Sergueï Lavrov
Question1/13: Comment évaluez-vous les relations russo-arabes? Quelle est la différence entre leur état actuel et la situation au temps de l’Union soviétique?
Sergueï Lavrov: L’état actuel des choses se caractérise par le fait que la Russie entretient des relations de respect mutuel et de développement progressif avec tous les pays arabes sans exception. À l’époque soviétique, nous n’entretenions des relations diplomatiques qu’avec certains de ces pays, même si l’Arabie saoudite a été, parmi eux, le premier État à être reconnu par la Russie soviétique. Aujourd’hui, toutes les lourdeurs du passé et les préjugés idéologiques ont été dépassés. Nous avons des liens économiques étroits, une coopération en matière d’investissement et des liens sociaux et éducatifs qui se développent rapidement. Je dois mentionner les contacts des musulmans russes qui bénéficient régulièrement de l’hospitalité de l’Arabie saoudite dans le cadre de leurs voyages pour participer au Hajj. Nous interagissons étroitement sur la scène internationale.
Je voudrais souligner la perspective d’envisager des mesures supplémentaires pour développer la coopération en matière d’investissements.
Le Fonds russe d’investissement direct, créé à l’initiative du président russe Vladimir Poutine, est opérationnel depuis plusieurs années. Il a créé des plateformes communes avec un certain nombre de pays arabes (avant tout les pays du Golfe) et met en œuvre des projets à grande échelle dans les domaines de l’énergie, de l’aviation, de l’exploration spatiale et d’autres secteurs des hautes technologies.
La construction, selon la technologie russe, de la première centrale nucléaire d’Afrique, El-Dabaa, est sur le point de commencer en Égypte. Les Emirats arabes unis développent rapidement leurs liens commerciaux, économiques et d’investissement avec la Fédération de Russie. Les échanges commerciaux augmentent à un rythme record. L’Arabie saoudite et l’Algérie sont des exemples de nos principaux partenariats dans le monde arabe et en Afrique du Nord.
Question 2: Cette interview a pour toile de fond les événements de l’Année croisée de la coopération humanitaire entre la Russie et l’Égypte, annoncée lors de la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président égyptien Ahmed Fattah al-Sissi à Sotchi en 2018. Qu’est-ce qui lie Le Caire et Moscou à la lumière des changements actuels dans le monde?
le président égyptien Ahmed Fattah al-Sissi avec Vladimir Poutine
Sergueï Lavrov: En effet, l’Année croisée de la coopération humanitaire entre la Russie et l’Égypte a été décidée par les présidents russe et égyptien il y a plus de deux ans. Elle était prévue pour 2020, mais a été reportée à cette année en raison de la pandémie.
Son lancement officiel a eu lieu en juin de cette année au Caire. Plus d’une centaine d’événements différents sont prévus dans les deux pays dans les domaines de la culture, de la science, de l’éducation, du sport, du tourisme et des autres contacts sociaux. La moitié du gouvernement russe – les ministères concernés par ces domaines de coopération – participe d’une manière ou d’une autre à ces événements. Un certain nombre d’entre eux ont déjà eu lieu. Ils suscitent un grand intérêt parmi les Russes et les citoyens de la République arabe d’Égypte.
Nos pays entretiennent de bonnes relations de longue date, qui remontent aux années où le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord défendaient leur indépendance, le droit de choisir leur propre voie de développement. Ces relations ont traversé différentes périodes, mais elles ont aujourd’hui atteint un niveau qui ne l’avait encore jamais été dans notre histoire.
Question 3: Vous avez noté le développement actif des relations économiques, la coopération pour la construction de la centrale nucléaire d’El-Dabaa, ainsi que l’établissement d’une zone industrielle russe dans la zone économique du canal de Suez. De nombreux touristes russes sont retournés à Hurghada, Charm El-Cheikh et dans d’autres stations balnéaires. La coopération commerciale et économique est-elle devenue le principal moteur des relations russo-égyptiennes?
Sergueï Lavrov: Oui, par le biais des grands projets. Vous avez mentionné celui de la zone industrielle russe, qui a un énorme potentiel. Il vient d’être lancé, mais de nombreuses entreprises russes souhaitent déjà y participer et y installer une production. Cela n’est pas seulement d’une importance fondamentale pour le marché égyptien. Ce programme a été pensé en tenant compte de la dimension régionale. Je pense qu’il contribuera non seulement au développement du partenariat bilatéral russo-égyptien, mais qu’il donnera également une puissante impulsion à la croissance économique de la République arabe égyptienne elle-même.
Question 4: Les pays du monde arabe sont confrontés à un certain nombre de problèmes et de crises. On voudrait leur faire part de la position de la Russie sur ces questions. Commençons par la Libye. Suivez-vous les préparatifs des élections présidentielles dans ce pays, et quel est votre objectif ?
Sergueï Lavrov: La Russie contribue depuis de nombreuses années aux efforts internationaux visant à faciliter le règlement libyen. Depuis la signature des accords de Skhirat en décembre 2015, notre pays a participé à divers formats internationaux. Il y en a eu beaucoup: des conférences à Paris, Palerme et Berlin. Des principes généraux ont pris forme lors de ces événements, qui n’ont jamais pu être traduits en actions pratiques.
Le chef du gouvernement LYBIEN de transition Abdel Hamid Dbeibah
En novembre 2020, grâce aux efforts des coordinateurs de l’Onu, les parties libyennes ont pu se mettre d’accord pour reconstruire leur État en mettant en place des mécanismes pour préparer les élections. Des structures de transition ont été mises en place. Le chef du gouvernement de transition, Abdel Hamid Dbeibah, a visité la Fédération de Russie. Avant cela, nous avions accueilli une réunion des parties libyennes à laquelle avaient également participé nos amis égyptiens. Ils nous ont aidés, ainsi que la République de Turquie, à réunir autour d’une même table des représentants de l’Ouest et de l’Est de la Libye.
Tous ces efforts, auxquels la Fédération de Russie a contribué, ont permis de lancer un processus universellement accepté impliquant des élections présidentielles et parlementaires générales. Leur date a été fixée au 24 décembre. J’espère qu’elle sera respectée. La priorité pour nous n’est pas de respecter un délai formel, mais de garantir des élections substantielles, afin que les représentants de toutes les grandes forces politiques puissent y participer et que les résultats soient reconnus par tous. Je dirai franchement et ouvertement que de ce point de vue, même s’il y a un léger retard ou un report, je n’y verrais pas un gros problème. L’essentiel est d’éliminer toutes les « aspérités » qui apparaissent aujourd’hui dans la préparation des élections. Je fais référence à l’inclusivité des participants au processus et de la liste des candidats. Les autorités électorales libyennes ont tenté de ne pas autoriser certaines personnes à participer aux élections – ces décisions ont été reconsidérées par la suite. J’espère que tout le monde sera autorisé à participer.
Question 5: Avez-vous une position particulière sur l’un des candidats? La candidature de Saïf al-Islam Kadhafi, fils de feu dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ne convient manifestement pas aux États-Unis.
Saïf al-Islam Kadhafi
Sergueï Lavrov: Je ne peux pas parler au nom du peuple libyen. Les États-Unis ont d’autant moins le droit de le faire parce’qu’ils ont participé à la destruction de l’État libyen en 2011. Comme l’a dit le président de l’époque, Barack Obama, les États-Unis ont essayé de diriger « derrière le dos ».
« En première ligne » se trouvaient des pays comme la France. Il s’avère qu’elle avait des comptes personnels à régler avec Mouammar Kadhafi à l’époque. Je ne prendrais pas la liberté – et je ne recommande vivement pas aux Américains et aux Européens d’essayer de le faire de nouveau – de régir le destin d’un autre peuple, en particulier celui de la Libye. Laissez les Libyens décider eux-mêmes.
Nous savons que Saïd Al-Islam Kadhafi et le clan Kadhafi en général ont de nombreux partisans, tout comme le maréchal Haftar, Saleh, Dbeiba et d’autres dans la course à la présidence. Nous plaiderons pour que les Libyens eux-mêmes assurent la transparence et la régularité du processus électoral et trouvent en eux le courage d’accepter le résultat du choix de leur peuple.
Question 6: Si je comprends bien, vous considérez l’Occident comme la cause de la destruction de la Libye en 2011 et des souffrances des Libyens depuis dix ans?
Sergueï Lavrov: Ce fait est impossible à nier. De plus, tout le monde reconnaît une autre réalité encore plus vaste: depuis que l’Occident a détruit la structure étatique de la Libye, un « trou noir » est apparu à la place de ce pays.
Les extrémistes armés par l’Occident contre Mouammar Kadhafi ont traversé son territoire pour aller vers le Sud. C’est précisément l’origine de la crise observée depuis des années dans la région du Sahara-Sahel.
Aujourd’hui, c’est l’une des zones les plus dangereuses du point de vue de la propagation de l’idéologie extrémiste et de la présence physique de différentes branches d’Al-Qaïda et de Daech. Des flux de migrants se sont dirigés vers le Nord à travers la Libye, dont l’Europe souffre et cherche à bloquer. Il faut assumer ses actes.
Question 7: La menace terroriste représente un sérieux défi pour les pays de la région du Sahara-Sahel. La Russie entreprend-elle des efforts pour aider ces pays?
le Ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop
Sergueï Lavrov: Le 11 novembre dernier, je me suis entretenu avec le Ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, et le 7 décembre avec le Ministre tchadien des Affaires étrangères Chérif Mahamat Zene. Nous sommes en contact étroit avec les autorités de la Centrafrique.
le Ministre tchadien des Affaires étrangères Chérif Mahamat Zene
Ils sont tous unis par la même volonté: mobiliser les forces pour combattre le terrorisme.
Des filiales d’Al-Qaïda, de Daech ou de Boko Haram sont présentes dans ces pays de manière plus ou moins importante. Tout cela arrive déjà sur le littoral du golfe de Guinée, des groupes de bandits commencent à s’accumuler autour du lac Tchad. Ils commettent des incursions depuis leurs camps, terrorisent les habitants, exploitent activement les ressources naturelles des pays africains. Peu sont capables d’y faire face.
Nous aidons le G5 Sahel. Ils forment actuellement des forces conjointes, qui sont en cours de mise en place. Au niveau bilatéral, nous fournissons aux pays de cette région les armements nécessaires permettant de renforcer leur capacité d’éradiquer la menace terroriste. Nous entraînons régulièrement les militaires de ces pays en Fédération de Russie, dans les établissements de notre Ministère de la Défense, nous formons des casques bleus et des policiers. À l’heure actuelle, le Conseil de sécurité des Nations unies songe à faire participer l’Onu au soutien matériel des forces conjointes du G5 Sahel. Nos collègues occidentaux ne sont pas très enthousiastes à ce sujet. La Russie est prête à faire un pas concret pour que l’Onu prenne conscience de la nécessité de soutenir plus activement et substantiellement le travail du G5 en ce sens.
Question 8: Les déclarations du commandement des forces armées américaines expriment constamment des mises en garde contre toute présence militaire de la Russie dans les pays d’Afrique. Que pensez-vous de ces déclarations?
Sergueï Lavrov: C’est une réflexion impériale, une absence du moindre respect envers d’autres pays qui est inhérente aux États-Unis et à la manière dont ils agissent dans le monde non seulement envers la Russie, mais aussi la Chine et d’autres États qu’ils qualifient d’adversaires et de rivaux. Ils parlent et traitent de la même manière leurs alliés. Comment a été réglé le problème de la vente de sous-marins nucléaires à l’Australie? Ils ont décidé et ils ont fait.
En ce qui concerne leur revendication de gestion de continents entiers en solitaire, je pense que les pays de la région, de l’Afrique, du Moyen-Orient sont des entités étatiques suffisamment mûres ayant une grande expérience historique pour comprendre toute la futilité de ce genre de déclarations.
Les militaires américains ne sont pas les seuls à avoir parlé de l’inadmissibilité de la présence russe et chinoise en Afrique. Par exemple, Mike Pompeo, qui était mon homologue quand il était secrétaire d’État américain, avait voyagé (peu de temps avant la fin du mandat de Donald Trump) dans plusieurs pays africains les appelant partout publiquement à ne pas commercer avec la Russie ni avec la Chine, parce que soi-disant nous faisons du commerce pour « coloniser » tout le monde. Alors que les Américains le font uniquement pour renforcer la démocratie. Évidemment, le caractère anecdotique et la futilité de ce genre de déclarations sont flagrants pour tous.
Les Américains, mais aussi nos collègues européens, éprouvent un tel sentiment de leur propre supériorité sur tous les autres. À chaque occasion, la France déclare que la Russie « n’ose pas » apporter une aide militaire à un pays comme le Mali. Alors que le gouvernement malien a officiellement tout expliqué de manière assez détaillée.
Le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga
Le Premier ministre a exprimé à l’Assemblée générale des Nations unies ses préoccupations vis-à-vis du fait que face à la menace terroriste qui ne diminue pas, et grandit, le gouvernement français a décidé de réduire la mission Barkhane. En particulier, deux bases ont déjà été fermées dans le Nord du pays, où la situation est la plus grave, et une troisième sera fermée d’ici la fin de l’année.
Bien évidemment, dans ces conditions, les autorités maliennes doivent chercher une compensation à cette démarche française.
Ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou
Avec le Ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, nous avons récemment parlé à nos homologues français au format « 2+2 ». Nous les avons appelés à exclure les doubles standards dans la lutte contre le terrorisme. Si nous voulons tous aider l’Afrique, il faut le faire en unissant nos efforts et non par des tentatives de « jalonner » sa zone de responsabilité, « marquer » le territoire concerné sans laisser y entrer tous les autres. C’est une réflexion du XIXe siècle, même pas du dernier.
Question 9: Vous entretenez de bonnes relations avec le Maroc et l’Algérie. Comment cela contribue-t-il au règlement de la crise au Sahara occidental?
Sergueï Lavrov: La crise au Sahara occidental doit être réglée, comme toute autre crise, en mettant en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies: que ce soit le Sahara occidental, le processus de paix israélo-palestinien ou syrien. Il existe pour toutes ces situations des résolutions approuvées par consensus posant les fondements juridiques internationaux pour régler tel ou tel problème.
Dans le cas du Sahara occidental, les résolutions prévoient un dialogue direct entre le Maroc et le Front Polisario. Il faut le relancer au plus vite. Ces négociations doivent commencer et contribuer à l’élaboration de solutions de compromis qui seraient dans l’intérêt des deux camps.
Le chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario Brahim Ghali, ici en 2016
L’instabilité en Afrique du Nord et dans la région du Sahara-Sahel affecte la situation générale et l’absence de progrès dans le processus de paix au Sahara occidental. Cela n’ajoute rien de positif. Nous pensons que dans le contexte des événements au Sahara-Sahel, les parties, le Maroc et le Front Polisario, doivent au contraire engager des efforts plus actifs pour l’apparition d’un espoir dans cette voie.
En laissant la situation telle qu’elle est aujourd’hui, les terroristes pourraient tenter de profiter de la situation désespérée de la population du Sahara occidental pour y propager leurs « tentacules ». Nous savons que certains extrémistes y songent déjà, notamment les combattants d’Al-Qaïda, du Maghreb islamique, de Daech. Ils ont des projets de grande ampleur. Nous sommes inquiets: non seulement les négociations directes ne reprennent pas entre le Maroc et le Polisario, mais également, en novembre 2020, tous les deux se sont retirés du cessez-le-feu en vigueur depuis presque 30 ans.
Il existe clairement un risque d’escalade de la confrontation dans cette région de l’Afrique. Nous sommes convaincus qu’il faut que tous les pays influents appellent toutes les parties à la retenue et insistent sur les méthodes politiques et diplomatiques pour régler le conflit.
Nous sommes opposés aux démarches unilatérales, comme dans le processus de paix israélo-palestinien. Les démarches unilatérales ne sont prévues par aucun accord de base, elles nuisent sérieusement à la cause et créent des risques supplémentaires inutiles.
Il y a un an, les États-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur tout le Sahara occidental. Cela n’aide pas la cause et c’est directement contraire et sape les principes universels du processus de paix au Sahara occidental, conformément auxquels le statut définitif de ce territoire peut être défini uniquement par référendum. Nous espérons qu’il n’y aura plus de tels gestes brusques et que tout le monde utilisera ses capacités non pas pour soutenir un camp contre l’autre, mais pour les inciter à s’assoir à la table des négociations.
Question 10: En octobre dernier, le Premier ministre israélien s’est rendu à Moscou, puis le dirigeant de la Palestine s’est également rendu dans la capitale russe. Est-ce que cela reflète la volonté de la Russie de trouver une nouvelle solution au problème?
Naftali Bennett ministre ISRAËL
Sergueï Lavrov: Il ne peut y avoir d’autre solution que la reprise des négociations directes sur la base du droit international approuvée par l’Assemblée générale des Nations unies, le Conseil de sécurité des Nations unies, que personne ne remet en question: c’est la solution à deux États avec une garantie des ententes sur toutes les questions relatives au statut définitif.
Nous ne pouvons pas soutenir les démarches unilatérales, notamment en ce qui concerne les actions continues d’Israël pour élargir son activité coloniale que personne n’approuve.
Cette pratique a été condamnée par des représentants de l’Onu, de l’UE, des États-Unis et de la Russie. C’est précisément la composition du Quartet de médiateurs internationaux qui pourrait (nous le souhaitons) aspirer plus activement à ce que les parties reprennent les négociations directes.
Nous assistons également à des démarches unilatérales telles que les tentatives de modifier le statut historique de la mosquée al-Aqsa, ou encore l’expropriation par la force de terrains et de maisons palestiniennes, qui sont même démolies. Il faut renoncer de toute urgence à une telle approche.
Nous insistons sur la réunion du Quartet. Il s’est déjà réuni au niveau des experts. Nous sommes convaincus que la gravité de la situation dicte la nécessité d’une réunion ministérielle. Nous travaillons avec nos collègues en ce sens. Pour l’instant, Washington préfère agir selon d’autres méthodes et ne pas soulever ce thème au niveau ministériel, même si les États-Unis poursuivent leur diplomatie bilatérale avec les Palestiniens et les Israéliens. S’ils garantissaient le succès, je pense que tout le monde s’en réjouirait. Pour le moment, nous voyons que les efforts collectifs sont très demandés mais restent insuffisants.
Question 11: Vous avez rencontré récemment Mohammed Dahlan, leader du courant réformateur du mouvement Fatah, ainsi que Mahmoud Abbas à Moscou. Est-ce que cela fait partie des efforts russes pour la réconciliation palestinienne?
Mahmoud Abbas est le président de la Palestine & Mohammed Dahlan est un représentant politique éminent
Sergueï Lavrov: Mahmoud Abbas est le président de la Palestine, Mohammed Dahlan est un représentant politique éminent. Il ne s’agit pas seulement d’eux. Il faut rétablir l’unité palestinienne avec la participation de tous les groupes locaux sans exception. Ils sont 12 ou 13. Nous les avons invités plusieurs fois en Russie. Ils ont accepté nos invitations et cherché à chaque fois à élaborer une position commune, mais ils n’y parvenaient pas jusqu’au bout.
Je suis certain que le rétablissement de l’unité palestinienne possède une signification primordiale au moins pour deux raisons.
Premièrement, en parlant du fond du processus de paix israélo-palestinien, en rétablissant l’unité de leurs propres rangs les Palestiniens renforceraient leurs positions dans les négociations. Ils désavoueraient les déclarations parfois faites par certains représentants politiques en Israël: « À qui peut-on y parler? Ils ne représentent personne. Tout est divisé chez eux – Ramallah, Gaza, etc. » Ces « prétextes » pour « esquiver » les négociations sont faciles à éliminer.
Deuxièmement, le rétablissement de l’unité palestinienne dépend uniquement des Palestiniens. Personne ne peut les empêcher de s’entendre, que ce soit Israël, des partenaires occidentaux ou qui que ce soit. Il existe une question concernant les positions des pays arabes soutenant les Palestiniens. Parfois ils le font différemment. Je mettrais bien sûr de côté les différends au sein du monde arabe. Le peuple palestinien a déjà tellement souffert qu’on ne peut plus perpétuer une situation qui mène au fond à l’apparition sur le terrain de faits empêchant la possibilité de créer un État palestinien viable.
Bien sûr, cela doit être dans l’intérêt de tous les États arabes. Nous soutenons activement l’aspiration de l’Égypte qui aide à rétablir une telle unité. Nous voulons également que d’autres pays arabes se joignent à ces efforts.
Question 12: Le monde arabe a déjà connu les épreuves de la Guerre froide. Je voudrais vous demander: la Guerre froide est-elle de retour?
Sergueï Lavrov: C’est le genre de questions à laquelle on pourrait répondre sans fin. Je préfère une réponse courte. Bien sûr, ce n’est pas la Guerre froide que nous connaissons, qui s’est développée dans un ordre mondial stable, même si négativement stable, lorsque non pas deux puissances, mais deux systèmes socio-économiques – le capitalisme et le socialisme – se sont affrontés. Chacun contrôlait de vastes territoires. Au sens figuré, la « moitié » du globe, si l’on considère l’influence de l’Union soviétique dans le processus de décolonisation, y compris en Afrique.
La situation est différente maintenant: il y a beaucoup plus d’acteurs.
Le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz
Le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, s’exprimant à l’occasion de l’annonce de la composition du gouvernement, a déclaré que dans ce monde ce ne seront pas deux puissances qui détermineront tout, mais plusieurs grandes puissances. Il s’agit, au fond, d’une reconnaissance du multilatéralisme, qui a également deux facettes. D’un côté, il y a ce que de nombreux détracteurs de l’ordre mondial polycentrique utilisent maintenant dans leurs arguments: le multilatéralisme équivaut au chaos. Le règne du chacun pour soi. Il y aura plus de grands acteurs. Ils vont « jouer des coudes », se sentiront à l’étroit, et le monde deviendra plus chaotique.
Notre position consiste en ce que le multilatéralisme est une réalité objective. « L’ascension » de la Chine en tant que première économie mondiale n’est pas loin. L’Inde est en plein essor. La région Asie-Pacifique devient une locomotive de développement, remplaçant la région euro-atlantique en cette qualité. L’Amérique latine veut définir sa propre identité. Les récentes initiatives du président mexicain vont dans ce sens. En Afrique grandit la conscience de soi, un désir d’apporter plus de « tonalités » à son identité dans les contacts avec le monde extérieur qui s’intéresse aux richesses naturelles incontestables du continent africain.
L’objectif n’est pas de dresser les pays les uns contre les autres dans cet environnement hautement compétitif, mais d’essayer d’apprivoiser ce « mouvement brownien ». C’est exactement l’objectif de l’initiative du Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine de convoquer un sommet des membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu.
Non pas parce qu’ils doivent décider pour tout le monde, mais parce que la Charte des Nations unies leur confie la responsabilité particulière de maintenir la paix et la sécurité internationales.
En se réunissant, les dirigeants du « Quintet » pourraient élaborer des recommandations аu reste de la communauté mondiale, ce qui, je pense, serait accueilli favorablement.
L’état de confrontation négative doit se transformer en dialogue. Et il se développe entre nous et les Américains. Le 7 décembre, le Président Vladimir Poutine s’est entretenu avec son homologue américain Joe Biden pendant plus de deux heures en visioconférence. Malgré toutes les contradictions profondes et les différences d’approche, il existe un désir de développer un tel dialogue, au moins aux États-Unis. J’espère que les autres membres occidentaux du « Quintet »auront la même attitude. Notre partenaire stratégique, la République populaire de Chine, a confirmé sa volonté et son intérêt pour la tenue d’un tel sommet.
Question 13: Vous défendez les intérêts de votre pays sur la scène internationale depuis près de 17 ans. Quelles ont été les années les plus difficiles pour vous?
Sergueï Lavrov: C’est une question abstraite. Je n’y pense pas trop, car si je réfléchis aux difficultés que j’ai rencontrées il est très compliqué de travailler. Nous devons travailler aujourd’hui et regarder vers l’avenir, pas vers le passé.
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