Des insinuations malveillantes au lieu d’une discussion objective
par René Roca*
L’initiative sur la neutralité a été lancée avec succès au début du mois de novembre de l’année dernière et le projet se trouve désormais dans la phase de collecte des signatures. Il est rare qu’une initiative soit aussi proche de l’actualité.
La guerre en Ukraine et les demandes de livraisons d’armes directes ou indirectes adressées à la Suisse mettent notre pays neutre sous forte pression.
Or, ces derniers temps, des signes de plus en plus fréquents indiquent que certains cercles entravent activement la collecte de signatures pour l’initiative et veulent déstabiliser la population suisse. Leur objectif est de miner et de voir s’effriter le large soutien en faveur de la neutralité suisse. Des techniques de manipulation sont utilisées pour tenter de dénigrer l’initiative et ses auteurs, dans le but d’en réduire le nombre de signataires et de la faire échouer dès le stade de la collecte. Et à défaut d’y parvenir, ses détracteurs auront déjà posé un tapis de fausses informations en vue de la future campagne de votation.
Marco Jorio
L’historien Marco Jorio qualifiepar exemple l’initiative sur la neutralité d’«initiative Poutine», une déclaration monstrueuse sans rapport avec la réalité.
Est-ce là une manière d’éliminer toute réflexion personnelle?
Jakob Tanner
L’historien Jakob Tanner a peut-être atteint le sommet de cette diffamation en comparant les partisans de l’initiative à des dictateurs et des fascistes («Neue Zürcher Zeitung» du 22 mai 2023). Tanner puise dans le vieil argumentaire des anciens néo-marxistes de 1968. Il veut démasquer de prétendus «fascistes» et ignore que l’initiative répond tout simplement au droit démocratique fondamental de citoyennes et citoyens voulant discuter d’un élément central de la conception de l’Etat en Suisse, et ancrer cet élément de façon plus claire dans la Constitution fédérale.
Il faut ajouter à cela que certaines prises de position sur l’initiative sur la neutralité reproduisent tout simplement des faits de manière erronée.
Ainsi, Tanner affirme par exemple que le Conseil fédéral a repris les sanctions de l’UE contre la Russie après une «phase d’apprentissage de cinq jours». Toutefois, le Conseil fédéral ne l’a pas fait après «mûre réflexion» suite à un huis clos, mais en raison des menaces massives des Etats-Unis.

De plus, les grandes banques suisses (dont le CS!) ont également fait pression sur le Conseil fédéral après le début de la guerre en Ukraine, parce que leurs affaires lucratives avec les Etats-Unis étaient en danger. Le gouvernement américain a menacé de sanctions si la Suisse ne cédait pas.
Ces circonstances ont-elles échappé au critique des banques Tanner ou est-il désormais, comme le président du PLR, fermement dans les mains des «transatlantiques»?
Ici, on constate également des parallèles frappants avec les années 1990, lorsque Tanner faisait partie de la commission Bergier et contribuait à déconstruire la compréhension suisse de l’histoire.
Il semble qu’aujourd’hui encore, de nombreux commentateurs ne s’intéressent pas à l’analyse des sources historiques, mais cherchent plutôt à dévaloriser ou à réévaluer des valeurs suisses telles que la neutralité et l’humanité.

L’origine de l’initiative fait également l’objet de mythes largement colportés sans le moindre discernement. S’il est bien juste que Christoph Blocher est à l’origine de l’initiative, pour certains, ce seul nom suffit à faire perdre tout sens critique. L’idée de Blocher a ensuite été reprise et mise en œuvre par un groupe interpartis. Le texte effectif de l’initiative a été élaboré dans le cadre d’un processus interactif dont le résultat, c’est à dire les articles à intégrer dans la Constitution fédérale, s’appuie en outre sur une expertise juridique détaillée. L’initiative n’a donc pas été concoctée dans une quelconque arrière-boutique et n’est pas pilotée par une quelconque centrale de parti.
Tous les participants, et en particulier le comité d’initiative, ont à cœur de clarifier enfin les questions ouvertes concernant la neutralité suisse.

D’ailleurs, il y a aussi des opposants à l’initiative qui souhaitent un tel débat de fond sur la neutralité suisse et qui signent donc l’initiative. C’est le seul moyen pour la population de débattre objectivement du projet.
La question centrale est de savoir si, dans le cadre d’un processus démocratique, la Suisse doit revenir à une neutralité intégrale. Depuis trente ans déjà, plus précisément depuis la première guerre du Golfe en 1991, la Suisse ne possède qu’une neutralité «différentielle». Elle soutient des sanctions économiques ayant des effets parfois dévastateurs pour la population civile concernée, mais dont l’influence sur le déroulement d’un conflit est quasiment nulle. Une telle approche nuit au travail du CICR et affaiblit manifestement les bons offices.
La Suisse est confrontée à l’un des plus grands défis depuis la Seconde Guerre mondiale.
Veut-elle se soumettre docilement, avec l’Europe, au diktat américain et faire ainsi passer la force avant le droit et l’humanité?
Ou veut-elle, en tant que pays neutre, renforcer le droit international humanitaire et contribuer activement à la fin des guerres et à la réconciliation entre adversaires? •
*René Roca est docteur en histoire et membre du comité d’initiative «Sauvegarder la neutralité suisse (initiative sur la neutralité)».


