
Le chimiste belge Solvay
renforce la souveraineté de l’Europe dans les terres rares

Par Marie Bartnik – 08.04.25 – La Rochelle – Le Figaro
L’Europe est aujourd’hui quasi exclusivement dépendante de la production chinoise. Solvay
L’usine de séparation de terres rares de Solvay, à la Rochelle, produit de l’ordre de 5000 tonnes d’oxyde de cerium pour la dépollution automobile et les applications électroniques
DÉCRYPTAGE – Le groupe a inauguré à La Rochelle une nouvelle ligne de production de terres rares destinées aux aimants permanents, indispensables à la transition énergétique.
La Rochelle redeviendra-t-elle la capitale des terres rares en Europe, après avoir dominé ce marché dans les années 1980, du temps de Rhône-Poulenc ?
Actuel propriétaire de l’usine chimique de La Rochelle et héritier du chimiste français, Solvay reste un des leaders mondiaux dans ce domaine, grâce aux volumes produits en Charente-Maritime, en Chine et au Japon.
Son usine rochelaise demeure la seule capable de réaliser toutes les opérations de séparation des terres rares hors de Chine.
Ces dernières années, le chimiste belge s’est spécialisé dans la production de terres rares destinées à la catalyse automobile, au polissage des semi-conducteurs, ou au matériel médical (les IRM). Cette activité pèse 7 % de son chiffre d’affaires. Mais les ventes destinées à la catalyse automobile (donc aux moteurs thermiques) sont amenées à décroître à mesure que le parc automobile s’électrifie.

Le chimiste belge prépare donc la relève, et s’attelle à la production, dans son usine de La Rochelle, de terres rares destinées aux aimants permanents – ces éléments qui entrent dans la composition des moteurs des véhicules électriques et des éoliennes. Ils sont à ce titre indispensables à la transition énergétique. Les aimants permanents sont encore utilisés dans la fabrication de matériels de défense.
L’usine de séparation de terres rares de Solvay, à la Rochelle, produit de l’ordre de 5000 tonnes d’oxyde de cerium pour la dépollution automobile et les applications électroniques
Dépendance
Pourtant, l’Europe est aujourd’hui quasi exclusivement dépendante de la production chinoise.
« 85 % des terres rares destinées aux aimants permanents viennent de Chine , ce qui représente un risque pour la sécurité d’approvisionnement des fabricants », constate Philippe Kehren, le directeur général de Solvay.
Certains acteurs de l’automobile, à l’instar de Renault et Valeo, conçoivent d’ailleurs des moteurs électriques ne requérant pas de terres rares pour contourner cette difficulté.
À terme, nous ambitionnons de produire ici les volumes nécessaires pour répondre à un tiers de la demande européenne en 2030
Philippe Kehren, directeur général de Solvay
La Commission européenne pointait encore récemment, dans une publication sur le sujet, la politique commerciale imprévisible de la Chine dans ce domaine.
Ciblée par les nouveaux droits de douane américains, elle vient de limiter, en guise de mesure de rétorsion, les exportations de terres rares. Cette décision touchera notamment celles utilisées pour fabriquer des aimants permanents.
Solvay aimerait s’engouffrer dans la brèche.
« À terme, nous ambitionnons de produire ici les volumes nécessaires pour répondre à un tiers de la demande européenne en 2030 », soit 4500 tonnes, explique Philippe Kehren.
Pour l’instant pourtant, la production lancée à La Rochelle se limite à quelques tonnes, et l’investissement réalisé par Solvay à quelques millions d’euros.
Soutien européen
Avant de débourser plus de 100 millions d’euros, le chimiste belge veut s’assurer que ses terres rares destinées aux aimants permanents trouveront des débouchés. La Chine en fabrique déjà suffisamment pour répondre à la demande mondiale. Et celles produites par Solvay sont vendues 20 % plus chères que les terres rares chinoises.
« La Chine est particulièrement compétitive, car elle a développé ces dernières années toute la chaîne de valeur de fabrication des aimants permanents pour alimenter la production de véhicules électriques, de l’extraction des terres rares au produit fini », explique Philippe Kehren.
Nous mettons les chiffres sur la table et appelons les autorités européennes à soutenir ce projet

Philippe Kehren, directeur général de Solvay
Les clients de Solvay seront-ils enclins à débourser un peu plus cher pour sécuriser leur approvisionnement ?
« C’est un écart de prix limité. Mais nos clients évoluent dans un environnement ultra-compétitif, donc pour eux, il n’est pas neutre. Nous mettons les chiffres sur la table et appelons les autorités européennes à soutenir ce projet », explique le directeur général.
Cadre européen
La France soutient déjà le projet à hauteur de 20 % de son coût. Mais aux États-Unis, la construction au Texas d’une usine similaire, destinée à raffiner les terres rares, vient d’être intégralement financée par le ministère de la Défense américain, à hauteur de près de 300 millions d’euros.
« Notre installation, qui utilise des actifs existants, coûte trois fois moins cher », souligne Philippe Kehren.
Au-delà de l’investissement de départ, Solvay aimerait voir l’Union européenne contribuer à solvabiliser la demande pour des terres rares européennes.
« Il faut trouver une solution pour réduire le différentiel de coût avec les terres rares chinoises. Ce peut être une incitation financière, pour les constructeurs, à utiliser des terres rares fabriquées en Europe », poursuit le directeur général.
La législation sur les métaux critiques adoptée par l’Union européenne en 2024 prévoit déjà qu’aucun pays tiers ne fournisse plus de 65 % de la consommation annuelle européenne pour un métal stratégique.
« Nous offrons une solution pour y parvenir », poursuit-il.
Il est compliqué de recycler des moteurs en Europe car ils sont considérés comme des déchets… et envoyés en Chine

Philippe Kehren, directeur général de Solvay
La chaîne de valeur reste par ailleurs à construire. En l’absence de mines de terres rares européennes, Solvay prévoit d’extraire les siennes de moteurs recyclés. Pour l’instant, ces moteurs viendront… du Canada. Là encore, le chimiste aura besoin du soutien de l’Union européenne pour s’approvisionner plus près.
« Il est compliqué de recycler des moteurs en Europe car ils sont considérés comme des déchets… et envoyés en Chine. Les utiliser n’est pas interdit, mais très compliqué, alors même que c’est la première source de matière première », explique Philippe Kehren.
Un point positif pour Solvay : le contexte géopolitique a rarement été aussi propice à un soutien de la part de l’Union européenne, alors que la guerre commerciale fait rage avec les États-Unis, et que Bruxelles a fait de la compétitivité la boussole de son nouveau mandat.
Solvay site de La Rochelle
https://www.lefigaro.fr/societes/le-chimiste-belge-solvay-renforce-la-souverainete-de-l-europe-dans-les-terres-rares-20250408
