199- Déchéance de Nationalité vu par « Jeune Afrique »

France : déchéance de nationalité, la nausée

Publié le 13 janvier 2016 à 15h55

par Farid Benlagha

Diplômé de l’École centrale de Marseille, Farid Benlagha (33 ans) fut analyste financier avant de se lancer dans le management d’artistes et la production de concerts à Alger et en Afrique (Stromae, David Guetta, etc.). Il est le créateur de l’agence 2Rives Conseil, à Paris

Monsieur le président de la République,

je condamne votre initiative hasardeuse, fortement teintée de calculs politiciens et d’inefficacité pratique, de changer la Constitution.

Cette initiative restera dans l’histoire de notre pays comme une page sombre, écrite par un homme politique se disant de gauche mais rallié à une proposition qui est assurément un marqueur de l’extrême droite. Vous l’aviez d’ailleurs critiquée avec véhémence lorsque, en 2010, elle avait été relancée, sans résultat, par Nicolas Sarkozy. Lequel n’avait pourtant pas osé lui conférer l’ampleur que vous souhaitez aujourd’hui lui donner. Tout cela me donne la nausée.

Je suis né français, d’un père algérien naturalisé dans les années 1970 – il avait vu le jour pendant la période coloniale et n’avait longtemps été qu’un citoyen de seconde zone. Josiane, ma mère, est en revanche une pure « gauloise », fille de cette belle région de Bretagne qui a toujours manifesté son aversion pour le Front national, ce dont je ne suis pas peu fier.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, mes deux grands-pères étaient sur le champ de bataille. Le Breton a été fait prisonnier en 1940, puis détenu pendant cinq ans dans des camps d’internement allemands.

Le second, l’Indigène, l’Arabe, a combattu au sein de l’Armée française aux côtés de ses frères d’armes, ces tirailleurs algériens, tunisiens, marocains, sénégalais ou autres, qui, après avoir combattu en Italie, ont libéré la Corse, débarqué en Provence en 1944, remonté le Rhône puis traversé le Rhin. Il a même participé à la libération des camps.

J’ai grandi avec cette image structurante de deux grands-pères unis par une histoire commune dont je suis aujourd’hui l’héritier. Je me sens triplement français : par le sol, par le sang et par l’Histoire. Comment pourrais-je admettre que, demain, on m’impose un statut inférieur à celui d’anciens camarades de classe, d’amis, de voisins, d’inconnus que je croise dans la rue et dont certains sont peut-être, malgré eux, les descendants d’anciens collabos ?

Oui, la force du symbole compte. Et ce symbole nous fait mal

Votre projet ravive les ressentiments les plus lointains, souffle sur les braises de la discorde. Il brise nos repères. Ceux que la République a de tout temps défendus : unité de la nation, égalité de ses citoyens, indifférence aux origines des uns et des autres. Ce qu’étaient nos parents, ou ce qu’ils ont pu faire, elle ne nous en rend pas responsables. Nous naissons et grandissons en France, et cette France nous unit dans l’égalité.

Votre projet remue chez des millions de binationaux des histoires personnelles, parfois semblables à la mienne. Ils se sentent violentés par cette réforme. Oui, la force du symbole compte. Et ce symbole nous fait mal.

Par ailleurs, sans revenir sur les nombreux arguments qui plaident contre votre initiative, pensez-vous vraiment que des pays tiers accepteront de recevoir sur leur sol des Français, certes binationaux, mais nés, élevés et scolarisés en France, et dont celle-ci ne voudrait plus ? Ces pays, monsieur Hollande, ne sont pas vos poubelles !

Je vous accuse de vouloir introduire dans la Constitution les germes de la discrimination, d’établir entre les citoyens des différenciations qui constituent le terreau sur lequel le racisme peut prospérer. Vous porterez ce fardeau à vie. L’Histoire vous jugera pour cela. Et nul doute qu’elle vous condamnera.

Farid Benlagha


Maroc : qui est Ahmed Sahnouni, le dernier condamné à avoir été déchu de la nationalité française ?

11 janvier 2016 à 14h41

Par Mathieu Olivier

Le 28 mai 2014, Ahmed Sahnouni était déchu de sa nationalité française. Condamné en 2013 pour terrorisme en lien avec Al-Qaïda, le Marocain est le dernier à avoir fait l’objet de cette mesure*, que François Hollande espère étendre et inscrire dans la constitution française. Expulsé en septembre, il est aujourd’hui en détention au Maroc.

Condamné, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », en mars 2013, à sept ans de prison ferme et cinq ans de privation de ses droits civiques, civils et familiaux, Ahmed Sahnouni, naturalisé français en 2003, a été déchu de sa nationalité française par un décret signé par Manuel Valls et Bernard Cazeneuve en 2014.

La mesure, que Ahmed Sahnouni a contestée, a ensuite été confirmée par le Conseil constitutionnel puis par le Conseil d’État, le 11 mai 2015. Ce dernier a estimé la déchéance « justifiée par le fait que l’intéressé avait été condamné par le tribunal de grande instance de Paris pour avoir participé à ‘une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme’, faits réprimés par l’article 421-2-1 du code pénal ».

Cerveau d’une filière de recrutement

Né à Casablanca en 1970, Ahmed Sahnouni avait été arrêté en mai 2010 par les enquêteurs de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Il était alors soupçonné, sur la base d’informations fournies par le renseignement marocain notamment, d’être le responsable d’un réseau de recrutement sur Internet pour gonfler les rangs d’Al-Qaïda en Afghanistan, en Somalie et en Irak.

Sa filière, dont 24 membres avaient également été arrêtés en avril 2010, était active depuis 2008 et aurait permis à plusieurs jihadistes de rejoindre les zones de combat. Les enquêteurs avaient retrouvé à son domicile parisien des photos d’hommes armés, ainsi qu’un film amateur dans lequel des « combattants » revendiquaient leur appartenance à « la République islamiste d’Afghanistan ». Ahmed Sahnouni aurait également organisé des collectes de fonds en France pour financer le jihad à l’étranger.

Il était recherché par le Maroc depuis 2010, date du démantèlement d’un réseau terroriste lié à Al-Qaïda qui préparait des assassinats et des actes de sabotage visant les services de sécurité et les intérêts du royaume.

Expulsé

Tout en refusant d’être considéré comme un jihadiste, il avait admis, après son interpellation, avoir rencontré des Talibans en Afghanistan et s’être exercé, en leur compagnie, au maniement des armes. Il avait toutefois affirmé s’être éloigné d’Al-Qaïda après 2001, en raison de son aversion pour les attentats de masse.

Il reconnaissait également avoir effectué certains voyages dans les pays du Proche et du Moyen-Orient, notamment en 2009, mais « pour des raisons religieuses ». Des déclarations qui n’avaient cependant pas convaincu les enquêteurs français. Condamné en 2013 à sept ans d’emprisonnement et sorti de prison en 2015, Ahmed Sahnouni a aussitôt été expulsé vers le Maroc, le 22 septembre 2015.

Son avocat avait pourtant obtenu de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) une suspension de la  décision d’expulsion au motif que son client risquait « la torture » ou des « traitements inhumains ou dégradants », s’il était renvoyé en Maroc. Mais alors que tombait l’avis de la CEDH, Ahmed Sahnouni était déjà en partance pour le Maroc.

En détention au Maroc

Placé en garde à vue pendant huit jours, du 22 au 30 septembre à l’aéroport de Casablanca, il a ensuite été présenté à un magistrat marocain, le 2 octobre, puis placé en détention provisoire. Il est aujourd’hui accusé des mêmes faits de terrorisme qui lui ont valu sa condamnation en France et son séjour de sept ans en prison.

Selon son avocat, joint par Jeune Afrique, Ahmed Sahnouni est aujourd’hui détenu dans une prison de haute sécurité des environs de Rabat. La défense réclame sa mise en liberté provisoire, dans l’attente d’un procès au cours duquel, espèrent les avocats, les sept années d’emprisonnement déjà effectués en France, seront prises en compte.

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*Cinq autres personnes, quatre Franco-Algériens et un Franco-Turc ont également fait l’objet d’une déchéance de nationalité en octobre 2015. Toutefois, la mesure n’a pas encore été définitivement validée par le Conseil d’État. 

Mathieu Olivier


Carte : quels sont les pays africains qui autorisent la déchéance de nationalité ?

29 décembre 2015

François Hollande a proposé, à la suite des attentats du 13 novembre à Paris, une réforme constitutionnelle incluant la déchéance de nationalité pour l’ensemble des binationaux en France. Une mesure qui divise la classe politique hexagonale mais qui est loin d’être une première, notamment en Afrique.

Dans de nombreux pays, les constitutions autorisent en effet l’État à prononcer la déchéance de la nationalité. Sur le continent africain, cette mesure est même, en majorité, la règle.

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*Si vous constatez une erreur, n’hésitez pas à nous la signaler. 

Peu d’interdictions

Seuls trois États, selon la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, s’interdisent en effet de retirer la nationalité à une personne contre sa volonté, quelle que soit la manière dont elle a été acquise : la Tunisie (depuis 2014), l’Éthiopie et l’Afrique du Sud.

La Constitution sud-africaine dispose ainsi qu’aucun citoyen ne devrait être déchu de sa nationalité, à deux exceptions près : s’il acquiert une autre nationalité « sans autorisation » ou, dans le cas où il a été naturalisé, s’il prend part à une guerre qui n’est pas approuvée par les autorités, « sous le drapeau » d’un autre pays.

L’article 25 de la constitution tunisienne de 2015 interdit quant à lui « de déchoir de sa nationalité tunisienne tout citoyen, ou de l’exiler ou de l’extrader ou de l’empêcher de retourner à son pays. »

Des restrictions

Beaucoup de pays ont posé des restrictions, en interdisant notamment la déchéance de la nationalité d’origine. C’est notamment le cas du Burkina Faso, du Burundi, du Gabon, du Nigeria ou du Tchad.

D’autres États ont quant à eux repris les dispositions de la Convention sur la réduction de l’apatridie et admettent la déchéance de la nationalité d’origine dans les cas où la personne concernée dispose d’une autre nationalité. C’est le projet français, que l’on peut donc déjà observer en Algérie, au Cameroun, en Mauritanie, au Rwanda, au Sénégal ou encore au Zimbabwe.

Techniquement, un Franco-Algérien reconnu coupable de terrorisme pourrait ainsi risquer la déchéance de nationalité à la fois en France et en Algérie. Les deux décisions ne devraient cependant pas pouvoir se superposer, le condamné en question devenant alors apatride.

Et des critères « larges et vagues »

Selon un rapport de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples publié début 2015, les critères en matière de déchéance de nationalité « sont parfois particulièrement larges et vagues ».

Le Botswana, le Liberia, le Malawi, le Nigeria, la Sierra Leone et le Zimbabwe font ainsi appel à des notions de « manque de loyauté » et « d’intérêt de l’ordre public », alors que le Bénin, le Congo, la Guinée, Madagascar, le Mali, le Niger, la Tanzanie ou le Togo parlent « d’actes ou comportements incompatibles avec la qualité de citoyen ».

Autant de notions floues qui ont pu être utilisées par beaucoup de gouvernements à des fins politiques, et qui constituent encore, par endroits, un pouvoir discrétionnaire aux mains des ministres en charge ou des chefs d’État.

Enfin, les lois égyptienne et libyenne vont plus loin. Le gouvernement égyptien dispose ainsi de pouvoirs étendus en matière de déchéance de la nationalité, qu’elle soit d’origine ou par naturalisation. Il « suffira » alors que l’individu ait acquis une autre nationalité sans autorisation, se soit engagé dans une armée étrangère, ait œuvré contre les intérêts de l’État, ou soit caractérisé comme « un sioniste à quelque moment que ce soit ».

 

SOURCE/ http://www.jeuneafrique.com/290309/societe/carte-pays-africains-autorisent-decheance-de-nationalite/

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