Les dispositions sur le licenciement économique, les indemnités prud’homales ou le temps de travail peuvent évoluer.
Mais beaucoup d’organisations demandent le retrait pur et simple du texte. Une mobilisation est prévue le 9 mars.
Dans quelle mesure le projet de loi, porté par la ministre du travail Myriam El Khomri, peut-il évoluer ? Lundi 29 février, Manuel Valls a annoncé qu’il serait examiné en conseil des ministres non pas le 9 mars comme prévu initialement, mais le 24 mars. D’ici là, il veut se donner le temps de revoir un à un l’ensemble des syndicats et organisations patronales.
« Il faut lever un certain nombre d’incompréhensions, il faut expliquer, répondre à toute une série de fausses informations qui sont données sur ce texte », a expliqué le premier ministre.
« La CFDT a bien compris ce qu’il y avait dans le texte. Il n’y a pas d’incompréhension mais de vrais désaccords », a réagi Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Le syndicat, qui a accompagné toutes les réformes du gouvernement depuis 2012, n’exclut pas cette fois de mobiliser s’il n’est pas entendu. Comme la CFTC et l’Unsa, la CFDT ne demande pas le retrait du texte mais une évolution sur plusieurs points.
LES INDEMNITÉS PRUD’HOMALES, CONTESTÉES PAR TOUS LES SYNDICATS
Le plafonnement des indemnités versées aux prud’hommes fait partie des lignes rouges de tous les syndicats. Actuellement, quand les prud’hommes estiment qu’un licenciement est abusif, ils condamnent l’employeur à verser une indemnité prud’homale dont le montant dépend de la taille et la santé de l’entreprise, mais surtout du préjudice subi.
Un plafond plus bas que la loi Macron
Jugeant que la peur d’un contentieux trop coûteux peut dissuader une entreprise d’embaucher, la loi Macron prévoyait déjà de plafonner ces indemnités en fonction de la taille de l’entreprise, critère invalidé par le Conseil constitutionnel.
Le projet de loi Khomri prévoit un plafonnement qui dépend de la seule ancienneté du salarié. Les détracteurs de cette mesure estiment qu’un plafonnement reviendrait à empêcher la réparation intégrale du préjudice. D’autant que le plafond proposé est encore plus bas que le plafond Macron. Au bout de vingt ans d’ancienneté, l’indemnité ne pourrait en effet pas dépasser quinze mois de salaire, selon l’avant-projet de loi Khomri.
LE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE POSE AUSSI PROBLÈME
Le deuxième point de blocage concerne le licenciement économique. L’avant-projet de loi prévoit d’inscrire dans la loi plusieurs points établis dans la jurisprudence, comme la possibilité de procéder à ce type de licenciement en amont des difficultés, pour préserver la compétitivité.
De plus, le texte donne à la négociation de branche ou d’entreprise le pouvoir de définir précisément les difficultés économiques. À défaut d’accord, il suffira de « quatre trimestres consécutifs » de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires ou d’« un semestre » de perte d’exploitation.
Seuil insuffisant
Ce seuil est jugé trop bas par la CFDT. Ce syndicat ne veut pas non plus d’une autre disposition qui permettrait d’apprécier la difficulté économique non plus au niveau du groupe, comme actuellement, mais au niveau du « secteur d’activité commun aux entreprises du groupe implantées sur le territoire national ». Ce qui, selon les détracteurs du texte, risque de faciliter les licenciements, y compris dans les groupes qui vont bien.
Le reste des pommes de discorde concernent essentiellement le temps de travail, pour laquelle l’avant-projet de loi prévoit plusieurs assouplissements.
DEMANDES D’AMENDEMENTS SUR LE TEMPS DE TRAVAIL
En particulier, l’avant-projet de loi autorise les PME de moins de 50 salariés à proposer à ses salariés autonomes, sans passer par la négociation, un décompte du temps de travail non pas à la semaine mais selon un système de forfait de jours travaillés à l’année.
> À lire : Le gouvernement réforme le temps de travail sans le dire
Autre point contesté, par certains syndicats : alors qu’il est déjà possible aux employeurs de négocier des accords de maintien de l’emploi, demandant des efforts aux salariés dans les entreprises en difficulté, le texte prévoit aussi que ce soit possible dans les entreprises qui vont bien, au motif de « développer l’emploi ». En cas de refus, le salarié sera licencié, non plus pour motif économique comme actuellement mais pour motif personnel, sans obligation de reclassement.
LA FIN DU DROIT D’OPPOSITION, CONTESTÉE PAR LA CGT ET FO
Enfin, autre point de friction important, avec la CGT et FO notamment : le recours au référendum d’entreprise. Aujourd’hui, pour être valides, les accords doivent être signés par des syndicats représentant plus de 30 % des salariés et ne pas faire l’objet d’un droit d’opposition des syndicats représentant plus de 50 % des effectifs.
Demain, les accords devront être majoritaires. Toutefois, en cas d’accord à seulement 30 %, les signataires pourront demander validation par référendum auprès des salariés. Ce qui supprime de facto le droit d’opposition, qui a pu permettre à la CGT et FO de faire barrage à l’accord sur le travail dominical à la Fnac par exemple.
CE QUE LE GOUVERNEMENT VEUT BIEN CHANGER
Le gouvernement s’est dit prêt à discuter des « curseurs » sur les sujets de prédilection de la CFDT, à savoir les indemnités prud’hommes et le licenciement économique. De même, il veut bien toiletter « un certain nombre de coquilles, de scories et d’erreurs qui ont donné le sentiment aux syndicats qu’on était revenus sur des garanties sur l’aménagement du temps de travail ». Ainsi, sur le forfait jour pour les cadres, « il y a moyen de retravailler », selon la même source.
La philosophie du texte n’est pas négociable
Mardi 1er mars, Manuel Valls a aussi reçu la présidente de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, Catherine Lemorton, et le député Christophe Sirugue, potentiel rapporteur du texte. Ils ont demandé plusieurs modifications. « Ce qui nous pose problème, c’est le plafonnement des indemnités prud’homales et les accords offensifs sur l’emploi », qui « aboutiraient à des licenciements pour motif personnel, alors que ça devrait être des licenciements économiques », avec « obligation de reclassement », a détaillé Catherine Lemorton. Christophe Sirugue a de son côté indiqué avoir posé des conditions sur ces deux points pour « accepter d’être rapporteur ».
En revanche, le gouvernement n’entend pas revoir la philosophie générale du texte, qui renforce la négociation d’entreprise.
UNE MOBILISATION DES LE 9 MARS
Il n’est pas donc pas sûr que ces amendements à la marge suffisent à calmer la colère de ceux qui demandent le retrait du projet. C’est le cas de plusieurs organisations de jeunesse, dont le premier syndicat étudiant, l’Unef, ainsi que les syndicats d’étudiants (Unl, Fidl), des organisations comme les Jeunes communistes, le Parti de gauche, le NPA) et d’un syndicat de salariés, la CGT.
Tous appellent à une journée d’action en France le 9 mars, jour où doivent déjà se mobiliser les cheminots.
Par ailleurs, les syndicats, qui vont se retrouver en intersyndicale jeudi, sont invités par la CGT à plancher sur une grande mobilisation le 31 mars.
Enfin, la pétition « loi travail non merci ! », lancée sur Internet par la militante féministe Caroline de Haas, est sur le point de dépasser 800 000 signatures. Un record en France.
Le licenciement économique, l’autre sujet qui fâche
Transmis jeudi 18 février au Conseil d’État, l’avant-projet de loi El Khomri, essentiellement consacré au temps de travail, contient aussi une disposition très polémique sur les licenciements économiques.
ZOOM
Des salariés de General Electric Alstom mobilisés après l’annonce de 6 500 suppressions de postes en Europe. / Romain Beurrier/Rea
Est-ce une juste prise en compte des besoins des entreprises ou un cadeau accordé aux employeurs ? C’est en tout cas peu dire que la disposition sur les licenciements économiques ajoutée dans la version finale de l’avant-projet de loi El Khomri, transmis jeudi 18 février au Conseil d’État, provoque et va provoquer des débats.
Un licenciement économique est, comme son nom l’indique, un licenciement qui n’est pas lié à la personne du salarié, mais à la situation de l’entreprise. Dans ce cas, le salarié a droit à des indemnités et à un accompagnement plus important que pour un licenciement pour motif personnel. À partir de dix salariés ainsi licenciés en trente jours, l’employeur doit procéder à plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), plus souvent appelé plan social.
Dans l’état actuel du Code du travail, l’entreprise peut procéder à un licenciement économique uniquement en cas de « cessation d’activité », de « mutations technologiques » ou de « difficultés économiques ». De plus, depuis une jurisprudence de 1995, le juge autorise ce type de licenciement non plus seulement en cas de difficulté avérée mais pour sauvegarder, en amont, la compétitivité.
Définition précise des motifs conduisant à un licenciement économique
Au patronat, mais aussi chez de nombreux économistes, on estime que cette législation, trop restrictive, fait courir un trop grand risque de contentieux aux employeurs, qui, du coup, préfèrent ne pas embaucher en CDI. À l’inverse, à gauche et chez les syndicats, on rappelle que les différentes réformes facilitant les ruptures de contrat ont abouti logiquement à plus de licenciements, mais pas à plus d’embauches. Avec son projet de loi, le gouvernement donne clairement satisfaction aux premiers.
Première innovation, l’avant-projet de loi Khomri intègre dans le corpus de la loi la « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ». « C’est une bonne chose, estime Arnaud Tessier, associé chez Capstan Avocats, car cela permet aux entreprises de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Certes, c’était déjà dans la jurisprudence, mais là ça sécurise les entreprises en amont d’un contentieux. »
Surtout, le texte définit plus précisément les « difficultés économiques » pouvant motiver ce type de licenciement : « baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs », « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois », « importante dégradation de la trésorerie », ou « tout élément de nature à justifier de ces difficultés ».
Possibilité d’apprécier les difficultés au niveau d’un site particulier et non de son groupe
Cependant, le texte donne à la négociation de branche la responsabilité de définir, secteur par secteur, la durée des baisses de commandes nécessaire pour qualifier la difficulté économique. Mais, à défaut d’accord, il suffira de « quatre trimestres consécutifs » de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires ou « un semestre » de perte d’exploitation. « C’est beaucoup trop bas pour être acceptable », réagit Véronique Descacq, la numéro deux de la CFDT.
Enfin, dernière nouveauté destinée aux multinationales, le texte Khomri permet d’apprécier les difficultés non pas au niveau du groupe, comme actuellement, mais « au niveau du secteur d’activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient ».
Autrement dit, « il ne sera plus nécessaire de faire une analyse consolidée d’un groupe de 15 000 personnes pour licencier 15 personnes sur un site qui va mal », se félicite Arnaud Tessier. « C’est dangereux, affirme au contraire Véronique Descacq, car cela donne le droit à un groupe qui se porte bien de s’organiser pour que sa filiale française ait de moins bons résultats et fasse l’objet d’un plan social. »
–––––––––––––———–
Les autres points du projet de loi
L’architecture générale. Un préambule de 61 principes essentiels est ajouté dans le code du travail. Y figurent le CDI, le smic et les 35 heures.
Le temps de travail occupe l’essentiel du texte. Le code est redécoupé en trois morceaux : ce qui est négociable, ce qui ne l’est pas, ce qui s’applique en l’absence d’accord. Les 35 heures restent non négociables. Mais de nombreux assouplissements seront permis.
Les accords offensifs pour l’emploi. Depuis 2014, il est possible de négocier des accords de maintien de l’emploi, demandant des efforts aux salariés, dans les entreprises en difficulté. La loi Khomri prévoit que ce soit possible y compris pour développer l’emploi.
Les indemnités prud’homales dues en cas de licenciement abusif seront plafonnées à trois mois de salaire pour une ancienneté inférieure à 2 ans, six mois de salaire (entre 2 et 5 ans), neuf mois (entre 5 et 10 ans), 12 mois (10 à 20 ans) et 15 mois (plus de 20 ans).
Les accords et le référendum. Pour être valides, les accords devront être signés par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés (au lieu de 30 %). Mais en cas d’accord à 30 %, les signataires peuvent demander validation par référendum auprès des salariés.
Le compte personnel d’activité. Un contenu a minima (compte personnel de formation et compte pénibilité) est défini pour le CPA, qui doit être créé en 2017 pour sécuriser les transitions professionnelles.
