TRIBUNE. À la faveur du conflit russo-ukrainien, la coopération scientifique avec la Russie a durement pâti du refroidissement des relations diplomatiques. Un état de faits qui inquiète, et qui a poussé de nombreux chercheurs et scientifiques, parmi lesquels notre contributeur Jacques Sapir, à signer les présents appels.

La situation engendrée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine est devenue aujourd’hui extrêmement grave. Au-delà de la tragédie de la guerre, la montée dans des sociétés « en paix » de mentalités incapables de dialogue et d’écoute des avis divergents pose un problème réel.
Une hystérie semble s’être emparée des esprits en France et en Europe, qui aboutit aujourd’hui à des mesures qui auraient été inimaginables même lors du temps de la Guerre froide. La menace d’une rupture des relations scientifiques et culturelles plane désormais.
Une telle rupture aurait des conséquences catastrophiques et relève, en réalité, d’une logique de guerre. Elle impliquerait un repli de chacun dans des domaines ou, au contraire, les contacts et les échanges sont absolument nécessaires.
De ce point de vue, la décision du CNRS [1] de suspendre les opérations communes avec les scientifiques russes apparait comme une décision irresponsable et profondément nocive.
Cette décision risque d’avoir des conséquences de long terme sur la recherche mais aussi de briser les relations d’estime et de confiance qui avaient pu être tissées depuis des décennies.
Il va sans dire que ces contacts et échanges n’impliquent aucune adhésion aux points de vue des uns et des autres.
Nous pouvons, en tant que citoyens, condamner tel ou tel gouvernement, telle ou telle politique. Mais, nous devons aussi tout faire pour maintenir le dialogue et éviter que culture et science ne soient embarqués dans une spirale de manipulations politiciennes.
C’est pourquoi, avec quelques collègues, scientifiques mais aussi ayant eu des responsabilités institutionnelles, nous lançons l’appel suivant :
Appel au maintien des relations scientifiques entre la France et la Russie
« Jamais, depuis des décennies, la tension n’avait été aussi grande entre la France et la Russie. La responsabilité ultime en revient clairement à l’agression russe contre l’Ukraine.
Cette tension, après avoir provoqué une vague inédite et légitime de sanctions économiques, a provoqué l’annulation d’événements sportifs et culturels. Une forme de blocus vis-à-vis de la Russie se met en en place. Une telle situation est nocive et dangereuse. Elle ne doit pas s’étendre aux activités scientifiques [2].
Nous considérons que la liberté des peuples et la démocratie n’auraient rien à gagner à un tel blocus de la Russie.
Pour être efficaces, les sanctions doivent rester sélectives. Le maintien des relations culturelles et scientifiques nous semble d’une importance toute particulière.
Même aux heures les plus sombres de la Guerre Froide, elles avaient été préservées.
Les relations scientifiques, notamment, ont été historiquement importantes pour maintenir des espaces de dialogue entre les sociétés civiles concernées.
Ces relations ont permis la création de liens de confiance réciproque, liens qui ont joué un rôle important par la suite.
La guerre actuelle aura une fin et le maintien de ces relations et du travail en commun dans les diverses disciplines contribuera au retour de la paix. Les chercheurs scientifiques travaillent pour le bien commun. Ils ont leurs opinions, qui doivent être respectées.
Nul ne devrait être empêché ou sanctionné dans son travail scientifique du simple fait de ses opinions ou du fait du comportement de son pays.
Nous demandons instamment aux gouvernements français et russes de ne pas chercher à politiser ou à manipuler politiquement ces relations scientifiques et de recréer un cadre permettant aux échanges scientifiques et universitaires d’avoir lieu normalement.
La coopération internationale est le moteur de la science, le moteur de la recherche. Elle doit donc être absolument préservée. Elle est l’une des garanties de la reconstruction d’une paix durable. »
Signatures :
Michel Aglietta, professeur à l’ Université Paris Nanterre, conseiller du CEPII
Renaud Bouchard (Docteur en économie à l’EHESS)
Fréderic Farah, économiste, enseignant à Paris-I
Gérard Lafay, économiste
Henri Malosse, Président de l’association Jean Monnet
Jean-Michel Naulot (ancien membre de l’AMF)
Jean-Robert Raviot, professeur en études russes, Université Paris Nanterre
Jacques Sapir, Directeur d’études à l’EHESS, économiste.
Appel du Séminaire Franco-Russe
À cet appel, il convient d’ajouter celui des responsables du Séminaire Franco-russe sur le développement économique de la Russie et de l’Europe. Ce séminaire fut créé en juin 1991, comme Séminaire Franco-Soviétique.Il s’est transformé en Séminaire Franco-Russe en décembre 1991 et a continué de fonctionner, et fonctionne toujours, jusqu’à nos jours.
Outre des recherches importantes, qui ont permis aux participants de mieux connaître tant l’économie russe que celle de la France, ce séminaire a été le cadre de formations de nombreux étudiants, tant français que russes. Il reste une institution scientifique sans égale dans les relations franco-russes dont l’apport tant à la connaissance générale qu’à la formation d’une nouvelle génération de scientifique a été remarquable. Ce séminaire doit continuer à fonctionner.
C’est pourquoi les responsables de ce séminaire lancent à leur tour l’appel suivant (il sera aussi diffusé par la partie russe) :
« Jamais, depuis des décennies, la tension n’avait été aussi grande entre la France et la Russie.
Cette tension a provoqué une vague inédite de sanctions économiques et culturelles. Il ne faudrait pas qu’une forme de blocus vis-à-vis de la Russie se mette en en place car une telle situation deviendrait dangereuse. Nous considérons que la liberté des peuples et la démocratie n’auraient rien à gagner à un tel blocus de la Russie.
Les relations scientifiques ont été historiquement importantes pour maintenir des espaces de dialogue entre les sociétés civiles concernées. Ces relations ont permis la création de liens de confiance réciproque, liens qui ont joué un rôle important par la suite.
Nous appelons donc au maintien de ces relations et du travail en commun. Les chercheurs scientifiques travaillent pour le bien de tous. Ils ont leurs opinions, qui doivent être respectées.
Nul ne devrait être empêché ou sanctionné dans son travail scientifique du simple fait de ses opinions ou du fait du comportement de son pays.
La coopération internationale est le moteur de la science, le moteur de la recherche. Elle doit donc impérativement être préservée. »
Signatures :
Dmitry Kuvalin, Directeur adjoint de l’Institut de Prévision de l’Economie (IPE-ASR), directeur du laboratoire des prévisions microéconomiques.
Boris Porfiriev, membre-correspondant de l’Académie des Sciences de Russie directeur scientifique de l’institut de Prévision de l’Economie (IPE-ASR),
Alexandre Schirov, membre-correspondant de l’Académie des Sciences de Russie, directeur de l’Institut de Prévision de l’Economie (IPE-ASR), directeur du laboratoire de prévision du potentiel de production et des interactions intersectorielles.
Jacques Sapir, Directeur d’Etudes à l’EHESS, Directeur du CEMI
[1] https://www.cnrs.fr/fr/le-cnrs-suspend-toutes-nouvelles-formes-de-collaborations-scientifiques-avec-la-russie
[2] https://www.cnrs.fr/fr/le-cnrs-suspend-toutes-nouvelles-formes-de-collaborations-scientifiques-avec-la-russie
https://frontpopulaire.fr/o/Content/co801866/preserver-les-relations-scientifiques-avec-la-russie