185- Le grand entretien . Ivan Blot : « En Russie, la politique menée est conforme aux désirs du peuple, ce qui n’est pas le cas en France »

Russie éternelle.

Dans « La Russie de Poutine », Ivan Blot explique la renaissance de la Russie éternelle.

Ancien énarque, homme politique et essayiste français, Ivan Blot se rend régulièrement en Russie puisqu’il participe aux réunions du groupe de Valdaï, un forum international rassemblant des experts dans le but de discuter de la Russie et de son rôle dans le monde. Avec La Russie de Poutine, il signe un lire de philosophie politique pratique édifiant, un livre qui prend le contre-pied des préjugés répandus sur la Russie.

Aleteia : L’image de la Russie véhiculée dans les médias français, notamment depuis la guerre en Ukraine, n’est guère reluisante. Quel est l’objectif de votre livre ?

Ivan Blot : J’ai écrit La Russie de Poutine pour tordre le cou à certains nombres de mensonges ou à l’ignorance concernant la Russie. J’y vais chaque mois, j’enseigne la science politique aux universités d’État de Moscou et de Novgorod et à l’Université orthodoxe de Moscou.

Avant d’entrer dans le détail, pouvez-vous nous dire brièvement quels sont les piliers permettant la renaissance de la Russie sur tous les plans ?

Le redressement a été possible le jour où la caste des oligarques gangsters toute puissante sous Eltsine a été remplacée par des officiers patriotes dont Poutine est le meilleur exemplaire. En Occident, on a marginalisé l’armée et c’est une erreur. Les officiers russes sont de haute qualité intellectuelle et morale : si vous n’aimez que l’argent ou votre confort personnel, vous ne choisissez pas la profession d’officier. Je pense qu’il faut un mélange d’officiers et de civils à la tête de l’État comme en Russie.

Le principal reproche adressé à la Russie et au président Poutine est le manque de démocratie. Qu’en est-il réellement ?

80% des Russes soutiennent le président Poutine, 20% soutiennent le président Hollande et les autres subissent. Où est la démocratie ? La définition de celle-ci est dans l’article deux de notre constitution :

« Le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple ».

« Par le peuple » signifie qu’il y a des élections libres et des référendums. C’est le cas en Russie comme en France. Les maires russes sont élus directement par le peuple ce qui n’est même pas le cas en France où ils sont élus par le conseil municipal. « Pour le peuple » signifie que les homme politiques doivent pratiquer une politique pour ce que le peuple souhaite et non une politique au service des seules oligarchies dominantes, financières, syndicales, médiatiques, technocratiques, associatives.

En Russie, la politique suivie est conforme aux désirs du peuple, ce qui n’est pas le cas en France d’où la rupture de confiance entre le peuple et les élites politiques : sur des sujets comme l’immigration, l’insécurité ou le chômage, la politique, de droite ou de gauche, ne satisfait pas du tout la majorité des citoyens. On n’a donc pas de leçons à donner aux Russes. De plus, personne ne veut faire attention aux réformes politiques de Poutine :

  • élection des gouverneurs (préfets) au lieu de les nommer,
  • élection législative moitié par liste moitié uninominaux comme en Allemagne,
  • création d’un « Front national du peuple russe » qui a pour tâche d’associer largement tous les citoyens aux décisions et de contrôler si les administrations appliquent bien les décisions du président : c’est une instance anti technocratique dont nous aurions bien besoin !
  • D’ailleurs, le Kremlin s’intéresse à la démocratie directe. Mon livre sur ce sujet a été traduit en Russe et est sorti à Moscou.

Avant de critiquer la démocratie russe, encore faudrait-il la connaître.

Vous consacrez un chapitre au retour de la fonction de souveraineté dans la Russie actuelle. Qu’entendez-vous par là ? Cette fonction avait-elle disparu en URSS et sous Eltsine ?

Ce n’était pas aux oligarques de l’économie d’exercer la fonction de souveraineté. Aujourd’hui, Poutine a remis de l’ordre. Beaucoup de ministres ont eu une carrière militaire. Quant à l’Église orthodoxe, elle n’est pas du tout au pouvoir car celui-ci est laïque mais elle est très écoutée pour son enseignement moral et spirituel. Autrement dit, ceux qui se consacrent à l’intérêt général plus qu’à leur seul intérêt personnel sont au gouvernement ou peuvent être écoutés.

Ce retour de la fonction de souveraineté est également un retour à la tradition de la Russie éternelle. Pouvez-vous, en quelques mots, nous en esquisser les traits ?

La Russie actuelle est conservatrice et traditionaliste. Le patriotisme est une valeur enseignée dans les écoles où l’uniforme et l’enseignement civique et militaire a été rétabli. On a eu cela en France dans les écoles mais avant la guerre mondiale ! Et mai 68  a éliminé tout enseignement sérieux de l’histoire de France et du patriotisme. On a en Russie le culte des héros historiques ; en France, c’est le passé.

Ce retour de la fonction de souveraineté tient également beaucoup de la personne du président Poutine. Quel parcours personnel, quelles références culturelles et littéraires façonnent sa pensée ?

Poutine est d’abord un officier avec tout ce que cela suppose sur le plan de l’éthique et du patriotisme. Ce n’est pas moi mais l’ancien ministre des affaires étrangères socialiste Hubert Védrine qui dit que Poutine est très différent des politiciens occidentaux. Pour lui, Poutine est un homme d’action mais aussi de pensée et de méditation. Il y a un an, il a fait envoyer aux hauts fonctionnaires trois livres de philosophie. En Russie, la philosophie est très liée au christianisme et c’est le cas des trois philosophes concernés : Nicolas Berdiaev, Vladimir Soloviev et Ivan Ilyine.

  • Le livre de Berdiaev est La philosophie de l’inégalité traduite en français chez L’âge d’Homme. Ce livre critique l’égalitarisme révolutionnaire notamment, donc le communisme mais aussi la Révolution française de Robespierre.
  • Le livre de Soloviev, un orthodoxe converti au catholicisme, s’appelle : La justification du bien et montre que le bien n’a rien à voir avec l’utilitarisme. Par pur utilitarisme, on peut tuer son voisin et prendre son argent. En fait, c’est l’Occident qui est visé pour son immoralité et son individualisme matérialiste.

Le grand entretien (2/2). Ivan Blot : « Les élites occidentales ont renié le christianisme et défendent un égalitarisme et un matérialisme agressifs »

Dans « La Russie de Poutine », Ivan Blot explique la renaissance de la Russie éternelle.

Russie éternelle.

Aleteia : Vous tordez le cou à un préjugé très répandu sur l’économie russe qui en dépit des sanctions et d’une crise passagère devrait retrouver rapidement la croissance. Quelles en sont les caractéristiques et quelles sont les convictions du président Poutine à cet égard ?

Ivan Blot : Le président Poutine est confiant et vient d’annoncer une croissance de 0,7% pour 2016 et un fort taux pour 2017. Dans le passé de 2000 (année d’arrivée de Poutine à la présidence) à maintenant, le niveau de vie a été multiplié par quatre.

D’après les chiffres de la banque mondiale, le produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire sans tenir compte des phénomènes monétaires, a doublé celui de l’Allemagne il y a deux ans : personne, je dis bien personne, n’écrit cela aujourd’hui alors que les chiffres sont ceux de la banque mondiale, très accessibles. La Russie a beaucoup de domaines d’excellence, l’armement mais aussi l’électronique en général. Savez-vous que l’antivirus le plus courant, que vous utilisez certainement, est Kaspersky ? C’est un brevet russe. Les cosmonautes qui vont dans la station orbitale habitée autour de la terre sont transportés par des fusées russes car les Américains ont renoncé pour des raisons financières à construire de tels engins. La Russie exporte beaucoup de centrale nucléaires, ce que ne fait jamais un pays sous développé. Le pétrole ne représente que 9% du PIB russe (50% en Arabie saoudite).

Les propos sur le sous-développement de la Russie relèvent d’une ignorance crasse ou de la mauvaise foi.

La renaissance de la Russie est également spirituelle, le pouvoir agissant en collaboration étroite avec l’église orthodoxe. Peut-on parler de laïcité en Russie ? Comment traitent-ils la question de l’islam ?

La Fédération de Russie est un État laïque. Mais il y a un renouveau religieux important. La laïcité à la russe n’interdit pas la coopération avec les religions mais selon le principe de la proportionnalité (c’est un peu la laïcité « positive » que Sarkozy avait défendue). L’État aide en fonction de la proportion de citoyens ayant telle ou telle confession : 80% à l’orthodoxie, 10% à l’islam et le reste aux confessions bouddhiste et juive. Ce sont les religions historiquement traditionnelles et admises comme telles. Les musulmans russes dans leur grande majorité sont aussi des patriotes russes. Le grand muphti a demandé aux musulmans de prier pour l’âme de saint serge de Radonège (XIVe siècle) parce qu’il était aussi un grand patriote !

On construit actuellement dans l’agglomération de Moscou plus de 200 églises ! On est dans un monde fort différent de la France actuelle.

Qu’en est-il de la famille en Russie ? Est-elle soumise aux mêmes attaques qu’en Occident ?

La politique familiale est une des grandes réussites de Poutine. La natalité s’est redressée et la population augmente depuis quatre ans. La politique familiale a un volet financier et un volet moral. Par exemple, dès la deuxième naissance, une famille touche 7 000 euros de prime. On l’aide aussi à rembourser les prêts du logement. Les bébés nés le jour de la fête nationale sont qualifiés de « bébés patriotes » et certaines régions offrent une voiture aux parents !

Par ailleurs, le statut moral de la famille est revalorisé. Pas question de « mariage pour tous » et la propagande homosexuelle envers les enfants est interdite. L’État a créé la fête de l’amour du mariage et de la fidélité et décore les couples méritants. Des publicités dans le métro de Moscou vantent les mères qui ont trois enfants.

À quoi attribuez-vous notre méfiance (ou en tout cas celle de nos dirigeants) à l’égard de la Russie ?

La méfiance est due à deux raisons, géopolitique et culturelle, voire spirituelle.

1/-Tout d’abord, l’Europe est soumise politiquement aux États-Unis, or ceux-ci ont dévoilé leur politique de domination mondiale dans un livre Le grand échiquier. L’auteur Zbigniew Brzesinski explique que les USA dominent le monde et le civilisent en même temps (sic).

  • Un français appréciera de savoir qu’il doit la civilisation aux Américains !
  • Mais les USA sont situés sur un continent marginal, l’Amérique
  • alors que le continent eurasiatique rassemble
    • les Européens, les Russes, les Chinois et les Indiens entre autre.
  • Si l’Eurasie s’unifie, elle sera plus puissante que l’Amérique.
    • Le conseiller des présidents américains note que l’Europe reste soumise, qu’il faut surveiller la Chine mais surtout qu’il faut démembrer l’empire russe qui concurrence les USA ;
    • il propose d’abord de séparer la Russie et l’Ukraine d’où le coup d’État qui eut lieu à Kiev et la guerre de Kiev contre ses propres citoyens autonomistes de l’est (Donbass).
    • Ensuite, il propose de diviser entre trois États ce qui reste de la Russie : tout cela est exposé sans la moindre gêne. L’ennemi est russe.
    • Aujourd’hui, un autre ennemi est apparu, Daesh, et cela gêne bien les élites américaines.

2/- La deuxième cause de la propagande anti-russe est le côté conservateur traditionaliste et patriote de la Russie. Les élites occidentales ont renié le christianisme et défendent un égalitarisme et un matérialisme agressifs. Les peuples européens et aussi américain commencent à se rebeller contre ces élites qui nient l’héritage de notre civilisation. Poutine a dit que l’Occident était devenu relativiste et mettait sur le même plan les valeurs de Dieu et de Satan. Première conséquence selon lui : l’effondrement démographique. La baisse de la natalité et l’immigration menacent de faire disparaitre l’Occident (voir son « discours de Valdai » de 2013).

La Russie de Poutine
La Russie de Poutine

Les élites gauchisantes et coupées du peuple (oligarchies) ne supportent pas ce discours de la nouvelle Russie. On voit donc que le malaise est profond mais on doit conserver l’espoir. Les milieux économiques européens sont très hostiles aux sanctions antirusses et veulent coopérer avec la Russie même si cela déplait à l’Amérique. Par ailleurs, les peuples se révoltent peu à peu contre cette nouvelle classe oligarchique qui les dominent et qui n’a que mépris pour les angoisses des simples citoyens face à la criminalité croissante, l’invasion migratoire et l’abandon des valeurs traditionnelles, famille, propriété et patrie.

Je pense qu’à l’avenir, l’Europe et la Russie se rapprocheront car l’Histoire, la géographie et nos racines chrétiennes communes nous mèneront à un tel résultat.

Propos recueillis par Jean Muller

La Russie de Poutine d’Yvan Blot. B. Giovanangeli, janvier 2016, 15 euros.

partie 1/http://fr.aleteia.org/2016/01/08/le-grand-entretien-12-ivan-blot-en-russie-la-politique-menee-est-conforme-aux-desirs-du-peuple-ce-qui-nest-pas-le-cas-en-france/

partie 2/http://fr.aleteia.org/2016/01/09/le-grand-entretien-22-ivan-blot-les-elites-occidentales-ont-renie-le-christianisme-et-defendent-un-egalitarisme-et-un-materialisme-agressifs/