5515 – Auto-exclusion vers la périphérie de l’UE par Ivan Hoffmann sur Horizons & Débats N° 13 du 20 juin 2023

 

par Ivan Hoffmann sur Horizons & Débats N° 13 du 20 juin 2023

cm. Le célèbre publiciste tchèque Ivan Hoffman – dissident sous le socialisme, engagé pendant quelques années après 1989 pour «Radio Free Europe», puis journaliste, rédacteur et animateur à la radio publique tchèque – vient de rédiger un bref commentaire sur la politique actuelle de l’UE. Ivan Hoffman a fait mouche! En effet, son commentaire a de quoi interroger l’Europe tout entière.

Le monde est en mouvement. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi. Parfois ce  mouvement est lié à l’espoir, parfois à la peur. Actuellement, nous nous trouvons sur une onde sismique [avec des oscillations vers le haut et vers le bas, cm]; il y a eu de bonnes choses ces derniers temps, mais dans un avenir proche, elles feront défaut. Veillez à ce que vos chapeaux ne s’envolent pas dans la tempête, c’est la descente rapide! La cause du déclin d’une société ne réside généralement pas dans sa mauvaise évaluation des événements à venir, mais plutôt dans la perception d’une évolution ayant atteint sa perfection et d’un avenir en toute sécurité définitive, de sorte qu’il est obsolète de s’efforcer à prédire l’avenir. Plus longtemps une société végète dans cette auto-illusion, vivant ainsi dans la tromperie envers elle-même, plus il lui faudra de temps pour se remettre sur pied. Cela ne vaut pas seulement pour le redressement de l’économie réelle, mais également pour celui de l’esprit.


    Il se peut pourtant que si nous n’avions pas été trop paresseux dans le passé pour reconnaître les tendances annonçant notre déclin actuel, nous ne serions peut-être pas forcés de constater et de vivre ce déclin.
    D’un point de vue géopolitique, les principaux acteurs de l’échiquier mondial sont prévisibles. En effet, logiquement, leurs actions se basent autant sur leur puissance, leurs ambitions économiques que sur leur mémoire de leurs expériences historiques.
La Chine, par exemple, n’oubliera jamais son siècle d’humiliation infligé par l’Occident.
La Russie elle, n’oubliera pas les interventions agressives occidentales collectives, ni celles menées sous la direction de Napoléon ni celles dirigées par Hitler.
De l’autre côté, les Américains restent inébranlablement convaincus qu’ils ont été élus par Dieu pour dominer le monde.
Ce qui est prévisible par rapport à la Chine, c’est qu’avec elle on a affaire à la plus ancienne civilisation ininterrompue du monde n’entreprenant rien sans se référer à son passé. La Chine est une société conservatrice, homogène et tournée vers l’intérieur. C’est pourquoi elle a toujours construit des murs autour d’elle. Des murs physiques, comme la Grande Muraille de Chine, des murs culturels, des murs financiers, ou encore d’autres murs, comme récemment avec ses attitudes face à l’Internet, l’intelligence artificielle et les virus. La Chine n’est pas agressive, mais elle a apparemment tiré la leçon historique qu’elle doit être en mesure de «danser avec les loups».
La Russie est une superpuissance prévisible dans la mesure qu’elle a compris qu’elle doit être prête à défendre, à tout moment, son existence. La Russie capitaliste, tout comme l’ancienne Russie socialiste, envisage de manière réaliste une guerre qu’elle ne doit pas perdre. Il existe un consensus social à ce sujet, visible à travers le soutien populaire de l’armée et du président. La Russie sait que l’Occident ne respecte que la force. Elle a avalé la pilule amère que l’Occident n’est pas digne de confiance à l’Occident et qu’avec lui on n’a pas affaire à un partenaire sérieux.
 Les Etats-Unis eux aussi sont prévisibles sur le plan géopolitique. Leur intérêt national est de tirer profit de la domination mondiale. Les Américains n’ont pas d’alliés fixes, mais des intérêts fixes. Pour eux, tous ceux qui ne sont sous leur contrôle sont des ennemis ou des rivaux potentiels. La tradition américaine est celle de la guerre. Les Américains ont mené des guerres sans interruption pendant pratiquement toute leur existence. La doctrine américaine en Europe consiste à empêcher la combinaison de la technologie allemande et des matières premières russes, et dans la politique mondiale, à empêcher l’alliance stratégique entre la Russie et la Chine.
 Sur un terrain clairement défini sur ce point, le destin de l’UE était également bien prévisible. L’UE n’a jamais été en mesure de trouver une géopolitique souveraine capable de contrebalancer l’antagonisme des grandes puissances. L’UE s’est laissée évincer du commerce mondial par les Chinois, s’est laissée entraîner par les Américains dans la guerre en Ukraine et a claqué la porte face aux matières premières bon marché et à un marché lucratif en Russie. L’UE se contente d’observer un jeu géopolitique dans lequel la rivalité des Etats-Unis avec la Russie et la Chine modifie la carte politique du monde.
En revanche, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour l’Asie, l’Afrique, le monde arabe et l’Amérique du Sud. Dans ce monde en mutation, l’Europe n’est plus destinée qu’à demeurer à la périphérie. Ce qui est pénible, c’est que l’UE n’ait pas été reléguée à la périphérie par les grandes puissances. Elle a choisi ce statut lamentable par elle-même! Sans que l’on sache vraiment pourquoi. Se peut-il que ce soit par pure bêtise?
 D’ailleurs, nous autres Tchèques, nous voilà donc arrivés sur la périphérie de la périphérie de l’UE et sans avoir été limogés non plus par Bruxelles. Ce limogeage a été choisi par le gouvernement Fiala. Et on ne sait pas non plus très bien pourquoi … •

Sources:
en tchèque www.parlamentnilisty.cz/arena/monitor/Dobrovolne-na-periferii-EU-Z-blbosti-Ivan-Hoffman-jiny-duvod-nevidi-735721 du 6/05/23; en allemand: globalbridge.ch du 23/05/2023 (Traduction allemande Anna Wetlinska et Christian Müller)

(Traduction en français Horizons et débats)


https://www.zeit-fragen.ch/fr/archiv/2023/nr-13-13-juni-2023/so-bewegt-sich-die-eu-an-die-peripherie-der-welt-freiwillig