REPRISE – Horizons et débats – N° 40, 6 janvier 2014
Congrès scientifique international au sujet de la démocratie directe à Dresde
par Eva-Maria Föllmer-Müller, Lene et Urs Knoblauch
Du 5 au 6 décembre 2013, le «Deutsches Institut für Sachunmittelbare Demokratie» (DISUD)1 a organisé à l’Université technique de Dresde, sous la direction du président et fondateur Peter Neumann (cf. interview ci-après) son VIe Congrès scientifique intitulé «Sachunmittelbare Demokratie im interdisziplinären und internationalen Kontext 2013/14 – Mittel- und Osteuropa/Österreich Schweiz Deutschland». [«La démocratie directe dans un contexte interdisciplinaire et international 2013/2014 – l’Europe centrale et de l’Est/ l’Autriche, la Suisse, l’Allemagne»].
Pendant les deux jours, dans une atmosphère de travail très agréable et au mieux organisé, 20 intervenants ont tenu de brefs exposés suivis d’une discussion. Une cinquantaine de participants et d’intervenants de Suisse, d’Autriche et d’Allemagne ont été cordialement accueillis. Dans son discours d’ouverture Wolf-Eckehard Wormer, chancelier de l’Université technique de Dresde, a insisté sur le fait que l’on peut beaucoup apprendre de la Suisse.
Également dans les pays postcommunistes, il existe de nombreuses possibilités de démocratie directe: «Ce qui fonctionne en Suisse, devrait également fonctionner en Europe de l’Est.»
1- La première journée du Congrès était consacrée aux (récents) développements de la démocratie directe en Europe centrale et en Europe de l’Est. Les nombreuses contributions sur les droits démocratiques en Hongrie, dans les pays baltes, en Russie, en Roumanie et en Bulgarie ont clairement montré, que surtout sur le plan communal, il y a beaucoup d’instruments de démocratie directe qui sont déjà en vigueur.
La Hongrie a par exemple connu des éléments de démocratie directe déjà avant la chute du mur. Les réformes qui ont suivi ont mené cependant à une législation plus restrictive. D’importantes requêtes citoyennes ont rapport aux domaines des coûts élevés du logement, de l’eau et de l’électricité, à l’euthanasie et à l’instruction publique. L’adhésion de la Hongrie à l’UE et la crise financière ont pourtant mené à un recul massif d’initiatives populaires.
Alors qu’en Estonie le peuple dispose de peu de droits et que les référendums sont plutôt mis en place en tant que soupape pour le mécontentement, il y a en Lettonie, dans beaucoup de domaines, des instruments de démocratie directe, dont l’application est encouragée par l’État: pour une initiative populaire, il faut 10 000 signatures, au moins 10% des citoyens doivent participer à la votation, et l’État met à disposition des citoyens des places publiques et des locaux.
En Russie de nombreux droits populaires sont ancrés dans la Constitution. Ils sont en particulier appliqués avec succès sur le plan communal. Ainsi en 2012, 165 votations ont été effectuées sur le plan communal (en 2013, il y a eu 90 votations, surtout sur le financement de projets locaux tels que la construction de routes). Les locaux nécessaires et les frais pour les imprimés sont mis à disposition par l’État. La population peut également obtenir une votation contre le gré des autorités. Ainsi, on a récemment saisi le référendum contre les nouvelles taxes de stationnement à Moscou. La peur (justifiée) d’une révolution de couleur a mené à des restrictions claires quant aux votations sur le plan national.
En Roumanie, il y a depuis les années 90 un élargissement des droits populaires. Ainsi, il y a quelques années, grâce à l’initiative de groupes cléricaux et du Parlement, on a obtenu une modification de la Constitution en ce qui concerne la protection de la famille.
2- La deuxième journée du congrès était consacrée aux développements de la démocratie directe en Autriche, en Suisse et en Allemagne.
On a rapporté qu’en Autriche entre 1964 et 2013, 37 référendums ont été effectués. Les résultats disparaîtraient cependant souvent «dans les tiroirs», étant donné qu’une votation ne doit pas impérativement avoir lieu. La plupart des référendums ont été lancés au Vorarlberg – selon l’orateur il ne s’agit pas d’un hasard, vu la proximité avec la Suisse. C’est au Vorarlberg qu’il y a aussi la plus grande acceptation des résultats de votation. En 2013, il y a eu également le premier référendum populaire au sujet du service militaire obligatoire (référendum consultatif, depuis 1988). Ce premier plébiscite au niveau national n’est juridiquement pas contraignant, mais les partis gouvernementaux (SPÖ et ÖVP) avaient déclaré au préalable qu’ils s’en tiendraient au résultat. Avec une participation de 52,4%, le maintien du service militaire obligatoire a été approuvé par 59,7% des voix.
Le professeur suisse Christoph Schaltegger a abordé le sujet «Les finances et la démocratie directe».
La Suisse avec son fédéralisme prononcé se positionne fort bien sur le plan international: les dépenses publiques et le taux d’endettement sont très bas. En 2001, lors d’une votation populaire, l’introduction d’un «frein à l’endettement» a été approuvée par 85% des voix et mis en vigueur en 2003. L’indépendance fiscale des cantons est un grand avantage, ce sont eux qui décident de leur politique budgétaire.
La possibilité du veto du peuple suisse revient à un mécanisme de correction: la politique écoute davantage la voix du peuple. En général, on vise à créer les lois de sorte qu’elles ne provoquent pas de référendums. La pratique de la démocratie directe en Suisse mène généralement à un traitement soigneux des questions spécifiques et à une identification renforcée avec l’État. Malgré cela, une centralisation lente mais inquiétante, qu’il faut contrecarrer, se manifeste également en Suisse.
Les exigences posées aux médias quant à la démocratie directe ont été éclairées dans une contribution du professeur allemand Olaf Jandura. Ce qui est important, c’est une forme civilisée du débat; ce dernier doit être discursif et objectif et les acteurs avec leurs différentes perspectives et organisations, doivent avoir le droit de donner leur avis.
La réalité dans les médias allemands se caractérise malheureusement par un manque de pluralité; il y a peu de véritables informations politiques, mais une forte personnalisation et une tendance vers la sensation. Uniquement 10 à 15% des gens s’informent sur des questions politiques et 4% des usagers d’Internet (pour une population de 55%, qui utilise Internet) vont y chercher des informations politiques. Les autres utilisent Internet surtout pour le divertissement.
En Allemagne, les droits populaires ont aussi une tradition historique. La contribution de Peter Neumann, directeur du DISUD a mis l’accent là-dessus: un abrégé historique des droits populaires après la Seconde Guerre mondiale montre cependant que dans les années 60 et 70 il y a eu peu de discussions en faveur de l’introduction de droits populaires dans la Loi fondamentale. Un aspect intéressant était que, jusqu’à la réunification, les droits populaires n’étaient guère applicables dans les anciens Länder, à l’exception de la Bavière, et que les droits populaires dans l’Allemagne réunifiée ont été stimulés surtout par les Länder de l’Allemagne de l’Est.
Les sujets de discussion tournaient entre autres autour de la question de l’abus de la démocratie et de la manipulation du citoyen. Plus les connaissances sur les questions spécifiques seront larges, plus la participation sera grande. Pour se protéger contre la manipulation et pour encourager les citoyens à participer aux processus démocratiques, une information sincère et un large débat public sur les questions spécifiques sont indispensables. Sur le plan communal surtout, il y a dans tous les Länder de manifestes progrès. Une construction du bas vers le haut est particulièrement importante.
Un interlocuteur a insisté sur le fait, que c’est une bonne cohabitation dans les familles et les communes qui pose les bases de la démocratie. Dans les écoles, il faudrait davantage promouvoir les cours d’éducation civique non idéologiques. L’essence de la démocratie est une éthique, qui est basée sur l’honnêteté, les règles de la bonne foi et la confiance. La question des valeurs y est déterminante.
L’expérience historique de la Suisse nous apprend qu’il est conseillé d’introduire les instruments de la démocratie directe pas à pas, et qu’il faut faire preuve d’endurance …
Pour de plus amples informations, veuillez consulter le compte-rendu du congrès qui sera publié prochainement ainsi que les comptes rendus des congrès précédents (cf. www.disud.de). •
1 Institut allemand en faveur de la démocratie directe (Sachunmittelbare Demokratie), système politique où les citoyens exercent directement le pouvoir sans représentants intermédiaires.
La démocratie directe
ef. La distinction entre la démocratie directe sur le plan des élections («personenunmittelbar») et la démocratie directe dans le domaine des questions spécifiques («sachunmittelbar») remonte au fondateur du «Deutsches Institut für Sachunmittelbare Demokratie» (DISUD) Peter Neumann. Le terme allemand «unmittelbar» signifie qu’entre le vote des citoyens et son résultat aucune autre instance, aucun autre acte de volonté ne s’interpose et que les députés sont élus directement par les citoyens.
http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=4174
