6788 – Le Mexique négocie avec Trump d’égal à égal – par Gisela Liebe – N° 7 du 25 Mars 2025 – Horizons & Débats


Le Mexique négocie avec Trump

d’égal à égal

Sheinbaum envers Trump, des principes incontournables», Gros titre du journal mexicain «La Jornada» du 10 mars 2025

par Gisela Liebe – N° 7 du 25 Mars 2025 – Horizons & Débats

Quand on pense au poulailler européen chaotique, amoureux de la guerre, on ne peut que s’étonner de quelle manière réfléchie et intelligente un soi-disant pays du tiers-monde ou nouveau pays industrialisé comme le Mexique se comporte face aus Etats-Unis: tout en insistant sur les intérêts de son propre peuple et en défendant sa propre souveraineté, conscient de sa propre valeur.

Présidente du Mexique Claudia Sheinbaum

Dimanche, 9 mars 2025, 350.000 Mexicains ont afflué vers la plus grande place à Mexique-Ville, la Zocalo pour soutenir leur Présidente dans les négociations face à la menace des droits de douane par le Président des Etats-Unis, Donald Trump. Claudia Sheinbaum avait invité la population à une manifestation d’information publique concernant les contre-mesures prévues par le gouvernement mexicain.
Cependant, à ce moment là, ce n’était plus urgent parce que Sheinbaum avait réussi à convaincre Trump, lors de sa conversation téléphonique de la veille, à renoncer à ces droits de douane, au moins jusqu’en avril. La manifestation s’est donc transformée en une grande fête populaire rendant ainsi hommage à la Présidente, très appréciée, et la souveraineté du Mexique, avec des chants et une infinité de drapeaux mexicains et de parasols.
    Sheinbaum a déclaré qu’elle avait eu une bonne conversation avec le président Trump. Deux facteurs avaient joué un rôle décisif: d’un côté le soutien et la force du peuple mexicain même face à la situation actuelle. A cela s’ajoutait le fait que nombre d’entrepreneurs importants et une grande partie des gouverneurs régionaux avaient confirmé leur soutien. De l’autre côté le gouvernement n’a pas cherché la confrontation mais a sondé la marge de manœuvre, «et cela nous a permis de mener une relation d’égal à égal avec le gouvernement états-unien».
Trump s’est prononcé également de façon positive sur son homologue. Cependant, jusqu’à présent les deux n’ont pas eu d’entretien personnel. Sheinbaum souligne, à toute occasion, d’un côté la relation respectueuse due au gouvernement des Etats-Unis mais insiste en même temps sur la souveraineté de son propre pays. Dans les populations mexicaines, elle bénéficie d’une grande confiance dont témoignent ses taux d’approbation très élevées.

 

    Elle poursuit donc ainsi la politique de son prédécesseur Andrés Manuel Lopez Obrador qui, en 2024, au grand regret de beaucoup de Mexicains, n’a pas pu se présenter aux élections, le Mexique ne prévoyant pas la réélection d’un président d’Etat. C’est Lopez Obrador  lui-même qui avait introduit ce verdict en politique, lors de la «Quatrième Transformation» en 20181. Claudia Sheinbaum, une de ses plus proches collaboratrices, a été élue dans la confiance qu’elle continuerait la voie de son prédécesseur.
 Andrés Manuel Lopez Obrador
Les tentatives d’ingérence des Etats-Unis posent un problème constant défiant le Mexique. Lorsque Lopez Obrador a limité les compétences de l’autorité électorale nationale parce qu’il était d’avis – pas sans raison – qu’elle ne restait pas neutre, le secrétaire d’Etat de l’époque, Blinken, a critiqué cette décision comme non démocratique. Lopez Obrador a rejeté cette reproche avec véhémence rétorquant qu’au Mexique, la démocratie était plus évoluée qu’aux Etats-unis.
Il a pointé du doigt que les Etats-Unis se prenaient toujours pour le gouvernement mondial, «une mauvaise habitude vieille de 200 ans».
Au cours de son mandat au gouvernement mexicain,  Lopez Obrador a toujours su réfuter l’ingérence du gouvernement US, en insistant sur la souveraineté de son pays, attitude dont il faisait preuve autant face à Trump que plus tard à Biden. Lorsque Lopez Obrador a été élu Président du Mexique, en 2018, deux ans après la première élection de Trump, une collaboration respectueuse s’est développée entre les deux, à l’étonnement de beaucoup d’observateurs. Même s’ils n’étaient pas d’accord sur beaucoup de problèmes, le respect de la souveraineté du pays restait tout de même leur base commune.

Les succès acquis lors de la Présidence de Lopez Obrador

Durant le gouvernement de Lopez Obrador le taux de pauvreté au Mexique a diminué de façon significative, notamment en raison de différents programmes sociaux.
Des programmes d’envergure concernant l’infrastructure furent développés, la privatisation partielle du secteur de l’énergie  annulée et des universités populaires furent fondées à la campagne.
A une grande exception près – Lopez Obrador n’avait pas encore trouvé moyen (but peut-être pas encore abordable efficacement par lui) de venir à bout, de façon efficace, avec le pouvoir des cartels de la drogue en endiguant leurs influences néfastes.
Aujourd’hui comme dans le passé, le nombre de meurtres au Mexique est une des plus élevés du monde et la corruption et l’impunité sont largement répandues.
    Lopez Obrador a été un président proche du peuple. Il a développé un instrument efficace lui permettant de faire contre-poids aux médias de masses se trouvant largement dans les mains des élites traditionnelles du pays, rejetant la politique de la Quatrième transformation: les «Mañaneras».
Il s’agissait là de conférences de presse publiques du président, tenues régulièrement tous les matins, jusqu’à aujourd’hui. Elles duraient souvent plusieurs heures étant transmises simultanément et sans retouches sur Internet et à la télévision.
Selon leurs sujets, des spécialistes de différentes administrations présentaient des projets. Tous les événements politiques importants étaient abordés et les responsables répondaient, de façon détaillée, aux questions des journalistes. Souvent c’étaient des représentants de médias locaux du pays présentant leurs préoccupations régionales.
Des critiques reprochaient à Lopez Obrador de «mener ses affaires de gouvernement à travers la Mañanera». On ne peut certainement pas lui reprocher de manquer de transparence.

Claudia Sheinbaum continue cette tradition sans changements. Sa manière de se présenter est tout aussi crédible et convaincante que celle de son prédécesseur.

Après l’élection de Trump… le Mexique se trouve face à de nouveaux défis

Le Mexique s’est bien préparé à la nouvelle présidence de Trump, avec tous les défis qui étaient à prévoir. Déjà pendant sa campagne électorale, Trump avait annoncé l’imposition de droits de douane punitifs contre le Mexique, de déporter des immigrants, d’agir militairement contre les cartels de la  drogue au Mexique et de réviser radicalement le contrat de libre échange avec le Canada et le Mexique.
Les champs de problèmes prévisibles sont notamment le déficit du bilan commercial des USA face au Mexique, la migration, l’immense problème des drogues aux USA ainsi que le rôle que jouent les cartels de la drogue mexicains.

 Le Mexique est le partenaire commercial le plus important des Etats-Unis, encore avant le Canada et la Chine.
Sa part dans le volume total des échanges commerciaux avec les Etats-Unis est de 16%. Avec le contrat de libre-échange T-MEC, sur le plan économique, le Mexique est étroitement lié aux Etats-Unis et au Canada. 80% des exports du Mexique vont aux USA, y compris le pétrole.
Cependant, ces derniers jours, il y a eu l’annonce de prendre en considération des marchés alternatifs, 60% des importations de fruits et de légumes des USA proviennent du Mexique, surtout des baies et des avocats.
Les industries de l’automobile des deux pays sont étroitement liées, autant que beaucoup de parties de la production d’automobiles passent plusieurs fois la frontière. Trois grands producteurs d’automobiles américains (General Motors, Ford et Stellantis avec Fiat et Chrysler) produisent avant tout au Mexique, motif évident pour s’être tout de suite montrés opposés aux droits douanières punitifs parce qu’ils en auraient souffert eux-mêmes. C’est pour cette raison que Trump a renoncé finalement aux droits de douane qui auraient concerné les producteurs d’automobiles.

    A toutes les menaces douanières de Trump, Sheinbaum réagit en recommandant à la population de garder la tête froide – et en rappelant qu’ il existait, dans cette matière des plans A, B et C aptes à réagir sur les décisions du gouvernement américain.
Les droits de douane seraient une faute stratégique de Trump car ce seraient les consommateurs américains qui en souffriraient le plus.
Le Mexique est mondialement le second grand exportateur d’appareils de télévision et d’écrans; chaque troisième frigidaire acheté aux Etats-Unis provient du Mexique.

Le problème de la migration

Des centaines de milliers d’êtres humains s’enfuient toujours de leurs pays d’origine en Amérique du sud et en Amérique centrale pour laisser derrière eux la pauvreté, la violence et la corruption et pour trouver un meilleur avenir aux Etats-Unis.

Déjà avant la première présidence de Trump, de 2016 à 2020, ses projets de construire un mur entre le Mexique et les USA, mesure dirigée contre le Mexique, était un de ses thèmes de campagne électorale préférés. Les fortifications frontalières n’ont cependant pas été spécialement renforcés; le Mexique a tout de même dû approuver un accord ciblant à empêcher les immigrants en provenance du Mexique de passer la frontière américaine.

 En 2023, le Président Biden a fait pression sur le Mexique pour faire baisser le nombre des migrants. Lopez Obrador a réagi alors en suggérant à Biden que les Etats-Unis devraient mieux soutenir les pays d’origine de ces immigrants. Il lui a rappelé le fait que si les conditions de vie étaient supportables dans leurs pays d’origine, les gens cesseraient de quitter leur patrie.
    Actuellement, le président Trump a disposé, comme une de ses premières mesures, l’expulsion des étrangers vivant illégalement aux Etats-Unis.
Lors de son premier mois de mandat ont donc été expulsés 37.660 étrangers déjà. On passe sous silence cependant presque entièrement le fait que sous l’administration Biden, c’étaient presque 20.000 de plus par mois.
Claudia Sheinbaum a fait connaître, fin février, que depuis l’investiture de Trump 14.000 êtres humains auraient été expulsés depuis les USA vers le Mexique, parmi eux 11.000 Mexicains.
Le gouvernement mexicain a développé par la suite un programme («Mexico te abraza» – le Mexique te prend dans ses bras) qui devait soutenir les rapatriés à s’intégrer. Il comprend des centres d’accueil le long de la frontière, des conseils pour l’accès aux systèmes sociaux et une allocation de bienvenue d’environ 100 Euro.
De même, pendant sa Mañanera, Sheinbaum a toujours souligné que le Mexique accueillerait chaleureusement ses compatriotes.
    Les problèmes sont cependant d’envergure, pas seulement pour les personnes concernées ayant partiellement vécu pendant des décennies aux USA. Même si le gouvernement mexicain s’applique à créer des emplois, les  virements réguliers depuis le nord, les rimesses, feront défaut aux familles.
En 2024 les Mexicains vivant aux USA ont viré environs 62 milliards de dollars à leurs proches au Mexique. Ils représentent ainsi un facteur économique important pour le Mexique. Et aux Etats-Unis aussi, les mains d’œuvre mexicains leur manquerontindispensables dans l’agriculture, dans le domaine du tourisme et dans la construction.
Somme toute, vivent actuellement aux USA environ 38 millions de Mexicains dont deux tiers y sont nés.

Le problème du Fentanyl et les cartels de la drogue

Trump rend le Mexique responsable de l’immense problème de drogues inondant les Etats-Unis, exigeant que le Mexique doive combattre plus efficacement les laboratoires de drogues, notamment  la production de Fentanyl.
Depuis 2020 il y a eu chaque année plus de 50.000 morts à cause des drogues synthétiques.
Au cours de quatre ans, la quantité inimaginable de 5,4 tonnes (!) de Fentanyl ont été saisis.
Huit cartels de drogues mexicains ont été déclaré être des «organisations terroristes», ce qui permettrait, selon la compréhension états-unienne du droit, des interventions militaires au Mexique.
Dans ce contexte, Sheinbaum a expliqué que le Mexique ne tolérerait absolument pas d’interventions militaires étrangères. Elle s’est montrée prête à coopérer avec son puissant voisin à la recherche des laboratoires de drogues et elle a fait extrader 19 anciens chefs de la drogue des prisons mexicaines vers les Etats-Unis.
Mais en même temps elle a dénoncé le commerce d’armes via les Etats-Unis. Environ 75% des armes réquisitionnés au Mexique sont de provenance américaine. Sheinbaum a annoncé quelle élargirait la plainte du gouvernement mexicain contre l’industrie américaine de l’armement.
Depuis des années, le Mexique essaie d’endiguer le commerce illégal d’armes en provenance des USA et a poursuivi en justice sept producteurs d’armes états-uniens.
Il est absolument concevable qu’une véritable coopération entre le Mexique et les USA permette enfin de lutter contre le pouvoir des cartels de la drogue. L’avenir le montrera.
Lopez Obrador
1Lopez Obrador a déclaré que les trois grandes transformations dans l’histoire du Mexique représentaient le modèle de sa politique: L’indépendance (en 1821), les réformes et la sécularisation (sous Benito Juarez 1854 à 1876) et la révolution mexicaine en 1910. La quatrième transformation de la vie publique doit permettre, de manière paisible, de s’éloigner des concepts du néolibéralisme.

https://www.zeit-fragen.ch/fr/archives/2025/nr-7-18-maerz-2025/mexiko-verhandelt-mit-trump-auf-augenhoehe