France : déchéance de nationalité, la nausée
Publié le 13 janvier 2016 à 15h55

Monsieur le président de la République,
je condamne votre initiative hasardeuse, fortement teintée de calculs politiciens et d’inefficacité pratique, de changer la Constitution.
Cette initiative restera dans l’histoire de notre pays comme une page sombre, écrite par un homme politique se disant de gauche mais rallié à une proposition qui est assurément un marqueur de l’extrême droite. Vous l’aviez d’ailleurs critiquée avec véhémence lorsque, en 2010, elle avait été relancée, sans résultat, par Nicolas Sarkozy. Lequel n’avait pourtant pas osé lui conférer l’ampleur que vous souhaitez aujourd’hui lui donner. Tout cela me donne la nausée.
Je suis né français, d’un père algérien naturalisé dans les années 1970 – il avait vu le jour pendant la période coloniale et n’avait longtemps été qu’un citoyen de seconde zone. Josiane, ma mère, est en revanche une pure « gauloise », fille de cette belle région de Bretagne qui a toujours manifesté son aversion pour le Front national, ce dont je ne suis pas peu fier.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, mes deux grands-pères étaient sur le champ de bataille. Le Breton a été fait prisonnier en 1940, puis détenu pendant cinq ans dans des camps d’internement allemands.
Le second, l’Indigène, l’Arabe, a combattu au sein de l’Armée française aux côtés de ses frères d’armes, ces tirailleurs algériens, tunisiens, marocains, sénégalais ou autres, qui, après avoir combattu en Italie, ont libéré la Corse, débarqué en Provence en 1944, remonté le Rhône puis traversé le Rhin. Il a même participé à la libération des camps.
J’ai grandi avec cette image structurante de deux grands-pères unis par une histoire commune dont je suis aujourd’hui l’héritier. Je me sens triplement français : par le sol, par le sang et par l’Histoire. Comment pourrais-je admettre que, demain, on m’impose un statut inférieur à celui d’anciens camarades de classe, d’amis, de voisins, d’inconnus que je croise dans la rue et dont certains sont peut-être, malgré eux, les descendants d’anciens collabos ?
Oui, la force du symbole compte. Et ce symbole nous fait mal
Votre projet ravive les ressentiments les plus lointains, souffle sur les braises de la discorde. Il brise nos repères. Ceux que la République a de tout temps défendus : unité de la nation, égalité de ses citoyens, indifférence aux origines des uns et des autres. Ce qu’étaient nos parents, ou ce qu’ils ont pu faire, elle ne nous en rend pas responsables. Nous naissons et grandissons en France, et cette France nous unit dans l’égalité.
Votre projet remue chez des millions de binationaux des histoires personnelles, parfois semblables à la mienne. Ils se sentent violentés par cette réforme. Oui, la force du symbole compte. Et ce symbole nous fait mal.
Par ailleurs, sans revenir sur les nombreux arguments qui plaident contre votre initiative, pensez-vous vraiment que des pays tiers accepteront de recevoir sur leur sol des Français, certes binationaux, mais nés, élevés et scolarisés en France, et dont celle-ci ne voudrait plus ? Ces pays, monsieur Hollande, ne sont pas vos poubelles !
Je vous accuse de vouloir introduire dans la Constitution les germes de la discrimination, d’établir entre les citoyens des différenciations qui constituent le terreau sur lequel le racisme peut prospérer. Vous porterez ce fardeau à vie. L’Histoire vous jugera pour cela. Et nul doute qu’elle vous condamnera.
Maroc : qui est Ahmed Sahnouni, le dernier condamné à avoir été déchu de la nationalité française ?
11 janvier 2016 à 14h41

Carte : quels sont les pays africains qui autorisent la déchéance de nationalité ?
29 décembre 2015
François Hollande a proposé, à la suite des attentats du 13 novembre à Paris, une réforme constitutionnelle incluant la déchéance de nationalité pour l’ensemble des binationaux en France. Une mesure qui divise la classe politique hexagonale mais qui est loin d’être une première, notamment en Afrique.
Dans de nombreux pays, les constitutions autorisent en effet l’État à prononcer la déchéance de la nationalité. Sur le continent africain, cette mesure est même, en majorité, la règle.
https://magic.piktochart.com/embed/10284188-la-decheance-de-nationalite-en-afrique
*Si vous constatez une erreur, n’hésitez pas à nous la signaler.
Peu d’interdictions
Seuls trois États, selon la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, s’interdisent en effet de retirer la nationalité à une personne contre sa volonté, quelle que soit la manière dont elle a été acquise : la Tunisie (depuis 2014), l’Éthiopie et l’Afrique du Sud.
La Constitution sud-africaine dispose ainsi qu’aucun citoyen ne devrait être déchu de sa nationalité, à deux exceptions près : s’il acquiert une autre nationalité « sans autorisation » ou, dans le cas où il a été naturalisé, s’il prend part à une guerre qui n’est pas approuvée par les autorités, « sous le drapeau » d’un autre pays.
L’article 25 de la constitution tunisienne de 2015 interdit quant à lui « de déchoir de sa nationalité tunisienne tout citoyen, ou de l’exiler ou de l’extrader ou de l’empêcher de retourner à son pays. »
Des restrictions
Beaucoup de pays ont posé des restrictions, en interdisant notamment la déchéance de la nationalité d’origine. C’est notamment le cas du Burkina Faso, du Burundi, du Gabon, du Nigeria ou du Tchad.
D’autres États ont quant à eux repris les dispositions de la Convention sur la réduction de l’apatridie et admettent la déchéance de la nationalité d’origine dans les cas où la personne concernée dispose d’une autre nationalité. C’est le projet français, que l’on peut donc déjà observer en Algérie, au Cameroun, en Mauritanie, au Rwanda, au Sénégal ou encore au Zimbabwe.
Techniquement, un Franco-Algérien reconnu coupable de terrorisme pourrait ainsi risquer la déchéance de nationalité à la fois en France et en Algérie. Les deux décisions ne devraient cependant pas pouvoir se superposer, le condamné en question devenant alors apatride.
Et des critères « larges et vagues »
Selon un rapport de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples publié début 2015, les critères en matière de déchéance de nationalité « sont parfois particulièrement larges et vagues ».
Le Botswana, le Liberia, le Malawi, le Nigeria, la Sierra Leone et le Zimbabwe font ainsi appel à des notions de « manque de loyauté » et « d’intérêt de l’ordre public », alors que le Bénin, le Congo, la Guinée, Madagascar, le Mali, le Niger, la Tanzanie ou le Togo parlent « d’actes ou comportements incompatibles avec la qualité de citoyen ».
Autant de notions floues qui ont pu être utilisées par beaucoup de gouvernements à des fins politiques, et qui constituent encore, par endroits, un pouvoir discrétionnaire aux mains des ministres en charge ou des chefs d’État.
Enfin, les lois égyptienne et libyenne vont plus loin. Le gouvernement égyptien dispose ainsi de pouvoirs étendus en matière de déchéance de la nationalité, qu’elle soit d’origine ou par naturalisation. Il « suffira » alors que l’individu ait acquis une autre nationalité sans autorisation, se soit engagé dans une armée étrangère, ait œuvré contre les intérêts de l’État, ou soit caractérisé comme « un sioniste à quelque moment que ce soit ».
SOURCE/ http://www.jeuneafrique.com/290309/societe/carte-pays-africains-autorisent-decheance-de-nationalite/


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