Paris, le 10 octobre 2023 – La situation au Moyen-Orient est une honte pour tous. Honte, car personne ne s’est réellement battu pour que le conflit israélo-palestinien prenne fin. Nous avons laissé un peuple qui vit encerclé par des ennemis et se ressent comme tel, encercler un autre peuple dans une prison à ciel ouvert. De ce mal qui dure depuis si longtemps, nous devons faire en sorte aujourd’hui, contre tout espoir, que sorte un bien supérieur.
Tout être humain ne peut qu’être bouleversé par les images des victimes israéliennes du « déluge d’Al-Aqsa » et le traitement infligé aux Palestiniens par les gouvernements israéliens successifs. Au delà des terribles souffrances des victimes, notre défi est de parvenir à une solution où il n’y en aura plus. C’est un défi qui nous concerne tous car cette petite portion du monde est un lieu essentiel de civilisation qu’on ne peut laisser livré à la barbarie.
Le pire est la prise d’otages par les uns et les autres, par le Hamas mais aussi par de véritables ratonnades en Cisjordanie, et la mort infligée à des civils dans des conditions particulièrement atroces.
La première chose que nous puissions faire est d’inspirer aux ennemis la réflexion pour qu’ils se mettent à la place de l’autre, aussi pénible cela soit-il. Martin Luther King nous guide dans cet effort en nous expliquant pourquoi il faut aimer ses ennemis pour les transformer en amis et se transformer soi-même.
Ces considérations sembleront sans doute utopistes et éloignées de la réalité à ceux qui traquent les contradictions sans rechercher la paix. Cette recherche, au contraire, exige deux choses : procéder à un examen de conscience et imaginer un bien supérieur au-delà des termes de la tragédie en cours.
L’examen de conscience doit concerner les Palestiniens. On ne peut parvenir à la paix en proclamant l’extermination des juifs et la destruction d’Israël. La fin ne justifie jamais les moyens et ceux du terrorisme détruisent non seulement l’autre mais aussi soi-même. Le fanatisme conduit à un terrorisme sans contrôle. Ainsi, les endroits frappés par le Hamas sont ceux où vivent de nombreux militants de la gauche laïque israélienne favorables à une paix sans occupation. Détruire ceux à qui on devra un jour nécessairement parler est pire qu’un crime.
L’examen de conscience doit concerner les Israéliens. Laisser une partie de sa population, en particulier les colons, traiter les Palestiniens comme des chiens, au mépris des lois mêmes d’Israël, est un crime quasi quotidien. Avoir réduit Gaza à un centre de rétention à ciel ouvert y provoque fatalement la violence du désespoir. Pire encore, vouloir aujourd’hui l’assiéger totalement est une abomination. En assénant : « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de gaz. Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence », le ministre de la Défense israélien viole, hélas après beaucoup d’autres, les principes essentiels du judaïsme et des droits humains. Le siège total de la bande de Gaza (et il faut maintenant ajouter : pas d’eau !) est interdit par le droit international humanitaire. En déclarant à plusieurs reprises que « l’Autorité palestinienne est notre fardeau, le Hamas notre chance », le ministre Bezalel Smotrich a joué cyniquement avec le feu, comme tous les responsables israéliens avant lui qui ont promu le Hamas pour décrédibiliser les représentants légitimes de la cause palestinienne. L’on pressent que ce sont ces jeux douteux qui, du moins en partie, ont entraîné la défaillance des services israéliens dans une frontière pourtant truffée de capteurs, de caméras et de gardes.
Une offensive de ce type est comparable non au 11 septembre, comme on le répète sans réfléchir, mais à l’assaut du Têt pendant la guerre du Vietnam, et il faut en mesurer les terribles conséquences faute de justes compromis pour sortir du dilemme.
De fait, on connaît la solution formelle : arrêter le sang versé par une paix juste et durable, avec la création d’un Etat palestinien. Les deux peuples pourraient ainsi, sinon se rapprocher, du moins se respecter, non pas institutionnellement mais par une coopération économique à l’échelle de toute l’Asie du Sud-Ouest. Cependant, cette solution ne peut être appliquée dans un contexte limité au territoire du conflit, car chacun y perçoit l’autre comme une menace existentielle. Les influences extérieures exacerbent le conflit entre deux peuples qualifiés pour être exemplaires, mais réduits à des atouts d’une guerre par procuration. La Grande-Bretagne d’abord puis les Etats-Unis, et trop souvent la France, ont joué un double jeu pour contrôler les ressources pétrolières de la région et, plus récemment, les qualifications techniques des industries de pointe en Israël. C’est donc d’abord une ingérence étrangère destructrice qui doit cesser et se transformer en catalyseur de développement et de sécurité mutuels créant les conditions de la solution, en garantissant aux deux parties d’y parvenir.
La France, à elle seule, ne peut jouer ce rôle. Cependant, la Chine vient de présenter une déclaration pour une « communauté globale en vue d’un futur partagé » et le président Poutine, lors des entretiens de Valdaï le 5 octobre, a à son tour promu les conditions d’une « juste multipolarité : comment assurer la sécurité et le développement pour tous dans un nouveau système mondial ». Global Times, l’organe semi officiel du gouvernement chinois, a souligné que « tout plan comportant des motivations géopolitiques est de nature à échouer à promouvoir le développement mutuel et pacifique au Moyen-Orient ». Ce sont là des occasions à saisir, d’autant plus que les interventions russes et chinoises ont pour l’instant témoigné d’une réelle modération.
Il faut cependant aller plus loin. Le conflit israélo-palestinien n’étant qu’un élément dans un environnement de crise économique mondiale, l’on ne pourra résoudre ce dilemme sanglant qu’en l’inscrivant dans une solution à l’échelle internationale, de même que pour la guerre en Ukraine. Les pays du Sud collectif, eux, ne veulent pas être entraînés dans des guerres où ils auraient tout à perdre et, pour cela, entendent sortir du piège colonial et néocolonial. C’est en faisant un pas dans leur direction que la France peut jouer un rôle sans précédent, dans l’esprit du mouvement des Non-alignés de Bandung, qui ressurgit aujourd’hui, et de l’esprit de détente, d’entente et de coopération qui était celui du général de Gaulle. Vaste programme ? Bien entendu, mais sans une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement dans l’intérêt de chaque nation, l’effondrement du système financier occidental actuel ne peut aboutir qu’à un choc de bloc contre bloc et, en fin de comptes, à une guerre mondiale – économique puis armée. Le déluge d’Al-Aqsa ne serait alors que le premier orage.
La France doit faire preuve de volonté politique pour être à la hauteur de son rôle historique et, paradoxalement, le dos au mur, ce qui se passe en Israël et en Palestine nous en offre l’occasion. A nous de retrouver un esprit citoyen pour changer chez nous la direction du pouvoir au diapason de ce qui doit être changé dans le monde. En traçant, avec d’autres, la piste d’une solution collective. Pour cela, chacun d’entre nous doit élever le débat, dépassant le cadre du Moyen-Orient, qui en est la pierre de touche.
Je pense aujourd’hui à mon ami Maxime Ghilan, poète et rédacteur en chef d’Israël et Palestine, ami de Nahum Goldmann, Pierre Mendès-France et Abou Nizen.

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