Entretien avec M. Franz Grüter Conseiller national – 17 décembre 2024 – N°26 – Horizons & Débats –
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Horizons et débats: Après la visite du commissaire européen, M. Maros Sevcovic, à Berne, le Conseil fédéral a annoncé, une fois de plus, que les négociations sur l’accord Suisse-UE devraient être conclues d’ici la fin de l’année, sans avoir pour l’instant informé la population du résultat. Est-ce que le Conseil fédéral agit de manière si mystérieuse parce qu’il n’a probablement pas pu obtenir grand-chose?
Franz Grüter: Oui, le fait est que les points sur lesquels le Conseil fédéral négocie ne sont en fait que des sujets de guerre secondaires.
Les médias parlent tous les jours d’exigences et de concessions quelconques, de la clause de sauvegarde, de la réglementation des frais, de centaines de petits points quelconques. Mais ce qui n’est plus négocié, ce sont les points essentiels de ce traité de soumission: que nous devrions à l’avenir reprendre automatiquement le droit européen, que ce sera l’Union européenne qui fixe en dernière instance ce qui est de droit chez nous.
Si, en tant qu’électeurs, nous décidons autrement lors d’une votation sur une initiative ou un référendum, Bruxelles déclenchera ses «mesures compensatoires».
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Que faut-il entendre par «mesures de compensation»?
C’est un terme enjolivé pour désigner des sanctions. Nous aurions quasiment le fusil sur la tempe à chaque vote: si nous ne votons pas comme l’UE le souhaite, nous serons punis.
En cas de litige, la Cour de justice européenne décide de manière définitive et contraignante de ce qui est le droit en vigueur dans ce pays. C’est ce que dit le document du Conseil fédéral et de l’UE, le «Common Understanding». Et nous devons encore verser des milliards à l’UE de manière récurrente. Ces quatre points ne font plus du tout partie des négociations.
Il est d’ores et déjà clair que, quel que soit le contenu de ce document, il s’agira en substance d’un traité colonial. Nous devons nous y opposer massivement. Les partisans disent bien sûr qu’il y a un tribunal d’arbitrage qui pourrait décider des mesures de compensation de l’UE.
Oui, bien sûr, il y a un tribunal arbitral, c’est vrai. Mais lorsqu’il s’agit d’interpréter le droit, lorsqu’il s’agit de questions litigieuses, lorsqu’il s’agit de savoir ce qui s’applique exactement maintenant, la décision de la Cour européenne de justice est contraignante pour le tribunal arbitral.
La Cour européenne a donc le dernier mot, le mot final. C’est totalement inacceptable pour un Etat indépendant qu’un tribunal étranger décide de ce qui doit ou ne doit pas s’appliquer chez nous.
Ce serait la fin de la démocratie directe et aussi la fin du modèle de réussite qu’est la Suisse.
En fin de compte et sans ambage, il s’agit ici de savoir si la Suisse veut se soumettre à l’Union européenne.

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Les partisans affirment que sans accord-cadre, nous serions confrontés à des problèmes économiques.
L’UE est le contraire d’un modèle de réussite.
Regardez l’Union européenne, elle est à terre, elle est ruinée financièrement. Les Etats de l’UE sont complètement surendettés. L’UE est affaiblie, elle est devenue un énorme moloch bureaucratique. La seule chose qui fonctionne vraiment en Europe, c’est la réglementation.
Toujours plus de lois et de règlements.
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Le Green Deal comprend 14000 pages de directives!
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La loi européenne sur l’intelligence artificielle fait près de 500 pages.
Cette frénésie réglementaire a pour conséquence que les entreprises souffrent de plus en plus de ce gigantesque appareil bureaucratique et perdent en fin de compte leurs capacités d’innovation et leurs performances économiques. C’est pourquoi, contrairement aux Etats-Unis et à la Chine, l’UE est totalement à la traîne en matière d’innovation.
Au lieu de cela, on s’occupe à Bruxelles des bouchons de bouteilles en plastique qui ne doivent plus tomber, c’est-à-dire des règles complètement folles, incroyablement bureaucratiques, qui n’apportent rien.
Je pense qu’il est extrêmement important pour la Suisse, en tant que nation exportatrice, qu’elle puisse continuer à être autonome sur le plan économique.

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Le groupe d’entrepreneurs Boussole Europe a lancé une initiative contre ce traité de l’UE, plus de 2000 entrepreneurs sont comme vous d’avis que la Suisse se portera mieux si elle continue à mener une politique économique autonome et contrôlée démocratiquement.
Oui, je suis très heureux qu’il existe des organisations comme Boussole Europe. Elles ne sont pas les seules.
Il y en a d’autres, comme par exemple l’organisation «autonomiesuisse», avec des entrepreneurs de la région, avec des entrepreneurs à succès comme Hans-Jörg Bertschi et Hans Peter Zehnder, qui y comptent parmi les esprits dirigeants.
Il est intéressant de constater que des personnes, des personnalités, des entrepreneurs, qui n’ont normalement rien à voir avec la politique, ont soudain le courage de se lever et de dire: «Nous ne pouvons pas signer cela!»
Je dois dire que j’ai beaucoup de respect pour de telles prises de position suisse. Des personnalités comme Bernhard Russi ou Kurt Aeschbacher, qui ne font pas partie de la classe politicienne chez nous, en font également partie. Mais ils sentent que si nous nous soumettons à l’UE, nous irons dans la mauvaise direction. Ils se battent pour une cause qui est extrêmement importante et ils en obtiennent des résultats voulus.
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Les initiateurs de Boussole d’Europe veulent aussi que les traités internationaux importants soient soumis à un référendum obligatoire avec une majorité des cantons.
C’est ainsi. Avec un référendum obligatoire, il faudrait non seulement la majorité du peuple, mais aussi la majorité des cantons. Et voilà qu’un Conseiller national M. Simon Michel [PLR, Entrepreneur pharmaceutique] affirme qu’il est impossible que de petits cantons comme les deux Appenzell fassent pencher la balance lorsqu’il s’agit d’une telle décision.
Quelle arrogance! C’est précisément notre modèle d’État, notre principe de protéger les minorités, qui fait que les grands cantons, dominés d’une population citadine, ne soient pas les seuls à pouvoir décider.
Il est condamnable de vouloir mettre à mal ce modèle typiquement suisse sur cette question importante.

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En vous écoutant, j’ai encore plus de mal à croire que l’association économique «economiesuisse» s’obstine à vouloir conclure cet accord.
Chez economiesuisse, ce sont les grands groupes, presque exclusivement dirigés par des étrangers, qui décident. Ceux-ci ont peu de liens personnels avec la Suisse et ne s’intéressent pas forcément à notre démocratie directe et aux autres particularités de notre pays. Mais je constate que l’enthousiasme pour l’UE a nettement diminué parmi les grandes entreprises. Vous voyez bien comment la frénésie réglementaire de l’UE nuit aux nations économiques que sont l’Allemagne et la France. Surtout dans la concurrence mondiale.
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Le Conseil des États a approuvé un accord de solidarité sur le gaz avec l’Allemagne et l’Italie, selon lequel les trois Etats se soutiennent mutuellement en cas de pénurie de gaz.La Suisse ne devrait-elle pas conclure davantage d’accords de ce type avec certains pays, notamment les pays voisins, ou bien Bruxelles ne le permet-elle pas?
Oui, c’est un bon exemple montrant que l’on peut directement résoudre des questions importantes pour notre paysx avec d’autres Etats. Je plaide pour de bonnes relations avec toute l’Europe. L’Europe ne se limite pas à l’UE. Nous devrions entretenir de bonnes relations, nous voulons faire du commerce dans l’intérêt mutuel. Nous pouvons aussi conclure des contrats individuels. Mais ces contrats doivent être d’égal à égal, ils doivent pouvoir être résiliables, et nous ne nous laisserons rien imposer. Et surtout pas une reprise automatique du droit européen. Cet accord sur le gaz est un excellent exemple de véritables accords bilatéraux, où les deux parties en tirent profit. C’est ainsi que je conçois l’avenir.

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Merci beaucoup, Monsieur le Conseiller national, pour cet entretien instruisant. •

Un paquet Moloch de plus de 1000 pagesHorizons et débats: Quelle est la suite de l’accord avec l’UE?
Franz Grüter: Il est prévu que Mme Ursula von der Leyen et la Présidente de la Confédération, MmeViola Amherd se rencontrent le 20 décembre. D’après ce que j’ai entendu, on annoncera, quasiment ce jour-là, que les négociations des accords sont ainsi arrivées à leur terme.Début 2025, les juristes bernois examineront encore une fois tout, il y aura enfin une dernière consultation au printemps pour que le contrat soit soumis au Parlement. Mais il n’y aura pas que le contrat seul qui arrivera au Parlement. Dans l’administration fédérale, une centaine de fonctionnaires sont en train de préparer toutes les adaptations législatives nécessaires. On parle de trente adaptations législatives nationales et de 150 lois issues de l’UE, appelées «directives», que nous devrions reprendre directement telles quelles. Le tout sera intégré dans le message du Conseil fédéral à l’attention du Parlement – 1000 pages environ au total! Ce paquet Moloch sera ensuite traité par le Parlement avant d’être soumis à la votation populaire.Le Parlement aura-t-il l’occasion de changer quelque chose?Le Parlement pourrait théoriquement exprimer son refus de l’accord proposé.Mais des aménagements sur le fonds seront donc exclus?Si, nous pourrions bien sûr changer quelque chose concernant les lois nationales. Mais en fin de compte, le traité est négocié de cette manière. Le Parlement sera compétent pour le refuser, mais il ne le fera pas. Il faut regarder la réalité en face. Nous ne pourrons combattre ce traité de soumission qu’en recourant au référendum.Il s’agira là de la plus importante de toutes les batailles.Ce sera – à l’instar de l’initiative sur la neutralité – la votation populaire la plus importante de ces trente dernières années, elle sera cruciale pour l’avenir de notre pays. Et j’espère que le peuple suisse prendra soin de ce qui fait la force de notre pays, qu’il refuse de se faire soumettre à un traité européen inacceptable. |



