
Pourquoi le Venezuela se retrouve-t-il, en pleine pandémie mondiale de Covid-19, une nouvelle fois sous le feu roulant des critiques en provenance des États-Unis ?
Depuis quelques jours, l’administration Trump a sporadiquement réussi à détourner le cours des eaux de l’information, toutes saturées par le coronavirus, pour le diriger vers le Venezuela.
On ne peut écarter l’hypothèse selon laquelle cette dérivation cherche à atteindre plusieurs objectifs médiatiques de court terme.

C’est donc dans ce contexte singulier que Donald Trump a décidé de lancer – comme preuve de sa puissance géopolitique et sécuritaire maintenue dans la région malgré la crise sanitaire – un grand plan de lutte contre le crime organisé et le narcotrafic latino-américains.
Donald Trump participe à la conférence de presse quotidienne sur la situation liée au Covid-19 à la Maison Blanche à Washington, le 1er avril 2020• Crédits : Mandel Ngan – AFP
Cette annonce a été faite lors de la conférence de presse quotidienne sur le coronavirus, en présence du ministre de la justice William Barr, du chef d’état major Mark Milley, de la défense Mark Esper, le 1er avril. — © AFP /Win McNamee
Le changement de mot n’est ni anodin, ni réellement une erreur. « Narcoterroriste » est la lourde accusation qui pèse désormais sur la tête – mise à prix pour quinze millions de dollars – de Nicolas Maduro depuis les poursuites engagées contre lui le 26 mars 2020 (et une dizaine d’autres dirigeants vénézuéliens dont le ministre de la Défense Vladimir Padrino López, sans mise à prix dans son cas[1]) par le département de la justice américaine et deux juridictions fédérales (celle de New York et de la Floride).
Vladimir Padrino LópezCar c’est bien le Venezuela de Nicolas Maduro qui est la cible numéro un de l’administration Trump avec ces nouvelles annonces et qui devra faire face, avec son alliée Cuba, aux nouvelles dispositions de Washington. Ces dernières constituent également un message à l’attention de Moscou et de Pékin, dont les échanges (pétroliers notamment via cette zone), sont constants avec le Venezuela.
Donald Trump : une stratégie déconcertante ?

Ce document en treize points propose, en pleine crise sanitaire mondiale, de démanteler l’appareil institutionnel vénézuélien – déjà fracturé et fragilisé – pour lui substituer un « Conseil d’État » transitoire bipartisan (sans la présence de Nicolas Maduro et de Juan Guaido).
Négociations entre le chavisme et les oppositions, mise en place d’un gouvernement national de transition, élections, principe acté – pour la première fois – d’une levée progressive des mesures restrictives unilatérales imposées au Venezuela…mais si, et seulement si, Washington obtient, au préalable, la capitulation sèche de Nicolas Maduro, assure l’avenir politique de son allié Juan Guaido et joue un rôle d’accompagnement pendant tout le processus.
Retour au point de départ… Les mesures restrictives unilatérales ne seront donc pas levées.
Cette position est une douche froide pour tous ceux qui, à l’instar
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d’Antonio Guterres (secrétaire général des Nations unies),
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de Michelle Bachelet (haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies)
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ou de Alicia Bárcena (secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, Cepal),
demandent, dans les circonstances actuelles, la levée ou la suspension des sanctions économiques et financières contre le Venezuela, mais aussi Cuba ou l’Iran. Cette demande a également été, pour le cas spécifique du Venezuela, formulée par le quotidien britannique The Financial Times.
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, lors d’une conférence de presse virtuelle sur l’approbation de l’opération Irini, à Bruxelles, le 31 mars 2020. REUTERS/Francois Lenoir
Pour sa part, l’Union européenne (UE), par la voix de son haut-représentant et vice-président de la Commission européenne pour la politique étrangère et de sécurité Josep Borrell a annoncé le 3 avril 2020, dans un communiqué attendu, prendre « note positivement » du « Cadre » élaboré par le Département d’État américain.
M. Borrell y considère ainsi que « la proposition des États-Unis va dans le sens de la ligne de l’UE consistant à proposer une voie pacifique de sortie de crise » au Venezuela. Sans même devoir attendre cette réaction officielle positive de l’UE, Washington semblait manifestement avoir déjà anticipé le soutien de ses partenaires européens lorsque, dans le point 6 de son « Cadre » – rendu officiel le 31 mars -, le Département d’État affirme que « les États-Unis et l’Union européenne [le gras est de nous] lèveront les sanctions contre ceux qui ont revendiqué des pouvoirs présidentiels [s’ils reconnaissent, il s’agit donc ici de Nicolas Maduro] le Conseil d’État comme le pouvoir exécutif exclusif ».
Rechercher une victoire de politique étrangère avant des élections présidentielles incertaines
Avec son « Cadre », l’administration Trump cherche en réalité, après les accusations de « narcoterrorisme » portées contre Nicolas Maduro, à briser toute possibilité d’une véritable négociation et d’un dialogue national, régional et international pour trouver une issue politique à la crise vénézuélienne.
Henrique Capriles
Elle cherche à mettre un point final à ces processus tandis qu’une partie de plus en plus significative de l’opposition – notamment l’ancien candidat à la présidence Henrique Capriles – manifestait dernièrement, dans le contexte exceptionnel de pandémie du coronavirus, une volonté de trouver un terrain de discussion minimal avec le gouvernement pour faire face au péril sanitaire.
Cela n’empêchant pas ces forces d’opposition de continuer à dénoncer ce gouvernement, selon elles illégitime, responsable d’entorses répétées aux droits de l’homme et d’une politique de rationnement des carburants et du gaz organisée dans le cadre du confinement généralisé débouchant, selon M. Capriles, sur l’apparition de « pénuries » dans le pays. Pénuries causées, selon le gouvernement vénézuélien, par le « blocus naval » imposé par les États-Unis dans le cadre de leurs sanctions.
Juan Guaido
Le mouvement politique intérieure des dernières semaines affaiblissait encore Juan Guaido, que le ministère public vénézuélien veut désormais entendre dans le cadre d’une enquête pour « tentative de coup d’État ». Ce dernier s’isolait toujours plus ces derniers jours tandis que l’avancée du coronavirus (155 cas déclarés et sept morts au 5 avril 2020) semble jusqu’à présent, selon le gouvernement, être contenue et que ce dernier, avec une autre partie de l’opposition, poursuivent leurs discussions entamées depuis plusieurs mois sur la préparation d’élections législatives prévues avant la fin de l’année.
L’armée vénézuélienne, lors d’une parade militaire. ©AFP
Avec ce « Cadre », les États-Unis cherchent également à stimuler l’envie, chez des militaires et/ou des mercenaires, de se détacher ou de se débarrasser de Nicolas Maduro (en leur promettant immunité et participation au futur pouvoir) et tentent de conserver Juan Guaido au centre du jeu vénézuélien malgré sa démonétisation.
En réalité, la stratégie des États-Unis n’est pas déconcertante, elle maintient coûte que coûte son objectif : mettre « une pression maximale », selon les mots de Donald Trump, sur les autorités de Caracas. Son administration veut montrer que les États-Unis auront tout tenté pour trouver une solution, laquelle aura, in fine, été rendue impossible par l’entêtement de Nicolas Maduro.
Tenter de profiter de la crise sanitaire pour porter un nouveau coup aux autorités de Caracas, continuer d’étouffer économiquement et financièrement le pays, tels sont les objectifs de Washington.
Confronté à l’incertitude de ses perspectives politiques à court et moyen terme avec le Covid-19, Donald Trump semble s’être convaincu, ou avoir été convaincu, qu’une victoire contre Nicolas Maduro, avant novembre 2020, était désormais nécessaire. Et s’il le faut, en prenant le risque d’incidents militaires dans les eaux et le ciel caribéens ou près des frontières du Venezuela avec ses voisins (Colombie et Brésil notamment), lesquels pourraient alors déclencher, le cas échéant, un engrenage dangereux.
Engranger une victoire de politique étrangère dans des circonstances perturbées par le coronavirus, s’assurer les votes déterminants de la Floride (fief des courants anti-cubains et anti-vénézuéliens) dans une élection qui se révèle chaque jour plus incertaine. Le cap de l’équipe présidentielle sortante est fixé.
Toutefois, rien n’indique que l’ensemble de cette stratégie atteindra son but, tant la majorité de la population américaine, pour qui le Venezuela reste un sujet lointain, est concentrée sur le péril intérieur et sa gestion. De plus, Donald Trump doit faire face à deux problèmes.
Au Venezuela, Juan Guaido – bien que reconnu par une cinquantaine de pays et ayant, dans ce contexte, une clé lui donnant accès aux financements internationaux des grands bailleurs et de nombreuses puissances – est affaibli.
Et au niveau international, la circonspection grandit parmi les partenaires traditionnels des États-Unis quant à la variété des initiatives prises par le président de la première puissance mondiale en matière de politique étrangère.
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[1] Certains observateurs considèrent que les États-Unis cherchent à offrir, malgré leur pression, au général en chef de la Force armée nationale bolivarienne (FANB) une voie de négociation en échange de l’arrêt de son soutien au président vénézuélien. Vladimir Padrino López et l’ensemble de l’institution militaire ont fermement condamné les accusations et les propositions des États-Unis. Dans son « Cadre pour une transition démocratique », le Département d’État précise que l’ensemble du haut commandement militaire vénézuélien resterait en place durant la période de transition du « Conseil d’État ».
[2] Selon Geoffrey Berman, procureur du district sud de New York (Le Monde, 27 mars 2020)
[3] « Democratic Transition Framework for Venezuela », Département d’État, 31 mars 2020 (https://www.state.gov/democratic-transition-framework-for-venezuela/)
SOURCE/https://www.iris-france.org/145926-etats-unis-venezuela-confrontation-en-temps-de-pandemie/
