2688 – Réponses du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à la presse arménienne, 8 avril 2018

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Que pensez-vous du développement des relations bilatérales russo-arméniennes ces dernières décennies?

Sergueï Lavrov: La Russie et l’Arménie entretiennent des relations d’alliés et de partenaires stratégiques. Ces termes sont fixés par les accords bilatéraux et les textes de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). Ces liens couvrent tous les domaines de l’activité de nos États, de la vie de nos peuples à la politique étrangère et de sécurité en passant par la culture, l’économie, les contacts technologiques, les liens humains, l’éducation, etc. Nos relations se développent depuis dix ans grâce aux contacts directs et de confiance entre nos présidents Vladimir Poutine et Serge Sargsian. Ils se rencontrent régulièrement, plusieurs fois par an, sur le territoire arménien ou russe, ainsi qu’en marge de nombreux forums internationaux.   

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Je voudrais souligner particulièrement l’adhésion de l’Arménie à l’Union économique eurasiatique (UEEA) qui a évidemment donné une impulsion très forte à notre coopération commerciale, économique et d’investissement. Il suffit de mentionner que les échanges russo-arméniens ont augmenté de plus de 30% en glissement annuel pour atteindre, si je ne me trompe pas, 1,75 milliards de dollars. C’est une somme très importante, sans parler des centaines d’entreprises russes ou russo-arméniennes mixtes qui travaillent en République d’Arménie, ce qui est bénéfique pour nos rapports et l’économie de notre allié. 

Notre coopération militaire et technique est traditionnellement très étroite. Nous avons non seulement la Commission intergouvernementale pour la coopération commerciale et économique, mais aussi une commission pour la coopération militaire et technique. Elles travaillent de manière très dynamique et affichent de bons résultats.

Les liens humains ont toujours été très demandés par nos peuples. Je voudrais notamment souligner le déroulement des journées de l’Arménie en automne dernier, dont l’ouverture a réuni les présidents des deux pays en novembre 2017.

Quant à l’éducation, il existe à Erevan l’Université russo-arménienne. Cette dernière et huit antennes des universités russes sur le territoire de la République d’Arménie dispensent à près de 3 500 citoyens arméniens des cours conformément aux standards de l’enseignement supérieur russe. Qui plus est, 5 500 Arméniens suivent leurs études en Fédération de Russie dont 1 500 sur la base des bourses d’État offertes à l’Arménie par le Gouvernement russe.

Nos relations bilatérales affichent depuis dix ans une croissance très stable et qualitative.

Elle est complétée par une coopération étroite en politique étrangère. Nous sommes alliés dans le cadre de l’OTSC. J’ai déjà mentionné l’UEEA, dont l’Arménie est désormais membre à part entière. La Communauté des États indépendants (CEI) reste évidemment d’actualité, tout comme nos actions concertées à l’Onu, au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de l’Organisation pour la coopération économique en mer Noire, ou encore au Conseil de l’Europe.

Je n’ai mentionné qu’une petite partie de ce qui caractérise nos relations depuis dix ans, mais cela permet déjà, à mon avis, de tirer des conclusions sur leur richesse et leur conformité aux intérêts actuels de nos pays.

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Les analystes estiment que le sommet de Kazan de 2011 aurait pu être une percée dans le règlement de la crise du Haut-Karabagh. Qu’en pensez-vous? Qu’est-ce qui pourrait constituer le gage du succès dans la résolution de cette question?

 

Sergueï Lavrov: Le règlement du conflit du Haut-Karabagh est l’une des priorités de nos efforts dans l’espace post-soviétique. Avec les États-Unis et la France, la Russie fait partie de la troïka des coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE. En cette qualité, nous entreprenons des efforts collectifs avec les deux autres coprésidents et tentons de promouvoir nos propres initiatives – dans le cadre de la politique commune des coprésidents et en conformité avec les décisions déjà adoptées sur le conflit du Haut-Karabagh – en tenant compte de nos liens particuliers avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le travail mené de 2009 à 2011 a effectivement été très intense. Les présidents russe, arménien et azerbaïdjanais se sont rencontrés près de dix fois.

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Cette nouvelle rencontre à Kazan avait en effet permis d’espérer des résultats positifs sérieux, car les projets de textes rédigés par la Russie avec le soutien des coprésidents américain et français tenaient à notre avis compte de toutes les préoccupations d’Erevan et de Bakou sous une forme équilibrée. Le sommet-même a pourtant soulevé des questions et des commentaires supplémentaires. Cela arrive. Nous ne le considérons pas comme une tragédie outre mesure. Ce travail sera poursuivi. Je suis certain que beaucoup de clauses du texte de Kazan restent toujours demandées. Ce fait est confirmé par la réaction d’Erevan et de Bakou aux contacts qui ont eu lieu depuis au niveau des présidents, des ministres et des coprésidents qui se rendent régulièrement dans la région: à Erevan, à Bakou et à Stepanakert.

A mon avis, aucun accomplissement de cette époque n’a été perdu, même si on a vu apparaître depuis certaines nouvelles idées que les coprésidents avancent actuellement dans le cadre de leurs contacts avec les parties. Le plus important est de renoncer à la méfiance qui se manifeste toujours de temps en temps lors des négociations, pour se focaliser sur les nombreuses idées réalistes et pragmatiques. Il ne reste qu’à les porter sur le papier. Bien que les parties consentent en théorie à le faire, on se heurte à des complications quand le travail progresse vers des formulations concrètes, ainsi que dans d’autres situations. Je pense que nous continuerons de surmonter progressivement ces obstacles et que nous obtiendrons des résultats.

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On présente souvent l’Arménie comme un modèle d’État qui développe ses relations avec l’UEEA et l’UE sur une base égalitaire et mutuellement avantageuse. Selon vous, sera-t-il possible de conjuguer les intérêts et de développer la coopération des structures d’intégration que sont l’UEEA et l’UE?

 

Sergueï Lavrov: L’exemple arménien démontre en effet qu’il est utile de développer ses relations avec tous les partenaires possibles. Il s’agit d’une politique gagnante et avantageuse pour le pays. Il ne faut pas mettre les pays de l’espace postsoviétique devant un faux choix: soit avec l’Occident, soit avec la Russie. C’est une approche absolument idéologisée et politisée. Le fait que l’Arménie a insisté pour que les ententes signées au sujet de ses relations avec l’UE contiennent la reconnaissance des droits et des obligations de l’Arménie dans d’autres processus d’intégration est, à mon avis, un pas dans la bonne direction. Pour qu’on ne porte pas atteinte aux droits de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et des autres participants dans le cadre du programme du Partenariat oriental de l’UE, et pour que leurs intérêts soient préservés, il est très important que l’Union européenne renonce à sa logique exclusive vicieuse qui a déjà provoqué les événements de 2014 en Ukraine.

C’est la même chose que priver un peuple de ses droits de développer la coopération à part entière avec tous ses voisins.

La Russie promeut cette approche de manière cohérente. Encore en 2015, l’UEEA a proposé à l’UE d’établir des contacts. A l’époque, l’UE avait refusé de reconnaître l’UEEA comme un partenaire à part entière pour des raisons absolument idéologisées et politisées. Ces partis pris sont, dans une certaine mesure, toujours présents. Des gens raisonnables sont pourtant apparus à Bruxelles. Ainsi, la Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure ont déjà contacté la Commission économique eurasiatique au niveau des experts.

Aujourd’hui, on a intérêt à rendre ces contacts d’experts permanents et à les orienter vers la concertation des questions de régulation.

Je pense qu’il ne s’agit que du premier pas, car la vie-même forcera nos partenaires européens à travailler avec l’Union économique eurasiatique et la Collège de la Commission économique eurasiatique, qui est, par ailleurs, présidée aujourd’hui – tout comme l’OTSC – par un Arménien. Comme les pays membres de l’UEEA ont délégué un nombre important de compétences au niveau supranational, beaucoup de questions relatives au commerce pratique, aux mesures pratiques dans le domaine des services et des investissements, doivent être résolues avec la Commission économique eurasiatique.

Je suis assez optimiste quant à l’avenir des relations entre l’UEEA et l’UE. Cet avenir n’arrivera pas bientôt, mais la vie imposera un rapprochement progressif. Je suis certain que l’Arménien Tigran Sarkisian, président de la Collège de la Commission économique eurasiatique, favorisera ce processus.  


SOURCE/     http://www.mid.ru/fr/foreign_policy/news/-/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/3155600