326 – Syrie – « Genève3″…avec une suspension des pourparlers profitant à tous ?

Et si la suspension de Genève 3 profitait à tout le monde ?

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 Éclairage –En attendant la reprise des pourparlers le 25 février, le régime syrien et ses alliés engrangent des victoires sur le terrain.
Samia MEDAWAR | OLJ -05/02/2016

Les pourparlers de paix sur la Syrie, que l’on peut désigner par Genève 3, sont au point mort avant d’avoir même commencé.

Après plusieurs jours de tergiversations, discussions et accusations mutuelles de vouloir saper les efforts de paix, l’émissaire onusien pour la Syrie Staffan de Mistura a annoncé mercredi une « pause » dans les discussions, qui devraient en principe reprendre le 25 février, alors que les développements sur le terrain syrien se produisent à une vitesse record. Le diplomate a toutefois refusé de qualifier cette suspension d’« échec », bien qu’une reprise des réunions semble aujourd’hui plus que jamais incertaine, et ce pour plusieurs raisons.

Du côté de l’opposition, déjà, plusieurs groupes se sont rendus à Genève, compliquant une situation déjà confuse concernant les invitations envoyées.

  • Le Haut Comité des négociations (HCN), créé à Riyad en décembre 2015, est pour l’instant le groupe le plus représentatif d’une opposition désunie au possible.
  • Un autre facteur de tensions est la non-inclusion des Kurdes à la délégation de l’opposition – sous la pression de la Turquie et de l’Arabie saoudite –, bien qu’ils représentent sur le terrain l’un des groupes les plus significatifs, notamment face à l’État islamique (EI).
  • D’autres opposants ont quant à eux été invités en tant que « conseillers indépendants », notamment des membres des Forces démocratiques syriennes (FDS, créées à Hassaké, en Syrie, parallèlement à la réunion de Riyad en décembre), comme Haitham Manna.

Alep, bataille cruciale

Face à ces oppositions multiples, le régime syrien et ses alliés russes et iraniens font figure de bloc solide impossible à ébranler. Et cela se ressent, à la table des négociations comme sur le terrain. Car au moment où le report de Genève 3 a été annoncé, le régime syrien, accusé tous azimuts par l’Occident d’avoir fait capoter les pourparlers, a pu avancer de manière significative sur le terrain. Sont particulièrement concernées les régions de Lattaquié, de Homs (où les rebelles ont reçu un ultimatum des troupes loyalistes), d’Idleb, mais surtout d’Alep, dont la bataille se révèle décisive.

Assiégées depuis 2012 par les rebelles, les localités chiites de Nebbol et Zahra’, dans la province d’Alep, ont été libérées hier par l’armée de Bachar el-Assad et ses alliés du Hezbollah après seulement trois jours de combats.

La multiplication particulièrement intense des frappes russes pour les aider dans leur avancée est à l’origine des accusations occidentales de sabotage, d’après Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste de la Russie.
« C’est généralement dans les dernières heures avant un cessez-le-feu que l’on peut observer les frappes les plus difficiles, simplement parce qu’on cherche à marquer le plus de points possible avant que l’arbitre ne siffle la fin du match », explique-t-il, bien que le cas syrien ne se prête probablement pas à ce scénario.

Ce qui est certain, c’est que le régime réussira, si ce n’est déjà fait, à assiéger la ville d’Alep en coupant la seule route d’approvisionnement des rebelles vers le nord-ouest, soit la Turquie et Idleb, d’où viendraient des renforts éventuels mais peu probables.

Dans une situation militaire difficile, l’opposition cherche avant tout à faire cesser les violences contre des civils, et cela lui est crucial pour entamer des négociations à Genève. Les troupes du régime et ses alliés sont déterminés à montrer que l’opposition n’est « ni sérieuse ni crédible » dans ses demandes, et « si l’opposition devait perdre à Alep, ces déclarations seraient étayées », à moins d’un miracle, juge M. Parmentier.

L’armée au centre de tout

Ensuite, toujours selon l’expert, il y a eu dernièrement de nombreux articles en Russie, notamment sur Sputnik (agence de presse russe très proche des autorités), qui évoquent une possible intervention de la Turquie sur le terrain syrien. « Les États-Unis et les Européens souhaitent une baisse de ces tensions entre la Russie et la Turquie, et c’est peut-être cela que cherchent les différents belligérants » en suspendant les négociations.

Plus encore, il faut garder à l’esprit que fin 2015, Moscou aurait demandé à Bachar el-Assad, en visite dans la capitale russe, de lâcher le pouvoir, sans résultat, selon plusieurs sources proches du dossier. Pour M. Parmentier, les alliés de la Syrie font tout pour gagner du temps en attendant que l’armée institutionnelle syrienne soit « au centre des débats » jusqu’à l’élection présidentielle de 2017 en Syrie, « sachant que la Russie est plus attachée à l’armée syrienne en tant qu’institution qu’à la personne de Bachar el-Assad ».

 

http://www.lorientlejour.com/article/968670/geneve-3-sous-le-choc-de-la-levee-du-siege-de-nebbol-et-zahra.html

 

Genève 3 sous le choc de la levée du siège de Nebbol et Zahra’… 2/2

Décryptage –Scarlett HADDAD | OL

Que d’eau a coulé sous les ponts depuis la conférence de Genève 1 en juin 2012 sur la Syrie (qui s’était d’ailleurs tenue à Montreux) et celle de Genève 3 qui est en train de céder la place à un nouveau rendez-vous supposé être plus positif.

En juin 2012, l’ancien secrétaire général de l’Onu Kofi Annan venait d’être remplacé par Lakhdar Brahimi comme envoyé spécial de Ban Ki-moon chargé du dossier syrien. Hillary Clinton était encore secrétaire d’État et les États-Unis et leurs alliés pensaient alors pouvoir renverser le régime syrien et mettre à sa place l’opposition dite modérée qui s’appelait alors l’Armée syrienne libre en quelques mois. Le communiqué final publié à l’issue de cette conférence était un peu flou, par égard pour la Russie, mais il était pratiquement entendu que la chute de Bachar el-Assad était une question de mois.

À la conférence de Genève 2, en janvier 2014, la situation avait évolué. John Kerry avait remplacé Mme Clinton et Staffan de Mistura était sur le point de prendre le relais de Lakhdar Brahimi. Le régime syrien, lui, était encore en place. Il avait repris le contrôle de Qousseir (en juin 2013) et se préparait à la bataille du Qalamoun, à la frontière avec le Liban, même s’il avait aussi perdu du terrain dans certaines régions importantes du pays. L’opposition syrienne avait donc durci le ton et exigé une promesse ferme de départ du président syrien, en misant sur les préparatifs d’une vaste offensive militaire, par le Nord, avec la création de l’Armée du Fateh, et par le Sud, avec l’annonce de la très attendue « Tempête du Sud ». À la fin de la conférence de Genève 2, il avait certes été question d’un Genève 3, mais les milieux de l’opposition estimaient que ce rendez-vous pourrait très bien ne pas se tenir, puisque le régime était condamné à s’effondrer.

La conférence de Genève 3 a pourtant bel et bien eu lieu, mais les circonstances de sa tenue étaient totalement différentes des rencontres précédentes. Sur le plan de la forme, qui en dit long aussi sur le fond, la délégation de l’opposition syrienne était divisée en deux, une parrainée par l’Arabie saoudite et plus communément appelée « l’opposition de Riyad » et l’autre appuyée par les Russes, devenus entre-temps un acteur incontournable du dossier syrien.
La reconnaissance par l’Onu d’une autre opposition que celle parrainée par Riyad et Ankara est déjà un coup dur pour ces deux pays qui n’ont plus le monopole de la représentation de ce qu’ils appellent « le peuple syrien ».

Sur le plan du fond, il était clair, même avant le début de la conférence, que le départ du président Assad ne sera pas discuté, puisqu’il s’agit désormais d’appliquer la résolution 2254 du Conseil de sécurité qui prévoit la formation d’un gouvernement regroupant les oppositions et le régime, avant d’entamer une période transitoire d’un an et demi à la fin de laquelle il devrait y avoir des élections législatives et présidentielle, auxquelles le président syrien pourrait participer.

Les pourparlers de Genève 3 étaient donc destinés à discuter de la forme, de la composition et des prérogatives du futur gouvernement, ainsi que du partage des portefeuilles.

  • Pour « l’opposition de Riyad », la pilule était dure à avaler et elle a longtemps menacé de boycotter la conférence.

Finalement, elle a dû se rendre à Genève, à cause des pressions américaines… L’exigence de régler les questions humanitaires a été donc rajoutée pour permettre à cette opposition de sauver la face, sachant que les deux (ou plus) camps qui se battent en Syrie ont chacun sa localité encerclée et ses exigences humanitaires, même si les médias occidentaux ne parlent que de Madaya, Maadamiyé et les autres bourgades encerclées par les forces du régime, sans un mot sur Kefraya et Fouaa par exemple.

Relayée donc par les médias occidentaux et prosaoudiens, cette tentative de poser des conditions avant d’entreprendre un dialogue indirect avec la délégation du régime aurait pu continuer à servir de paravent…

...jusqu’à l’annonce de la levée du blocus sur les deux bourgades encerclées par les éléments armés depuis près de quatre ans, Nebbol et Zahra’. Cette annonce, sans doute soigneusement minutée par le régime et ses alliés, a eu l’effet d’un choc sur la délégation de Riyad qui ne pouvait plus accepter le dialogue même indirect, sachant que le régime avait, par cette percée spectaculaire sur le terrain, amélioré sa position dans les négociations. Il se rapproche ainsi d’Alep et se trouve à proximité d’Idleb.

Selon un observateur qui suit de près les négociations de Genève, celles-ci se déroulent à trois niveaux.

  1. Il y a d’abord les parrains, les États-Unis et la Russie, qui sont plus ou moins d’accord sur les grandes lignes et qui ont fixé le plafond des discussions, à travers la résolution 2254 du Conseil de sécurité.
  2. Il y a ensuite les pays intermédiaires, qui cherchent à se trouver un rôle, tantôt en rapprochant les points de vue et tantôt en prenant le parti de l’un ou de l’autre des camps (dans ce contexte, les récents contrats d’échanges entre la France et l’Iran ne seraient pas innocents pour modifier les positions de la France à l’égard de l’Iran et éventuellement sur le dossier syrien)
  3. et, enfin, il y a les acteurs régionaux qui se résument globalement à trois : l’Iran, d’une part, l’Arabie saoudite et la Turquie, de l’autre.

Or, selon l’observateur précité, c’est là que se trouve le problème. Aucun de ces trois pays n’est encore convaincu de la nécessité d’ouvrir la voie à un véritable dialogue politique, puisqu’ils continuent à miser sur les développements du terrain. Mais si l’on revoit l’évolution de la situation depuis mars 2011, il apparaît de plus en plus clairement que la dynamique est en faveur du régime et de ses alliés qui n’ont cessé au cours des cinq dernières années d’améliorer leur position dans les négociations…

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