1 – De nouvelles sanctions du Congrès américain contre la Russie – 7 août 2017 – Horizons et débats
2 – «Une véritable violation du droit international» – par Hans Köchler président de l’International Progress Organization (I.P.O.), une organisation à statut consultatif auprès des Nations Unies.
3 – «L’application extraterritoriale de lois américaines est incontestablement une violation du droit international» – par Alfred de Zayas Expert indépendant des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable.
4 – «Nous nous trouvons, en fait, très proche d’une guerre» – par Willy Wimmer, ancien Secrétaire d’État allemand
1 – De nouvelles sanctions du Congrès américain contre la Russie
No 19, 7 août 2017 – Horizons et débats
Toute l’Europe est traitée comme une colonie américaine
Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Le 24 juillet, le tribunal local de Leipzig a désigné un liquidateur judiciaire pour l’entreprise locale de construction métallique IMO.
Existant depuis 120 ans, cette entreprise employant 320 personnes est spécialisée dans les constructions en acier et réalisait, jusqu’à récemment, des affaires avec la Russie.
Maintenant elle est ruinée. Les sanctions contre la Russie avaient entraîné pour l’entreprise des pertes de revenus et de profits ne pouvant plus être compensées.
Si les nouvelles sanctions contre la Russie – adoptées le 25 juillet par la Chambre des représentants des États-Unis avec seulement 3 voix d’opposition et le 27 juillet par le Sénat avec seulement 2 voix d’opposition – entraient effectivement en vigueur est étaient appliquées, de nombreuses entreprises européennes pourraient tomber en faillite à l’instar d’IMO à Leipzig.
Car, cette fois-ci, un projet important à bien des égards pour la Russie et les autres pays européens – le gazoduc Nord Stream II menant directement de la Russie à travers la mer Baltique à l’Allemagne – serait affecté.
La décision de la Chambre des représentants et du Sénat (= Congrès) permettra au président des États-Unis d’imposer des sanctions contre toutes les entreprises participant à des projets énergétiques russes, dont Nord Stream II, explicitement mentionné.
La politique américaine a agi unilatéralement et sans consulter ses partenaires européens.
Les critiques européennes concernant la nouvelle décision du Congrès sont massives.
Même le gouvernement allemand a déjà déclaré en juin – à cette époque, les plans pour de nouvelles sanctions étaient connus – que ces nouvelles sanctions seraient «contraires au droit international».
Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires étrangères, avait ajouté: «Il n’est pas acceptable d’abuser des sanctions pour évincer du marché le gaz russe afin de mieux pouvoir vendre le gaz américain.»
En fait, les Américains veulent imposer aux Européens le gaz liquéfié venant des États-Unis plutôt que celui venant de Russie.
Le 18 juillet, Gabriel avait plaidé, contrairement au Congrès américain, dans une interview accordée au magazine Focus en faveur de la levée progressive des sanctions contre la Russie.
Les entreprises européennes concernées ont aussi pris la parole.
Dans une tribune pour le «Frankfurter Allgemeine Zeitung» (24/07/17), Rainer Seele, directeur général du groupe énergétique autrichien OMV participant au projet de gazoduc, a écrit:
«Le gaz liquéfié américain (LNG) est naturellement en concurrence avec le gaz russe – rien à objecter à cela. Mais il doit être clair, et le ministre allemand des Affaires étrangères Gabriel le dit clairement: l’approvisionnement énergétique de l’Europe est toujours et encore une affaire européenne et non pas l’affaire des Etats-Unis […]. L’Amérique ainsi que la Pologne et les pays Baltes n’ont aucun droit de veto et de blocus contre les relations russo-européennes dans le domaine du gaz, y compris les gazoducs.»
Non seulement pour l’OMV, mais également pour d’autres entreprises participant à ce projet de pipelines telles que BASF, E.ON, Wintershall et Shell, la mise en œuvre des sanctions du Congrès américain signifierait des pertes de plusieurs milliards.
Matthias Warnig, directeur de la Société de développement du gazoduc Nord Stream II, a ajouté dans le «Handelsblatt» allemand (19/07/17):
«Si les sanctions sont effectivement mises en œuvre, les effets sur l’approvisionnement en pétrole et en gaz seraient considérables. A ce stade, tous les pipelines exportant du pétrole ou du gaz de Russie y sont soumis.»
Willy Wimmer, ancien secrétaire d’État allemand au ministère de la Défense, s’exprime clairement. Selon lui, les nouvelles sanctions du Congrès américain représentent aussi une guerre économique contre l’Europe. Dans une interview accordée à l’agence de presse russe Spoutnik (26/07/17), il a déclaré:
«Aux États-Unis, ces sanctions se dirigent visiblement contre leur propre président qu’on veut emmurailler. Mais elles se dirigent également contre l’Europe qu’on veut étouffer sur le plan économique.»
Il observe depuis longtemps «que les États-Unis étendent leur propre législation sur les territoires étrangers.
C’est un comportement typiquement colonialiste.»
Et à l’adresse des responsables de l’UE:
«Si l’UE ne peut pas se décider maintenant, parce qu’elle ne l’ose pas ou pour quelque autre raison, elle va perdre toute confiance aux yeux du public européen et de ses électeurs. Il ne s’agit pas seulement de la survie économique de l’UE, mais aussi de l’honneur politique. Il n’est pas acceptable que nous soyons gouvernés par des mesures arbitraires de Washington. […] Nous voyons sur toute la largeur des relations avec Washington que nous sommes soumis à des éléments faisant apparaître au minimum une guerre économique. […] Si l’Union européenne fait maintenant des génuflexions devant ces sanctions, elle risque de perdre tout son avenir économique.»
Finalement, il faut souligner que cette nouvelle décision de sanctions est une déclaration de guerre des États-Unis envers la Russie
Les débats au Congrès sont un mauvais exemple démontrant la démagogie et l’agressivité avec laquelle la Russie est «diabolisée» aux États-Unis. Les réactions officielles prudemment formulées par la Russie montrent que cela est perçu ainsi.
Leonid Sluzki, chef de la Commission des Affaires étrangères de la Douma, a déclaré le 26 juillet:
«L’extension des restrictions sape la possibilité de reconstruire les relations russo-américaines et les rend plus difficiles, pour un certain temps au moins […]. Les possibilités de dénouer le nœud gordien dans le dialogue entre les Etats-Unis et la Russie sont extrêmement limitées.» •
2 – «Une véritable violation du droit international»
par Hans Köchler*
Ceci n’est pas un fait d’aujourd’hui. Les États-Unis ont toujours décrété unilatéralement des sanctions contre des États récalcitrants sans tenir compte des droits des pays tiers. Cela concerne notamment la façon dont ils s’en prennent depuis des décennies à Cuba et à l’Iran [1]
Il n’est certes pas nécessaire de justifier en détail le fait que des sanctions bilatérales ne peuvent être appliquées en dehors du pays même. Aucun État n’a le droit, en appliquant des sanctions contre un autre État, d’exiger d’États tiers qu’ils cessent leur coopération économique avec ce dernier – de quelque façon que ce soit – ou de la lier à certaines exigences.
Dans le cas présent, ceci est également valable pour des firmes européennes ou des personnes privées entretenant des rapports commerciaux avec la Russie, ou préparant des projets avec ce pays.
Si cette loi devait être appliquée, telle qu’elle a été décidée par le Congrès, cela correspondrait à une véritable violation du droit international.
Les pays concernés devraient s’opposer de toutes leurs forces à une telle volonté de domination. En Europe, il s’agit également d’une question de crédibilité de l’Union européenne.
Quand un pays dominant se permet d’ignorer le droit, les chances d’un «recours au tribunal» – donc à des instances d’arbitrage telle l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – sont malheureusement très minces.
Il est donc important de faire valoir une realpolitik habile et, pour la partie lésée, de se montrer décidée à entreprendre des mesures de rétorsion – [dans le sens du droit international, la rétorsion est une réaction de la part d’un sujet de droit international (notamment un État) avec des moyens licites par principe contre l’attaque hostile portée contre lui] – dans la mesure où la voie de la négociation n’aboutit pas. •
* Hans Köchler est président de l’International Progress Organization (I.P.O.), une organisation à statut consultatif auprès des Nations Unies. Il fut observateur pour le compte de l’ancien secrétaire général Kofi Annan au procès suite à l’attentat de Lockerbie contre le Vol 103 de Pan Am.
lien
- (cf. ma publication «Economic Sanctions and Development», Vienne, International Progress Organization, 1997, ISBN 978-3-90070-417-9; www.i-p-o.org/sanctpap.htm).
3 – «L’application extraterritoriale de lois américaines est incontestablement une violation du droit international»
par Alfred de Zayas*
Il est compréhensible que l’Allemagne et la France s’indignent des sanctions des États-Unis à l’égard de la Russie, car cette fois, il ne s’agit pas seulement de «morale», c’est-à-dire de la morale néolibérale, ou de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou de l’«autodétermination» du peuple de la Crimée mais de l’industrie américaine, du commerce et donc de beaucoup d’argent.
Si les sanctions américaines entrent en vigueur en tant que telles, elles violent bien évidemment le droit international et sont incompatibles avec le droit international coutumier, le libre-échange, la Charte des Nations Unies, les dispositions de l’Organisation mondiale du commerce et plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, notamment la Résolution 2625.
Hélas, le président américain vient de signer la loi du Congrès américain et n’a pas osé opposer son veto.
En effet, le Congrès américain l’a humilié avec un vote qui, concrètement, lui enlève sa compétence constitutionnelle pour gérer la politique extérieure des États-Unis. C’est pourquoi les responsables politiques européens doivent se mettre d’accord sur un «plan B», et prendre des mesures de rétorsion.
On se rend compte que les sanctions sont très bénéfiques aux sociétés américaines et très préjudiciables aux sociétés européennes, notamment aux entreprises allemandes et européennes en relation avec les réseaux de gazoduc, etc.
A ces préoccupations économiques et commerciales, s’ajoute le fait que l’application extraterritoriale de lois américaines viole incontestablement le droit international ce qu’une juridiction internationale constaterait rapidement.
Il faut s’adresser aux diverses instances de l’ONU – entre autres à la Cour internationale de justice de La Haye – tant dans le domaine de sa compétence à trouver des réponses aux litiges internationaux que dans celui relevant de sa fonction d’établir des expertises juridiques.
Il est également possible de s’adresser à la Cour d’arbitrage permanente aussi à La Haye, à l’Organisation mondiale du commerce à Genève, etc.
En outre, s’y ajoutent de sérieux problèmes relevant des principes des droits de l’homme.
En 2000 déjà, l’ONU a condamné toutes sanctions unilatérales dans un long rapport de l’ancienne Commission des droits de l’homme.
Depuis 2014, il existe un Rapporteur spécial des Nations Unies pour les sanctions unilatérales, M. Idriss Jazairy, ayant mis en évidence les conséquences relevant des droits de l’homme dans plusieurs rapports. Il ne s’agit non seulement de violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi d’articles de la Convention européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, les sanctions américaines n’ont aucune légitimité.
Où sont les «preuves» de la violation du droit international par la Russie pouvant justifier ce type de sanctions? En réalité, les sanctions constituent un prétexte, une mascarade pour imposer les intérêts économiques des Etats-Unis. Il ne suffit pas d’affirmer la souveraineté et l’autodétermination des Etats européens, il faut également les défendre activement. •
* Alfred de Zayas est Expert indépendant des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable.
Ce texte correspond à son opinion personnelle
4 – «Nous nous trouvons, en fait, très proche d’une guerre»
Le Congrès américain a adopté une nouvelle «loi» en faveur de sanctions contre la Russie. Où cela va-t-il nous mener?
Entretien d’Alexander Sosnovski, rédacteur en chef de World Economy, avec Willy Wimmer, ancien Secrétaire d’Etat allemand
Willy Wimmer: Entre la situation actuelle et la guerre, il n’y a plus que deux facteurs. Premièrement, c’est Trump – toujours et encore. Et deuxièmement, c’est que nous devrions réellement abandonner toutes les sanctions.
World Economy: Comment un tel abandon des sanctions pourrait-il se faire?
Il faut que l’Union européenne abandonne les sanctions et n’en accepte plus de nouvelles.
N’avez-vous pas aussi l’impression que les sanctions que le Congrès prévoit d’adopter sont principalement dirigées contre Trump?
Oui, elles sont dirigées contre Trump, mais elles ont un effet assez varié.
- Elles sont conduites contre Trump pour l’emmurer,
- elles sont menées contre les Européens pour les traiter comme une colonie
- et elles sont orientées contre la Russie pour atteindre des objectifs poursuivis de longue date.
Les élections parlementaires de septembre pourraient-elles changer la situation en Europe?
Je pense que nous n’avons plus autant de temps et, en réalité, tout ne dépend pas des élections au Bundestag.
Si, ce que veut le Congrès aux États-Unis passe la rampe, alors la question de la guerre et de la paix se pose très sérieusement et nous devrons y répondre.
Hier, il y a eu un entretien téléphonique entre les membres du Format Normandie.1 Selon la presse, il n’y aurait pas eu de résultat positif. L’Ukraine joue un rôle-clé dans toute cette histoire de sanctions. Peut-on résoudre cela d’une manière ou d’une autre? Où cette crise ukrainienne nous mène-t-elle?
Nous avons un intérêt primordial à être indépendant des développements internes à l’Ukraine et de prendre nos propres décisions.
Nous avons l’impression que toute sérieuse activité, que ce soit de la France, de l’Allemagne ou de la Fédération de Russie, est minée par l’Ukraine, sans que nous en connaissions les raisons.
Nous ne devons surtout pas nous laisser prendre dans cette spirale descendante. Je désire encore ajouter que je suis très heureux, s’il est possible à la Fédération de Russie de garantir l’autonomie de l’approvisionnement en courant de la presqu’île de la Crimée et d’installer un réseau d’électricité opérationnel.
C’est inacceptable que toute la population de la Crimée soit prise en otage par la politique d’embargo ukrainienne, concernant l’approvisionnement en courant et en eau.
Monsieur Wimmer, merci pour cet entretien.
Source: www.world-economy.eu/details/article/willy-wimmerwir-sind-eigentlich-nur-einen-wimpernschlag-von-einem-krieg-entfernt/ du 26/7/17
(Traduction Horizons et débats)
1 Le Format Normandie est la configuration diplomatique adoptée pendant la Guerre du Donbass, et rassemblant l’Allemagne, la Russie, l’Ukraine et la France. Elle tire son nom d’une réunion semi-officielle ayant eu lieu le 6 juin 2014 lors de la célébration du Débarquement de Normandie