6332 – – Vers une crise de régime? – Par Jean Claude Werrebrouck – 24.08.24 – La Crise des Années 2010 –


Jean Claude Werrebrouck
Par Jean Claude Werrebrouck – 16.08.24 – La Crise des Années 2010 –
Sans entrer dans le débat constitutionnel, la réalité du pouvoir s’incarnait, jusqu’en juillet dernier, d’abord dans un représentant de ce qui fait l’Etat (Gardien des lois et des institutions), un patron de l’exécutif et un organe législatif.
Président Macron
Traditionnellement, le Président de la République cumulait ces pouvoirs :
  • gardien des lois,
  • « patron » d’un ensemble de « cadres »
  • et de leur dirigeant : premier ministre, « patron » d’une majorité parlementaire.
D’une certaine façon, la séparation des pouvoirs restait un principe parfois malmené, mais l’efficacité était relativement garantie. De quoi retrouver certaines caractéristiques du bonapartisme. 
Cette réalité supposait parallèlement une matière première anthropologique où la citoyenneté restait un ciment de qualité :
La République était unanimement respectée et empêchait la dissolution des acteurs dans le grand marché de l’économie.
Concrètement, il pouvait exister des entreprises politiques appelées partis, mais les élections législatives, à l’inverse de ce qui se passait sous la quatrième république, ne pouvaient que produire une majorité et une opposition.

Le résultat n’étant que la victoire ou l’échec du camp présidentiel.

La difficulté ne se manifestait que lorsqu’une majorité nouvelle venait contester la majorité du président. D’où des cohabitations.
Globalement, dans l’enfance de la cinquième République, le marché politique était simple, il s’agissait d’un duopole (socialisme contre libéralisme) ne comprenant que peu de variétés, car l’essentiel des exigences s’inscrivait dans  la question de la gestion du social et du périmètre de l’Etat providence. 
La citoyenneté ne laissait percevoir que le couple traditionnel socialisme/libéralisme dans ses versions les moins détaillées. La production politique, avec la démocratie, était face à un marché de masse mais comme dans l’économie à l’époque de la naissance du fordisme, peu de produits étaient offerts…comme le modèle T de couleur noire… chez Ford en 1912… produit en masse mais sans variétés possibles. 
Les problèmes étaient sociaux et l’infinie complexité du sociétal restait congelée dans la citoyenneté. Des marchés politiques qui, plus tard, vont exploser avec la décongélation et  explosion elle-même facilitée par les errances d’une mondialisation sans doute fort mal gérée. Quelle entreprise politique – au-delà des mots vides de sens-  s’était intéressée sérieusement au mode d’articulation de la France au marché mondial ?
Président Macron

Aujourd’hui, les choses sont très différentes et la réalité anthropologique est devenue celle du « consommateur souverain ».

C’est dire que le citoyen s’est effacé. Que l’on soit cadre de l’industrie, dealer, médecin, gilet jaune, périurbain, immigré, fonctionnaire, etc. on est d’abord « individu désirant ».   
  • D’où la multiplication, face à un marché de masse, des entreprises politiques.
  • D’où aussi l’abondance des produits politiques issus des grandes usines de « l’Etat providence pour tous » et bien évidemment les incohérences constatées lorsque l’on parle de programmes ou de projets.
  • Bien évidemment, le bipartisme disparait autour de blocs multiples et fragmentés
  • L’interaction sociale n’est plus verticale et se trouve de plus en plus horizontale… comme le marché économique qui aplatit les organigrammes des entreprises et multiplie à l’infini les marchandises. 
Face à une dislocation inadaptée aux règles de la cinquième République, le président  ne peut plus  disposer d’une majorité présidentielle et ne peut plus être le patron réel ni de l’exécutif ni du législatif. Au surplus, il a sans doute accéléré le processus de fragmentation et d’élargissement du spectre politique  par une stratégie du « en même temps ». La réalité est qu’il devient simple arbitre, une réalité qu’il ne peut accepter.
Bien évidemment, cette réalité va contre son projet de carrière future dans les instances européennes et il ne peut accepter et n’acceptera pas l’apparition et la mise sur le marché de produits politiques affaissant le projet européen.
Le premier ministre ne sera plus un simple collaborateur mais il devra respecter le plan de carrière privé du président de la République.
Macron n’est plus patron du législatif mais il ne peut en accepter les conséquences qui, au-delà de l’Europe, détruirait son projet personnel de carrière. Il ira jusqu’au bout de sa logique d’entrepreneur politique schumpetérien au service d’un grand Etat fédéral européen qu’il veut chevaucher.
Et si le parlement résiste, il ira probablement plus loin et n’hésitera pas à recourir à une certaine forme de violence. Il s’agit pour lui d’une question de survie.
Une violence qui en appellera une autre avec déjà la mise en avant de l’article 68 de la Constitution. Il est difficile d’aller plus loin pour le moment et constatons qu’il y a simplement conflit de légitimité. Dans le monde des apparences, monde repris par la majorité de la grande presse, le Président se veut fort d’une légitimité présidentielle même si l’élection de 2022 est venue directement l’affaisser. Toujours dans le monde des apparences,
L’Assemblée Nationale est également légitimement constituée. Mais les entrepreneurs politiques et les dirigeants qui l’anime, pensent silencieusement que le vrai problème est l’éviction rapide du Président. Il ne s’agit donc pas de respecter les règles d’un jeu devenu impossible, mais de précipiter un départ.
Autrefois les conflits de légitimité se réglaient de manière brutale et efficace. Pensons par exemple au « coup de majesté » du jeune Louis 13 face à une régence légitime mais abusive. Sauf effacement de l’individu désirant qui constitue la réalité anthropologique dominante, la cinquième République ne peut plus correctement fonctionner et il faudra un jour acter le retour au statut de simple arbitre des présidents. Si possible, sans « coup de majesté ».
Jean Claude Werrebrouck

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