Par Philippe Bilger – 18 avril 2017
Ce billet sera probablement mal compris tant notre démocratie nous enferme aujourd’hui dans un camp et nous empêche d’exiger l’équité pour les autres.
Tel ou tel commentateur de ce blog s’étonnera sans doute de mon souci renouvelé d’attirer l’attention sur une perversion républicaine d’autant plus significative que la République est le mot préféré de tous ceux qui ne s’en prennent pas au FN sur le seul plan qui vaille : le plan politique.
Puisqu’il convient à nouveau de jouer cartes sur table et de m’expliquer, d’abord je suis révulsé par l’injustice. Aristote a souligné que l’égalité se devait de traiter également les choses égales par ailleurs. Qu’on l’approuve ou non, le FN bénéficie au moins d’une égalité formelle avec les autres partis : pas plus qu’eux, il n’est interdit par les pouvoirs publics.
A partir de ce constat qu’on semble en permanence vouloir battre en brèche dans la rue ou dans certains médias, je suis en effet scandalisé par la complaisance et la secrète satisfaction avec lesquelles on accueille des atteintes graves à l’équité démocratique.
- Que des pétitions d’intellectuels, d’artistes se multiplient comme des petits pains pour dénoncer le FN, pourquoi pas ? Elles ne servent à rien mais font au moins plaisir à ceux qui les signent en leur donnant l’impression de participer à l’Histoire.
- Que vingt-cinq prix Nobel d’économie pourfendent le programme anti-européen du FN, c’est assurément une donnée à prendre en compte. Je doute que cela fasse bouger les lignes mais après tout il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, pour accabler.
En revanche, que des désordres et des violences soient systématiquement organisés et pratiqués pour empêcher que les réunions du FN se déroulent dans le calme, que des Femen se croient investies d’une obligation d’offrir leur poitrine pour venir au secours d’une cause républicaine qui n’a pas besoin d’elles, est un authentique déni de démocratie et relève parfois de qualifications pénales.
A Nantes comme au Zénith où à son arrivée Gilbert Collard est visé par des projectiles et insulté. Sans omettre le début d’incendie du quartier général du FN perpétré quelques jours avant.
J’ai scrupule à énoncer ce qui devrait être une banalité pour tous les citoyens, quel que soit leur choix de dimanche prochain, surtout s’ils ne votent pas pour le FN comme moi. On ne peut pas en effet avoir de manière obsessionnelle la République à la bouche pour s’en désintéresser dans ses manifestations concrètes.
Le président de la République, aussi discrédité qu’il soit, a raison de mettre en garde contre le « simplisme » de Mélenchon et l’extrémisme autarcique du FN mais d’abord il aurait pour charge éthique de rappeler l’exigence d’un terreau républicain équitable pour tous les candidats dès lors qu’ils respectent les règles de notre état de droit pour la campagne qu’ils mènent.
Comment ne pas être plus que surpris par un compte rendu de la Réunion du Zénith où les « incidents » à l’extérieur démontreraient que le FN « n’est pas un parti comme les autres » (L’Obs)?
Autrement dit, ceux qui troublent et transgressent la normalité républicaine au détriment du FN seraient les spécialistes les plus avertis pour la lui dénier ?
C’est absurde et ce cercle est vicieux qui fait des violents et des perturbateurs les héros d’une démocratie qu’au contraire ils piétinent.
Qu’une Nathalie Arthaud, pour Lutte Ouvrière, sans qu’on puisse lui imputer une tiédeur idéologique et une modération pour le fond et la forme, soit contrainte de condamner « les violences » en soulignant que la seule lutte contre le FN doit être politique m’apparaît tout de même comme le signe d’un pays malade sur le plan de ses valeurs (France 2).
Que l’extrémisme trotskiste intervienne dans le débat pour rappeler des règles élémentaires à ceux qui les ignorent ou font l’impasse sur elles puisqu’il s’agit du FN, est une incongruité dont on pourrait se féliciter si les partis traditionnels avaient la même honnêteté.
Sinon, le paradoxe est amer.
Je ne me sentirais pas poussé par une irrésistible envie de justice si je n’avais pas l’intuition profonde, partagée par beaucoup, que les violences citoyennes et les partialités médiatiques font monter le FN qui peut – à juste titre en l’occurrence – se camper en victime en réclamant le bénéfice d’une démocratie dont fragmentairement, ici ou là, on le dépossède.
Marine Le Pen ne fait pas une bonne campagne. Écartelée qu’elle est entre des tendances contradictoires qui lui interdisent un propos homogène en la contraignant à des pulsions alternatives (Le Figaro). Je rejoins l’avis d’Eric Zemmour sur ce plan, lui qui a amplifié la nostalgie de ceux qui l’ont vu dominer un débat d’animateurs sur ONPC…
Mais dans le résultat du FN dimanche prochain, quel qu’il soit et pour expliquer son niveau, il ne faudra pas oublier la part imputable à ces misérables apprentis sorciers qui auront fait prospérer dans les urnes ce qu’ils avaient combattu de manière illégitime et choquante avant.

