5832 – UE – UKRAINE… Ambition.. gesticulation.. consolation… ou négociation ? Par Jean Philippe Duranthon – 08.01.24 – Geopragma


  Jean Philippe Duranthon


Billet du lundi 08 janvier 2024 de Jean Philippe Duranthon Membre fondateur et Membre du Conseil d’administration de Geopragma.

Lors du Conseil Européen des 14 et 15 décembre dernier, l’Union européenne a décidé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine (et la Moldavie). V. Zelensky s’est empressé de saluer « une victoire pour l’Ukraine, pour toute l’Europe, une victoire qui motive, inspire et rend plus fort ».
Vraiment ?
On peut voir dans cette décision une grande ambition : l’ambition de renforcer l’Europe en lui permettant d’englober tous les pays pouvant être considérés, fut-ce parfois au prix d’un certain effort, comme des démocraties ; l’ambition de manifester sa détermination à se défendre solidairement contre les agressions extérieures ; l’ambition de montrer son unité (même s’il a fallu, pour ce faire, demander à la Hongrie de se livrer à une gymnastique étrange et juridiquement douteuse).
Mais on peut aussi l’interpréter comme une simple gesticulation : tout compte fait, négocier n’engage pas à grand-chose car les pourparlers peuvent durer longtemps ; la Turquie, avec qui les négociations d’adhésion ont été ouvertes en décembre 2004, en sait quelque chose, de même que la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Géorgie qui, bien que reconnus officiellement candidats, piaffent devant la porte. Ouvrir des négociations, cela permet de faire plaisir à bon compte.
La décision peut ainsi n’être qu’un lot de consolation. Ce que le président Zelensky veut avant tout, ce qu’il réclame en multipliant les déplacements à Washington (trois en 2023) et dans les capitales européennes, c’est des armes et de l’argent. Or le Congrès des Etats-Unis s’est séparé en décembre sans voter l’enveloppe de 61 Md$ que Joe Biden réclamait pour Kiev et les Européens ne se sont pas mis d’accord pour débloquer l’aide de 50 Md€ convoitée par l’Ukraine. Les premiers, les Etats-Unis, considèrent que la stabilité du Moyen Orient recèle des enjeux bien plus importants pour leurs propres intérêts que la couleur du drapeau flottant sur le Donbass ; les seconds, les Européens, ont déjà puisé autant qu’ils le pouvaient dans leurs stocks d’armes et de munitions et n’ont ni les ressources financières, ni les capacités industrielles pour les reconstituer rapidement et continuer leurs générosités.
Une « victoire pour l’Ukraine, pour toute l’Europe », vraiment ?
De toute façon personne ne sait ce qu’il faut entendre ou espérer par « victoire », un concept toujours invoqué mais jamais défini.
L’important n’est peut-être pas là.
L’important, c’est tout d’abord, à court terme, de savoir si la décision d’ouvrir les discussions d’adhésion à l’UE est de nature à enrayer la guerre, à éviter de nouvelles hécatombes et de nouvelles destructions et à convaincre les protagonistes d’échanger des paroles et non plus des obus. A cet égard le « déluge de feu et d’acier » qui, si l’on en croit la presse, s’abat depuis la fin décembre de part et d’autre de la ligne de front, et surtout en Ukraine, suffit à laisser penser que l’ouverture des négociations avec l’UE n’a pas plus d’effet que l’interdiction d’acheter des diamants russes, objet du dernier « paquet » de sanctions européennes. C’est que la Russie, sans le dire, a mis en place une véritable « économie de guerre » alors que les Européens préféraient le dire sans le faire. Qu’on le veuille ou non, et l’échec de la contre-offensive ukrainienne l’a montré, la Russie est aujourd’hui en position de force sur le terrain ; elle le sera peut-être demain aussi dans un nombre croissant de chancelleries et d’opinions publiques gagnées par la lassitude ou privilégiant d’autres conflits. Qui peut penser qu’ouvrir aujourd’hui les négociations d’adhésion de l’Ukraine, c’est à dire se priver sans contrepartie d’un élément important de négociation qui serait précieux dans le cadre d’un futur deal global, a des chances d’amener son ennemi à faire taire ses canons et à venir s’asseoir à la table des négociations ?
L’important est aussi, à moyen terme, de savoir si cette décision d’ouvrir des discussions d’adhésion est de nature à favoriser un équilibre durable en Europe. Car il faudra bien qu’un jour les parties occidentale et orientale du continent européen s’acceptent l’une l’autre et apprennent à vivre ensemble. Un pays (ou un groupe de pays) qui connaît une paix durable est un pays qui a su trouver avec ses voisins un modus vivendi acceptable par tous : cela correspond rarement à ce que lui-même avait au départ souhaité. Aujourd’hui les deux parties du continent ne commercent plus entre elles, n’ont plus de relations culturelles, ne communiquent plus que par des invectives et des menaces. Sous les yeux d’un « Sud profond » indifférent, qui montre clairement son désintérêt, d’un côté le « monde occidental » cherche avant tout à raffermir ses liens et parler d’une seule voix, celle des Etats-Unis, de l’autre côté la Russie renforce ses liens avec Chine, Turquie, Iran, Corée du Nord, pays qu’il serait préférable d’éloigner, et non de rapprocher, de nos frontières. Dès lors, l’entrée de l’Ukraine dans l’UE favorise-t-elle l’établissement d’une paix durable ou éloigne-t-elle cette perspective ? Est-il judicieux d’accroître de près de 1600 km les frontières avec un pays considéré comme un ennemi menaçant ? En outre V. Poutine, s’il contrôle aujourd’hui solidement son pays, n’est pas éternel.
La revue Foreign Affairs, dont il est peu probable que la rédaction ait été infiltrée par des hackers russes, a écrit en novembre que « l’Ukraine et l’Occident sont sur une trajectoire insoutenable, caractérisée par une inadéquation flagrante entre les fins et les moyens disponibles… Le temps est venu pour les Etats-Unis d’entamer des consultations…». Plutôt que de se rejeter mutuellement la responsabilité du conflit, plutôt que de répéter à l’envi la nécessité de « gagner la guerre », sans d’ailleurs savoir ce que cela signifie, plutôt que de conforter ceux qui, pour des raisons diverses, ont, dans les deux camps, intérêt à ce que la guerre continue longtemps, n’est-il pas nécessaire de chercher à ouvrir des négociations entre les belligérants et, sans doute, ceux qui les soutiennent ? Les dirigeants européens affirment que Vladimir Poutine n’en veut pas. Qui croira qu’engager la procédure d’adhésion de l’Ukraine à l’UE le fera changer d’avis ?
Jean-Philippe Duranthon – Membre fondateur et membre du conseil d’administration de Geopragma – 8 janvier 2024

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Conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023

Les dirigeants européens se sont réunis les jeudi 14 et vendredi 15 décembre à l’occasion du Conseil européen. Des conclusions ont été adoptées et en particulier concernant :
  • L’Ukraine : Le Conseil européen condamne à nouveau résolument la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et réaffirme l’engagement inébranlable de l’Union européenne à continuer de fournir un soutien fort à l’Ukraine et à sa population aussi longtemps qu’il le faudra. L’Union européenne et ses États membres continueront de prêter attention aux besoins urgents de l’Ukraine en matière militaire et de défense, notamment dans le cadre de la facilité européenne pour la paix. L’Union européenne est déterminée à continuer d’affaiblir la capacité de la Russie à mener sa guerre d’agression, y compris par un renforcement accru de ses sanctions. Le Conseil européen insiste sur l’importance de la sécurité et de la stabilité en mer Noire et réaffirme que l’Union européenne continuera d’aider la République de Moldavie et la Géorgie.
  • Le Proche-Orient : Le Conseil européen a tenu un débat stratégique approfondi sur le Proche-Orient.
  • L’élargissement et les réformes : Le Conseil européen décide d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la République de Moldavie, d’accorder le statut de pays candidat à la Géorgie, et d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Bosnie-Herzégovine. L’Union européenne est prête à achever la phase d’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord. Le Conseil européen se penchera sur les réformes internes lors de ses prochaines réunions.
  • Le cadre financier pluriannuel 2021-2024 : Le Conseil européen a débattu de la révision du cadre financier pluriannuel 2021-2027 et reviendra sur cette question au début de l’année prochaine.
  • La sécurité et la défense : Après avoir fait le point sur les travaux menés pour mettre en œuvre ses conclusions antérieures, la déclaration de Versailles et la boussole stratégique, le Conseil européen souligne que des efforts supplémentaires doivent être consentis pour atteindre les objectifs de l’Union consistant à améliorer la préparation de la défense et à augmenter les dépenses militaires de manière collaborative.
  • Les migrations et les points divers : Le Conseil européen a tenu un débat stratégique sur les migrations et a pris note de la récente lettre de la présidente de la Commission. Le Conseil européen condamne fermement toutes les attaques hybrides, y compris l’instrumentalisation de migrants par des pays tiers à des fins politiques, et reste déterminé à assurer un contrôle efficace des frontières extérieures.
Pour accéder aux conclusions du Conseil, cliquez ici.

https://sgae.gouv.fr/sites/SGAE/accueil/a-propos-du-sgae/actualites/conclusions-du-conseil-europeen.html