Il est temps pour l’Europe de faire l’impensable
Bruxelles suit servilement Washington depuis bien trop longtemps – et a oublié comment faire avancer ses propres intérêts géopolitiques
par Kishore Mahbubani* – N° 7 du 25 Mars 2025 – Horizons & Débats
|

Verzweifelte Zeiten erfordern verzweifelte Massnahmen. Und wie meine geopolitischen Lehrer mich gelehrt haben, muss man immer das Undenkbare denken, wie es Europa jetzt tun muss.Es ist noch zu früh, um zu sagen, wer die wirklichen Gewinner und Verlierer der zweiten Trump-Regierung sein werden. Die Dinge könnten sich ändern. Es besteht jedoch kein Zweifel daran, dass die geopolitische Stellung Europas erheblich geschwächt wurde. Die Entscheidung von US-Präsident Donald Trump, die europäischen Staats- und Regierungschefs nicht einmal zu konsultieren oderLes temps désespérés appellent des mesures désespérées. Et comme mes professeurs de géopolitique me l’ont appris, il faut toujours penser l’impensable, comme l’Europe doit le faire maintenant. |

Il est encore trop tôt pour dire qui seront les vrais gagnants et les vrais perdants de la deuxième administration Trump. Les choses pourraient changer. Il ne fait toutefois aucun doute que la position géopolitique de l’Europe a été considérablement affaiblie.
La décision du Président américain Donald Trump de ne même pas consulter ou avertir les dirigeants européens avant de parler au Président russe Vladimir Poutine montre à quel point l’Europe est devenue négligeable, même lorsque ses intérêts géopolitiques sont en jeu. La seule façon de restaurer la position géopolitique de l’Europe est d’envisager trois options impensables.
I -Sortir de l’OTAN ou lécher ses bottes?
Tout d’abord, l’Europe devrait annoncer sa volonté de se retirer de l’OTAN.
Une Europe contrainte de dépenser 5 % pour la défense est une Europe qui n’a pas besoin des Etats-Unis.
5% du PIB combiné de l’UE et du Royaume-Uni en 2024 s’élèvent à 1100 milliards de dollars,
ce qui est comparable aux dépenses de défense des Etats-Unis, qui s’élèvent à 824 milliards de dollars en 2024 (en 2024, l’UE et le Royaume-Uni ont dépensé ensemble environ 410 milliards de dollars pour la défense).
En fin de compte, l’Europe n’a pas besoin de se retirer. Mais seule une menace de sortie crédible réveillerait Trump (ainsi que le vice-président J.D. Vance et le secrétaire à la Défense Pete Hegseth) et l’obligerait à traiter l’Europe avec respect.
A l’inverse, l’insistance des Européens à rester dans l’OTAN après les actions provocatrices de Trump dans le monde donne l’impression qu’ils lèchent les bottes qui leur reviennent en pleine figure.
Ce qui choque beaucoup de gens dans le monde, c’est que les Européens n’ont pas prévu le pétrin dans lequel ils se trouvent aujourd’hui.
L’une des premières règles de la géopolitique est que nous devons toujours planifier avec le pire des scénarios. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, toute la pensée stratégique européenne était basée sur le scénario du meilleur, à savoir que les Etats-Unis étaient un allié absolument fiable, malgré le premier mandat de Trump et ses menaces de quitter la plus grande alliance militaire du monde.
Pour un continent qui a produit des penseurs stratégiques comme Metternich, Talleyrand et Kissinger, la réflexion stratégique sur l’Ukraine et ses conséquences à long terme était d’un niveau presqu’enfantin.
II – Se mettre d’accord avec la Russie
Ensuite, si Metternich ou Talleyrand(ou Charles de Gaulle) étaient encore en vie aujourd’hui, ils recommanderaient l’impensable option no 2: élaborer un nouvel accord stratégique majeur avec la Russie, dans lequel chaque partie répond aux intérêts fondamentaux de la partie adverse.
De nombreux stratèges européens influents rejetteraient ces propositions, convaincus que la Russie représente une véritable menace pour la sécurité des pays de l’UE.
-
Vraiment?
-
Qui est le rival stratégique le plus fondamental de la Russie, l’UE ou la Chine?
-
Avec qui a-t-elle la plus longue frontière?
-
Et son pouvoir relatif, avec qui a-t-il tant changé?
Les Russes sont des réalistes géopolitiques de premier ordre. Ils savent que ni les troupes de Napoléon ni les chars d’assaut d’Hitler n’avanceront à nouveau jusqu’à Moscou. Les Européens ne voient pas la contradiction évidente entre se réjouir de l’incapacité de la Russie à vaincre l’Ukraine (un pays de 38 millions d’habitants et un PIB d’environ 189 milliards de dollars en 2024) et déclarer ensuite que la Russie est la véritable menace pour l’Europe (qui compte 744 millions d’habitants et un PIB de 27 billions de dollars en 2024).
Les Russes seraient probablement heureux de négocier un compromis équitable avec l’UE, respectant les frontières actuelles entre la Russie et l’UE et trouvant un compromis réaliste sur l’Ukraine qui ne mette pas en danger les intérêts fondamentaux des deux parties.
A long terme, une fois une certaine confiance stratégique rétablie entre la Russie et une nouvelle Europe stratégiquement autonome,
l’Ukraine pourrait progressivement servir de pont entre l’UE et la Russie plutôt que de source de discordes pérennes. Bruxelles devrait se féliciter du fait que la Russie soit, en termes relatifs, une puissance en déclin et non une puissance émergente. Si l’ASEAN, une organisation régionale relativement plutôt faible, se montre capable d’établir une relation de confiance à long terme avec une puissance émergente comme la Chine, l’UE arrivera certainement à faire mieux encore, face à la Russie.
III -Pacte avec la Chine
Et cela nous mène à l’option 3, longtemps impensable elle aussi: élaborer un nouveau pacte stratégique avec la Chine.
Là encore, dans le domaine des fondements de la politique étrangère, il y a une raison importante pour laquelle la géopolitique est une combinaison de deux données, la géographie et le politique.
La géographie des Etats-Unis, se trouvant face à la Chine du côté de l’océan Pacifique, en combinaison avec la poussée de domination de Washington, explique la relation inamicale qui existe entre les Etats-Unis et la Chine.
-
Quelle pression géopolitique a provoqué le déclin des relations entre l’UE et la Chine?
Les Européens ont poussé leur naïveté jusqu’à croire qu’une loyauté servile envers les priorités géopolitiques des Etats-Unis se solderait par de riches dividendes géopolitiques. Au lieu de cela, ils n’ont gagné qu’une gifle en plein visage.
Ce qui est remarquable, c’est que la Chine peut aider l’UE à faire face à son véritable cauchemar géopolitique à long terme: l’explosion démographique africaine.
En 1950, la population de l’Europe était deux fois celle de l’Afrique. Aujourd’hui, c’est la population du continent africain qui double celle de l’Europe. D’ici 2100, elle sera six fois plus importante que celle d’Europe.
Si l’Afrique ne réussit pas à développer son économie, il y aura une ruée massive de migrants africains vers l’Europe. Si les Européens pensent que l’Europe ne produira jamais de leaders du genre de Trump, elle se trouve en toute évidence à l’emprise d’une illusion. Elon Musk n’est pas le seul milliardaire à soutenir les partis de la Droite européenne.
Afin de préserver une Europe gouvernée par des partis du centre, les Européens devraient saluer tout investissement étranger en Afrique créant des emplois et maintenant les Africains chez eux.
Au lieu de cela, les Européens se font du tort à eux-mêmes en critiquant et en rejetant les investissements de la Chine en Afrique. Cette seule action montre déjà les dimensions qu’a atteint la naïveté ambulante en Europe face à sa pensée stratégique à long terme.
Bruxelles sacrifie ses propres intérêts stratégiques pour servir les intérêts américains – dans l’espoir que la soumission géopolitique conduise à des récompenses.
Ce qui s’est avéré illusoire. Deux mille ans de géopolitique nous ont apporté une leçon simple et évidente. Toutes les grandes puissances mettent leurs propres intérêts au premier rang, prêtes, si nécessaire, d’en sacrifier ceux de leurs alliés.
Trump se comporte comme un acteur géopolitique rationnel en mettant au premier rang ce qu’il considère comme les intérêts vitaux de son pays. L’Europe ne devrait pas seulement critiquer Trump, mais l’imiter.
Elle devrait réaliser énergiquement l’option toujours impensable pour elle. Elle consiste à déclarer qu’elle sera désormais, sur la scène mondiale, un acteur stratégiquement autonome mettant ses propres intérêts à elle au premier plan.
Si l’Europe agit ainsi, Trump lui accordera peut-être enfin un peu de respect. •

(Traduction Horizons et débats)


* membre respecté de l’Asia Research Institute de l’Université nationale de Singapour, est l’auteur et le commentateur de plusieurs publications axéessur la géopolitique. Son dernier livre «Has China Won? The Chinese Challenge to American Primacy» a suscité un grand intérêt dans le monde entier. X: @mahbubani_k