du » Journal d’Erasme »
L’intransigeance dogmatique et la brutalité inédite de l’Allemagne envers le gouvernement grec marquent une rupture historique dans le projet européen. Fort de son statut de première puissance économique de la zone euro, l’Allemagne revendique désormais d’en fixer les règles du jeu .. et force est de constater qu’elle y parvient.
Pourquoi y parvient-elle ? Parce que le schéma actuel de l’Union le permet.
L’Union européenne est engagée dans une dynamique de fédéralisation continue qui révèle chaque mois un peu plus ses limites et ses travers en l’état actuel des traités autant que des attitudes quotidiennes particulièrement schizophrènes de ses États membres ; des limites et des travers qui ajoutent dramatiquement aux inquiétudes et aux souffrances des peuples qui la composent.
Les transferts, délégations et partages de compétences sous l’effet du vaste processus de dépossession des États nations induit par l’avènement d’un néolibéralisme sans entrave qu’ont participé à renforcer le Traité de Lisbonne, avec la complicité active – et sournoise – de la totalité des partis de gouvernement en place dans les États-nations autant que des administrations nationales, et le processus qui vise à l’établissement d’un système de gouvernance mondiale – encore bancal – (cf. à ce sujet notamment http://regards-citoyens-europe.over-blog.com/2014/12/de-l-art-de-gouverner-un-etat-nation-membre-de-l-union-europeenne-au-xxieme-siecle-examen-du-cas-particulier-de-la-france.html) ont non seulement créé un ‘machin’ non identifié, sorte de super-État sans constitution, dont les institutions fédérales sont toujours hors de tout contrôle réellement indépendant et démocratique – à l’exception notable, faut-il le souligner – de la Cour de Justice de l’Union européenne -, mais ont également ouvert la voie à des mutations d’ordre civilisationnel sans qu’aucun cadre démocratique de débat n’ait préalablement vérifié et agréé leur orientation paradoxalement à la fois ouvertement néolibérale, par trop ‘occidentaliste’ et parfois liberticide, et ce par le biais de négociations opaques de traités – ayant notamment pour sigles TAFTA, PTCI, CETA, TISA, etc. – qui visent à établir des accords de libre-échange et d’investissement négociés dans le plus grand secret ; des accords qui, s’ils sont adoptés, consacreront la domination des multinationales sur nos sociétés au détriment des citoyens et de la démocratie, et sous couvert d’une hypothétique relance de la croissance, s’attaquent aux normes sociales, financières, sanitaires, culturelles et environnementales ; des accords qui visent à une dépossession en profondeur des États au seul bénéfice des multinationales, qui, si elles s’estiment lésées, pourront poursuivre ces derniers devant des tribunaux privés d’arbitrage, hors de tout contrôle démocratique.
A ceux qui opposent à cette réalité tangible d’un catastrophique déficit démocratique de l’Union l’argument selon lequel les traités européens ont fait l’objet d’une cinquantaine de referendum et de près de 200 votes parlementaires positifs, il est aisé de rétorquer que les positions fédéralistes des gouvernements comme celles des parlements nationaux, qui ne sont jamais débattues lors des campagnes électorales nationales, ne reflètent en rien celles des peuples qu’ils sont censés représentés dès lors que les taux d’abstention des élections dont ils sont issus frisent les 50 % et que les modes d’investiture et de composition des listes électorales sont sujets à de nombreuses contestations au sein même des partis politiques !
Cette situation est devenue inacceptable, tant d’un point de vue démocratique, économique, social que culturel.
Cette fédéralisation à l’œuvre, qui avait pourtant suscité tant d’espoir partout en Europe, sans contrôle démocratique véritable, a rendu possible ces dérives douloureuses pour les peuples de l’Union à la faveur de collusions politiques iniques et de postures trop souvent schizophrènes, ambiguës, hypocrites, illisibles et/ou sans vision.
Une autre Union est possible.
Elle sera probablement nécessaire si le rejet populaire de celle qui existe aujourd’hui continue de prospérer sur les échecs insupportables des politiques européennes et nationales actuelles, rejet qui se nourrit du rejet massif des postures par trop radicales de certains de ses États fondateurs qui procèdent d’une conception particulièrement inique de la solidarité et de la cohésion européenne qui est incompatible avec les valeurs et principes actuels du projet européen.
Si tel devait être le cas, cette nouvelle Union devra être imaginée, conçue, et établie sur un mode confédéral sur la base du modèle helvétique, afin de sauvegarder les souverainetés nationales et populaires là où elles sont les seules garantes du respect de la dignité des Hommes, et de leurs droits les plus fondamentaux.
Les États membres désireux de s’unir dans un nouveau schéma d’Europe doit agir pour se constituer par les voies appropriées en Confédération d’États autonomes partageant une Constitution fédérale sur le modèle helvétique (voir la constitution en vigueur au sein de la Confédération helvétique : http://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html).
Cette Confédération pourrait alors prendre pour appellation Europa (ou toute autre appellation permettant de souligner la singularité de cette nouvelle forme d’Union).
Par la voie de la Constitution fédérale, ses États membres institueraient des institutions fédérales disposant de compétences strictes décrites précisément et de ressources appropriées tenant compte des responsabilités particulières incombant aux États-membres en matière de dépenses, ainsi qu’une Cour constitutionnelle chargée de vérifier le respect de la Constitution fédérale par les parties, et notamment le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité (ainsi que du principe d’additionnalité si celui-ci était retenu).
Ils attribueraient à cette Confédération la personnalité juridique.
Ils établiraient ensemble les règles relatives aux processus décisionnels en vigueur au sein des institutions fédérales.
Une Assemblée fédérale bicamérale serait ainsi instituée, qui réunirait un Conseil fédéral, à vocation exécutive, institué sur le modèle du Conseil national helvétique, ainsi qu’un Conseil des États, l’un et l’autre disposant d’un pouvoir décisionnel identique.
Ils fixeraient ensemble les buts et objectifs de cette Confédération ( y compris les buts et objectifs sociaux), et notamment ses objectifs et intérêts stratégiques.
Ils s’engageraient à adopter une monnaie à la fois commune et unique (point clé à débattre), le Medeuro, et à établir une union économique et monétaire sur des bases voisines de l‘UEM actuelle en apportant les modifications qui s’imposent en regard des défaillances structurelles actuelles de l’UEM. Une banque centrale serait alors créée avec un statut approprié pour lui permettre de se constituer ‘prêteur en dernier ressort’ et de disposer de compétences analogues aux autres grandes banques centrales attachées aux devises internationales. Le Medeuro serait évalué sur la base initiale d’un Medeuro = un Euro avant de se stabiliser sur une valeur ajustée en fonction du poids économique réel des États parties à son système monétaire.
Ils s’engageraient à veiller scrupuleusement à coordonner leurs politiques économiques et sociales, ainsi que leurs politiques régaliennes, en recherchant les harmonisations et convergences nécessaires, sans pour autant avoir à apporter à leur constitution ou loi fondamentale nationale des modifications démocratiquement inacceptables par leurs citoyens.
Ils autoriseraient et, mieux encore, inciteraient cette Confédération à adhérer aux grandes Conventions européennes et internationales (telles que la Convention européenne des droits de l’homme) et à adopter des chartes fondamentales (telles que la Charte européenne des droits fondamentaux), et à contracter des accords internationaux comme par exemple un accord d’association et de partenariat avec l’Union européenne reconfigurée ou d’autres unions de même type.
Cette Confédération pourrait siéger en lieu et place de ses États-membres au sein de l’Union pour la Méditerranée, ou au sein du Conseil de l’Europe, et le cas échéant, au sein des grandes organisations internationales et multilatérales (Institutions de Bretton Woods, OMC, OMS, FAO, OIT, G7/8, G20, notamment). (question à débattre)
Une telle option peut sembler très utopique à ceux qui ne croient plus dans les vertus d’une Union d’États et de Peuples régie par une Constitution fédérale, à ceux qui pensent que l’Union européenne est la seule solution possible ou à ceux qui considéreraient que l’absence de l’Allemagne condamnerait une telle union à jouer un rôle secondaire sur le territoire européen comme ailleurs dans le monde.
Elle me parait au contraire on ne peut plus réaliste au égard à l’ampleur de la dépossession actuelle des États-nations européens dont la gouvernementalité (l’art de gouverner) appelle encore des ajustements considérables qui trouveraient dans ce projet de Confédération un cap à la fois stratégique et politique (au sens premier du terme) des plus clair sans lequel les entreprises de modernisation des États semblent parfois manquer de cohérence d’ensemble et d’efficacité.
Naturellement, d’autres options sont envisageables !
Encore faudrait-il qu’elles émergent et qu’elles puissent être portées dans le débat public par des gens sérieux.
Voir également sur ce sujet :
* De l’art de gouverner un État-nation membre de l’Union européenne au XXIème siècle – Examen du cas particulier de la France : Art_de_gouverner_France-Patrice_Cardot-31decembre2014.pdf
* Faut-il que la France reste membre d’une Union européenne qui met de plus en plus fréquemment en péril ses intérêts stratégiques et économiques ? (réédition)
Voir également les articles des rubriques suivantes :
* L’UE face à ses choix et incoherences
* L’Europe en débat
* Réformer l’Union européenne
* L’intégration euroatlantique à l’oeuvre
Voir également :
* Oeuvrons sans attendre à l’édification d’une nouvelle union d’Etats-nations et de Peuples au sud de notre Europe !
* Une première option pour une nouvelle union d’Etats-nations et de Peuples au sud de notre Europe !
