6080 – Commémorer dans l’imposture – par Bertrand Renouvin – Res Publica – 06.05.24 – « Royaliste »


Bertrand Renouvin – Res Publica – 06.05.24 – « Royaliste »

 

Après l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon et l’hommage aux combattants du Vercors, nous entrons dans une nouvelle période de cérémonies mémorielles. Elle sera marquée par la commémoration du  quatre-vingtième anniversaire du Débarquement en Normandie, auquel l’armée française fut trop peu associée, et par la célébration du Débarquement de Provence puis de la libération de Paris.

Ces cérémonies rituelles, qui prendront cette année encore plus d’éclat, participent du sacré, dans le souvenir des victoires militaires qui ont donné à la nation son indépendance et au peuple français sa liberté. Elles assurent concrètement le lien entre le passé et l’avenir, entre la mémoire et l’histoire. Elles devraient renforcer le sentiment d’appartenance à la nation sous l’égide de l’Etat, qui doit veiller à la continuité de l’aventure collective dans le respect des principes que nous avons adoptés. L’Arc de Triomphe n’est pas un aboutissement : il se situe dans un prolongement architectural qui permet d’embrasser l’histoire de France en quelques coups d’œil, sur un axe qui permet le mouvement.

Les cérémonies patriotiques, qui rendent sensible la temporalité historique, appellent les autorités et les citoyens aux devoirs de la transmission. Les royalistes y sont particulièrement attentifs, puisqu’ils se soucient quotidiennement de l’ensemble de l’histoire de France, de la succession monarchique et royale et de la tradition royaliste. Ils se conçoivent comme de modestes agents d’une transmission dont les autorités politiques ont la charge puisque ce sont elles qui assurent le lien effectif entre les citoyens.
Encore faut-il que cette charge symbolique soit assumée. Or l’enchaînement rapide des commémorations depuis 2017 provoque un malaise qui n’est pas dû à l’inflation mémorielle souvent dénoncée mais à une impasse dans la transmission. Les cérémonies se déroulent selon les rites, mais le peuple est absent. Les barrières et les véhicules de la police isolent des périmètres de sécurité de plus en plus vastes et les citoyens, privés de relation au sacré, sont renvoyés chez eux, devant la télévision. Loin de la foule, ils retrouvent le commentaire médiatique qui interprète l’événement selon les critères de la communication. Pertinent, ce  message électoral à la veille des élections européennes ? Habile, cette allusion codée au Rassemblement national ? Est-ce le président de la République qui parle ou le chef d’un parti ? La communication tue la transmission. Il ne reste plus que la mise en spectacle d’un Narcisse trop obsédé de lui-même pour être saisi par le cours de l’Histoire et par l’écrasante dignité de sa fonction.

Au fil des discours, on a entendu et on entendra exalter l’héroïsme, le courage, le sacrifice afin de nous inciter à suivre l’exemple des combattants de la liberté. Donnée par Emmanuel Macron, la leçon de morale ne portera pas plus demain qu’hier. D’abord parce que les valeurs évoquées ne valent pas par elles-mêmes ; elles prennent leur sens dans le patriotisme qui les inspire. Ensuite parce que ces valeurs contrastent violemment avec la lâcheté de la caste dirigeante qui n’a jamais le courage de ses intentions : elle cache l’euthanasie sous “l’aide à mourir” et nomme “souveraineté européenne” son désir de se débarrasser définitivement de ses responsabilités à l’égard de la nation. Enfin parce que le discours sur les “valeurs” est prononcé par un homme dépourvu de toute conviction. L’homme qui célèbre la “petite France libre” du Vercors le 16 avril 2024 est celui qui a repris le thème de la culpabilité française en déclarant le 16 juillet 2017 que Vichy, “c’était le gouvernement et l’administration de la France”. Un mois avant, le même personnage avait profité de la cérémonie au Mont-Valérien – j’y étais – pour appuyer ses candidats aux législatives en serrant interminablement des mains sous l’œil d’une caméra de BFMTV.
Le président de la République française, Emmanuel Macron

Emmanuel Macron ne respecte rien. Ni la sacralité du moment présent, ni le passé qu’il lui arrive d’insulter, ni l’avenir pour lequel il dessine des perspectives en trompe-l’œil – comme il vient de le faire une nouvelle fois à la Sorbonne dans un discours sur l’Union européenne lourd d’inconséquences. C’est ce nihilisme bavard que nous devrons subir lorsque nous célébrerons l’été prochain les combats de la Libération. On va glorifier l’héroïsme de l’insurrection nationale en taisant sa visée révolutionnaire, conçue à Londres puis à Alger, reprise dans le programme du CNR et proclamée par le Préambule de 1946. La révolution économique et sociale entreprise à la Libération ouvrait sur l’avenir : celui d’une œuvre à accomplir et à instituer dans l’ordre politique. C’est cette œuvre que la classe dirigeante aujourd’hui représentée par Emmanuel Macron détruit méthodiquement en s’appuyant sur la contre-révolution néo-libérale.
Nous atteindrons cet été les sommets de l’imposture.
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NB : La chaîne de service public Arte a choisi de diffuser jusqu’au 10 octobre, donc tout au long des cérémonies du 80e anniversaire, le film “Le chagrin et la pitié” dont Simone Veil avait dénoncé la malhonnêteté. J’y reviendrai.
Editorial du numéro 1278 de « Royaliste » – 6 mai 2024

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