
- Kim Jong-un est-il fou ?
- Les Nord-Coréens sont-ils en train de mourir de faim ?
- La Corée du Nord a-t-elle le droit de posséder la bombe nucléaire ?
Si l’on veut tenter de comprendre la réalité du « royaume ermite » – l’expression forgée bien avant le XXème siècle désigne en fait toute la péninsule coréenne -, il est temps de quitter les lieux communs.
C’est l’objectif de la coréanologue Juliette Morillot et du journaliste spécialiste de la Chine, Dorian Malovic, qui publient La Corée du Nord en 100 questions aux éditions Tallandier.
Soit le fruit de plus de quinze ans d’enquêtes de terrain au nord et au sud de la péninsule, mais aussi dans le Nord-Est chinois, la Sibérie ou le Japon. Le livre est un manuel indispensable pour en finir avec un storytelling aveuglant : malgré les sanctions, le pays de Kim Jong-un ne s’écroule toujours pas. Puissance nucléaire, la Corée du Nord est désormais engagée dans des réformes économiques qui, si elles en sont encore aux prémisses, ne relèvent pas seulement de la mise en scène pour touristes occidentaux. Entretien avec Juliette Morillot.
Entretien

On est resté longtemps en Occident avec l’image de la Corée du Nord telle qu’elle était dans les années 2000. Nous avons voulu expliquer la situation telle qu’elle est aujourd’hui, sans lunettes roses ou noires, de la manière la plus professionnelle possible. Il faut comprendre ce pays loin de toute analyse idéologique, sans le biais des différentes propagandes, la nord-coréenne, la sud-coréenne comme l’américaine ; loin aussi d’un certain sensationnalisme privilégié par les médias.
Nous avons adopté une approche directe, avec nos contacts, des sources que nous vérifions nous-mêmes, des interviews que nous avons réalisés nous-mêmes sans intermédiaire et une analyse propre. Bien sûr, c’est une approche qui a aussi ses limites car nous ne ne sommes pas omniscients, surtout avec un tel pays et la difficulté d’obtenir des informations.
J’ai étudié le coréen à l’Inalco dans les années 1980 ; Dorian est spécialiste de la Chine. On a tenté de suivre notre cap, quitte à ce qu’il manque des aspects.
La diabolisation systématique est contre-productive. C’est un leurre qui s’inscrit dans une sorte de storytelling dont les grandes puissances, et surtout les Etats-Unis, sont complices ce qui fait que la situation ne progresse pas.
Comment avez-vous choisi les questions ?
- Nous avons essayé de répondre aux questions globales comme à celles vues du petit bout de la lorgnette.
- Nous voulions aussi amener de la connaissance. La plupart des gens ne connaissent rien de ce pays.
- Nous avons ainsi tenté d’expliquer de façon systématique ce qui était commun à la Corée du Sud et à la Corée du Nord.
Beaucoup de questions qui se posent sur la Corée du Nord s’expliquent dans le passé de la péninsule, sans être propres au Nord.
Par exemple, la première partie de notre livre sur l’histoire coréenne peut expliquer par la notion de han, cette amertume profonde, cette impression d’avoir été dépossédé de son histoire, car la Corée n’a jamais été maîtresse de son destin, au XIXème siècle mais aussi bien avant.
Elle a toujours été dominée par les grandes puissances : la Chine d’abord, le colonisateur japonais ensuite, puis les Russes au Nord et les Américains au Sud ont décidé de son destin.
Aujourd’hui, c’est encore vrai. Ce qui se passe en Corée du Sud relève du même processus, même si les conséquences sont différentes.
Si les Sud-Coréens manifestent de façon aussi violente dans la rue, c’est une expression de ce han, d’avoir été privé de leur destin par des gouvernements fantoches dépendant des puissances internationales.
On a tendance à couper la Corée du Nord de ce passé commun à toute la péninsule, ce qui est une erreur.
- La Corée du Sud est très dépendante des États-Unis.
- En cas d’attaque, ce sont les Américains qui dirigent les armées conjointes.
- La Corée du Nord veut être capable d’avoir sa propre défense entre ses mains.
- Sans l’arme nucléaire, elle aurait peut-être été anéantie depuis longtemps. C’est parce qu’ils ont été menacés de destruction nucléaire par les Américains lors de la guerre de Corée (1950-53), lesquels ont placé des tête nucléaires en Corée du Sud, que les Nord-Coréens voulu se nucléariser. On l’oublie souvent.
- En outre, a émergé un peu partout, en Europe, aux États-Unis, une nouvelle génération de jeunes coréanologues qui travaillent sérieusement. En plus des experts incontournables de la « vieille garde » comme Andrei Lankov ou John Delury, je pense à des chercheurs comme Adam Cathcart, Nicolas Levi ou encore des analystes de terrain comme le suisse Felix Abt.
- Sans oublier des médias spécialisés sérieux comme NK News. Jusqu’ici, la plupart des spécialistes autoproclamés de la Corée du Nord n’étaient pas allés sur le terrain et ne connaissaient pas la langue !
- Se baser uniquement sur la documentation sud-coréenne et américaine est forcément biaisé.
Ce livre est aussi le fruit d’un très long travail de confiance avec tous les acteurs, que leur rôle soit négatif ou positif, aussi bien les gardiens des camps de travail que les détenus. On est resté en lien avec nos contacts nord-coréens, on les a suivis.
Exemple avec nos interviews de bûcherons nord-coréens en Sibérie – je les suis depuis plusieurs années. On a pu les rappeler car ils savent qu’on ne trahira pas leur pensée. Le respect de tous les témoignages est capital à nos yeux, nous ne cherchons pas le spectaculaire à tout prix. L’ouvrage est une synthèse de notre travail depuis toutes ces années.

- Les Américains en ont besoin pour se maintenir dans la région face à la montée en puissance de la Chine.
- Ils n’ont pas envie que le problème nord-coréen disparaisse.
Pyongyang joue de toutes ces contradictions.
- Les Zones économiques spéciales sont toutes à un niveau de développement différent.
Certaines d’entre elles n’en sont qu’au démarrage. Mais cela dénote une volonté de Pyongyang d’ouvrir son économie.
- Kim Jong-un a un double objectif à travers la politique du byongjin [1] (la « double poussée ») : la poursuite du programme nucléaire et le bien-être du peuple par le développement économique.
Son père Kim Jong-il s’était rendu à Shenzhen, à Canton pour observer les réformes chinoises. Le développement économique est devenu aujourd’hui un objectif primordial pour la Corée du Nord.
Pyongyang a envoyés des ingénieurs, des patrons, des financiers aux États-Unis pour observer le terrain. Les Nord-Coréens sont en train de développer par petites touches une économie beaucoup plus ouverte, même si ce ne sont que des prémisses.
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Joris Zylberman
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d’Asialyst. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24, cofondateur de la société de production Actuasia, écrit, réalise et produit des reportages sur la Chine depuis 9 ans. Il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (France 3, 2013).
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