7149 – Pourquoi l’IA ne va pas remplacer les ingénieurs ? Par Nicolas Bureau – 11 juillet 2025 – Usine Nouvelle –


Pourquoi l’IA ne va pas remplacer les ingénieurs ?

En 2024, les investissements mondiaux dans l’intelligence artificielle ont atteint 200 milliards de dollars, entraînant une accélération sans précédent de son déploiement dans tous les secteurs. L’IA automatise, optimise, apprend.
Face à cette montée en puissance, une question s’impose : l’ingénieur serait-il une espèce en voie d’extinction ?
Pour répondre à cette question, nous avons rencontré Nicolas Bureau, Responsable du Digital Excellence Center chez Assystem, première entreprise d’ingénierie nucléaire en Europe.
Nicolas Bureau

Par Nicolas Bureau – 11 juillet 2025 – L’Usine Nouvelle –
Dans l’industrie nucléaire, l’IA s’impose comme un levier essentiel pour exploiter de vastes ensembles de données complexes et optimiser les processus tout au long du cycle de vie des infrastructures. Elle prend en charge les tâches répétitives, facilite la prise de décision et contribue à valoriser le patrimoine de connaissances des acteurs de la filière.
« Il y a eu différentes révolutions industrielles ces dernières décennies : on se rend compte que les métiers évoluent et que l’utilisation de l’IA est une opportunité pour les ingénieurs de gagner en productivité » souligne Nicolas.
Ce gain d’efficacité ne signifie pas une déresponsabilisation ou une standardisation du rôle de l’ingénieur, mais bien une évolution vers un nouveau profil : celui de l’ingénieur augmenté.
« L’IA permet aux ingénieurs de gagner du temps sur des tâches répétitives et chronophages. Cela leur donne l’occasion de se concentrer sur des missions plus intéressantes, à plus forte valeur ajoutée », complète Nicolas.
Et les gains de temps peuvent être impressionnants.
« Sur le recueil des besoins d’un projet, nous avons réalisé un test avec un ingénieur équipé d’un outil développé en interne et basé sur l’IA, et un autre qui ne l’était pas : le premier a mis 5 heures, le second 32 », précise-t-il.

Une expertise humaine irremplaçable

Lorsqu’il s’agit de modéliser des structures, de mener des calculs de mécanique ou de génie civil, l’IA peut collecter des données, identifier les normes applicables, générer des brouillons.
Mais le cœur de la démarche d’ingénierie, c’est-à-dire la conception, la vérification, l’analyse des résultats, nécessite une intervention humaine.
« L’IA n’a pas de compréhension réelle du sens : elle manipule des mots et des probabilités, sans conscience, intentions ou bon sens. Elle peut stimuler la créativité, par recombinaison d’idées existantes, mais pas créer des concepts radicalement nouveaux », explique Nicolas.
L’IA ne connaît que ce sur quoi elle a été entraînée. Elle excelle dans des tâches répétitives, dans des contextes très cadrés. Mais dès que l’on sort du cadre (incertitude, flou réglementaire, situations inédites…) ses limites apparaissent.

Ce sont les ingénieurs qui apportent à l’IA les règles métiers, les modèles de raisonnement et les connaissances du terrain qui la rendent plus pertinente et plus fiable.
En retour, l’IA leur permet de se concentrer sur ce qu’ils font de mieux : innover, analyser et décider.
Loin de remplacer l’humain, l’IA devient ainsi un levier d’augmentation des compétences et de gain d’efficacité, dans une logique de collaboration intelligente où l’ingénieur conserve la maîtrise technique, prend les décisions et assume la responsabilité.

Prenons un exemple concret : l’extraction d’exigences à partir de documents émis par des autorités de sûreté. L’IA peut repérer une exigence, mais c’est l’ingénieur qui doit interpréter si elle est applicable, et l’intégrer dans le contexte du projet.
Ce raisonnement à plusieurs niveaux, cette capacité à combiner normes, contraintes techniques, retours d’expérience, ne peut être automatisée.

La fiabilité et la sécurité des données au centre des enjeux

Et cette intelligence humaine est également indispensable pour garantir la sûreté, la conformité, la sécurité des données.
L’IA ne peut fonctionner de manière fiable que si les bases de données sont solides, cohérentes, bien structurées.
Les ingénieurs jouent ici un rôle clé : ils créent, qualifient et exploitent ces référentiels.
Selon Nicolas, c’est là que se joue la valeur stratégique de l’IA :
« Une IA n’est aussi fiable que les données qu’elle manipule. L’ingénieur est garant de cette qualité, de cette cohérence. Il veille à ce que les modèles reflètent fidèlement la réalité industrielle. »
La question de l’hébergement et de la sécurité des données devient centrale. Pour garantir la confidentialité des informations sensibles, notamment dans les secteurs critiques comme le nucléaire, la défense ou l’énergie, le recours à des infrastructures de cloud souverain ou de cloud de confiance s’impose.

Une consommation énergétique croissante

Développer l’IA, c’est aussi développer l’infrastructure énergétique qui la supporte.
La consommation électrique des centres de données croit d’environ 15% par an.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, elle pourrait atteindre 945 TWh d’ici 2030, soit l’équivalent de la consommation annuelle du Japon. Et pour répondre à cette demande, les grands acteurs du numérique investissent massivement dans des sources d’énergie bas carbone et pilotables.
Les investissements portent à la fois sur des réacteurs de grande puissance et sur les petits réacteurs modulaires (SMR). Meta a par exemple signé un contrat de 20 milliards d’euros pour alimenter l’un de ses data centers via un réacteur nucléaire existant, tandis que Google collabore avec Oklo, une start-up spécialisée dans les SMR, pour développer des mini-réacteurs capables d’alimenter ses centres de données de façon autonome.
« Assystem est libre technologiquement, ce qui nous permet de nous impliquer dans une grande variété de projets : aussi bien sur les petits réacteurs modulaires que sur la prolongation ou le développement de programmes nucléaires nationaux. »

Des projets porteurs pour la croissance Assystem : le groupe compte aujourd’hui près de 5000 experts nucléaire, un chiffre qui devrait doubler à l’horizon 2030.
Si augmenter les capacités de production électrique est indispensable, il est aussi possible de réduire la consommation des infrastructures et des modèles sur lesquels se base l’IA.
A titre d’exemple, entre 2010 et 2022, la puissance de calcul des data centers a été multiplié par 12 tandis que la consommation n’a augmenté que de 10%.
« Chez Assystem, on développe également des modèles d’IA spécialisés, qui sont plus léger. Chaque requête est ainsi moins gourmande en ressources. » conclue Nicolas

https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-l-ia-ne-va-pas-remplacer-les-ingenieurs.N2235122