« C’est une rupture symbolique forte car il y a intrusion dans le patrimoine génétique d’un enfant à naître », explique un ancien membre du comité national d’éthique (CCNE). / /freepeoplea – Fotolia
Il s’agit d’une rupture, tout le monde est d’accord là-dessus. Mais le débat porte sur son bien-fondé. Mardi 3 février, les députés britanniques ont voté en faveur de fécondations in vitro utilisant trois ADN, afin de lutter contre certaines maladies génétiques graves, liées à des défaillances mitochondriales (1).
Selon cette technique, mise au point par des chercheurs de l’université de Newcastle, l’embryon est conçu grâce à l’ovocyte énucléé d’une donneuse saine, dans lequel on transfère le noyau de l’ovocyte de la mère, porteuse des mitochondries défectueuses.
Effraction
Problème : l’enfant n’est plus alors conçu avec deux ADN, mais trois. Certes la proportion de l’ADN mitochondrial, provenant de la donneuse, est infime au regard de l’ADN nucléaire de la mère. Il n’empêche, il s’agit d’une « effraction dans le sanctuaire du génome », comme le relève le philosophe Pierre Le Coz, de l’Université d’Aix-Marseille.
« C’est une rupture symbolique forte car il y a intrusion dans le patrimoine génétique d’un enfant à naître », poursuit cet ancien membre du comité national d’éthique (CCNE).
« Un saut technologique qui pose de nombreuses questions », renchérit la théologienne Marie-Jo Thiel, à Strasbourg.
Ce « saut », les spécialistes de la génétique, ne le nient pas. Mais pour beaucoup, l’autorisation de cette méthode est légitime. « On parle de la transmission de maladies extrêmement graves, dont certaines sont létales à court terme », souligne le professeur Stéphane Viville, chef d’équipe à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, à Strasbourg.
À l’heure actuelle, seul le don d’ovocyte (mais alors, la mère ne transmet pas son patrimoine génétique) ou le diagnostic préimplantatoire (mais dont les indications ne concernent que certaines maladies mitochondriales, pas toutes) peuvent être proposés.
« Éviter la naissance d’enfants malades »
En outre, note Stéphane Viville, « on ne modifie que très partiellement le patrimoine génétique de l’embryon. En l’espèce, il ne s’agit pas de choisir si l’enfant doit avoir les yeux bleus ou les cheveux blonds, il ne faut pas céder aux fantasmes ».
Pour Marie-Jo Thiel, aussi, parler d’« eugénisme » est erroné. « On n’entre pas dans un processus d’amélioration quelconque, on cherche à éviter la naissance d’enfants malades », rappelle-t-elle.
Pour autant, à l’instar de l’Église d’Angleterre, Marie-Jo Thiel s’inquiète de la légalisation d’une technique dont les conséquences à long terme – qui concerneront aussi la descendance de l’enfant à naître –, ne sont pas connues.
De fait, « il n’existe pas de modèle animal comparable, remarque la généticienne Julie Steffann, à l’hôpital Necker, à Paris. Dans ces domaines, on prend toujours un risque mais il faut le mettre en balance avec le risque, majeur et avéré, de pathologies très graves si l’on ne fait rien. Ce qui importe, c’est d’assurer un véritable suivi des enfants ».
Rester prudent
Pour ces deux médecins, le cadre imposé par le HFEA, l’autorité de régulation britannique, éloigne d’éventuelles dérives.
René Frydman est moins confiant. Ce pionnier de la fécondation in vitro s’inquiète de l’utilisation de ce type de méthodes pour favoriser, par exemple, les grossesses tardives, grâce au potentiel des mitochondries de donneuses jeunes.
De son côté, le philosophe Pierre Le Coz met en garde : « Comme l’a montré Heidegger, la technique moderne n’est pas seulement un ensemble de moyens mais un processus, provoquant des effets en cascade. Ainsi rares sont les techniques qui ne donnent pas lieu à des indications élargies au bout d’un certain temps ».
Londres autorise la création d’embryons à partir de l’ADN de trois parents
La Chambre des communes devait adopter mardi 3 février l’autorisation de créer des embryons à partir de l’ADN de trois personnes pour empêcher la transmission de maladies graves.
Le Royaume-Uni pourrait être le premier pays à autoriser « le remplacement mitochondrial » : retirer les mitochondries défectueuses de l’ovocyte (ovule non fécondé) d’une femme, pour les remplacer par celles saines d’une donneuse. Après avoir été fécondé par le sperme du père en laboratoire, l’ovule « sain » est ensuite implanté dans l’utérus de la mère.
Réflexion éthique
L’anomalie génétique des mitochondries, présentes dans toutes les cellules humaines dont elles produisent une partie de l’énergie, peut entraîner des maladies dégénératives graves. Cent vingt-cinq cas sont concernés par an en Grande-Bretagne.
Il existe une autre technique consistant à récupérer le noyau de l’ovule fécondé (œuf), et à le transférer dans l’ovule fécondé, préalablement énucléé, d’une autre femme, dont les mitochondries sont saines.
Le gouvernement britannique avait lancé en 2007 un processus d’étude scientifique. En 2012, il a demandé à l’Autorité sur la fertilisation et l’embryologie humaine (HFEA) de créer un comité pour réfléchir aux implications médicales et éthiques de cette technique et lancer une consultation publique.
La question du patrimoine génétique
« L’enfant né à partir de cette technique posséderait un ADN nucléaire issu de son père et de sa mère et un ADN mitochondrial, qui représente 0,1 % de son ADN total, d’une femme donneuse, estime le ministère de la santé, qui soutient le projet. Génétiquement, l’enfant aura l’ADN de trois individus, mais toutes les preuves scientifiques disponibles indiquent que les gènes contribuant aux caractéristiques personnelles viennent uniquement de l’ADN nucléaire, issu du père et de la mère. »
L’évêque catholique auxiliaire de Westminster John Sherrington a fait part de ses « objections éthiques sérieuses ». Il rappelle que la directive européenne sur les essais cliniques de 2001 stipule qu’« aucun essai de thérapie génique ne peut être entrepris s’il conduit à une modification du patrimoine génétique de la personne ».
Il souligne aussi que les embryons issus de fécondation in vitro vont être sélectionnés et que certains seront détruits, ce qui est contraire au principe de respecter l’embryon comme une personne.
Des tests jusqu’en 2016
L’évêque anglican de Swindon Lee Rayfield, membre du comité d’étude, souligne pour sa part que la modification de l’ADN pourrait « causer des anomalies ou influencer des qualités ou attributs personnels significatifs » du futur enfant. Une modification d’autant plus grave qu’elle se transmettra à ses descendants.
La HFEA, qui sera chargée de nommer les cliniques autorisées à procéder à ces opérations, a admis que les tests scientifiques n’avaient pas encore totalement abouti et qu’ils seront donc prolongés jusqu’en 2016.
René Frydman, pionnier en France de la fécondation in vitro, se montre très réservé sur cette méthode uniquement testée chez le singe. « Avec cette thérapie germinale, on modifie le génome. On introduit 1 % d’un génome qui vient d’ailleurs et on ne sait pas quel impact cela risque d’avoir », souligne-t-il.
Selon lui, le processus choisi par les Britanniques vise un autre objectif : « Permettre dans le futur de transférer les mitochondries d’une femme jeune à une femme plus âgée pour donner plus de chances à son embryon de se développer », en bénéficiant du « potentiel énergétique » des jeunes mitochondries.

