649 – EDF … ça va mal !

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«L’équation financière d’EDF est impossible»

Par Coralie Schaub 7 mars 2016 à 15:31
Une centrale électrique d’EDF, le 13 décembre 2014 à Cordemais (Loire-Atlantique). Photo Jean-Sébastien Evrard. AFP

Pour l’économiste Alain Grandjean, spécialiste de l’énergie, la démission du directeur financier d’EDF est «un élément de preuve» de la crise financière que traverse l’électricien. Et la responsabilité de l’Etat est écrasante.

Rien ne va plus chez EDF. Le groupe a confirmé lundi matin la démission de son directeur financier Thomas Piquemal.

Celui-ci a claqué la porte en raison d’un désaccord sur la «faisabilité à court terme» du projet controversé de construction de deux réacteurs nucléaires de type EPR à Hinkley Point en Angleterre.

  • Un projet pharaonique de 18 milliards de livres (23,2 milliards d’euros), qu’EDF doit financer à hauteur de 66,5%, n’ayant pas réussi à trouver assez d’investisseurs pour limiter sa participation à 40% ou 50%.

Comment faire, alors qu’EDF est déjà très fragilisé ? Tandis qu’il doit voler au secours d’Areva, en faillite, le géant électrique ne dégage plus assez de cash pour faire face aux énormes défis qui l’attendent : en l’absence de transition énergétique, la remise à neuf du parc nucléaire français doit coûter 55 milliards d’euros à EDF d’ici à 2030 et la Cour des comptes parle même de 100 milliards !

Rajoutez à cela, donc, les deux EPR de Hinckley Point, auxquels le Trésor britannique n’offrira sa garantie qu’à l’occasion de la mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche)… sachant que la fin du chantier de ce dernier a été décalée à fin 2018.

Personne ne sait comment EDF, qui traîne déjà le boulet de sa dette (37 milliards), va pouvoir financer cette addition… du moins sans augmenter la facture de ses abonnés, ce que l’Etat refuse pour l’instant. Résultat, Thomas Piquemal s’en était déjà ému ces derniers temps. Tout comme les syndicats d’EDF, qui ont également manifesté leurs craintes à l’égard de l’impact de ce projet sur la situation financière du groupe et demandé son report.

Malgré la nomination provisoire de Xavier Girre (jusqu’ici directeur financier pour la France) pour remplacer Thomas Piquemal, l’action EDF plongeait lundi matin, perdant plus de 8% à l’ouverture de la Bourse de Paris. Pourtant, le groupe, dont l’État détient plus de 84% du capital, vise toujours une décision finale d’investissement «dans un avenir proche».

La semaine dernière, François Hollande et le Premier ministre britannique, David Cameron, avaient réaffirmé leur soutien au projet. Quant au ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, il avait estimé que la construction des deux EPR était un «très bon investissement» pour EDF.

Alors, s’agit-il d’une «fuite en avant qui pourrait à terme mener EDF dans le mur», comme le dénonçait dimanche soir la porte-parole de la CGT Marie-Claire Cailleteau ? Interview de l’économiste Alain Grandjean, spécialiste de l’énergie cofondateur de Carbone 4, cabinet de conseil en stratégie carbone.

L’équation financière d’EDF est-elle impossible ? 

Oui, cette équation me paraît impossible. EDF ne pourra pas financer le mur d’investissements qui est devant lui (grand carénage estimé à 100 milliards d’euros par la Cour des comptes, reprise d’Areva, fin des EPR en cours, lancement d’Hinkley Point…) avec un prix de gros de l’électricité sur le marché européen qui est aujourd’hui à moins de 40 euros le MWh et une difficulté politique à envisager des hausses du tarif réglementé de vente aux consommateurs.

J’ai beaucoup de respect pour Thomas Piquemal, qui a eu le courage d’exercer son devoir d’alerte en toute conscience. Sa démission est en soi un élément de preuve de la difficulté financière d’EDF. Les marchés financiers l’ont d’ailleurs compris. La décision de départ du directeur financier confirme, s’il en était besoin, qu’EDF est en danger et que sa situation financière (déjà sanctionnée par les marchés financiers) est mauvaise.

Les syndicats d’EDF s’inquiètent et parlent de «fuite en avant». Etes-vous d’accord ? Cela a-t-il pour conséquence de bloquer la transition énergétique ?

Oui, après des années de débat, l’heure est aux choix et ils sont de la responsabilité du gouvernement. EDF est une entreprise publique. Les décisions à prendre sur le parc nucléaire ont des implications lourdes de conséquences pour le personnel, pour les consommateurs et pour les citoyens. Ce sont des choix structurants de moyen et long terme. La transition énergétique consiste à réduire notre consommation d’énergie et prioritairement notre consommation d’énergie fossile et à développer les énergies renouvelables.

Par ailleurs, le parc de production d’électricité est en surcapacité en Europe, d’où la baisse de prix. Il n’est donc pas sérieux de penser que la transition énergétique peut se déployer en conservant l’intégralité du parc nucléaire actuel, à supposer que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) l’autorise. Cette autorisation est d’ailleurs conditionnée à la santé financière de l’exploitant. Elle n’est pas garantie. Mais est-il vraiment politiquement acceptable de faire peser des choix de politique énergétique sur les épaules du patron de l’ASN, même s’il les a solides?

En attendant, on a l’impression que prévaut, à la tête d’EDF, la logique du « Too big to fail » [Trop gros pour tomber, pour signifier que certaines entreprises sont jugées par l’État trop grosses pour les laisser faire faillite, ndlr] qui a mené au sauvetage des grandes banques lors de la crise de 2008. Une logique qui mène peut-être l’exécutif d’EDF à se dire : « on avance à marche forcée. Et s’il manque à la fin quelques dizaines de milliards au groupe, d’autres paieront ». Avec cette logique, le résultat est que tout le monde paiera. Les clients d’EDF, ses salariés et les contribuables.  

Comment sortir de cette situation par le haut ? Que devrait faire le gouvernement ?

Le gouvernement n’avait pas à faire voter une loi [la loi de transition énergétique, promulguée en août 2015, ndlr] en sachant qu’il ne se donnerait pas les moyens de la faire appliquer, c’est ainsi précisément qu’on dégoûte les citoyens. Il ne faut pas s’étonner ensuite d’un vote protestataire ou d’une abstention massive. Il n’est pas trop tard pour corriger le tir, si, dans cette période qui précède les élections, un début de courage se manifeste. Il s’agit de construire une planification réaliste, au plus proche des objectifs de la loi.

EDF ne pourra pas faire face à l’ensemble des investissements qui seraient à financer, si, comme cela semble être le cas, le gouvernement se refuse à faire des choix. La PPE [Programmation pluriannuelle de l’énergie, texte réglementaire majeur qui doit décliner concrètement les orientations de la loi sur la transition énergétique et au sujet duquel le ministère de l’Environnement a décidé vendredi de reporter une réunion prévue mardi 8 mars, après moult autres reports, ndlr] ne sera qu’une mauvaise plaisanterie si elle ne propose précisément pas une feuille de route réaliste.

Alors quid de la transition énergétique dans ces conditions ?

La loi comporte de nombreux objectifs chiffrés à divers horizons, sur la consommation d’énergie, la part des énergies renouvelables, la part des énergies fossiles… Il faut traduire cela en trajectoire lisible et en plans réalistes.
Le problème, sur le nucléaire, c’est que l’objectif de réduire à 50% d’ici à 2025 la part de l’atome dans la production d’électricité, contre plus de 75% aujourd’hui, est clairement irréaliste. Mais il était possible, et évidemment nécessaire, d’en négocier le calendrier. L’état de faiblesse des Verts rendait cela politiquement faisable. Si cela continue comme ça, la transition énergétique pourtant voulue sur le papier par François Hollande sera clairement un échec majeur. 

Coralie Schaub


SOURCE/http://www.liberation.fr/futurs/2016/03/07/l-equation-financiere-d-edf-est-impossible_1438005


2016.04.20 NUCLEAIRE2016.04.20 NUCLEAIRE

«Il faut imaginer qu’un accident de type Fukushima puisse survenir en Europe»

Par Coralie Schaub — 3 mars 2016 à 20:11

Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, Pierre-Franck Chevet, déplore le manque de prise de conscience des risques.

  • «Il faut imaginer qu’un accident de type Fukushima puisse survenir en Europe»
Pierre-Franck Chevet préside l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), une autorité indépendante considérée comme le gendarme de l’atome. Cet X-Mines, qu’on ne peut pas soupçonner d’être antinucléaire, alerte pourtant de plus en plus fortement sur la sûreté. (Photo Thomas Humery)

En janvier, vous avez martelé que «le contexte en matière de sûreté nucléaire est particulièrement préoccupant». Pourquoi ?

Je n’ai pas employé les mêmes mots les années précédentes. Ce jugement vient de trois constats. On entre dans une période où les enjeux en termes de sûreté sont sans précédent. La poursuite du fonctionnement des réacteurs d’EDF au-delà de quarante ans est un enjeu de sûreté majeur, c’est très compliqué techniquement.

EDF estime les travaux à 55 milliards d’euros, cela donne une mesure de leur ampleur. C’est moins médiatique, mais il y a le même sujet pour toutes les autres installations, comme l’usine de retraitement de la Hague ou les réacteurs de recherche du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Tout le système industriel nucléaire a été construit, pour faire simple, dans les années 80. Or, 1980 + 40, ça fait 2020. A 40 ans, il ne se passe pas brutalement des choses très graves sur une installation nucléaire. Mais c’est un âge déjà respectable, qui oblige aussi à se demander comment améliorer la sûreté en fonction des nouveaux standards post-Fukushima. C’est un deuxième enjeu absolument énorme.

Face à ces enjeux qui montent, les acteurs du nucléaire ne sont pas en pleine forme, c’est le moins qu’on puisse dire. Ils ont tous, EDF, Areva, mais aussi le CEA, de grosses difficultés économiques, financières ou budgétaires. La concomitance de ces trois constats me fait dire que la situation est préoccupante à court et moyen termes. Or, nous n’avons pas obtenu à ce stade les moyens supplémentaires nécessaires pour assurer pleinement notre tâche. Nous sommes donc contraints, en 2016, de nous concentrer sur les installations qui fonctionnent, le risque le plus urgent est là.

Vous répétez que la prolongation des centrales au-delà de quarante ans n’est pas acquise. Or, Ségolène Royal se dit «prête» à les prolonger dix ans…

Si la ministre de l’Énergie confirme qu’elle est d’accord pour qu’EDF propose la prolongation et qu’on étudie la question, ça n’est ni illogique ni un scoop. Mais cela ne veut pas dire qu’elle sera acceptée, essentiellement par moi. Sur ce sujet, c’est l’ASN qui décide. Elle se prononcera de manière «générique» sur les modalités de prolongation en 2018, pour ensuite prendre position, réacteur par réacteur, à partir de 2020. Pour avoir vu la ministre récemment, il n’y a pas de doute dans mon esprit sur le fait que le rôle de l’ASN est connu et respecté.

S’il y avait passage en force contre votre avis, que feriez-vous ?

On dirait non. La loi de transition énergétique dit que la décision de prolonger à cinquante ans ou plus est soumise à notre accord. C’était moins clair dans les lois précédentes.

Areva est en faillite, EDF en grande difficulté. Cela ne risque-t-il pas de menacer la sûreté ?

Quand une entreprise n’a pas les moyens, il y a à l’évidence un risque qu’elle puisse rogner sur certains investissements, notamment dans la sûreté. Peut-être pas les plus cruciaux, mais sur des investissements intermédiaires. Or, nous avons prescrit des choses, avec des délais. Je veillerai à ce que ces obligations soient respectées. Nous faisons énormément d’inspections et la loi nous a donné un pouvoir de sanction accru en cas de non-respect de nos demandes.

Mais il y a aussi des sujets plus subtils : ces entreprises sont en pleine réorganisation, il faut veiller à ce que cela soit cohérent avec les grands enjeux de sûreté, au niveau de l’organisation en général mais aussi des personnes. Il faut qu’un certain nombre de compétences clés, dans les équipes d’exploitation, soient là et aux bons endroits pour que la sûreté soit bien gérée au quotidien.

Vous avez dit que les anomalies «très sérieuses» de la cuve de l’EPR de Flamanville ont été découvertes «sous pression de l’ASN et non par l’exploitant». Areva et EDF font-ils leur boulot ?

En tout cas, pour l’anomalie de la cuve, c’est assez frappant. Les anomalies n’ont été détectées que parce que nous avons demandé des contrôles, mesures et essais supplémentaires. Areva n’était pas convaincu de leur utilité. Ils ont fini par faire les essais en affirmant qu’ils montreraient que ce n’était pas nécessaire. Pas de chance pour eux, il se trouve qu’effectivement, on a vu une anomalie. Il y a déjà eu des anomalies par le passé, ça ne me trouble pas, il faut simplement les traiter. Par contre, je constate que c’est avant tout notre système de contrôle qui a mis en évidence le problème, et pas leurs contrôles internes.

Or, le premier responsable de la sûreté, c’est avant tout l’exploitant, c’est lui qui est en charge directement. J’ai beau faire mon métier aussi bien que possible, je ne peux travailler que par sondages. Une situation où seul le gendarme est chargé de contrôles, ça ne marche pas. Les entreprises doivent faire leur boulot en interne, d’abord. C’est pour cela qu’on sera attentifs à leurs organisations internes, notamment à ce que leur chaîne de contrôle interne soit bien dotée, en nombre et en compétences. C’est pour ça que j’ai fait cette remarque, et elle est importante.

Vous venez aussi d’alerter sur une corrosion plus rapide que prévue à la Hague, site d’Areva qui est aussi le plus radioactif de France.

Malheureusement, l’analogie est assez forte avec ce qui s’est passé pour l’anomalie de la cuve de l’EPR. C’est parce que nous avons demandé qu’ils fassent un check-up complet de l’installation que des contrôles ont été faits sur les évaporateurs et qu’on a pu voir le problème. Ces derniers [où sont concentrés les produits de fission, ndlr] n’avaient jamais été contrôlés. On leur a demandé de renforcer les contrôles qui auraient dû être faits, pour suivre ce phénomène de corrosion. Si ça se passe mal, on prendra des décisions d’arrêt, mais on n’en est pas là.

Diriez-vous qu’«EDF sous-estime le risque d’un accident nucléaire», comme l’a fait en 2012 Jacques Repussard, le directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ?

(Pause. Soupir) Je n’ai pas ce sentiment. Ils sont dans leur rôle, veulent nous convaincre qu’ils font les choses bien, c’est la vie. Après Fukushima, il me paraît de toute manière assez difficile d’avoir une telle position. On l’avait affirmé alors et on continue à le faire, on n’a pas de problème à dire qu’un accident est possible.

Il disait aussi qu’avant Fukushima, il y avait une «omerta» sur la sûreté. Y a-t-il aujourd’hui une transparence totale ?

En tout cas, nous, on s’y attache. Quand on a annoncé l’anomalie de la cuve de l’EPR, on n’a pas eu que des compliments, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais c’est la vie. On dit les choses, c’est notre principe de base. La transparence s’améliore, même si je ne dis pas que c’est parfait. Les commissions locales d’information autour de chaque installation montent en puissance. Quand nous faisons des inspections, les avis sont publics. Et les avis de l’IRSN seront désormais rendus publics avant même que l’ASN prenne une décision dessus.

De plus en plus de gens critiquent un déni du risque et une «fuite en avant» de la part de «l’Etat nucléaire» français.

Ce n’est pas comme ça que je le perçois. D’abord, on est là pour faire notre boulot. Cela met quelques ressorts dans le système. Il y a des difficultés, c’est vrai, des tensions entre les acteurs…

L’ASN est-elle engagée dans un bras de fer avec EDF ?

Il y a un bras de fer. Mais dans un système industriel qui a tous ces problèmes, il faut bien que la tension sorte quelque part. La prolongation, ce n’est pas forcément une fuite en avant, la question a potentiellement du sens. Simplement, techniquement, on ne sait pas encore ce qu’on en fait. On fixera les conditions que l’on veut voir réunies et si les industriels estiment que c’est trop cher, ils en tireront les conséquences et ça ne se fera pas.

La date de fermeture de Fessenheim approche et EDF investit des dizaines de millions d’euros pour sa sûreté. Pourquoi ne pas l’arrêter tout de suite ?

L’ASN s’est prononcée en 2011 ou 2012 sur les deux réacteurs de Fessenheim en disant qu’ils pouvaient fonctionner dix ans de plus, sous réserve qu’il soit fait des améliorations de sûreté. Si c’est fermé plus tôt, ça ne me dérange pas. Par contre, j’insiste, les améliorations de sûreté demandées doivent être faites. En cas d’accident, si les travaux n’ont pas été faits, on me demandera des comptes, et c’est logique.

Quid du risque terroriste ?

Nous ne sommes pas en charge du sujet. Par contre, la question de savoir comment on dimensionne une installation pour qu’elle résiste à des agressions malveillantes est très proche de la réflexion pour faire face à un tsunami, par exemple. Après Fukushima, nous avons demandé d’installer des systèmes en plus. Quand une installation a un pépin, l’enjeu est d’arriver à mettre de l’eau dans le système pour le refroidir. Pour cela, il faut des tuyaux, des pompes, et de l’électricité. On a demandé à tous les exploitants de renforcer cela. D’abord sous forme de moyens mobiles à déployer le jour venu. C’est désormais fait. Par contre, on est les seuls en Europe à avoir demandé les mêmes mesures, mais en dur. On demande un gros diesel, des pompes et tuyaux dans un local bunkerisé. Ce sera déployé dans les cinq à dix ans sur l’ensemble des installations.

In fine, la question n’est-elle pas si, mais quand il y aura un accident majeur en Europe ?

Oui, il y en aura. Il faut imaginer qu’un accident de type Fukushima puisse survenir en Europe. Je ne sais pas donner la probabilité et on fait un maximum pour éviter que ça arrive, mais malgré tout, on pose le principe que ça peut arriver. En tout cas, il faut partir de cette idée-là, ne serait-ce que pour demander les améliorations de sûreté. On a peut-être un peu oublié que Fukushima, c’était seulement il y a cinq ans. C’est une perte de mémoire collective, pas uniquement des politiques ou des entreprises. Au moment de Fukushima, on a observé très vite une baisse des gens favorables au nucléaire, de 50 % à 40 %. Un an après, on était revenus à 50 %…

En cas d’accident majeur, sommes-nous bien protégés ?

On fait le maximum, je ne dis pas que c’est parfait. D’abord, il faut s’y préparer, il y a très régulièrement des exercices de crise. Des simulations aussi réalistes que possible, même si on ne peut pas évacuer toute une ville juste pour un exercice. Fukushima a eu des conséquences de natures diverses pour les populations jusqu’à 100 kilomètres autour de la centrale. Et les gens ont dû être évacués durablement dans un rayon de 20 km, ce qui est déjà énorme.

Si on pose ce schéma en Europe, il faut en tirer les conséquences et faire en sorte que nos moyens de gestion de crise soient adaptés, en allant au-delà du rayon de 10 km qui est celui des plans particuliers d’intervention (PPI) actuels autour des installations. Il faut regarder une zone plus large, jusqu’à 100 km. Deuxième chose, en traçant des cercles de 100 km de rayon autour des centrales en Europe, on s’aperçoit que dans beaucoup de cas, un accident concernera plusieurs pays. Il faut donc absolument renforcer la cohérence des mesures de protection des populations entre pays européens, ce qui n’est toujours pas acquis à ce stade. Aujourd’hui, de part et d’autre d’une frontière, deux pays peuvent utiliser, par exemple, des seuils différents de contamination au-dessus desquels on recommande de ne pas manger tel aliment. Cela ne va pas. C’est pour ça que toutes les autorités de sûreté européennes ont poussé collectivement, fin 2014, pour un système où on a une approche cohérente de gestion d’un accident nucléaire. Et pour dire qu’il faut se préparer dans une zone de 100 km.

Beaucoup demandent à ce que la distribution actuelle de comprimés d’iode dans un rayon de 10 km autour des centrales françaises soit étendue à ces 100 km…

Nous y sommes favorables. En cas d’accident, il y a six réflexes à avoir, parmi lesquels la prise de comprimés d’iode stable pour saturer la thyroïde avant que de l’iode radioactif ne puisse s’y fixer. Les comprimés distribués en 2009 arrivent à leur date de péremption, donc on a organisé une campagne de redistribution dans le rayon habituel des 10 km. On en profite pour parler des autres réflexes, le premier étant de se calfeutrer dans un bâtiment. Par ailleurs, au niveau départemental, il y a des stocks de comprimés qui peuvent ensuite être distribués.

Mais au-delà de cette zone, il faut sortir de chez soi pour aller chercher des comprimés ! Comment faire si on est dans le nuage radioactif, sachant qu’il faut les prendre avant son passage pour que ce soit efficace ?

Si on est dans le nuage, effectivement, il ne faut pas sortir. Mais oui, il faudra absolument préciser les conditions dans lesquelles on achemine à temps les comprimés jusqu’aux personnes. Je ne sais pas si la solution sera d’étendre la prédistribution des comprimés à 100 km ou d’avoir un circuit très fiable de distribution au moment où… Tout cela se prépare, ça ne dépend pas que de l’ASN. En attendant, il y avait urgence à renouveler les comprimés, donc la campagne se déroule en l’état du système, dans les 10 km. Il faut aussi avoir en tête que si on prédistribue trop largement et on banalise la chose, on ne sait pas où seront les comprimés le jour venu. Dans la zone des 10 km, on constate, malgré nos efforts, que les gens ne vont pas les chercher en pharmacie. Et même quand on leur livre les comprimés par la Poste, au bout d’un certain temps, ils ne savent plus où ils sont.

La population n’est donc pas consciente du risque ?

On avait fait un sondage au moment de la première campagne de distribution. Seuls 50 % des gens avaient les comprimés chez eux. Quand on leur a demandé pourquoi, il y avait deux visions. En gros, soit «de toute manière je serai mort, c’est pas un comprimé qui va me sauver». Soit le déni du risque : «Il n’y a pas eu de pépin, donc il n’y en aura pas, donc pas besoin de comprimés.» On essaie de lutter contre ces deux visions, car les deux sont fausses mais aboutissent à ce que les gens ne se protègent pas.

Coralie Schaub


SOURCE/http://www.liberation.fr/futurs/2016/03/03/il-faut-imaginer-qu-un-accident-de-type-fukushima-puisse-survenir-en-europe_1437315