que chaque nouvelle norme ne vienne pas contredire un règlement », explique Arnaud Lafont, adjoint au délégué interministériel aux normes, patron de l’entité. Mais il intervient sur la forme de la norme, non sur les détails techniques. « Nous sommes des généralistes et ne pouvons connaître tous les secteurs des 30 000 normes » du catalogue Afnor, défend l’adjoint.
D’où le raté sur les normes sismiques qui s’appliquent « là où la terre n’a jamais tremblé », troisième prix de la liste de normes absurdes du rapport « Boulard-Lambert » de mars 2013. Initialement volontaires, certaines normes sont devenues d’application obligatoire car citées dans des règlements. « On s’assurera que le ministère de la Construction reprend bien son texte pour essayer d’être plus précis sur les endroits où il est recommandé ou obligatoire de suivre cette norme », assure Arnaud Lafont.
La vigilance s’impose. « L’exemple du décret DT-DICT est révélateur » pour le président de l’AITF, Jean-Pierre Auger, directeur général des services techniques de Reims et Reims métropole (Marne). La veille de l’entrée en vigueur de la réglementation sur les travaux à proximité de réseaux à l’été 2012, « les expérimentations n’étaient pas terminées que le texte a été publié ».
L’Association des ingénieurs territoriaux a bataillé avec les services de l’État pour la faire modifier. Avec succès. « Tout cela résulte du fait que les rédacteurs des normes ne sont pas ceux qui les appliquent. Il faut au moins que les premiers intéressés soient consultés ! » Mais « il n’y a aucune volonté des producteurs de normes ministériels de s’ouvrir à une intelligence locale, regrette Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France [AMRF]. Nous n’avons pas de contact avec eux sur les changements normatifs. »
Le poids relatif des collectivités –
A l’Afnor, les collectivités, par l’intermédiaire des associations d’élus et de territoriaux, sont représentées dans deux instances :
- le comité de concertation normalisation collectivités locales (CCNC)
- et la gouvernance de l’organisme (une voie d’expression menant aux discussions dans les instances internationales).
« Cette présence nous a, par exemple, permis de mieux définir ce qu’était un bassin recevant du public au regard des normes de sécurité des piscines et de ne pas les confondre avec ceux des particuliers ou des campings. Heureusement que nous avons pu réagir à ce moment-là et influer sur le contenu de la norme. Mais nous avons parfois des difficultés à convaincre les élus sur certains sujets », détaille Bernard Bézard, directeur général des services de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), représentant du Syndicat national des DG des collectivités territoriales (SNDGCT) à l’Afnor.
Participer à ces travaux « permet de faire en sorte que la construction des normes ne complique pas leur application », estime pourtant le maire du Plessis-Pâté (Essonne), Sylvain Tanguy représentant de l’AMF au CCNC.
Le représentant de l’AMRF, Jacques Drouhin, maire de la petite commune de Flagy, en Seine-et-Marne, a cependant le sentiment de « ne pas vraiment peser ». Il voit là davantage un moyen de « s’informer ». De fait, « la participation effective des collectivités n’est pas aussi régulière et large qu’on le souhaiterait », déplore Rémi Reuss, responsable de projets « consommation et collectivités territoriales » à l’Afnor.
Changer de culture
– Le plus efficace serait de désigner des mandataires dans les instances de l’Afnor. Mais les territoriaux rencontrent des difficultés, de temps et d’argent (comme ils sont bénévoles, leurs frais ne sont pas remboursés !). L’Afnor, par l’intermédiaire de son DG, mais aussi l’AITF, réclame la mise en place, par les collectivités, d’un fonds commun de participation à ces frais. Une proposition restée lettre morte auprès des associations d’élus…
Plus généralement, l’AMRF invite l’État à aider les collectivités les moins dotées à mettre en œuvre les normes à travers une péréquation, en particulier en matière d’ingénierie technique. « Les collectivités ne sont pas toutes égales » à ce niveau-là, fait remarquer son directeur Cédric Szabo. L’important est bien de changer de culture de la norme.
Le Conseil d’Etat pourrait ouvrir une brèche avec son prochain rapport annuel sur le « soft law », ou « droit souple », qui pousse à moins rendre obligatoire le droit. Une nouvelle approche préconisée par l’Afnor, où la norme obligatoire se contente de fixer les objectifs et laisse aux acteurs le soin d’employer les moyens les plus adaptés à leur situation locale pour y parvenir. Déjà une forme d’adaptabilité des normes…
Focus
Le chantier de la simplification suit son cours
Le 12 juin, le Sénat examinera en séance publique la proposition de loi « Doligé » sur la simplification des normes pour les collectivités territoriales (deuxième lecture).
Le texte est amputé du principe de proportionnalité initialement inséré.Lors du prochain comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (Cimap) prévu début juillet, sera présenté le programme de simplification du stock de normes mis au point sous l’égide de Célia Vérot, directrice, adjointe au secrétaire général du gouvernement, chargée de la simplification.
Début avril, le Cimap avait pris les premières mesures. La réforme de la Commission consultative d’évaluation des normes, prévue par la proposition de loi « Gourault-Sueur », est en suspens. Mais des dispositions ayant le même objet sont insérées dans le projet de loi de décentralisation n° 3.La simplification a en revanche débuté dans le domaine de la construction (moratoire de deux ans sur l’instauration de nouvelles normes techniques). Elle doit se poursuivre ces prochaines semaines, une fois le gouvernement habilité à légiférer par ordonnance en vue d’accélérer les projets.
Focus
Ce qu’en pensent les élus
Philippe Laurent, maire de Sceaux (Hauts-de-Seine), vice-président de la CCEN, membre du bureau de l’AMF
«A la CCEN, après discussions avec les administrations, nous donnons un avis, la plupart du temps favorable. Ensuite, le ministère publie ou pas le texte. On ne peut influer sur le contenu des textes qu’à la marge. Cependant, avec les études d’impact, une nouvelle approche se développe peu à peu au sein des administrations.»
Jacques Drouhin, maire de Flagy (Seine-et-Marne), représentant des maires ruraux (AMRF) à l’Afnor«Ma présence au sein de l’Afnor permet d’exposer les difficultés que les maires ruraux pourraient rencontrer dans l’application d’une norme. Nous essayons ainsi de minimiser les coûts. Nous donnons notre avis, on nous écoute mais, au final, il ne se passe pas grand-chose. Il faut pourtant pouvoir être dans les lieux décisionnaires.»
Ce qu’en pensent les territoriaux
Bernard Bézard, DGS de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), représentant des directeurs généraux (SNDGCT) à l’Afnor«Je m’étonne de la confusion des genres entre les normes réglementaires et celles d’application volontaire. Cela contribue à nous écraser. La fabrication des normes est complexe. Il m’a fallu dix ans pour en comprendre les rouages. Mais je suis convaincu qu’il faut être à la source pour ne pas rater le train.»
Jean-Pierre Auger, DGST de Reims (Marne), président de l’Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF)«Rendons les normes simples et compréhensibles ! La France n’est plus capable de rédiger des textes bien pesés et bien calibrés. La norme doit fixer des objectifs. Il faut laisser travailler le bon sens, ne pas déresponsabiliser, tout en mesurant les implications techniques et financières par des expérimentations.»
Références
Qui fait quoi ?
- •Le secrétariat général du gouvernement vise tous les textes élaborés par les administrations de l’Etat, applique le moratoire sur les normes toujours en vigueur et le principe d’une norme supprimée pour toute nouvelle édictée. Il intervient en amont des consultations obligatoires et facultatives et des arbitrages de Matignon.
- •La Commission consultative d’évaluation des normes est composée d’élus des collectivités territoriales, de parlementaires, et de représentants des administrations de l’Etat. La CCEN donne un avis sur les mesures réglementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire ayant un impact financier ou technique sur les collectivités territoriales et leurs établissements.
- •Le délégué interministériel aux normes assure la définition et la mise en œuvre de la politique française de normalisation. Il préside le groupe interministériel des normes qui réunit les coordinateurs « normes » de chaque département ministériel. Ceux-ci assurent le suivi des travaux de normalisation destinés à répondre aux exigences fixées par la réglementation. Ils vérifient la cohérence des projets de norme en cours d’élaboration avec les objectifs de la réglementation.
- •Le comité de concertation normalisation collectivités locales au sein de l’Afnor réunit des représentants d’associations d’élus et de territoriaux au sein de l’Afnor, qui sont consultés sur les projets de normes volontaires.
http://www.lagazettedescommunes.com/168896/la-petite-fabrique-des-normes/




